Chapitre 4 - Partie 3 - Lassitude

Mlle Aswin laissa échapper un rire et elle interrompit avec amusement :

« Ne t'inquiète pas, Sophy, c'est ton choix, personne ne va te juger ! Bon, allons-y ! Et n'oubliez pas de chanter, Evyna et toi ; ce sera une histoire à une seule voix sinon, ce serait triste !

— Mais je ne connais pas encore ton secret pour danser et chanter en même temps sans être à bout de souffle ! glissa Sophy.

— La pratique, » souffla Mlle Aswin, avant de saisir la main de Sophy puis démarrer la chanson.

***

Une musique plus calme et mélodieuse résonna dans la salle, M. Adelson me tendit sa main que je finis par saisir – de toute façon, il savait déjà à quel point j'étais incroyablement nulle en danse, rien ne pouvait être pire que la veille. La voix de Mlle Rowann ne tarda pas à retentir, Sophy commença à l'imiter sous le regard encourageant de son idole, mais je restai silencieuse : les vitres de cette salle ne m'avaient pas suffisamment offensée pour que je les brise. Et de toute façon, effectuer les mouvements de Mlle Rowann était déjà assez prise de tête pour que je me focalise sur quelque chose d'autre – certes, la plupart de mes mouvements étaient guidés par M. Adelson, mais le peu que j'avais à faire en autonomie n'était guère aisé pour moi.

Le premier couplet de Mlle Rowann finit par s'achever, laissant la parole à M. Adelson. En revanche, seul lui se mit à chanter, Mlle Aswin préférant rester silencieuse, comme si elle ne se sentait pas au niveau pour entonner cette partie. Le refrain de la chanson toujours aussi mélodieuse, presque mélancolique – ce qui semblait si loin de style de la Mlle Rowann que nous connaissions de nos jours – commença et ce furent Sophy et Mlle Aswin qui déclamèrent la partie de la diva. Au moins, cela me dispensait de chanter la partie de Mlle Rowann – et je n'allais sûrement pas gâcher celle de M. Adelson. Lorsque la chanson fut terminée, mon mentor déclara immédiatement :

« Nous devrions faire une pause. Pas de négociations, Veronica, rajouta-t-il sans laisser le temps à l'idole sémillante d'en placer une. Alysea ne serait guère contente de voir que nous tuons à la tâche nos stagiaires.

— C'est faux ! réfuta Sophy malgré un essoufflement aisément perceptible. J'adore chanter et danser avec vous ! Et je suis sûre que c'est la même chose pour Evy ! »

Pourquoi fallait-il toujours qu'elle m'inclût dans ses affirmations idiotes ? Pourtant, M. Adelson se contenta de l'ignorer présomptueusement et il quitta la salle d'entraînement.

« Je suis désolée, Sophy, Evyna, s'excusa immédiatement Mlle Aswin en s'inclinant légèrement : Elioth a toujours été un peu solitaire et renfermé avec les inconnus, ne le prenez pas personnellement. »

J'avais de plus en plus l'impression que le monde tournait à l'envers ici : il était inconvenable de critiquer comme elle l'avait fait une idole aussi célèbre que M. Adelson, surtout en face de deux stagiaires telles que nous. Cela ne semblait pas outrer Sophy car elle demanda avec une familiarité bien déconcertante :

« Tu n'as pas chanté la partie d'Elioth, Vero ; je comptais sur toi !

— Je n'aurais pas su rendre hommage à l'original ! Et je voyais qu'Evyna et toi aviez un peu de mal à chanter celle d'Allie, l'histoire ne pouvait pas être unilatérale ! »

Sophy ne renchérit pas – à mon grand soulagement – et un calme fort agréable se fit dans la pièce. M. Adelson revint quelques minutes plus tard et Mlle Aswin imposa immédiatement la suite du programme : l'idole taciturne ne répliqua rien mais ne participa pas non plus aux danses, se contentant de s'adosser contre un mur et sortir son téléphone.

Je fus enchantée lorsqu'il fut finalement l'heure de rentrer à l'agence, au contraire de Sophy qui protesta, avec peu de vigueur cependant tant elle était épuisée par la matinée. Je regagnai alors ma chambre, pris une rapide douche et me rendis compte qu'il était presque midi. Une demi-journée de passée : plus que vingt-sept. Ce n'était pas très encourageant comme constatation... En tout cas, j'espérais que jouer à Sing, Dance and Play just like Idols do ! ne serait pas au programme chaque matin sinon j'allais être incapable de bouger à l'issue de ce stage.

Le déjeuner se fit dans la même hystérie que la veille, presque tous parlant joyeusement et simultanément, et je ne pus que me féliciter pour avoir choisi un coin de la table... Au moins, je n'étais pas au centre de tout ce tintamarre.

