Le retour - Part II - Antoine Lacombe

« Take a step into thе havoc

Look around this ain't even the half of it
I'm walkin' the line between panic and losin' my mind
Embracin' the madness
My devils they whisper in my ear
Deafenin' me with all my fears

I'm livin' in a nightmare »

Darkside — Neoni

          Le matin annonçant le dix-septième anniversaire de Sarah, j'étais super anxieux, pour la première fois depuis très longtemps. Je ne sentais absolument pas cette journée, sans trop savoir pourquoi, me doutant malgré tout que ça venait du comportement de merde que Sarah avait avec moi ces derniers temps. OK, j'avais légèrement merdé avec elle, mais c'était il y a six mois, et ce n'était pas si dramatique que ça. Elle m'avait fait péter les plombs, à tout prendre sans jamais rien me donner en retour, à me répondre constamment, à se montrer suggestive sans aller jusqu'au bout. Cette fille était le diable incarné, il fallait bien que je la remette de temps en temps à sa place pour ne pas me laisser submerger. J'avais été trop gentil avec elle, je l'avais trop laissée dicter sa loi. Je n'étais pas un gentil toutou, qui attendait patiemment qu'on lui tende un os, non, moi je dictais les règles et elle le savait très bien : elle m'avait cherché, elle m'avait trouvé. Depuis cette soirée, elle alternait entre agressivité et fuite, et je lui répondais. C'est elle qui se comportait mal, elle qui était inconstante, et pourtant c'était encore elle qui se faisait passer pour la victime.

          Je me dirigeai vers mon frigo, histoire de calmer ma négativité, et me servis une bière. Je n'avais pas pour habitude de boire le matin, ni spécialement en dehors des soirées, parce que j'aimais garder le contrôle. Mais je sentais qu'aujourd'hui les cigarettes n'allaient pas suffire à me canaliser, et je devais absolument me canaliser, prendre du recul, pour regagner sa confiance. Si j'étais calme, elle ne pourrait pas jouer la pauvre maltraitée. Et puis c'était son anniversaire, non ? S'il y avait bien un jour où je me devais de faire un effort, c'était aujourd'hui. Le reste attendrait. Oui, c'était son anniversaire, et même si elle avait pris l'habitude, depuis deux trois semaines, de m'éviter le matin, je me devais de l'accompagner aujourd'hui. J'étais son petit ami, c'était à moi de la conduire jusqu'au lycée pour une si importante journée.

          J'embarquai un pack de bières que je plaçai sur la plage arrière de ma voiture, dans le cas où j'aurais besoin de noyer mes nerfs un peu plus. « Quel que soit son comportement aujourd'hui, tu te la joues gentleman », m'ordonnai-je. Putain que ça faisait chier ! Normalement, j'aurais dû l'escorter sans craindre de sortir de mes gonds, elle se serait faite belle, voire sexy, et elle aurait souri docilement, plus qu'heureuse que je fasse l'effort de la conduire au bahut quand les autres meufs devaient prendre le bus. Je l'aurais amenée au restaurant en fin de journée, et elle aurait passé la soirée à rigoler en plantant ses yeux dans les miens. Je l'aurais conduite à parler d'elle, un peu plus, toujours plus, et elle se serait sentie en confiance. Mes parents nous auraient laissé la maison, et elle aurait été ravie de se retrouver seule, dans un lieu intime, avec moi. Elle aurait fait semblant d'avoir froid, trop chaste pour me dire ce qu'elle souhaitait réellement. Et je lui aurais donné ce qu'elle voulait, parce que c'est clairement ce qu'elle attendait. Au lieu de ça, elle allait encore probablement se comporter comme une chieuse, simplement parce qu'elle était frustrée et bornée, et me demander de la laisser tranquille avec sa pote Julie. J'allais devoir me retenir, pour ne pas m'énerver, pour ne pas qu'elle s'éloigne un peu plus... Pourtant j'étais totalement dans mon droit de refuser de la laisser sortir et de la remettre à sa place quand elle se comportait comme une gamine.

