Le tic-tac de l'hôpital - Antoine Lacombe
« Fight so dirty, but your love so sweet
Talk so pretty, but your heart got teeth
Late night devil, put your hands on me
And never, never, never ever let go »
Teeth — 5 Seconds of Summer
Sarah ne semblait pas vouloir se réveiller. Son mec avait beau passer sa vie à son chevet, attendre des heures, elle ne bougeait ni pour lui ni pour personne. Il avait l'air rongé de l'intérieur et ça me faisait jubiler. J'avais enfin réussi à lui retirer son putain de sourire condescendant à la con. Il avait enfin perdu sa saloperie d'assurance. Je ne souhaitais désormais qu'une chose : que Sarah se réveille en son absence, j'espérais être le premier à lui parler. J'imaginais Lewis rentrer dans la pièce et nous trouver en tête à tête tous les deux. Après tout ce qu'ils m'avaient fait, ça serait tellement jouissif de pouvoir prendre cette avance sur lui.
C'est comme ça que Noémie me trouva, assis sur une chaise, dans la chambre de Sarah, tout sourire. Elle interpréta ma bonne humeur de la manière la plus naïve qui soit, comme à son habitude. « C'est gentil de lui apporter de la chaleur mon chéri, elle en a besoin pour se réveiller, continue de sourire. Tout le monde est si morose ces derniers temps. Je connais Sarah, elle n'aimerait pas ça. C'est bien que tu arrives à lui apporter de la bonne humeur.
— Je sais, je suis d'accord avec toi. William n'arrête pas de remplir cette pièce d'ondes négatives. Il ne pense qu'à lui, comme d'habitude. Comme si c'était lui et non Sarah qui souffrait le plus. J'essaye de profiter de son absence pour corriger le tir. Il revient la semaine prochaine.
Noémie acquiesça, évidemment, elle acquiesçait toujours. C'était mon alliée la plus chère, mon plus grand soutien. Andrew m'avait lâché pour le coup, il s'était même permis de me reprendre. Je ne devais, soi-disant, pas laisser mon mépris pour Lewis bis compromettre le bon rétablissement de Sarah. Lewis bis lui était soi-disant nécessaire. Conneries, il avait juste irradié son crâne, l'empêchant de voir nettement le parasite égoïste qu'il était. Je devais être là au réveil de Sarah, moi et pas lui. Comme ça elle verrait, elle verrait enfin qui tenait vraiment à elle dans cette histoire, qui veillait sur elle.
— Les médecins sont confiants, elle ne devrait pas tarder à se réveiller. Ma pauvre petite chérie, soupira Noémie.
— Je vais bien m'occuper d'elle, je te le promets, murmurai-je en prenant sa main, petite et délicate, dans la mienne.
J'entendais le tic-tac de l'horloge, annonçant que les minutes, les heures, les jours s'écoulaient. Je l'entendais rapprocher le temps de son retour à lui. Je savais qu'il allait bientôt débarquer et que je devrais lui laisser ma place auprès d'elle, que les parents de Sarah voudraient que je le laisse passer du temps avec elle. Tant qu'il était absent, personne ne venait me faire chier, on tolérait ma présence, quand lui était là je me sentais indésirable. Soi-disant parce que je ne savais pas me tenir en sa présence et que Sarah n'avait pas besoin de ça. Me tenir de quoi ? C'est lui qui passait sa vie à me narguer, c'est lui qui se croyait plus important pour elle que moi ! C'est lui qui aurait dû être dans ce stupide lit d'hôpital, c'est lui qui devait tomber, pas elle !
Je resserrai instinctivement ma main autour de celle de Sarah et je l'entendis grogner. Noémie et moi la regardâmes ouvrir les yeux, doucement. Elle avait l'air complètement perdue. Elle nous scruta durant de longues minutes, à des kilomètres de nous.
— Qui êtes-vous ? finit-elle par murmurer.
Noémie me regarda, dépitée. Je la pris dans mes bras pour la rassurer.
