Chapitre 4 - Partie 1 - Lassitude

« Allons, Evy, fais un effort, pour deux semaines seulement... Après, tu vas retourner dans ton petit chez-toi pour ne plus jamais le quitter... » m'encouragea mon esprit.

Je poussai un soupir, avant d'étouffer un bâillement. Ce n'était pas ce soir encore que j'allais déballer mes valises, il était trop tard pour cela et j'étais bien trop fatiguée... Je sortis tout de même mon téléphone pour régler le réveil à 8h10 – heure parfaitement calculée pour que j'effectue quatre cycles de sommeil complets à partir de 2h14, horaire qu'il serait dans cinq minutes, le temps de m'endormir – et je le posai sur la table de nuit située à droite du lit à baldaquin. Après m'être rapidement changée, je m'affalai sur le matelas – en ayant au préalable repoussé au pied du lit la couverture entièrement pailletée, ce qui la rendait particulièrement inconfortable – et je sentis le matelas remuer dans mon dos, alors qu'un désagréable bruit de liquide se faisait entendre... Un matelas à eau... non, ce n'était pas possible... Ne pouvais-je pas avoir un matelas normal qui ne risquerait pas de fuir au milieu de la nuit ? Je me relevai alors – un nouveau bruit d'eau se fit entendre – et je pris mon sac d'ordinateur et ma valise pour les mettre à l'autre bout de la chambre, le sac sur la valise pour éviter tout risque pour mon portable. Je m'arrêtai devant mon lit à baldaquin et je dus me faire violence pour m'y allonger ; je n'aimais pas ce changement radical d'habitudes, auquel je ne m'étais définitivement pas suffisamment préparée... Ravalant mon angoisse, j'installai les draps en dentelle vert pomme sur moi – là encore, je regrettais ma couette bien chaude et rembourrée – et, tant il était tard, le sommeil me gagna immédiatement...

***

JOUR 1

Ce ne fut pas l'habituelle sonnerie stridente qui me réveilla ce matin, mais au contraire, une mélodie calme que je n'avais jamais entendue. J'ouvris brusquement les yeux, me levai précipitamment, le cœur affolé par ce changement... Les souvenirs de la veille ne me revinrent en mémoire qu'au moment où je pris conscience de l'environnement qui m'entourait... Une chambre spacieuse, dont les murs, le plafond et même le sol étaient chargés de paillettes... Comment avais-je pu oublier ce maudit programme "Dans la peau d'une Idole" ?

Je poussai un soupir avant de chercher le réveil avec la ferme intention de l'éteindre au plus vite et je finis par trouver une tablette violette posée sur la table de nuit de gauche. Je l'allumai et coupai rapidement la musique, avant de constater qu'il était huit heures pile, heure locale bien entendu. Je grommelai : ils venaient de ruiner dix minutes de mon dernier cycle de sommeil... Je désactivai alors l'alarme qui avait été programmée pour les jours suivants à cette même heure, puis je me rendis dans l'application des téléchargements ; avec un peu de chance j'y trouverais le contrat dont Sophy avait omis de me faire part. Je ne me trompais pas : cent quarante-deux pages de texte. J'avais la confirmation que Sophy ne les avait pas lues. Je commençais à les lire en diagonale, notant que la plupart des clauses étaient logiques, mais la troisième partie du contrat se révéla quelque peu différente... Et j'eus la joie d'y apprendre que tout ce que nous faisions dans l'agence et lors des spectacles était filmé... Et les représentations pouvaient même être publiées sur Internet. Mon cœur s'affola, j'ouvris un onglet de recherche pour y taper Éclair. Et le troisième résultat de la recherche fut... la performance d'hier soir, avec mon nom d'inscrit... Oh non... L'humiliation et mon déconfort auraient-ils pu être plus grands ? J'en doutais... Et le pire, c'était que je ne pouvais même pas me plaindre : j'avais signé et approuvé le contrat. Ou du moins, Sophy l'avait fait à ma place... Je m'en voulais terriblement de m'être montrée aussi naïve, croyant que ce voyage ne m'engagerait à rien d'autre qu'à subir deux semaines terriblement ennuyeuses et bruyantes.

Je fermai les deux applications et forçai l'arrêt de la tablette. Hors de question qu'un appareil qui n'était même pas le mien reste allumé, même en veille, dans ma nouvelle chambre. Ma vie privée avait déjà été suffisamment bafouée pour que je laisse un appareil susceptible de me filmer allumé dans mes appartements. Je me mis alors à observer les murs dans la recherche d'une quelconque caméra mais je n'en trouvais pas, du moins qui fût suffisamment repérable. J'hésitai un instant à examiner derrière chaque meuble avec minutie, avant d'abdiquer : je ne voulais pas perdre mon temps à tout inspecter. Il valait mieux ne pas y penser ; l'ignorance naïve était parfois préférable...