Je choisis cette fois de commander une spécialité de l'île, à savoir des sortes de raviolis farcis avec du chou et du porc assaisonné avec de l'ail, du gingembre et de la sauce soja. Je trouvai ce met délicieux et je me surpris presqu'à remercier Sophy pour m'avoir conseillé d'essayer les plats exotiques. Bien sûr, je pris comme boisson mon habituel thé glacé – hors de question de changer trop les habitudes tout de même.

Une fois le repas terminé, soit vers trois heures de l'après-midi, M. Adelson m'emmena au conservatoire pour y faire un peu de musique, conformément au "programme", comme il l'invoquait à chaque fois. Nous arrivâmes alors dans le bâtiment fort luxueux, au sol en marbre blanc éclairé par de somptueux lustres en cristal, encore plus fastueux que ceux de l'agence.

« De quel instrument voulez-vous jouer, Mlle Reyhan ? me demanda cordialement mais froidement M. Adelson, m'arrachant à la contemplation du lieu.

— Le piano, si c'est possible, » déclarai-je après une brève réflexion.

Au moins, j'étais sûre de ne pas faire d'atroces fausses notes avec cet instrument. M. Adelson approuva silencieusement mon choix et il me guida jusqu'à une grande salle, dont les murs étaient recouverts d'une tapisserie en soie noire brodée avec des fils d'or, où étaient entreposés deux somptueux pianos en bois ébène.

« Quel morceau voulez-vous interpréter ? »

Me doutant que répondre "do ré mi", l'unique morceau que j'avais déjà joué – de force – avec le piano de l'école, n'était guère un choix avisé, je ne voyais en revanche pas vraiment de réponse plus adaptée. Devant mon absence de réponse – ou du moins ma lenteur à répondre –, M. Adelson soupira :

« Pourquoi êtes-vous ici... ? »

Parce que ma meilleure amie était une folle frénétique. Mais je répondis sur la défensive :

« Car j'ai été suffisamment rapide pour cliquer sur un stupide bouton. »

M. Adelson eut un regard de dédain, quoique surpris, mais avant qu'il ne pût placer une autre remarque sûrement fort agréable, un son strident retentit tout près de nous me faisant sursauter ; la mélodie d'un violon joué par une personne de toute évidence incompétente. Le bruit s'interrompit quelques instants plus tard et nous entendîmes la voix aisément reconnaissable de Mlle Aswin :

« Attends, Sophy, je crois qu'il est mal accordé ce violon. Prends le mien, je vais régler celui-là. »

Sur ces paroles, une mélodie frénétique retentit de nouveau, beaucoup moins fausse que la précédente – mais qui m'était toujours douloureuse à entendre – et M. Adelson se tourna vers moi :

« Qu'attendez-vous pour aller jouer, Mlle Reyhan ? Et n'hésitez pas à augmenter le volume du piano. Rien ne pourra être pire que ce son atroce... » rajouta-t-il dans un murmure presqu'inaudible.

M'efforçant de ne pas réagir à l'insulte formulée envers ma meilleure amie – de toute façon, j'aurais bien été incapable de dire que la musique était harmonieuse ou que Sophy jouait bien puisque je ne possédais pas la moindre oreille musicale –, je me dirigeai silencieusement vers l'un des deux pianos. M. Adelson s'empressa de rejoindre l'autre et il m'intima :

« Si vous avez des questions, posez-les-moi. »

Et sur ce, il passa un casque violet autour de ses oreilles et il commença à jouer en silence du piano. Je regardai autour de moi et finis par trouver dans l'une des étagères un livre de débutant. C'était exactement ce qu'il me fallait. Je suivis la première partition proposée, qui se révélait être "do ré mi", et je peinai déjà à déchiffrer les notes, mes derniers cours de solfège remontant au collège... Je suivis malgré tout le conseil de M. Adelson et, entendant à peine mes propres notes tant le violon couvrait, j'augmentai le volume, en espérant que l'annulation d'écho du casque de mon mentor était suffisamment efficace pour qu'il ne m'entende pas. En tout cas, s'il m'entendait, il n'en laissait rien paraître... Tant mieux.

Bref, une après-midi terriblement longue à déchiffrer du solfège, tenter de jouer ces pauvres notes avec un rythme pas trop ridicule, tout en entendant hurler les violons de Sophy et Mlle Aswin – à croire que je ne pouvais pas supporter le violon, qu'il fût bien joué ou non –. La délivrance n'arriva qu'au moment où M. Adelson enleva son casque et se releva. Une lueur de dégoût passa sur son visage maquillé – j'ignorais si elle m'était adressée ou s'il abhorrait vraiment autant le son du violon – et j'éteignis immédiatement mon piano. Je rangeai le petit ouvrage que j'avais emprunté et mon mentor ne fit pas le moindre commentaire – c'était à peine qu'il me regardait et cela n'était pas pour me déplaire. Nous quittâmes le conservatoire et il déclara simplement :

« Le dîner est à vingt heures et sera tenu dans le même restaurant que ce midi. »

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