— Elle, c'est Noémie, ta tante. Et moi je m'appelle Antoine : je suis... ton meilleur ami. Tu as eu un accident, mais tout va rentrer dans l'ordre. Je te le promets. De quoi te souviens-tu ? »
Sarah, confuse, fronça les sourcils. Elle réfléchit longuement, se concentrant au maximum. Mais elle ne répondit pas à ma question ni a aucune autre, restant muette pour le reste de la journée : en ma présence, celle de ses parents et même d'Alex. Son regard sembla s'allumer un instant en présence de sa famille proche, comme si une part d'elle savait qui ils étaient, mais ce fut le seul signe de conscience qu'elle donna. C'était probablement le choc, sa mémoire lui faisant défaut, qui l'empêchait de montrer ses émotions et d'articuler le moindre son. J'étais prêt à l'attendre. Je savais que je serais là le lendemain matin, des fleurs en main, alors que lui se trouvait de l'autre côté de La Manche comme un con. J'allais enfin avoir mon avance.
*
* *
Le lendemain, et tous les jours qui suivirent, j'étais le premier sur les lieux. Présent pour lui prendre la main. Si bien qu'au bout de trois jours elle réussit enfin à me parler. Très peu, mais c'était déjà un progrès. J'avais apporté des photos à l'hôpital, pour voir comment allait sa mémoire. Ses parents ne voulaient pas la brusquer, ils la laissaient donc se remettre sans lui parler de ce souci d'amnésie, sans l'aider à se souvenir ; moi je voulais savoir, je devais savoir ce qu'il advenait d'elle, je voulais savoir si l'accident pouvait m'être favorable. Qu'elle ne fut pas ma joie quand elle ne reconnut pas sa tête d'abruti. Elle secoua la tête sans rien dire, m'apprenant pour mon plus grand bonheur qu'elle ne savait pas qui il était. Mais elle semblait obnubilée par son regard, obnubilée par sa photo, ne cessant de le fixer pendant des heures et des heures. Elle ne le lâchait pas des yeux. Elle était intriguée, attirée par son image, sans le comprendre. Elle finit par me demander si je savais pourquoi, me demander conseil à moi. Alors je commençai à lui mentir, à dire du mal de lui, à dessiner son portrait selon mes propres règles. Sans trop en faire, je lui appris simplement que William était malveillant, qu'il fallait qu'elle se méfie de lui. À cette époque, Sarah ne parlait qu'à moi, elle ne disait rien en présence des autres, si bien que sa famille n'en sut jamais rien. Elle pouvait rester silencieuse pendant des heures : j'en profitais pour faire le grand prince, la laissant à ses proches, sans avoir peur qu'elle parle de mes racontars. Ses connards de parents semblaient reconnaissants, ils appréciaient mon comportement pour la première fois de leur vie. Ils semblaient enfin ouvrir les yeux, ils se rendaient compte que moi j'étais là et pas lui, que je prenais soin d'elle et pas lui, que je la laissais respirer seule avec eux et pas lui.
Au bout d'une semaine, j'obtins enfin ce que je désirais depuis des années : un sourire sincère de sa part, le sourire qui lui était habituellement réservé. Elle semblait ravie de me voir. Elle me laissait enfin la border, prendre sa main, discuter avec elle. Elle m'obéissait quand je lui demandais de boire, de se reposer même si je lui demandais de se taire à cet effet. Mon Dieu, que ça faisait du bien de se sentir respecté.
La semaine suivante arriva et je sus que tout allait se jouer. Il allait rentrer, il savait qu'elle s'était réveillée, il allait tenter de me la voler. Quand il débarqua dans la chambre, encadré par Laurana et Éric comme un conquérant, et qu'il m'aperçut, penché sur son lit, je lui lançai un regard jubilatoire. Il ne montra aucune crainte et me sourit en retour, pensant probablement qu'il allait me faire dégager. Il voulait me faire peur, me déstabiliser et j'avais une terrible d'envie de lui foutre mon poing dans la gueule. Évidemment je ne dis rien, ne montrai rien. Si je voulais garder ma place, il fallait que je reste calme.
