Chapitre 1 - Partie 1 - Horizon
JOUR 0
« Veux-tu bien lâcher ton téléphone un instant, Evy ? »
Sophy tenta de m'arracher l'appareil des mains et je grommelai :
« Je te ferai remarquer que tu as aussi ton portable dans les mains.
— Oui, mais moi, j'écoute la musique d'Alysea. Toi, tu réponds à ton boss : tu es en vacances, Evy ! Profites-en et mets-le en mute !
— Attends juste un peu, il faut que je résolve ce problème... »
Ah, si seulement je pouvais démarrer mon ordinateur portable, ce serait plus rapide que sur ce maudit téléphone. Mais non, nous étions dans la queue de l'aéroport pour le contrôle des bagages et inutile de préciser que je ne pouvais pas sortir mon ordinateur en un tel lieu.
« Evy, tu es vraiment incorrigible... Pourquoi te surmènes-tu autant dans ton travail ?
— Car j'aime ce que je fais. Toi, tu aimes la musique et les idoles, chacune sa passion.
— Écrire du code bizarre et des docs de quatre cents pages à longueur de journée ne peut pas être une passion, Evy.
— Les documentations, certes, non, admis-je, mais j'aime beaucoup le reste. Et il n'y a pas que du code et des docs dans mon métier, bien au contraire : chaque jour est différent, c'est ce qui fait la richesse du métier d'ingénieure !
— Je ne comprendrai jamais... se lamenta Sophy, avant de changer totalement de sujet : Tiens, écoute cette chanson d'Alysea : elle est vraiment trop bien ! »
Sans vraiment me laisser le choix, elle enfonça son casque rose fuchsia sur ma tête et une musique beaucoup trop dynamique hurla dans mes oreilles si bien que je retirai immédiatement le casque.
« Tu n'aimes pas ?
— J'essaye de me concentrer, Sophy. Dix minutes de silence, par pitié. »
Ma meilleure amie sembla se résigner à mon grand soulagement et je terminai d'écrire la réponse à M. Blairs. Je venais tout juste de ranger mon téléphone dans mon sac à main que Sophy reprit :
« Enfin ! Il faut absolument que tu écoutes cette chanson : Alysea l'a sortie la semaine dernière et je l'adore ! »
Elle enfonça à nouveau son casque sur mes oreilles et je dus lutter contre ma propre volonté pour ne pas l'enlever immédiatement. Je me contentai de baisser le son – à croire que Sophy avait l'audition déjà bien dégradée pour écouter la musique aussi fort – et j'écoutai sans éprouver un grand intérêt la chanson. Au terme de celle-ci, je retirai le casque pour le redonner à Sophy qui s'empressa de demander :
« Alors ? Elle est vraiment géniale, n'est-ce-pas ?
— Nous avons des goûts différents, » répliquai-je simplement.
Sophy afficha une mine déconfite et soupira :
« Décidément, je ne comprendrai jamais pourquoi tu n'aimes pas ces chansons... Elles sont entraînantes, dynamiques, mais en même temps empreintes d'émotions, elles donnent envie de danser dessus, de les chanter à tue-tête pendant toute la journée ! Pourquoi n'aimes-tu pas la musique, Evy ? »
Peut-être parce que mes parents m'ont forcée à écouter ce genre de musique et à danser dessus pendant toute mon enfance alors que je ne souhaitais que poursuivre calmement mes études scientifiques... Je m'abstins cependant de faire part à haute voix de ce commentaire, ne désirant en aucun cas raviver ces mauvais souvenirs. J'avais passé suffisamment d'années à tenter de les oublier – en vain. Et je craignais que ce voyage ne fasse rien d'autre que de rouvrir ces anciennes plaies.
Je secouai la tête, chassant ces sombres pensées. Le silence s'installa entre Sophy et moi, ma meilleure amie ayant la bonté de ne pas chercher à me faire écouter d'autres chansons, pendant presque dix minutes, jusqu'à ce que nous fassions la queue au niveau de plusieurs présentoirs où étaient entreposés des livres de poche. Son casque toujours sur ses oreilles, Sophy commença à le faire tourner pour regarder les titres et elle finit par s'exclamer en en prenant un :
« Ce livre-là serait parfait pour toi, Evy ! »
Elle me le tendit et je lus le titre de l'ouvrage : "Le microscopique guide du lâcher-prise !". Pourquoi me présentait-elle cela ?!
