Toi tu crèves - Antoine Lacombe


« Why when we do our darkest deeds, do we tell ?
They burn in our brains, become a living hell.
Cause everybody tells.
Everybody tells. »

Secret - The Pierces

Je sortis de l'hôpital, juste après ma discussion avec Noémie. Il était temps pour moi de lui laisser prendre le relai auprès de sa nièce : parce que c'était ce que les médecins avaient demandé et que je devais, pour l'instant, me plier aux règles qui permettraient à Sarah d'aller mieux. J'avais vraiment envie de les envoyer chier, j'avais envie de leur dire que c'était avec moi que Sarah avait fait le plus de progrès, mais ce n'était pas l'image que je devais donner si je voulais conserver mon alliée. Je me montrai donc plus que coopératif, et quittai pour la dernière fois la chambrée de Sarah, toujours emmitouflée et assoupie sous sa couette.

Je rentrai directement chez moi. Comme souvent, il n'y avait personne. Mon père devait probablement être parti faire l'hypocrite auprès de ses faux amis, ma mère devait faire des courses quelque part : un grand classique.

Je me posai dans le canapé du salon et explosai de rire. Je n'avais jamais ressenti ça, ce soulagement. Tout se passait à merveille ! Toute cette adrénaline me rendait complètement euphorique. Il fallait que je trouve un moyen de me défouler, parce que je n'étais pas censé être dans un tel état après tout ce qui s'était passé ces derniers jours, et que si quelqu'un me croisait mon attitude paraitrait suspecte.

Je me dirigeai en silence dans la chambre de mes parents, farfouillai dans la table de chevet de mon père et trouvai enfin ce que je cherchais. La clef brilla dans ma main, aussi belle que la sensation de puissance à laquelle elle allait me conduire. Je descendis les escaliers quatre à quatre et rejoignis en douce le bureau de mon père. J'eus un instant peur qu'il ne soit parti avec ses amis de la gendarmerie, s'il squattait mon territoire j'allais devoir trouver un plan B. Mais il y avait peu de chances, c'était dimanche, et le dimanche il faisait du bénévolat.

Je pénétrai dans la pièce qui m'était interdite sans une once de culpabilité. De toute façon, mon paternel n'était jamais là pour m'en empêcher. Cette pièce était la parfaite représentation de mon âme. Je m'y sentais comme dans un poisson dans l'eau. Elle recensait tous les trophées de mon père, tout ce qu'il avait pu accumuler avec ses léchages de bottes professionnels. Mais comme il ne la fréquentait presque jamais, elle était toujours méticuleusement rangée et imposante. Je caressai du bout des doigts son bureau en teck, brillant d'une propreté presque maniaque, en me dirigeant vers la vitrine principale, appréciant les défauts que le temps avait creusés dans le bois. J'atteignis enfin mon but, et ouvris la porte vitrée de sa collection d'armes. Mon père, comme toute personne assoiffée de puissance, était un passionné d'armes. Il était, depuis sa majorité, inscrit à la fédération française du tir. Il n'avait dès lors plus jamais quitté ces clubs. Il m'avait transmis, très jeune, son goût pour la déflagration. C'était la seule chose qu'il avait pris le temps de me transmettre, la seule chose que j'appréciais encore dans son univers de suiveur. Car, bien évidemment, il s'agissait surtout pour lui de se donner une image d'homme fort et viril, cela participait au perfectionnement de son personnage. Peu importe la raison, sa passion pour les armes à feu lui avait permis d'intégrer un des cercles les plus fermés de la ville : celui de la gendarmerie. Un des seuls cercles qui me rendaient encore un tantinet admiratif de sa personne. Il était ami avec la quasi-totalité des hommes de la caserne et participait régulièrement à des séances de tirs avec eux. Plus jeune, il agissait en toute légalité, mais la saveur que lui apportait la puissance du tir était devenue une sorte de drogue. Petit à petit, il avait commencé à se procurer des armes de type B en dehors de toute réglementation. Il n'était pas dangereux : il souhaitait seulement s'affranchir de toutes les contraintes qui venaient restreindre son activité. De toute façon, il était couvert par ses fréquentations, et par l'image que tout le monde avait de lui. Il se rendait depuis, tous les lundis soir, dans un coin reculé de la forêt pour tirer sur des cibles, et autres bouteilles, en compagnie de ses amis brigadiers : sans aucune inquiétude. Ce qu'il ne savait pas c'est que, le reste du temps, il m'arrivait d'aller fouiller son bureau pour lui piquer de quoi tirer et d'investir son QG. C'était un défouloir glorifiant. Déjà parce que si je me faisais choper j'allais me prendre une dérouillée, ensuite parce qu'avec ça entre les mains je me sentais invincible.