Il se tourna alors vers Sarah et posa ses putains d'yeux de « loveur » sur elle. Je me détournai de lui pour intercepter la réaction de Sarah, légèrement craintif. Je sentis alors sa main frêle et tremblante se glisser dans la mienne et vis son regard se durcir. Je n'en crus pas mes yeux. C'était tellement extraordinaire de voir comment de simples paroles en l'air avaient pu engendrer un tel retournement de situation, un simple caillou et du blabla avait tout déglingué. Ça faisait des années que je travaillais comme un malade pour ruiner leur relation et là, en une petite semaine, elle lui offrit un regard que je connaissais parfaitement : c'est le regard qui m'était habituellement réservé, celui qui disait qu'elle ne voulait pas de lui ici. Je n'en revenais pas, c'était bien le regard qu'elle me réservait habituellement, mais c'est lui qu'elle visait, c'est lui qu'elle visait putain ! Laurana s'adressa alors à moi, légèrement embarrassée par la tournure des événements, et me somma de partir. Elle voulait que je les laisse seuls, elle voulait qu'ils discutent. Selon elle, ils avaient besoin de se retrouver, de recréer des liens, de se souvenir ensemble. J'eus à ce moment l'impression que tous mes efforts allaient être sapés, que ça n'avait servi à rien, que j'allais une fois de plus être mis à la porte, qu'il était indétrônable. Qu'elle ne fût pas ma surprise quand Sarah s'agrippa à moi. Elle annonça d'un ton ferme à sa mère qu'elle voulait rester avec moi et qu'elle voulait que Lewis bis la laisse tranquille. Elle n'avait pas parlé à sa mère depuis son réveil, cette dernière resta un moment statique, sous le choc. William se décomposa devant nous. Je crus un instant qu'il allait se mettre à chialer, je priai de tout mon cœur pour qu'il se mette à chialer. Les sortant de leur torpeur, Éric les tira hors de la pièce. « On doit respecter son choix, dit-il. Pour l'instant l'important c'est qu'elle se sente bien, qu'elle se repose et qu'elle se rétablisse.
Ils me laissèrent seul avec elle, j'étais seul avec elle alors qu'il était juste à côté ! C'était du jamais vu !
Seulement, je compris en allant me chercher à boire que je n'avais gagné qu'une bataille, et que la victoire finale n'était pas à ma portée. William, prostré sur une chaise dans la salle d'attente, faisait semblant d'écouter Laurana et Éric qui tentaient de le rassurer. « Ne t'inquiète pas mon chéri, elle se souviendra bientôt de toi. Les médecins sont confiants tu sais, elle retrouvera la mémoire. En attendant, on lui parlera de toi, on va en discuter tous ensemble, d'accord ? C'est juste une passade, ça ira mieux bientôt. Antoine a pris beaucoup de place en ton absence, c'est pour ça qu'elle s'est attachée à lui. Mais ça lui passera, d'accord ?
William leva ses yeux embrumés vers eux, complètement à l'ouest. Puis, se sentant probablement observé, il tourna son regard vide vers moi. Je lui offris mon plus beau sourire, me foutant ouvertement de sa gueule. Il sembla reprendre vie, hors de lui. Même à cette distance je sentis qu'il était à deux doigts de se jeter sur moi. Je savais qu'il ne le ferait pas, parce qu'il y avait les parents de Sarah et qu'il était bien trop lèche-botte pour prendre le risque de se les mettre à dos. Qu'est-ce que ça me fit marrer de le voir dans cet état, à la fois amorphe et incontrôlable ! Il fallait juste que je trouve le moyen de le faire pleurer et j'aurais tout gagné !
— Maintenant que tout le monde est présent, on va l'aider à aller mieux ! Elle ne tardera pas à redevenir elle-même ! On va s'y mettre tous ensemble, annonça Éric. Dans une semaine à tout casser, elle se souviendra de tout. OK mini Lewis ? Je te promets de lui parler de toi tous les jours. Un lien comme le vôtre ne se détruit pas comme ça. »
William ne me prêta plus attention, mais retrouva contenance. Il sourit sincèrement pour la première fois de la journée alors que, de mon côté, je me sentis perdre tous mes moyens. Je compris que c'était mort pour moi, que j'avais beau le narguer, c'est au final lui qui allait gagner. Et j'allais me sentir bien con après ça. Pourquoi ne pouvaient-ils pas laisser les choses comme elles étaient ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas se mêler de ce qui les regardait ? Pourquoi étaient-ils toujours de son côté à lui ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas laisser Sarah décider ? Ce crétin prétentieux sembla aspirer mes bonnes ondes précédentes pour me refiler son allure cadavérique. Cadavérique, cadavérique, c'était ça la solution... Je fixai un instant Laurana et Éric, les maudissant comme jamais je n'avais maudit personne, les haïssant encore plus que William lui-même. Je savais ce que je devais faire.
Quand Andrew se faufila derrière moi pour m'apporter son soutien, et qu'il me proposa de sortir prendre l'air avec lui, c'est avec grand enthousiasme que je lui dis : « ça te dit de faire un feu de joie ? J'ai des choses à faire cramer. »
********************
Il ne s'arrêtera pas avant d'avoir tout déglingué,
Mais ça vous le savez déjà.
Pas trop mal au crâne ?
Love,
Lily <3
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