Chapitre 11 - Partie 1 - Envol

Je le saluai alors respectueusement, il en fit de même, et je quittai la pièce, songeuse. J'étais tout de même paradoxale et je peinais parfois à me comprendre moi-même... j'avais envie de pouvoir parler de mes impressions sur ce stage à quelqu'un, de manière franche, sans devoir me montrer hypocrite, et voilà que M. Neveen me proposait de le faire et se montrait même compréhensif, mais je refusais de lui en parler... Je haussai les épaules en empruntant l'escalier pour quitter l'agence : au moins, je me sentais plus confiante, j'étais presque rassurée : quelqu'un semblait comprendre un minimum mes pensées... même si la réaction de M. Neveen n'était pas du tout celle que j'aurais escomptée.

***

JOUR 8

« Evy ! Evy ! »

Je verrouillai rapidement mon ordinateur, me levai précipitamment et je délaissai mon portable où j'étais en train d'avancer sur le projet sur le simulateur de la voiture autonome – l'un de mes collègues m'avait envoyé un mail cette nuit pour me reporter un problème. Je m'empressai d'ouvrir la porte pour découvrir une Sophy surexcitée :

« Sophy, que se passe-t-il ?!

— Viens vite, Evy ! S'il-te-plaît ! »

Elle m'agrippa la main et j'eus tout juste le temps de fermer – même pas à clés – la porte de mes appartements que nous étions déjà dans l'ascenseur. Je n'aimais pas du tout savoir mes affaires non rangées dans une chambre qui n'était pas verrouillée...

« Sophy, que se passe-t-il ? répétai-je, ne sachant pas vraiment si la situation était grave ou frivole.

— Tu vas bientôt savoir ! »

Étant donné la bonne humeur de mon amie, la situation ne pouvait pas être grave. Tant mieux. Elle me guida jusqu'au studio d'enregistrement d'Horizon & Paradise où se trouvaient déjà Alysea et Veronica.

« Je voulais que ce soit toi qui la découvres la première ! » s'exclama alors ma meilleure amie.

Elle fit à Veronica un signe de la tête et l'idole aux cheveux bleus se tourna vers l'un des ordinateurs de la station de travail pour appuyer sur un bouton. Se forma alors sur l'écran géant du studio la photo d'une Sophy jouant du violon dans un champ de tournesols éclairé par un lever de soleil, une douce brise soufflant sur elle faisant virevolter ses cheveux blonds et sa robe rose, à côté de laquelle était écrit Aurore, sûrement le titre de la chanson. La vidéo se lança, une musique entraînante démarra et, quelques secondes plus tard, ma meilleure amie vêtue d'une somptueuse robe entièrement blanche apparut et elle commença à chanter de sa voix habituelle, aigue et légèrement enfantine :

« La neige sur les routes, la glace sur l'étang,
Assis au coin du feu, tous grelottant ! »

Des feuilles verdoyantes apparurent sur l'écran, comme portées par le vent, et apparut Sophy avec une robe identique à la précédente à l'exception de sa couleur : vert prairie.

« Bientôt arrivera le beau printemps,
Que l'on célèbrera en chantant ! »

De nouveau, une transition, cette fois avec des petits cœurs roses, et Sophy réapparut avec sa robe fuchsia :

« Aurore, j'aperçois tes lueurs !
Aurore, tu répands ta chaleur !
Avec tes couleurs,
Plus de douleurs,
Nos vies sont meilleures !

L'éclosion, après une longue attente,
De ces fleurs si diverses et éclatantes,
Qui couvrent et tapissent cette herbe verdoyante,
Illuminées par des couleurs chatoyantes !
Nouvelle ère succédant au froid glacial,
Un futur semblable mais si spécial...
Les bourgeons éclosent, s'ouvrent alors les pétales !
Les roses vermeilles renaissent et scintillent, tel le cristal ! »

J'avais l'impression d'écouter la chanson d'une vraie idole, tant Sophy leur ressemblait dans son style... Se forma l'image de ma meilleure amie avec une robe d'un jaune éclatant et elle enchaîna :

« Arrive enfin l'été, et sa chaleur douce,
Luit une infinie joie, portée par nous tous ! »

Une nouvelle transition, avec des feuilles vermeilles virevoltant, pour laisser la place à une Sophy vêtue de rouge :

« Mais maintenant tombent les jolies feuilles rousses,
Voletant au-dessus de la mousse ! »

Encore une dernière pour faire réapparaître Sophy en rose :

« Aurore, j'aperçois tes lueurs !
Aurore, tu répands ta chaleur !
Avec tes couleurs,
Plus de douleurs,
Nos vies sont meilleures !

Maintenant, flamboie l'ère du soleil,
Scintillant, il nous livre ses merveilles,
Et grâce à lui, plus jamais de sommeil,
Seulement toutes ces étincelles vermeilles !
Puis arrivent le vent et les douces pluies,
Fendant l'ombre, l'ardent crépuscule reluit,
Pour laisser place au royaume de la nuit,
Tous en famille, près d'une cheminée, plus aucun ennui !

