Le retour - Part I - Alex Cartier
« You've got it all
You lost your mind in the sound
There's so much more
You can reclaim your crown
You're in control
Rid of the monsters inside your head
Put all your faults to bed
You can be king again »
King — Lauren Aquilina
Le 27 septembre qui suivit notre rentrée en terminale, je reçus un SMS inespéré de mon ami d'enfance. « I'm back » (1), disait-il simplement. Son message suffit à enlever le poids énorme de la responsabilité qui pesait sur mes épaules. C'était peut-être égoïste, mais ça faisait quelques mois déjà que la relation de ma sœur avec Lacombe m'inquiétait et je n'arrivais plus à le supporter seul. Elle refusait obstinément d'en parler, prenant sur elle. Le regard qu'elle lui portait n'avait rien à voir avec celui de quelqu'un d'amoureux, elle se forçait, clairement. Elle semblait même le craindre et il en jouait. Je me demandais quand elle allait enfin trouver le courage de l'envoyer paitre. Je n'avais jamais voulu interférer dans sa relation, même si je la savais nocive et même si elle faisait énormément de mal, sans que Sarah le sache, à l'un de mes meilleurs amis. Ce n'était pas mon rôle, et elle avait le droit de fréquenter qui elle voulait. Et je savais que, même si ça devait le détruire, William pensait la même chose que moi. Donc, s'il passait son temps à m'avertir du danger que représentait Antoine, ce n'était pas par jalousie ou orgueil — même si ces sentiments devaient légèrement altérer son jugement. J'avais mis six mois avant de comprendre que, si Will s'obstinait à vouloir éloigner Sarah d'Antoine, c'était qu'effectivement il était dangereux pour elle — même si j'ignorais encore pourquoi et à quel point. J'avais donc besoin de quelqu'un sur place pour m'aider à la dépêtrer de cette situation, de quelqu'un qui connaissait toute l'histoire, qui ne se laisserait pas duper, qui ne voulait et n'avait toujours voulu que son bien à elle. C'est donc avec soulagement que je répondis un « j'arrive tout de suite » à mon ami de longue date.
Je prétextai une sortie « révisions urgentes avec Lucas » pour m'éclipser alors que nous nous apprêtions à passer à table. Noémie rouspéta, mais ne chercha pas à me retenir. Elle était particulièrement chiante avec Sarah, pas avec moi. Elle me laissait tranquille, me laissait faire mes propres choix. Sarah, contente de me voir sourire — mais probablement un peu moins ravie à l'idée de passer la soirée en tête à tête avec Nono — m'encouragea à partir. « Amuse-toi bien, m'ordonna-t-elle ». J'aurais tant aimé qu'elle ait recouvré la mémoire, pour pouvoir l'embarquer avec moi, pour qu'elle puisse participer à nos retrouvailles. J'aurais tellement aimé pouvoir faire ce cadeau-là à mon ami d'enfance. J'avais l'impression de ne pas avoir vu un Lewis depuis une éternité. Et Will était probablement la seule personne, encore sur terre, à pouvoir comprendre ce que je ressentais. J'allais retrouver un membre de ma famille.
Je pénétrai dans le garage, sans réfléchir, grimpai dans la vieille voiture qui avait autrefois appartenu à mon oncle, et enclenchai le moteur. Le vrombissement familier de celui-ci me réchauffa instantanément. Conduit par une poussée d'adrénaline, j'accélérai plus que je ne le voulais dans notre allée, faisant crisser mes pneus au passage. Je pris alors la direction d'un lieu où je ne m'étais pas rendu depuis une éternité.
C'était tellement bizarre et pourtant si naturel de pénétrer, après tout ce temps, dans le lotissement des Lewis. Rien ne semblait avoir bougé. Je garai ma voiture à la place habituelle de Marie et Jack — celle qui leur était réservée à l'autre bout du parking — avant de sortir en trombe pour rejoindre la devanture du logement de la famille de William. Une fois devant la porte, j'hésitai à sonner, ça faisait tellement longtemps... j'étais totalement déstabilisé, paralysé par une sensation plus qu'étrange. La situation me semblait irréelle. Je crois qu'au fond j'avais commencé à accepter le fait que William ne reviendrait peut-être jamais. Comme si mon ami, cloitré dans son appart, avait lu dans mes pensées : il ouvrit la porte sans ménagement m'offrant un regard inquisiteur. « Tu comptais rester sur le pas de la porte pour le restant de tes jours ? rigola-t-il.