Je récupérai, sur son étagère, un des bébés de sa collection. Je ne prenais jamais les nouveaux arrivants, parce qu'il l'aurait rapidement remarqué. Mais il ne se servait plus de ce revolver, je ne l'avais pas vu l'embarquer depuis plus d'un an, ça devrait donc passer si je l'empruntais.

Je pris mon téléphone, plaçai le flingue dans la poche intérieure de ma veste, et sortis affronter le froid pour évacuer ma trop grosse poussée d'énergie. Je marchai d'un pas rapide jusqu'à la base de tirs de mon père et de ses amis. Je ralentis en arrivant, vérifiant qu'il n'y avait personne. Le calme alentour me confirma rapidement que j'allais pouvoir me déchainer, sans me soucier d'être repéré. Je décidai alors de tester mon nouveau joujou. La première déflagration fit vibrer tous mes membres, savoureuse. Je réussis, dès le premier coup, à atteindre la bouteille de bière que j'avais prise pour cible, fier de mon amélioration. Elle explosa en une centaine de petits couteaux acérés, s'éparpillant sur le sol. Je sentis alors mon portable vibrer dans ma poche. J'ignorai l'appel, mais la personne au bout du fil réitéra, trois fois, me faisant rater ma seconde cible. Agacé, je sortis le mobile de mon jean. Le nom d'Andrew s'afficha à l'écran, m'interloquant. Je décidai finalement de décrocher, car ce n'était pas dans ses habitudes de me harceler. Mais aussi - je me devais de l'avouer - parce que je pensais ne plus jamais entendre parler de lui et que voir son nom s'afficher en grosses lettres sur l'écran de mon téléphone me fit un peu stresser. « Salut Andy, qu'est-ce que tu veux ?

- Il faut qu'on parle.

Le ton ferme d'Andrew m'agaça, je détestais quand il se mettait à me parler comme ça. Qu'il parle comme à un chien à son microbe de frère s'il le voulait, mais pas à moi : il n'avait aucun ordre à me donner. Pote ou pas, il n'avait pas à employer ce timbre-là avec moi.

- Je suis occupé pour l'instant, ça va devoir attendre.

- Antoine, s'il te plait, il faut qu'on parle, tout de suite. C'est urgent. Je n'en aurai pas pour longtemps. Dis-moi où je peux te retrouver ?

Bon, si je parlais à Andy pendant une petite heure, grand max, j'aurais toujours le temps de retourner tirer derrière... Et puis l'ignorer avec tout ce qu'il savait n'était peut-être pas une bonne idée. Je devais le ménager.

- Vers la maison abandonnée, sur le sentier des douaniers, dans quinze minutes ?

- J'y serai. »

Andy raccrocha, aussi vite qu'il avait commencé à parler. Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir à me dire ? Je pensais sincèrement ne plus jamais avoir de ses nouvelles après ce qu'il s'était passé, je pensais qu'il allait me fuir comme la peste. Peu importe, s'il voulait des adieux je ne pouvais pas lui refuser. C'était la moindre des choses, la seule chose que je pouvais lui accorder en remerciement de tout le soutien qu'il m'avait apporté ces dernières années.

Je soupirai de lassitude, essayant d'oublier la petite pointe d'angoisse qui piquait mon esprit en arrière-plan. Je rangeai un peu le QG de mon père, pour ne pas y laisser mes traces, dans le cas où je n'aurais pas le temps de revenir après mon tête-à-tête avec Andy. Si j'y laissais le moindre indice de ma présence, je pouvais dire adieu à mon activité défouloir. J'époussetai enfin mes mains, une fois le travail achevé, et admirai l'endroit. Une fois certain que rien ne me trahirait, je tournai les talons et me mis en marche.

Quinze minutes plus tard, je parcourais les derniers mètres qui me séparaient du chemin des douaniers, plus curieux que jamais. Tous ces mystères avaient mis du piment dans nos vies, c'était comme se retrouver au cœur d'un polar, et j'en étais le héros. C'était à la fois hyper flippant et incroyablement stimulant.

Andy m'attendait, assis sur une pierre, piétinant inlassablement le sol de nervosité. Ce n'était pas dans ses habitudes d'être nerveux, alors l'angoisse prit le dessus sur mon euphorie passée. Une petite voix dans ma tête commença à me souffler que sa présence n'était pas bon signe, qu'il ne venait pas me dire adieu comme je le pensais. Son pion, pourtant déjà hors course, se replaça de lui-même sur l'échiquier de mon esprit et se rapprocha dangereusement du roi. Quand j'arrivai à sa hauteur, il se mit debout devant moi et reprit contenance. « Qu'est-ce que tu veux Andy ? Je ne pensais pas te revoir de sitôt.