Je secouai la tête et je choisis quelques vêtements avant de me rendre dans la salle de bain pour y prendre ma douche matinale. Un quart d'heure plus tard, j'étais sortie et, constatant qu'il me restait encore une bonne demi-heure avant le petit-déjeuner qui se déroulait dans le réfectoire de l'agence, j'ouvris mon sac à main pour en sortir mon téléphone et je tombai sur "Le microscopique guide du lâcher-prise !", livre que Sophy m'avait acheté la veille. Je poussai un soupir avant de le saisir : il me serait peut-être utile de le feuilleter...

J'avais terminé de le lire quand il fut l'heure de partir manger – il était vraiment court et sa lecture n'avait pas été aussi pénible que je ne l'aurais pensé, même si toutes les idées abordées de façon très superficielle me semblaient être des banalités sans la moindre originalité, présentées à la mode "faites ce que je dis, pas ce que je fais". Comme la veille, j'empruntai l'escalier pour me rendre au réfectoire d'Horizon & Paradise situé au rez-de-chaussée, et j'y retrouvai seulement quelques stagiaires qui étaient déjà lancés dans des conversations animées. Peu désireuse de les couper dans leur élan, je m'assis à une table vide dans un coin et sortis mon téléphone pour constater qu'Allan et M. Blairs m'avaient répondu. J'ouvris en premier la réponse de mon frère, me doutant qu'elle serait plus rapide à traiter. Effectivement :

« Salut Evy. Tant mieux si tout se passe bien pour vous. Appelle-moi ce soir (pour toi, soit matin pour moi) si tu es disponible. Prends soin de toi et surtout amuse-toi, petite sœur ! »

J'ignorais pourquoi il avait compris que le stage se passait bien pour moi ; je ne me rappelais pas lui avoir écrit ça dans mon dernier message. Enfin, bref. Je lui répondis simplement un "D'accord, à ce soir." et j'ouvris le mail de M. Blairs, pour découvrir qu'il n'avait toujours pas compris ma réponse précédente. Ou surtout qu'il ne l'avait pas lue en entier. Car j'avais répondu précisément à la première question qu'il posait, au deuxième paragraphe du mail précédent. Et c'était également le cas pour ses deuxième, troisième et quatrième questions. En gros, pour toutes ces questions. Ah... ce qu'il m'énervait ! Ne pouvait-il pas lire en entier mon message avant de sauter sur son clavier pour répondre sans réfléchir ?! J'avais anticipé ses questions et cela n'avait servi à rien... Frustrée, j'éteignis mon téléphone : tant pis pour lui. J'étais en vacances, même si cela ne m'enchantait guère, et il allait devoir se débrouiller sans moi. Et puis, s'il avait vraiment besoin de ces réponses, il n'aurait qu'à relire plus attentivement mon mail.

« Salut Evy ! » s'exclama une voix bien familière, me coupant dans mes sombres pensées.

Sophy venait d'arriver, toute pimpante – elle avait même attachés ses cheveux blonds frisés avec un gros nœud rose fuchsia –, et elle s'assit à côté de moi, tout en parlant gaiement de la soirée d'hier soir. En résumé, elle s'entendait à merveille avec Mlle Aswin et pour rien au monde elle n'aurait voulu que la répartition fût différente. Me doutant qu'elle aurait dit cela peu importe quelle idole aurait été son mentor, je me contentai d'approuver ses propos. Ces deux semaines allaient définitivement être très... très... longues... Mais je devais prendre mon mal en patience ; je n'avais pas le droit de me montrer aussi négative, un tel comportement serait impoli envers les idoles. Certes, je n'appréciais pas personnellement leur art, mais cela ne signifiait nullement que j'avais le droit d'être dépréciative et critique.

Mlle Rowann et les autres idoles finirent par arriver, ils furent accueillis par des murmures émerveillés et ils nous prièrent de commencer notre petit-déjeuner. Nous nous rendîmes alors tous dans la salle d'à côté où se trouvait un immense buffet avec une grande quantité de nourriture à volonté et je dus admettre que le repas fut délicieux. Au moins, il y avait une chose que j'affectionnais : la cuisine était différente de celle dont j'avais l'habitude et, comme me l'avait annoncé Sophy la veille, c'était une très bonne opportunité pour découvrir de nouvelles coutumes gastronomiques.