          Sentant la colère monter, j'avalai quelques gorgées supplémentaires de bière. Le froid me fit redescendre un peu, l'adrénaline procurée par la vitesse ferait le reste. Je conduisis plus vite que d'habitude, pour me tempérer, si bien que j'arrivai presque instantanément chez Noémie. Je décidai d'attendre Sarah dehors, profitant de ce moment seul pour m'en griller une. Quand elle débarqua une quinzaine de minutes plus tard, je sus à son regard que j'allais effectivement passer une journée merdique. Putain de casse-couille. « Antoine, il faut qu'on parle, me dit-elle le plus simplement du monde.

          Qu'on parle ? Qu'on parle de quoi ? Elle n'allait quand même pas faire ça ? Faisant mine de ne pas avoir compris où elle voulait en venir — parce que je ne comptais absolument pas la laisser faire, mais que mon esprit commençait à être trop embrouillé pour trouver les bons mots — j'avalais un peu plus de boisson. Je ne savais même plus combien de canettes j'avais bues depuis ce matin.

— Bon anniversaire poupée, finis-je par lancer langoureusement.

           Le timbre de ma voix m'étonna encore plus qu'il la blasa. Je semblais hyper content, alors que j'étais hyper énervé de constater qu'elle n'était, une fois de plus, pas heureuse de me voir. Mais qu'est-ce qu'elle voulait de plus à la fin ? J'avais passé des heures à choisir ce que j'allais mettre pour lui plaire.

— Ne m'appelle pas poupée, tu sais que je déteste ça. Tu as bu non ?

           Son ton inquisiteur me fit sourire. Sobre, elle m'aurait énervé un peu plus, mais là tout de suite je trouvais son sourcil, élevé plus haut que l'autre, irrésistible.

— À peine ! rigolai-je.

          Je m'avachis un peu plus sur la voiture, pour contempler sa silhouette. Mon Dieu, qu'elle était canon. Dommage qu'elle soit tout le temps de mauvaise humeur. Je ne me rappelais même plus la dernière fois qu'elle avait souri en ma présence.

— Tu viens me chercher en voiture complètement bourré... génial. Tu te rends au moins compte de ce que tu fais ?

        J'étais obnubilé par son T-shirt, apparent sous sa veste en cuir, dessinant ses courbes de manière séduisante. Je comblai l'espace entre nous. Même si je la sentis se tendre, elle souleva mon regard de ses yeux pétillants d'exaspération et de méfiance. Elle résistait, comme toujours, et ça me rendait fou.

— C'est toi qui me perturbes bébé ! Et ça, dis-je en indiquant ma canette, c'est notre compagnon de route.

          Je voulus toucher son visage, agripper sa nuque, pour l'embrasser. J'en avais marre des tensions entre nous, je voulais remettre un peu de tendresse dans notre relation. Je n'y pouvais rien si j'étais autoritaire, c'était mon caractère, et elle avait aimé ça : que je prenne toutes les décisions à sa place, quand elle était perdue, quand elle n'avait plus personne. Alors que ma main allait effleurer sa joue, elle recula.

— Tu me prends pour qui Antoine ? J'en ai assez ! Je te le répète, il faut qu'on parle !

— On a beaucoup mieux à faire que parler.

          « Recule encore, tu peux reculer encore, compte sur moi pour combler la distance entre nous à chaque fois », pensai-je. Plus elle reculait, plus j'avais envie de l'avoir, plus elle fuyait, plus j'avais envie de la ramener. C'est ça le romantisme, c'est ça notre jeu « fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis », dit-on : j'étais le chat, elle était la souris. Je ne lui laissai pas le temps de s'éloigner cette fois, et passai puissamment ma main derrière son cou pour ramener son visage contre le mien. Mais elle me repoussa, vigoureusement, avant même que je ne puisse goûter l'arôme mentholé de sa bouche. À cause de l'alcool, bien présent dans mon sang, je ne réussis pas à la retenir quand elle reprit ses distances, désespérante.

— Antoine, ça ne peut plus marcher entre nous. Je suis désolée, mais j'en ai assez de faire semblant. J'ai essayé de rectifier le tir, je t'assure, mais je ne ressens plus rien pour toi. Je ne suis pas celle qu'il te faut.

— Je te demande pardon ?

          J'avais répondu de manière mécanique et, malgré tous les calmants que j'avais ingurgités pour faire en sorte que cette journée se passe bien, je sentais qu'elle était en train d'atteindre mes limites. « Ne joue pas à ça Sarah, sois une gentille fille et arrête de me prendre la tête », pensai-je.

