Une possessivité maladive - part I - Antoine Lacombe

« Hush now darlin', don't say a word
Demons calling, they'll eat your soul
I'm not sorry for what will come, what you don't know »

Hushh — AViVA

            J'ai toujours aimé être le centre de l'attention. Depuis très jeune. Toujours. J'ai été élevé dans un cadre familial extérieurement idéal. La famille parfaite aux yeux de tous : une mère belle et aimante, un père charismatique et volontaire. J'ai hérité de leurs dons, balayant si je le souhaitais les gens autour de moi à l'aide de mon aura particulière.

            J'avais tout ce que je voulais, tout le temps, toujours. Mon père n'avait pas le temps de se prendre la tête avec moi : c'était un homme pressé, un homme qui passait son temps entre travail et voisinage, pour se faire bien voir, toujours, pour montrer au monde à quel point les Lacombe étaient formidables. Et ça marchait. Tout le monde lui mangeait dans la main, il avait une sorte d'assurance féerique, le même halo charismatique permanent que le mien.

            Petit, je voulais être comme lui, je voulais « aider mon prochain ». En grandissant, je compris que ça ferait de moi une lavette, que ce que je croyais être cool n'était que de la lâcheté. Superficiel. Il était superficiel. Ma famille était superficielle. Il n'y avait en son cœur aucune solidarité, aucun réel respect puisqu'il ne se souciait même pas du plus important : nous ; parce qu'on ne se connaissait même pas entre nous. Mon père avait juste peur du jugement des autres. C'était un mouton. Tout le monde l'admirait, mais personne ne voyait réellement qui il était, personne ne savait qu'en accordant tout son temps libre à la ville il en oubliait sa femme et son fils. Qu'importait : en apparence, nous étions la famille parfaite. J'en avais tellement de la chance... Et putain que ça m'a donné envie de les massacrer, ces deux putains de famille et leur soutien mutuel sans failles.

           Ma mère se sentait souvent seule : elle n'avait que moi. Si bien qu'elle aurait tout fait pour me rendre heureux, tout fait pour que je voie en elle la perfection que son mari ne voyait pas, ne voyait plus.

             Comme tout le monde, petit, j'avais commencé à tâtonner le terrain, chercher les limites. N'en trouvant pas, j'avais fini par abuser de la gentillesse de ma mère. Mais je la trouvais géniale, parce que, contrairement à mon père qui ne m'accordait pas même un regard, elle m'accordait tout, parce que je faisais ce que je voulais, parce que j'obtenais d'elle ce que je voulais sans avoir à forcer. Plus grand, j'avais compris qu'elle était juste comme tous les autres, comme lui, incapable de dire non, incapable de s'affirmer, mais par conséquent incapable de se mettre en travers de mon chemin. Comme tout le monde... L'éducation de ma mère et de mon père m'apprit ainsi très tôt une chose primordiale : il suffit de dire aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre pour en faire ce que l'on veut. Le monde avait toujours marché comme ça : des gouvernants, des gouvernés. Je ferai partie des gouvernants.

             À l'époque, j'observais beaucoup, je ne faisais pas de vagues ni de caprices : je n'en avais pas besoin. Je grappillais du terrain dans le cœur des gens assez facilement, personne ne me faisait obstacle, personne. J'étais mignon et je le savais, je n'étais pas con, ça suffisait.

             J'avais onze ans lorsque je me rapprochai de Sarah pour la première fois. Nous étions dans la même école depuis la maternelle, mais je n'avais jamais été dans sa classe ayant un an de plus qu'elle. Je connaissais bien son frère, mais il faisait partie de ces personnes insignifiantes, sans caractère, qui ne savaient pas s'imposer, qui ne me servaient à rien : il ne m'amusait pas. Elle, c'était autre chose. Elle était farouche, pleine de vie, fougueuse : elle serait plus difficile à amadouer et je compris au premier regard qu'elle serait mon nouveau perfectionnement, mon nouveau challenge.