- Je voulais juste te prévenir, parce que je tiens à toi, et que je ne pouvais pas juste te balancer, comme ça, après tout ce que nous avons vécu toi et moi.

- Balancer quoi ?

Andrew se rapprocha, plutôt sûr de lui. Il posa ses mains sur mes épaules, comme il aurait pu le faire s'il avait vraiment été mon grand frère, comme si je lui devais le respect. Ça m'énervait tellement quand il agissait comme ça. Je faillis le repousser, mais je me dis qu'il valait mieux laisser couler et l'écouter.

- Je sais que tu m'avais dit de ne pas le faire, mais je t'ai filmé quand même : en train de foncer sur la route, puis mettre le feu à la voiture d'Éric et Laurana. Je sais que tu as disjoncté, qu'on était tous sur les nerfs et que tu as probablement juste besoin d'aide. Mais, je ne peux pas ignorer ce que j'ai vu. Je sais aussi que tu t'en veux terriblement, mais là on parle du décès des parents d'Alex et Sarah. Je suis désolé, je ne peux pas te couvrir cette fois. Je vais donner l'enregistrement à la police, et j'aimerais que tu viennes avec moi pour te rendre.

Sincèrement ? Je m'étais réellement trompé à ce point sur son compte ? Mon meilleur pote était vraiment une saloperie de balance ? Je pensais pouvoir lui faire confiance, aveuglément, je pensais que lui comprendrait, qu'il saurait me pardonner. Tout était parfait, tout mon plan se déroulait à merveille, il ne pouvait pas me trahir maintenant !

- Andy, s'il te plait, réfléchis deux secondes. Tu sais très bien que je regrette, je ne voulais pas leur faire de mal. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne comprends toujours pas. J'étais super mal, OK ? Je me sentais vraiment mal et rejeté. Je ne sais pas comment j'ai pu en arriver là, vraiment, ce n'était pas prémédité et tu sais très bien que je ne suis pas quelqu'un de violent. Si tu vas voir la police maintenant tu vas détruire ma vie...

Je réfléchis, à toute allure, à toutes les options qui se présentaient à moi. Je n'avais pas pensé un seul instant qu'Andrew soit un danger pour moi, pas après qu'il m'ait vu pleurer toutes les larmes de mon corps pendant qu'il appelait l'ambulance. J'avais tout planifié, tout était parfait, Andy ne pouvait pas me trahir, pas lui.

- Sincèrement Antoine, je n'en sais rien. J'ai envie de te croire, mais ça ne change rien. Will a raison : on ne peut pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Ils sont morts, tu dois te rendre. Viens avec moi, s'il te plait, je resterai avec toi. Si ça vient de toi, les juges seront plus cléments et puis tu es mineur.

- Tu en as parlé à ton frère ? Est-ce que tu lui as donné la vidéo ? Et merde Andy, depuis quand tu écoutes les conseils de William ? On parle de ma vie là !

- Non, je ne lui ai pas donné la vidéo, mais ça n'a pas d'importance parce que, même si tu ne viens pas avec moi, je la donnerai directement à la police. On ne parle pas que de ta vie cette fois, on parle aussi de celle de personnes formidables qui sont mortes Antoine.

Andy changea de ton, laissant de côté les fioritures pour ne pas me laisser le choix. Il croyait vraiment que j'allais le suivre ? J'avais vraiment été pote avec un mec pareil ? Justicier de merde. C'était bien le même que son frère, un putain de chien de garde comme son merdeux de frère. Une fois de plus, il avait fallu que Lewis bis se mêle de mes histoires, et qu'il monte le bourrichon de son frère. Cette belle brochette de faux-culs qui ne pouvaient soi-disant plus se blairer !

- Je ne viens pas Andy, et tu n'iras pas non plus, le menaçai-je.

Andy tendit sa main vers moi, me fixa droit dans les yeux, intransigeant, attendant que je change d'avis et que je le rejoigne. Il pouvait toujours courir. Il pouvait aller se faire mettre. Jamais, jamais je ne tomberai ! Mon plan était parfait ! Il était en train de pourrir ma journée, de ruiner tous mes efforts pour des saloperies de cadavres. Même morts ils me faisaient chier ces deux-là !