C'était déconcertant de me retrouver face à lui, réellement face à lui. Et, au bout de toutes ces années, tout ce que je réussis à articuler fut :
— J'en reviens pas que tu sois plus grand que moi ! La dernière fois que je t'ai vu, tu ressemblais à un nain de jardin.
— Moi aussi je suis ravi de te revoir abruti.
William avait répondu du tac au tac, absolument à son aise en ma présence, me faisant clairement comprendre que, pour lui, rien n'avait changé. Et dans le fond, il avait raison, l'éloignement n'avait fait que renforcer nos relations. Il ouvrit alors ses bras, tout sourire, pensant sincèrement que j'allais lui faire un câlin ! Je levai les yeux au ciel, provoquant ses esclaffements, avant qu'il m'attire de force contre lui. Je lui rendis son accolade amicale, faussement boudeur, intérieurement ému de l'avoir enfin retrouvé.
— Tu pourrais garder les câlins pour ma sœur ? grognai-je.
C'était maladroit de ma part, mais il ne se renfrogna pas et balaya mon excuse avant de m'inviter à entrer. Je le suivis sans un mot, aussi intimidé que la première fois que j'y avais mis les pieds. Sauf que la première fois j'avais cinq ans, ma flippe intérieure était beaucoup plus risible maintenant que j'en avais dix-huit...
— Après le porche, c'est dans le hall que tu as élu domicile ? me demanda William qui venait de retourner dans sa chambre.
Il passa sa tête dans l'encadrement de la porte et éclata de rire devant mon stoïcisme.
— C'était une étreinte amicale Alex, ne te fais pas d'idée : tu n'es pas du tout mon style ! Même si quand tu tires cette tronche déconfite, tu ressembles étonnamment à ta sœur !
Sa taquinerie eut le don de me débloquer. Me laissant aller aux rires, je quittai enfin l'entrée pour faire de nouveau la visite de ce lieu familier. Quand je pénétrai dans l'appartement, retrouvant mes marques, je remarquai rapidement que rien n'avait bougé, tout semblait identique, comme dans mes souvenirs d'enfance. Cette impression, presque chaleureuse, me suivit jusqu'à ce que je pénètre dans la chambre des deux frères. À mon grand étonnement, je la trouvai métamorphosée. La pièce était sans vie, impersonnelle, en dysharmonie totale avec le reste du logement. Le mur, autrefois coloré, était maculé d'un blanc fade, aussi froid que la place vide sur laquelle étaient anciennement entreposées les affaires d'Andy.
— Je te rassure, ça m'a fait un choc à moi aussi. C'est comme s'il avait été rayé de la planète.
La voix chaleureuse de William contrasta avec le froid ambiant de la chambre. Il avait parfaitement intercepté mes pensées. Je préférai ne pas en rajouter, éviter de parler d'Andy, parce qu'il lui était encore difficile de s'exprimer à son sujet et que je ne voulais surtout pas le braquer alors qu'il venait à peine de rentrer. Je le laissai donc continuer de vider ses valises et autres cartons, assis sur sa chaise de bureau. Au bout de quelques minutes, je me décidai à prendre la température.
— Tu te sens comment, par rapport à demain ?
Demain il allait débarquer au lycée, comme une fleur, revoir ma sœur, revoir Antoine, potentiellement les voir ensemble... William cessa tout mouvement, avant de s'asseoir en tailleur sur le sol, tout sourire.
— Honnêtement ?
Il secoua la tête avant de foutre un peu plus le bordel dans ses cheveux.
— Je crois que je n'ai jamais autant flippé de toute ma vie ! Tu n'as même pas idée !
Contre toute attente, il explosa de rire, même s'il était tétanisé. Il n'avait pas changé, et ça me rassura. Parce que le garçon morose avec lequel j'avais l'habitude d'échanger à distance ne lui ressemblait pas, d'habitude il était combattif. Avoir enfin quelqu'un de positif dans les parages ne nous ferait pas de mal.
— Je suis sûr que ça va bien se passer, elle va craquer dès qu'elle va te voir.