             Cette après-midi-là, j'avais accompagné ma mère chez Noémie Thomas, la tante de Sarah. Je ne la connaissais pas, mais ma mère ne cessait de me parler d'elle à longueur de temps. Elle l'avait rencontrée en faisant son footing sur la plage. Noémie était alors en pleine course effrénée pour récupérer son chapeau de paille, emporté par le vent. Elle hurlait pour le rattraper sans que personne ne lui prête attention. Ma mère était arrivée à ce moment-là et avait réussi à s'emparer du fuyard en plein vol. Pour la remercier, Noémie lui avait proposé une tasse de thé. Les deux femmes avaient alors sympathisé : seules toutes les deux, elles avaient pris l'habitude de passer la plupart de leur temps ensemble. L'une, sans enfant, pour combler la mort de son mari, l'autre pour compenser les absences répétées du sien.

            À l'époque, Noémie se faisait du souci pour sa nièce qui n'avait pas beaucoup d'amis. Les Cartier étaient sa seule famille : elle était très investie dans sa relation avec Alex et Sarah. Apparemment, cette demoiselle, que je ne connaissais pas encore, n'acceptait que la présence de son frère et des amis anglais de la famille : William et Andrew. Ces derniers habitant loin, ils étaient absents la plupart des jours de l'année et ne lui apportaient donc pas un cadre amical équilibré. Elle avait peur que Sarah ne finisse seule, qu'elle se renferme sur elle-même. Elle voyait en son neveu et sa nièce une sorte d'échappatoire à sa solitude, comme ma mère avec moi. Elle les voyait probablement, avant de me connaître, comme les enfants qu'elle n'avait jamais eus.

             C'est dans cette ambiance que Noémie apprit mon existence. Elle souhaita alors m'organiser une rencontre avec sa nièce : pour qu'elle puisse avoir de nouveaux contacts avec des enfants de son âge. Étant un garçon d'apparence très social, il lui serait favorable d'avancer à mes côtés. C'était tellement simple de se faire des amis : un sourire, des paroles, et tout le monde me suivait à la baguette. C'était toujours pareil. J'avais longtemps observé mon père embobiner ma mère pour qu'elle le laisse à ses sorties sans rien dire. Je l'avais vu manier les mots, les gestes, user de son charme. C'est le seul talent que j'avais voulu garder de lui : celui de mettre les gens dans ma poche. Mais, contrairement à lui, je ne le faisais pas pour me faire bien voir, je ne le faisais pas pour sauver les apparences, je ne le faisais pas pour combler un vide dans ma vie : je le faisais juste parce que ça me permettait d'obtenir tout ce que je voulais, quand je le voulais et que ça m'amusait de pouvoir contrôler toutes ces petites fourmis. Alors quand ma mère me parla, pour la première fois, de Noémie et de ses désirs vains de maternité puis qu'elle aborda Sarah et ses problèmes amicaux, je sus immédiatement ce que je devais faire. J'avais enfin un nouveau terrain de jeu.

           J'attaquai Noémie dès notre première rencontre. L'attendrir fut pour moi aussi simple que de dire bonjour. Je commençai par la remercier innocemment de la gentillesse dont elle avait fait preuve en nous invitant. Je lui offris mon plus beau sourire : celui que j'avais longuement travaillé auprès de toutes ces greluches superficielles que je croisais dans la rue quand ma mère m'emmenait nous balader. Je les étendais, constamment, les « quel mignon petit garçon ». Je sentais que les gens voulaient attirer mon attention. Je les trouvais tellement débiles, cette manie de ne pas creuser plus loin que les apparences, cette manière de faire comme si j'étais formidable sans chercher à me connaître. Mais ça me facilitait grandement la tâche, et je l'avais compris très tôt. Noémie ne fit pas exception. Elle fut immédiatement obnubilée par ma politesse et mon calme. Du haut de mes onze ans, je déposai un bisou sur sa joue et lui fit un autre compliment. Elle sembla ravie, et ne cessa de flatter ma mère pour le travail qu'elle avait fait avec moi. « C'est d'un ami comme ça dont elle a besoin, elle est tellement seule la pauvre. Ça lui changera de son frère et de ses deux petits amis anglais. De vrais chenapans, ils passent leur temps à se chamailler. Tu les aurais vus la dernière fois : le plus jeune a fait une vraie crise de jalousie à Sarah parce qu'elle ne l'avait pas attendu et qu'elle était partie avec son frère. C'est mauvais pour elle : elle n'a déjà pas beaucoup d'amis, si en plus ces deux-là la mettent dans leurs embrouilles... La pauvre petite.