— C'est fini, oublie-moi. »

          Elle me planta là, comme un con. Avant que je n'aie eu le temps de réfléchir, elle avait rejoint le garage de Noémie pour grimper dans la voiture d'Alex qui démarra en trombe, faisant voler des tonnes de poussières et de gravats dans son sillage. Je regagnai ma Mercedes, sonné, et m'installai à l'intérieur pour réfléchir. Putain, quelle idée à la con de boire dès le matin ! Je n'arrivais plus à penser rationnellement, et ça, c'était vraiment la merde. Je n'allais pas tarder à décuver, je n'avais pas bu tant que ça, le trajet en voiture allait m'aider. Une fois sur le parking, je prendrai le temps de réfléchir à ce qu'elle venait de me balancer à la tronche. Je mis donc le contact et commençai à conduire, gardant les yeux fixés sur la route qui semblait s'étendre à l'infinie. « Sarah, sérieusement, tu vas sérieusement me jeter comme ça après tout ce que j'ai fait pour toi ? ».

          Le lycée apparut devant mes yeux, m'arrachant à l'emprise de mes réflexions. Je coupai le contact, au bord de la crise de nerfs, et tentai de réfléchir posément. J'allumai une nouvelle cigarette, laissant définitivement tomber l'alcool qui m'embrouillait plus qu'autre chose. La fumée irradiant mes poumons me fit un bien fou. Je sentis mes muscles se détendre, mon corps appréciant particulièrement l'effet de la nicotine. Cinq minutes plus tard, j'arrivai de nouveau à penser normalement. Bon, Sarah avait besoin de temps, elle avait besoin de se recentrer sur elle-même et de prendre du recul. Si c'est ce dont elle avait besoin, j'allais la laisser tranquille un moment. Je lui donnais deux mois pour revenir, deux mois, pas plus. Si elle n'était pas de nouveau mienne d'ici là, j'emploierais la manière forte. Mais, ça devrait aller. Elle avait beau faire sa mijaurée, elle ne supporterait pas de voir d'autres filles me tourner autour, elle ne supporterait pas que je l'ignore, que je ne lui prête plus d'attention. Elle avait trop pris la confiance, elle se sentait trop importante à mes yeux, j'allais la faire redescendre un peu. Quand elle se rendrait compte qu'elle était sur le point de me perdre, elle reviendrait en courant. Je lui laissais deux mois, mais je savais qu'elle me mangerait dans la main bien avant ça. De nouveau de bonne humeur, j'écrasai ma cigarette sous la semelle de mes baskets. Ce n'était qu'une passade, aucune fille ne pouvait se passer de moi, même pas toi.

          Le sourire aux lèvres, je gagnai la chaleur intérieure du lycée. Elle voulait de l'air, j'allais lui en laisser, tous les jours, la privant totalement de ma présence. Ça allait être jouissif de la voir ramper pour que je la reprenne.

          Une fois dans le bâtiment, je saluai mes amis rapidement, je n'avais pas envie de m'attarder, de parler, j'étais bien avec mes pensées, elles m'extasiaient. Finalement, cette journée allait être parfaite. En faisant sa gamine, elle avait remis du piment dans notre couple et j'adorais ça. Mais je ne savais pas que tout allait basculer quelques mètres plus loin, qu'une sale vision allait me ramener durement à la réalité. Au détour du couloir, alors que je m'apprêtais à gagner le cours d'histoire, je croisai un fantôme. Je clignai plusieurs fois des yeux, tout d'abord persuadé que le spectre d'Andrew se trouvait face à moi. C'était le même, il avait exactement les mêmes expressions, et ça me fit bizarrement mal de le voir apparaître devant moi. Alors qu'il avançait, accompagné de ce petit con d'Alex Cartier, je vis enfin la différence. William me fixa, contracta la mâchoire, et serra les poings. Alex murmura quelque chose à son attention, le sortant de son état de pétrification. Ainsi, au lieu de se laisser aller et de m'adresser la parole, il passa son chemin. Par réflexe, je lui chopai le bras. D'un geste étonnamment vif, il se dégagea et m'affronta du regard. « T'as l'intention de faire quoi ? songeai-je. Comme si tu pouvais me faire quoi que ce soit ! Crétin de Lewis ». « Putain, mais qu'est-ce que tu fais là ? crachai-je.