Je connaissais suffisamment ma sœur pour savoir qu'il l'avait toujours attirée. Pendant des années j'avais dû me bassiner des « William par-ci, William par-là ». Et malgré tout ce qu'Antoine avait tenté, elle ne s'était jamais réellement lâchée avec lui — ni avec personne d'autre d'ailleurs — comme si quelque chose d'inconscient la retenait. Il n'y a qu'avec Will que je l'avais vue être réellement elle-même. C'était leur truc à tous les deux, une sorte de connexion que personne d'autre qu'eux ne pouvait comprendre. Même s'il m'était arrivé de dire le contraire à William — pour éviter qu'il se fasse de faux espoirs et parce que je tenais à lui — j'étais certain que tout allait s'arranger.
— Ouais, bien sûr, she'll be totes crazy about me (2), me répondit-il plus par autodérision et pour se rassurer qu'autre chose. Surtout que je suis plus grand que toi...
— À ce que je vois, ton sens de l'humour est toujours aussi pourri qu'avant mon pote.
William balaya ma remarque d'un geste de la main avant d'acquiescer.
— Il s'est même aggravé avec le temps ! La folie, tout ça...
Je me joins à son rire, bien décidé à enfin laisser entrer la bonne humeur dans nos vies. Elles avaient trop longtemps été démantelées, écartelées, et j'espérais — probablement comme nous tous — que les choses allaient enfin rentrer dans l'ordre. Pourtant William cessa de rire et se tourna vers moi, gêné.
— Dis, je peux de te demander un service ?
Le ton qu'il employa était beaucoup plus grave que précédemment, et ça m'étonna. Quoi qu'il ait à me demander, ça devait lui être difficile.
— Bien évidemment, comme si tu avais besoin de poser la question !
Will soupira avant de me soumettre la requête qui semblait peser lourdement sur son cœur.
— Est-ce que tu pourrais enlever des cadres toutes les photos où on te voit, et puis... celles de Sarah aussi ?
Un voile sombre passa devant ses yeux. Mon ami baissa alors la tête, pour me cacher les émotions qu'il n'arrivait pas à contenir, avant de continuer son explication.
— Je ne dis pas qu'elle va accepter de le faire, mais si jamais elle finit par revenir ici, il ne faudrait pas qu'elle tombe dessus. Pas que je veuille lui cacher quoi que ce soit ! Enfin... je veux dire, si jamais elle accepte de refaire ma connaissance, je finirai par tout lui dire, je te le promets. Mais je ne veux pas qu'elle apprenne tout ce qu'il s'est passé comme ça, brutalement. Je voudrais avoir le temps de discuter avec elle, de lui expliquer calmement les choses, de le faire en douceur... tu comprends ?
J'acquiesçai d'un hochement de tête avant de lui répondre. Je savais qu'il finirait par tout lui dire, je lui faisais confiance. Et puis, il n'était pas le seul à avoir caché des choses à Sarah. On était tous responsables à notre niveau. Un jour ou l'autre, il faudrait bien que ma sœur se réveille.
— Je comprends. Ne t'inquiète pas, je m'en charge.
— Cool, merci. Je n'aurais jamais eu le temps de m'en occuper. »
« Je n'arrive pas à les regarder », lus-je dans son regard. Mais Dieu seul sait qu'il ne l'aurait jamais avoué. Ça avait toujours été comme ça, la seule personne qui arrivait à tout faire cracher à William c'était Sarah. En son absence il avait tendance à tout garder. Mon ami continua à éparpiller ses affaires après m'avoir indiqué les endroits où je pourrais trouver des photos. Il m'invita, en criant, à mettre de la musique dans le salon pour m'occuper pendant que je rangeais. Je m'approchai donc de son enceinte Bluetooth et la connectai à mon portable. Un tintement m'indiqua que les appareils étaient appareillés. Je lançai alors une playlist de rock alternatif sur Spotify avant de m'atteler à ma tâche. Respirant un grand coup, je commençai à débarrasser le salon de tous nos souvenirs communs, effaçant du logement la moindre trace d'indices pouvant relier mon ami et ma sœur. Je retirai nos moments de joie des cadres, la mine renfrognée d'Andy, ma tronche de blasé, le sourire éblouissant de Sarah, et l'espièglerie de William. Je détournai les yeux face à l'enjouement de nos parents. Enfin, je laissai tranquilles les portraits des deux frères, les seules preuves encore existantes de leur ancienne complicité.
(1) Angl. Trad. Je suis de retour.
(2) Angl. Trad. Elle sera folle de moi.
*************************
Un roi finit toujours par retrouver son trône,
Ils font face à leurs sermons pour rassembler les peuples,
Et leurs liens, les vrais liens, ceux qui transcendent l'univers, ne se brisent jamais.
Faut-il y croire ?
Lily <3
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