Aurore, j'aperçois tes lueurs !
Aurore, tu répands ta chaleur !
Avec tes couleurs,
Plus de douleurs,
Nos vies sont meilleures !

Un rayon chasse le jour assombri,
Un halo illumine les cieux gris,
Le vent se lève et l'avenir fleurit,
Finalement la fortune sourit !
Renaît alors cet océan de joie,
Dissipant tous les pleurs d'autrefois,
Toujours plus loin du triste désarroi.
Scintille ainsi le destin, miracle, ma nouvelle voie !

Hiver, printemps, été et automne derrière l'aurore ! »

Les quatre costumes s'étaient enchaînés sur cette dernière phrase, blanc, vert, jaune, rouge, pour laisser finalement la place à la Sophy en rose – il valait mieux ne pas penser au budget robes de cette chanson... –. La vidéo s'acheva alors sur une image où "Princesse Sophy" était marqué en énorme en lettres pailletées, entouré d'un cœur fuchsia.

« Alors, Evy, qu'en penses-tu ?! s'extasia Sophy, avant de poursuivre sans me laisser le temps d'en placer une : Cette idée de chanson me trottait dans la tête depuis six mois déjà et je suis tellement contente d'avoir pu la chanter. Vero m'a aidée à concrétiser ce rêve, à tout mettre en forme, elle m'a donné pleins de conseils pour la chorégraphie, et c'est même elle qui chante la deuxième voix au moment du refrain. Je suis tellement contente que nous l'ayons fait ! »

Sophy s'interrompit là et je répondis honnêtement, terriblement fière de ma meilleure amie :

« J'ai eu l'impression d'entendre une vraie chanson d'idole, Sophy.

— C'est parce que c'en est une, » répliqua Alysea en esquissant un sourire qui apparaissait sincère.

Sophy trépigna sur place face à cette réponse et elle articula à mon intention, peinant à maîtriser sa joie :

« Tu as vu ça, Evy ! Alysea me considère comme une idole ! »

Je me surpris à sourire face à la bonne humeur de ma meilleure amie et Veronica déclara :

« Maintenant qu'Evyna l'a vue, Sophy, qu'en dis-tu de la montrer au reste de l'agence ?

— Tu penses que ça ne va pas faire trop bizarre ? s'enquit Sophy en se retournant vers son idole.

— Pourquoi ? Je suis sûre que nos collègues vont adorer ! Allie l'adore, Sophy ! Tout le monde ne peut qu'aimer !

— Merci, Vero, tu es tellement encourageante ! C'est grâce à toi que je suis parvenue à un tel résultat ! Je ne pourrai jamais te remercier autant !

— Ne dis pas ça, Sophy ! C'est toi qui chantes, qui as écrit les paroles, inventé la musique et imaginé la chorégraphie ! Je n'ai fait que t'assister ! »

Sophy rougit face à ces louanges et ce fut Alysea qui reprit la parole :

« Eh bien, qu'attendez-vous pour inviter le reste d'Horizon & Paradise ? »

Sophy et Veronica se précipitèrent simultanément vers la sortie du studio en rigolant et un silence pesant s'installa entre Alysea et moi. J'avais perdu la bonne humeur que Sophy m'avait redonnée pour ne laisser place qu'à l'antipathie et aux mauvaises pensées. Dans quelle mesure cette chanson était-elle une illusion ? Dans quelle mesure Alysea et Veronica avaient-elles illusionné ma meilleure amie pour qu'elle se croie devenue idole – et le pire, c'était que je m'étais moi-même laissé prendre dans leur jeu et que j'avais félicité Sophy – ? Car, dans ce monde, tout n'était qu'illusion. Certes, les paroles de M. Neveen avaient calmé ma fureur la veille, mais à présent tout était différent. Je craignais que cette chanson fût le début des ennuis pour Sophy. De toute évidence, elle devait croire qu'elle pouvait se lancer dans une carrière d'idole... Mais je ne connaissais que trop bien le désespoir que pouvait engendrer une telle voie si le succès ne fleurissait pas comme on l'aurait voulu... Et j'aurais tout fait pour protéger Sophy et éviter qu'elle ne souffre comme j'avais souffert... Mais il était trop tard à présent... J'avais minablement failli à la promesse que je m'étais faite huit ans plus tôt... Sophy était déjà engagée dans cette voie, je ne pourrais la couper dans son élan sans la faire atrocement souffrir... Il ne me restait plus que l'espoir... l'espoir qu'elle connaisse le succès et qu'elle soit satisfaite de sa vie, mais pas trop non plus pour qu'elle ne tombe dans aucun excès... L'espoir... c'était pathétique, irrationnel, peu digne de moi, mais je n'avais pas le choix.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top