          Il n'avait pas pu rentrer, pas maintenant, ce n'était absolument pas le bon moment ! Le reste d'alcool dans mon sang vint à nouveau obscurcir mon esprit. Je recommençai à avoir le tournis. Oui, c'était l'alcool, ce n'était certainement pas ce connard qui m'impressionnait !

— Si j'étais toi, je n'approcherais pas. Ça fait trois ans que j'attends avec impatience le moment où je pourrai enfin t'éclater la gueule.

          La voix de William claqua dans l'air, plus menaçante qu'elle ne l'avait jamais été. Mais je le connaissais suffisamment pour ne pas être déstabilisé. De toute façon, personne ne pouvait me déstabiliser. Ce type ne savait qu'aboyer. J'éclatai de rire.

— Tu parles, tu ne ferais rien qui puisse abîmer ton image auprès de Sarah.

— Laisse-moi rire. T'es bien le pire des hypocrites. Mais si tu veux jouer à ce jeu-là, allons-y ! De toute façon, je n'attends que ça.

          Il avança un peu plus vers moi, hostile. Comme s'il pouvait me faire peur... La putain d'arrogance brillant dans ses yeux ne m'avait pas manqué. Rien chez lui ne m'avait manqué. Il avait besoin que quelqu'un le remette à sa place, une bonne fois pour toutes. « Ne me cherche pas Lewis, ne me cherche pas ». Je m'apprêtais à lui régler son compte quand il reprit la parole.

— Par contre, comment vas-tu justifier le fait de t'en être pris au nouveau, comme ça, au bout de cinq minutes, alors que tu n'es absolument pas censé me connaître ? Tu te plantes encore une fois Antoine, moi je ne risque rien : elle ne me connaît pas. Je pense que grâce à toutes tes manœuvres à la con tu es celui de nous deux qui a actuellement le plus de choses à perdre. Et je ne compte pas te faire de cadeaux. »

          Je cessai tout mouvement, réfléchissant à cent à l'heure, le maudissant un peu plus. Ce salopard avait raison. Si je le déglinguais, comme je rêvais de le faire, comme il méritait que je le fasse, ça ferait le tour du lycée. Sarah me poserait des questions, poserait des questions à son frère, et je passerais forcément pour un connard. Si je parlais de William à Sarah, elle risquait de recouvrer la mémoire et je risquais de la perdre définitivement : parce que je lui avais menti à son sujet, et parce qu'il pouvait potentiellement récupérer toute l'avance que j'avais acquise ces dernières années. Si je m'en prenais à lui en affirmant ne pas le connaître, je passerais pour le mec s'attaquant au petit nouveau sans défense. Lewis attendait que j'approche, le sourire aux lèvres. Il se foutait ouvertement de ma gueule. Mais je ne lui donnerai pas ce qu'il attendait : s'il était réellement de retour, j'aurais largement l'occasion de le faire taire plus tard. En attendant, je devais me montrer plus intelligent que lui. Je rejoignis donc la salle d'histoire, plus énervé que jamais, sans me retourner.

          Je pénétrai en salle B108 quelques minutes plus tard. Sarah n'était pas encore arrivée. Je faisais partie des premiers. Je me dirigeai vers notre table habituelle, m'apprêtant à m'asseoir, avant de me raviser. Kelly Muller, une de mes plus grandes fans, ne cessait de me lorgner. Elle était jolie, sexy même, parfaite pour rendre Sarah folle de jalousie. Et je devais lui laisser de l'espace, je me l'étais promis. Lewis ou pas Lewis, la coller n'arrangerait certainement pas les choses entre nous. Même si, pour mon plus grand malheur, il intégrait notre classe, il repartirait à zéro quand j'avais des années et des années de souvenirs en commun avec elle. Je ne risquais rien, il n'était plus un danger. Ma jalousie, en revanche, en était un. Et il ne fallait surtout pas que la présence de l'autre con me fasse sortir de la ligne de conduite que je m'étais tracée. Dans deux mois, si elle n'était toujours pas revenue, j'aviserais. 

********************

La roue tourne parfois,

Est-ce le karma ?

J'espère que ce chapitre vous aura plu, et que le voir stresser vous aura fait plaisir. 

Lily <3

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