Chapitre 3 - Partie 1 - Éclair

« Elioth Adelson... murmura Sophy avec admiration. Il est tellement célèbre dans le monde entier... même plus qu'Alysea... J'avoue que j'aimerais bien qu'il soit mon mentor... »

Son regard était rêveur et je me retournai la voisine de Josh, constatant qu'elle aussi abordait un air envieux. Tout comme sa voisine, et la prochaine, et l'autre encore. Je me retournai de l'autre côté, constatant la même chose. L'intégralité des stagiaires féminines avait ce même regard admiratif... De toute évidence, la répartition allait faire des jalouses, malgré la volonté d'impartialité de Mlle Rowann. M. Adelson sortit alors la boule argentée de son costume, avant de déclarer d'une voix particulièrement neutre :

« Treize. »

***

JOUR 0

Treize... C'était...

« C'est toi, Evy ! » s'exclama Sophy.

L'option qui consistait à fuir au plus vite et discrètement le théâtre venait de se volatiliser en l'espace d'un instant ; les dix-neuf autres stagiaires avaient leurs regards posés sur moi.

« Vas-y ! »

Mais j'étais trop tétanisée pour réagir ; je ne voulais absolument pas me rendre sur scène. Jamais... Une main ferme me saisit le bras, contact qui me ramena à la réalité, et Sophy me jeta un regard lourd de sens, avant de m'obliger à me lever. Je sentis les larmes me monter aux yeux, ma vue se brouilla et j'entendis de nouveau Sophy :

« Evy, monte sur la scène... ! »

La voix de ma meilleure amie était presque anxieuse, sûrement déçue et je me forçai à reprendre le contrôle sur moi-même. J'avais accepté pour Sophy de venir ici... je devais continuer de lui faire plaisir... un minimum du moins... J'expirai profondément, et Sophy se releva et souffla gentiment :

« Evy, tout va bien se passer, Elioth est fantastique, il saura t'aider à vaincre ta peur du public... »

Justement ; si je ne voulais pas me produire sur scène, j'avais encore moins envie de le faire aux côtés d'une idole aussi célèbre que l'était M. Adelson. J'aperçus Sophy se rasseoir et je commençai à me diriger vers l'entrée de la scène, avant de monter les quelques marches vertigineuses pour rejoindre l'idole. Les traits de son visage étaient fins et parfaits, affichant une expression impassible, presque dépourvue de la moindre lueur de vie, malgré ses yeux vairons scintillants, l'un turquoise, l'autre vert émeraude. Une mèchede ses cheveux violets retombait entre ses yeux, contrastant à merveille avecsa peau pâle. À mon arrivée, M. Adelson me fit signe de me retourner vers la foule, et malgré mon état tétanique, je lui obéis et m'inclinai légèrement. Les projecteurs s'éteignirent alors et M. Adelson déclara avec froideur :

« Mlle Reyhan, vous serez ma partenaire de danse pendant que j'interpréterai Éclair. »

Je manquais de m'étouffer en entendant ces paroles. Il... me demandait de danser avec lui sur l'une de ses chansons ?! Sentant qu'il attendait une réponse, je m'empressai de déclarer d'une voix que je peinais à contrôler tant j'étais anxieuse à cette idée :

« Je suis sincèrement désolée, Monsieur... mais je n'ai pas la moindre compétence en danse... N'importe qui d'autre serait plus qualifié que moi pour ce rôle.

— Ne vous sous-estimez pas, Mlle Reyhan, réfuta M. Adelson, sans la moindre once de sympathie pour autant. Vous n'avez rien à faire si ce n'est sourire et apprécier le moment présent.

— Mais... commençai-je à protester, ne voyant pas en quoi un simple sourire me permettrait de danser convenablement.

— Laissez-moi simplement vous guider. »

Sur ces paroles, les projecteurs se rallumèrent brusquement, nous entourant lui et moi, mon cœur s'affola soudainement, et je sentis une main gantée saisir la mienne, terriblement moite. Avant que je n'eusse le temps d'expirer pour tenter d'évacuer toute mon angoisse, une musique rythmée et dynamique retentit et M. Adelson commença à chanter rapidement – comme semblait l'imposer la cadence de la chanson –, tout en me faisant danser – je n'en menais pas large :

« Qu'importent les obstacles qui se dressent,
Sans faiblesse,
Je les transpercerai sans relâche et sans cesse...
Qu'ils disparaissent... »

Le rythme de la musique s'étant légèrement ralenti, l'idole s'arrêta de chanter pendant quelques secondes, continuant cependant de me faire danser. Evy, souris... apprécie le moment présent... déconnecte le cerveau et souris... Mais j'étais incapable de me déconnecter de la réalité, j'étais terriblement crispée et c'était à peine que je parvenais à garder les yeux ouverts – je me doutais que mon expression devait être terrible à voir, sans compter la danse. Puis la musique redevint tout aussi dynamique, si ce n'était encore plus, et M. Adelson enchaîna :

« Impossible d'oublier
Ce passé si familier...
Je nous créerai un bouclier,
Fendant les ombres,
Je volerai loin des décombres,
Je quitterai ces allées sombres,
Délaissant la pénombre,
Brisant la colère,
En solitaire,
Je modèlerai notre univers,
Je chasserai chaque mystère,
Transperçant les airs,
Comme cet éclair... »

Le refrain reprit, je fus presque soulagée de retrouver un rythme connu, d'autant plus que M. Adelson sembla reprendre la même chorégraphie, et je détendis peut-être un peu – enfin, un tout petit peu.