N'ayant pas vraiment d'autre chose à faire si ce n'était écouter les bavardages incessants de Sophy qui ne m'intéressaient pas vraiment, je m'étais mise à observer les autres stagiaires. Tous semblaient vraiment heureux, partageant un enthousiasme similaire à celui de Sophy, comme je l'avais constaté la veille. C'était alors que je remarquais que nous étions seulement dix-neuf stagiaires présents dans la salle, et ma mémoire eidétique des choses inutiles fit le travail supplémentaire, identifiant que la personne manquante était Cherise Clayton, la jeunefemme qui avait discuté avec Sophy la veille, stagiaire de la célèbre danseuse étoile Stella. Stella qui d'ailleurs était présente et discutait avec Alysea au comptoir.

« Que se passe-t-il, Evy ? Tu sembles être toute chose soudainement... » entendis-je Sophy déclarer, coupant ainsi ma réflexion.

Je me retournai vers elle, et répondis simplement :

« Je viens de remarquer l'absence de l'une des stagiaires, Cherise Clayton.

— Effectivement, quand Veronica est venue me réveiller ce matin, elle m'a dit qu'une stagiaire avait quitté le programme. C'est sûrement Cherise. »

Deux informations contrariantes ressortirent de ces paroles et je marmonnai :

« Mlle Aswin est venue te réveiller ce matin ?

— Oui ! »

Pourquoi Sophy se montrait-elle aussi enthousiaste dans sa réponse ?! Mince alors, cette Mlle Aswin était quand même entrée dans ses appartements privés sans la moindre autorisation !

« Elle craignait que je sois partie comme l'autre stagiaire, enchaîna Sophy sans se soucier de ma contrariété. Du coup, elle est venue vérifier que j'étais bel et bien là ! Comme si j'allais quitter ce paradis ! »

Ma meilleure amie esquissa un grand sourire rayonnant mais j'étais toujours aussi mal-à-l'aise face à cette déclaration. Heureusement que rien d'autre que cette maudite tablette que je n'avais pas programmée ne m'avait réveillée ce matin.

« C'est trop dommage qu'elle soit partie, elle était super gentille quand nous avons parlé hier... Je ne comprends pas comment on ne peut pas aimer ce stage tellement génial ! »

Oh, je comprenais très bien comment nous ne pouvions pas l'aimer, mais je m'abstins d'en faire part à Sophy. En revanche, je n'avais pas eu l'impression la veille que Mlle Clayton n'appréciait pas ce stage...

« Après tout, peut-être qu'il n'était pas assez haut niveau pour elle, continua Sophy. Elle a déjà une petite audience, en soit, elle est presque une idole. Et peut-être que le courant est mal passé avec Stella. Mais c'est triste, c'est une place qu'une autre personne plus motivée aurait pu avoir... »

Je rentrais également dans cette dernière catégorie...

« Sûrement l'ont-ils remboursée... enchaîna Sophy, imperturbable. Après tout, elle n'est même pas restée un jour... Qu'importe ! Peut-être que Stella va rejoindre un autre binôme pour lui faire profiter de son enseignement ! J'espère que j'aurai l'occasion du lui parler ! Après tout, c'est l'une des plus célèbres danseuses étoiles ! »

Sophy enchaîna ensuite sur les multiples performances de Stella qu'elle trouvait extraordinaires et je compris qu'il ne servait plus à rien de poursuivre la conversation sur le départ de Mlle Clayton. Même si j'avais toujours du mal à croire qu'elle fût partie de son plein gré après avoir fait tant d'efforts pour décrocher ce stage...

À l'issue du petit-déjeuner, Mlle Rowann nous pria alors de rejoindre nos idoles respectives, je me forçai à sourire – tentant même d'apparaître de bonne humeur – et je rejoignis M. Adelson : il suffisait que je fasse quelques efforts et les journées passeraient beaucoup plus vite. Pourtant, lorsque je parvins à la hauteur de l'idole, son visage resta de marbre et il me salua très froidement :

« Mlle Reyhan. »

Toute ma bonne résolution disparut d'un seul coup. S'il ne faisait aucun effort de son côté pour se montrer sympathique, je ne voyais pas pourquoi j'en ferais. Je me forçai cependant à lui répondre d'une voix neutre :

« Bonjour Monsieur. »

Il croisa ses bras, demeura silencieux quelques instants – si bien que j'eus presque envie de lui demander si je pouvais regagner ma chambre pour le reste de la journée –, mais il finit par reprendre :

« Conformément au programme, nous devons nous rendre au gymnase pour faire de la danse ce matin. »

J'approuvai d'un geste de la tête, bien que peu enjouée par cette perspective – pour ne pas dire aucunement enjouée –, et il fit demi-tour. J'expirai profondément et entrepris de le suivre ; avec un peu de chance – voire beaucoup de chance –, cette fameuse séance de danse serait meilleure que ce que j'imaginais...

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