La crosse du revolver, toujours dans la poche intérieure de ma veste, heurta mes côtes tandis que je repoussai virulemment la main d'Andrew. Il soupira, mais ne me lâcha pas de ses putains d'yeux bleus. Je détestais ses yeux, c'était les mêmes que les siens. Il croyait vraiment pouvoir me faire craquer avec ce regard-là ? Vraiment ? Il croyait vraiment avoir de l'ascendance sur moi ? C'est lui qui allait finir à mes pieds ! Tout ça parce que je m'étais relâché avec lui, j'avais été tellement con de l'avoir fait : c'était un Lewis, depuis le début, et pour toujours.

- Je suis vraiment désolé Antoine, j'espère que ça se passera bien. Quoi qu'il arrive, tu resteras mon meilleur pote.

Finalement, Andrew se détourna et laissa retomber sa main au passage. Il avait enfin compris que son discours larmoyant était inutile. Il avait abandonné tout espoir de me raisonner. Alors qu'il allait se casser, je me rappelai que je n'avais pas terminé ma séance de tir. Je n'eus pas besoin de réfléchir longtemps. Silencieusement, je saisis de ma main gauche la crosse du revolver de mon père. Il fallait que l'on pense que le droitier, qu'était Andy, avait tiré. Une fois l'arme en main je la désécurisai. J'allais devoir être rapide, Andrew avait de bons réflexes.

- Je n'avais jamais remarqué, lui dis-je.

Andy se tourna à nouveau vers moi.

- De quoi tu parles ?

- Tu as le même regard de bâtard que lui !

Andrew fronça les sourcils d'incompréhension. Alors, avant qu'il ne réagisse, je fonçai sur lui. Je sortis d'un mouvement sec l'arme à feu de sa planque et vins la placer sur sa tempe. Je tirai immédiatement, sans même réfléchir. C'était juste un putain d'animal, un putain d'animal comme un autre. Une saloperie de traître.

Il n'eut pas le temps de comprendre ni d'avoir mal, mais une partie de moi se déchira quand il s'effondra sur le sol. Voir s'écrouler Andrew c'était un peu comme voir chuter Sarah ce jour-là : j'aurais vraiment voulu l'éviter. Mais je n'avais pas eu le choix, j'avais pris la bonne décision. Andrew avait choisi d'écouter son frère, il n'aurait pas dû. S'il était rentré en Angleterre sans faire d'histoires, comme je l'avais prévu, il serait encore en vie.

- Et merde ! crachai-je.

À cause de sa trahison, j'allais devoir faire une croix sur les armes à feu. J'allais devoir abandonner le revolver entre les mains d'Andy. Mon père risquait de voir qu'il en manquait un à l'appel, il allait être plus vigilant, et plus personne ne devait remonter jusqu'à moi. Pas cette fois. J'avais eu tort de faire confiance à Andrew. Je ne pouvais faire confiance à personne.

Je me giflai, pour faire passer le choc, et pris sur moi pour cesser de trembler. Je ne savais même pas pourquoi je tremblais, mon corps me faisait chier. Il était trop faible, je ne devais pas être faible, les faibles me dégoûtaient.

- Allez mec, on se reprend ! »

Recouvrant peu à peu mes esprits, je me mis à essuyer méthodiquement le flingue. J'en récurai les moindres détails, pour qu'on ne retrouve ni mes traces ni celles de mon père. Je plaçai alors l'arme dans la main droite, sans vie, d'Andy et pressai ses doigts autour de la crosse. Je m'occupai ensuite de son téléphone. Je supprimai tout d'abord la vidéo, vérifiant qu'elle n'était reliée à aucune application ou au cloud ; puis je le réduis en miettes à l'aide d'une pierre que je marquai de ses empreintes. Je m'acharnai dessus pour faire passer mes nerfs.

Je pris alors du recul et observai mon ami mort sur le sol pendant de longues minutes. Je me laissai le temps de digérer cette vision, parce qu'il allait falloir que je me contrôle, que je ne laisse rien transparaitre. Je m'y habituai plus rapidement que je ne l'aurais pensé. Andrew m'avait trahi, ça m'aida beaucoup à accepter qu'il l'avait mérité. Parce qu'il l'avait mérité. Il n'aurait jamais dû me menacer. Jamais. On ne balance pas ses potes, on se soutient.

Une fois remis de mes émotions, je vérifiai une dernière fois que tout était prêt, que je n'avais rien oublié. Je ne pouvais rien laisser au hasard, pas cette fois, j'étais trop près du but. Rassuré, je passai un appel anonyme à la gendarmerie, indiquant que j'avais entendu un coup de feu vers le chemin des douaniers. Et, après avoir jeté un dernier regard à Andy, je rentrai chez moi.

********************

Voilà la réalité sur la mort d'Andy,

Comme toute vérité, elle est parfois difficile à avaler.

Lily <3


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