          Je tendais l'oreille, notant toutes les informations nécessaires pour embobiner cette Sarah. Apparemment, Noémie n'était pas fan de son entourage : un bon point pour moi.

          La tante de Sarah nous conduisit au salon où jouait une petite fille. Elle avait l'air si sauvage avec ses mèches de cheveux en bataille de partout sur son visage de poupin, indomptable. Elle semblait hyper concentrée sur sa tâche. La petite était en train de dessiner ce qui ressemblait à une forêt, fronçant les sourcils pour soulever les erreurs de perspective se trouvant dans son œuvre. Noémie l'appela, la fille releva enfin la tête. Je croisai pour la première fois ses yeux noisette : ils pétillaient de malice. Contrairement aux dires de sa tante, Sarah semblait parfaitement bien dans sa peau, rayonnante. Je m'approchai pour lui offrir mon plus beau sourire et commencer à jouer. Pour la première fois de toute ma jeune existence je me heurtai à un mur : elle ne semblait pas du tout réceptive, ma présence dans la pièce la gênant plus qu'autre chose. Je changeai alors d'approche et tentai de m'intéresser à ses travaux manuels. Je lui posai des tonnes de questions à ce sujet, mais elle ne semblait pas m'écouter, bien trop occupée à ajouter des nuances de couleurs sur sa feuille de papier déjà bien peinturlurée.

— Pourquoi tu ne me parles pas ? m'irritai-je tout en essayant de conserver extérieurement tout le faux calme dont je savais faire preuve.

          D'habitude tout le monde voulait me parler, d'habitude on s'arrachait mes sourires. Cette gamine ne pouvait pas faire exception ! Pour qui se prenait-elle ? Une minus comme elle...

— Je ne te connais pas, me dit-elle sans même prendre le temps de me regarder. Je ne parle pas aux gens que je ne connais pas. Et puis tu me gênes, je dois terminer mon cadeau avant qu'il arrive.

           Noémie réprimanda sa nièce qui soupira, se tourna enfin vers moi et s'excusa. Je voulais profiter de cette brèche pour retenter une approche, mais, avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, quelqu'un sonna à la porte. Je vis entrer dans la pièce une femme et un homme de l'âge de ma mère. Ils venaient chercher Sarah. On ne nous présenta pas tout de suite, mais je compris au regard charbonneux de l'homme qu'il s'agissait de ses parents.

— Ma chérie, on rentre à la maison. Will et Andy arrivent dans une heure.

           Je pensais cette gamine fermée à toutes ondes positives, boudeuse et chieuse, pourtant son visage s'illumina au prononcé de ces mots. Elle se leva, me dit au revoir, et se précipita à la suite de ses parents.

— Noémie, vous pourriez venir dîner à la maison demain, avec ton amie ? demanda Madame Cartier. Nous serions heureux de vous recevoir.

           Elle s'approcha alors de moi et se pencha pour me parler avec douceur.

— Ça te permettrait de faire plus ample connaissance avec mes enfants et leurs amis : qu'est-ce que tu en dis petit loup ? »

          J'aurais pu être honnête avec elle et dire que je n'en avais rien à faire d'être ami avec eux, mais, sans comprendre pourquoi, je souris mécaniquement. Après tout,ce n'était pas une mauvaise idée, cette petite fille m'intriguait, elle me touchait d'une certaine manière, réveillait mon instinct de possession. Alors je regardai ma mère et la laissai accepter l'invitation à ma place. Le destin venait de me mettre sur la route de celle qui serait pour toujours l'amour de ma vie. 

********************

Je suis désolée, moi aussi je déteste être dans sa tête,

Et comme vous le savez, ça risque de ne pas aller en s'arrangeant.

Vous êtes prêts ?

Love,

Lily <3

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