« Qu'importent les obstacles qui se dressent,
Une promesse,
Je dissiperai toutes ces faiblesses,
Sans tristesse,
Adieu, partez, plaies de jeunesse,
Et qu'elles cessent
D'hanter l'esprit d'une déesse,
Recluse dans sa forteresse... »

Bon, je devais peut-être l'admettre : même si je passais un très mauvais moment et que j'aurais mille fois préféré rester dans mon fauteuil, en toute sécurité, la performance de M. Adelson était impressionnante, aussi bien sa façon de chanter que celle de danser en accord parfait avec la musique. Certes, je n'appréciais pas plus que cela la chanson, mais, comme pour Mlle Rowann, je ne pouvais nier tout le travail effectué pour parvenir à un tel niveau de perfection et c'était cette perspective qui m'impressionnait. Je ne trouvais qu'un seul problème à cette chanson : moi. Je n'aurais jamais dû être là... Je ne pus m'en préoccuper plus longtemps car M. Adelson venait de terminer le refrain, le rythme de la chanson changeant alors, ce qui n'arrangea pas mon niveau de stress.

« Soulager la douleur,
Dévoiler tous ces leurres,
Chasser de ton visage cette pâleur,
Lui rendre ses couleurs,
Dissiper les tristes pleurs,
Puisses-tu vaincre le malheur...
Brisant la colère,
Et, en solitaire,
Je modèlerai notre univers,
Je chasserai chaque mystère,
Transperçant les airs,
Comme cet éclair... »

Le refrain reprit ensuite, identique au précédent, au même titre que la chorégraphie, et je parvins presque à me détendre et à prévoir un minimum l'enchaînement des mouvements. La musique étant toujours aussi énergique, une longue pause se fit ensuite après le refrain, ce qui introduisit une nouvelle chorégraphie, me faisant perdre alors le peu d'assurance que j'avais cru avoir gagné. Puis M. Adelson reprit sur un couplet très court, avant d'enchaîner une ultime fois sur le refrain :

« Levant les yeux vers la voûte solaire,
Un éclair
Fend tous les secrets qui hantent ton univers... »

Je parvins à sourire – presque sans avoir l'air crispée – sur le dernier refrain et je ne pouvais nier le fait que sa performance était incroyable – le fait de parvenir à me faire danser était déjà à lui seul un exploit. Puis la musique s'arrêta aussi soudainement qu'elle n'avait commencé, les projecteurs s'éteignirent et de nombreux applaudissements retentirent dans le public. J'avais été horrible, nul doute, mais le soulagement m'envahit tout de même : le calvaire était très bientôt terminé... J'allais pouvoir regagner mon fauteuil pour ne plus le quitter de toute la soirée... J'avais presque hâte d'entendre les prochaines chansons des idoles...

« J'espère que vous avez su profiter de ces quelques minutes, » déclara alors M. Adelson d'une voix très distante.

Je me sentis immédiatement terriblement honteuse et je m'inclinai légèrement avant de m'excuser :

« Je suis désolée d'avoir été aussi médiocre. »

« Mais ce n'était pas comme si je ne vous avais pas prévenu, » rajoutai-je silencieusement avec une certaine amertume.

M. Adelson ne répliqua rien, son visage talqué inexpressif, et je n'attendis pas son approbation pour quitter la scène, même si les projecteurs ne s'étaient toujours pas rallumés. Je rejoignis ma place, ignorant les regards qui ne pouvaient être que critiques des autres stagiaires, et je poussai un long soupir de soulagement lorsque je fus enfin assise dans mon fauteuil. Rien ne pouvait être plus humiliant que les dernières minutes que je venais de vivre... « Le reste ne peut être qu'une partie de plaisir, à côté, m'encouragea une petite voix. De toute façon, c'est passé... Alea jacta est... »

« C'était fantastique, Evy ! » s'exclama Sophy, à ma plus grande surprise.

Je m'abstins de rétorquer que de toute façon, tout était fantastique pour elle du moment où une idole chantait, mais Sophy n'en démordit pas :

« Où as-tu appris à danser comme ça ? Tu étais merveilleuse ! J'ai même cru au début que ce n'était pas toi sur scène !

— Arrête, Sophy, marmonnai-je, ne comprenant pourquoi ma meilleure amie s'extasiait ainsi. J'étais nullissime, je le sais pertinemment : je peux simplement remercier M. Adelson pour avoir été incroyable au point de dissimuler mon atroce performance.

— Pourquoi tu dis ça, Evy ? Certes, Elioth était incroyable, comme toujours, mais je pense sincèrement que tu n'étais pas ridicule. Au contraire, tu as très bien accompagné sa chanson. »

Sophy ne pouvait dire ces paroles que pour me remonter le moral, c'était l'unique explication rationnelle. Oui, elle voulait me réconforter pour éviter que je reprenne l'avion pour quitter au plus vite ce stage.

« Evy ?

— Sophy, arrête de me flatter ainsi. M. Adelson a tout le mérite : si je n'ai pas été aussi ridicule que je ne l'aurais pensé, c'est parce qu'il est parvenu à guider mes mouvements pour que je ne sois pas trop horrible. »

Sophy n'eut le temps de répliquer car la lumière venait de se rallumer, laissant entrer l'idole aux cheveux bleus qui avait confié à Mlle Rowann le coffret des vingt boules.

« Veronica Aswin. Son premier tube, Faille, abat tous les records en ce moment... Je me demande si elle va l'interpréter ce soir... » souffla Sophy.

La réponse à sa question ne tarda pas à se faire savoir. La chanteuse brandit devant elle sa boule pailletée et elle clama :

« Douze !

— C'EST MOI ! »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top