« Je suis sûre que cela t'aidera à voir ce voyage différemment ! Je te l'achète et tu as intérêt à le lire pendant le trajet ! »
Mais quelle était donc cette manie de me donner pleins de cadeaux empoisonnés ? Que lui avais-je fait pour qu'elle s'acharnât autant sur moi ?! Je voulus protester mais, comme à chaque fois, il était trop tard : elle venait tout juste de terminer le paiement – mais comment faisait-elle pour être aussi rapide à dépenser son argent ?! Paiement sans contact bien sûr, une technologie à laquelle je n'avais jamais adhéré, pour de simples mesures de sécurité – et elle me tendit le livre de poche :
« Tiens, commence-le maintenant. Le plus vite tu le termines, le mieux ce sera. J'ai prévu toute une sélection de films pendant le voyage et il serait dommage que tu ne puisses pas tous les voir. »
Effectivement, ce serait très dommageable. Je répliquai cependant, refusant de me laisser encore diriger par Sophy :
« Non, je ne vais pas le lire ; ça ne m'intéresse pas. »
Je le rangeai dans mon sac en bandoulière – ce livre avait au moins l'avantage d'être ridiculement petit –, Sophy ne protesta pas, et ce fut bientôt notre tour de passer le contrôle. Gardant avec moi le gros sac de mon ordinateur, je laissai ma valise aux agents de l'aéroport. Sophy se contenta de garder son sac à main rose à paillettes et nous fûmes bientôt autorisées à passer. Et maintenant, la queue pour la douane. Quelle perte de temps... dire que j'aurais pu être dans mon bureau en train de travailler calmement... Enfin, cela ne servait à rien de remuer le couteau dans la plaie. Je pouvais de toute façon ne m'en prendre qu'à moi-même ; j'avais cédé aux caprices de Sophy – mon frère n'était pas tout à fait étranger dans cette affaire non plus.
Une heure plus tard, nous étions enfin installées dans l'avion – garder mon sac d'ordinateur n'était pas la meilleure idée que j'eusse jamais eue, étant donné le manque de place. Sophy s'empressa de commander des friandises tandis que j'organisais mes affaires pour le voyage. L'avion ne tarda pas à décoller et cela ne faisait même pas trois minutes que le vol avait commencé que Sophy déclara :
« J'ai fait une sélection de quelques films et reportages pour le voyage. Nous allons devenir incollables sur la vie des idoles que nous allons côtoyer pendant ces deux semaines !
— Tu ne l'es pas déjà ? m'étonnai-je.
— Ce serait flatteur ! s'exclama Sophy. Mais jamais je ne me lasserai d'écouter leurs plus belles œuvres ! Et puis, il faut bien que, toi, tu en apprennes un peu plus sur eux tout de même !
— Je me suis déjà renseignée de mon côté.
— Vraiment ? Je ne sais pas si cela m'étonne, Evy... D'un côté, tu es tellement assidue qu'il est logique que tu te sois renseignée... mais de l'autre, tu n'es pas vraiment fan de cet univers. Enfin, pas pour l'instant ! Je suis sûre que tu adoreras ce monde dès la première journée et qu'il te sera tout aussi difficile que pour moi de repartir ! »
J'en doutais sérieusement, mais je m'abstins de le faire remarquer. D'autant plus que j'ignorais comment faire comprendre à Sophy que je n'avais pas la moindre envie de regarder ces films. Au contraire, je préférerais travailler quelques heures supplémentaires sur l'un de mes projets, sachant pertinemment que je n'aurais pas l'occasion de les avancer pendant les deux prochaines semaines.
« Le premier film est assez général et retrace l'histoire des plus grandes idoles, expliqua Sophy. Le suivant est une présentation d'Horizon & Paradise et de ses idoles actuelles, soit celles avec lesquelles nous allons travailler pour les deux prochaines semaines. Le troisième et le quatrième sont des medleys des meilleures chansons de toute l'histoire des vedettes d'Idolaland. Et j'espère qu'on aura le temps de visionner le dernier qui retrace dans ses moindres détails la vie d'Alysea et sa montée en tant que star internationale ! »
Sur ces paroles, et surtout sans me laisser le choix, elle démarra son petit écran et le mien, avant de sélectionner le premier film. Dans l'espoir de la faire changer d'avis, ou du moins de freiner quelque peu sa frénésie, je déclarai :
« Tu sais, il faudrait aussi que nous nous reposions pendant le voyage : n'oublie pas le décalage horaire.
— Ne t'inquiète pas, je suis en plein forme !
— Il serait dommage que nous arrivions épuisées au stage... » remarquai-je.
J'avais presque honte de recourir à un tel stratagème, qui se révéla terriblement efficace :
« C'est vrai, tu as peut-être raison. Ce n'est pas grave, passons directement au deuxième film, il a l'air beaucoup plus intéressant que le premier. »
C'était toujours un de moins... Elle s'empressa de changer la sélection avant de mettre son casque puis de me tendre le mien. Je sortis cependant de mon sac à main ma petite bouteille de gel hydro-alcoolique et nettoyai le casque, ce qui ne manqua pas d'arracher un soupir à Sophy :
« Arrête d'être aussi Evynesque... »
Evynesque... Un terme que Sophy avait inventé pour désigner mon caractère peut-être un peu trop maniaque, et qu'Allan et même Anissa avaient fini par adopter, à mon grand dam.
« Tu ne changeras pas toutes mes habitudes en deux semaines, Sophy, » ripostai-je tout en refermant la petite bouteille de désinfectant.
Ma meilleure amie ne répliqua rien, je passai le casque autour de ma tête, j'expirai profondément, comme pour me donner du courage, et le film commença, avec l'une de ces habituelles musiques trop entraînantes en fond. Je baissai immédiatement le son au volume minimum, avant d'être forcée de le remonter, puisque je n'entendais pas la voix-off du reportage. À mes côtés, Sophy était radieuse et ses yeux bleu-gris pétillants de joie étaient rivés sur son petit écran ; il n'y avait aucun doute, elle était plongée dans un rêve éveillé... Une petite voix me souffla que, rien que pour elle, je devais essayer m'efforcer de faire semblant d'apprécier cette expérience...
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