Le poison qui coulait dans nos veines - Kate Evans

« The older I get the more that I see
My parents aren't heroes, they're just like me
And loving is hard, it don't always work
You just try your best not to get hurt
I used to be mad but now I know
Sometimes it's better to let someone go
It just hadn't hit me yet
The older I get »

Older Sasha Sloan

          Une fraîche matinée de mars, alors que le vent faisait grincer les fenêtres de ma chambre, je me réveillai en sursaut. J'avais mal dormi, tourmentée toute la nuit par ma conscience. Ça faisait un moment que ça durait, depuis que Will et moi avions commencé cette espèce de relation étrange et maladive. Je me sentais tellement chanceuse de l'avoir pour moi — et d'une certaine façon si heureuse — et pourtant tellement coupable... déroutée : parce que, même s'il ne le disait pas, je voyais bien qu'il n'avait pas vraiment été avec moi ces six derniers mois. Pas une seule fois. Il avait ce regard vide, celui des fantômes errants à la recherche d'une âme à laquelle se rattacher. Malgré son constant sourire : ses yeux, eux, ne savaient pas mentir. Ils ne riaient pas, ils ne riaient plus. Alors je me sentais coupable. Je m'en rendais malade, et je savais que lui aussi. Ethan l'avait entendu, plusieurs fois, vomir à la fin du cours de boxe. Il s'épuisait à en vomir. Et je savais pourquoi il faisait ça, je savais que c'était en partie à cause de nous, du mal qu'il pensait me faire, de son « infidélité » envers Sarah. Je crois qu'en voulant le sauver, je l'avais fait couler un peu plus et j'étais en train de le suivre dans sa chute. Mais je n'arrivais pas à arrêter, parce qu'il y avait cette part de moi qui hurlait dans ma tête : celle qui se disait que c'était l'occasion inespérée. Celle qui se disait que, peut-être, un jour, enfin, il franchirait la ligne qui le conduirait à vivre une belle histoire à mes côtés. Je crois qu'au fond on était juste jeune et con, juste incontrôlable et désespéré. Avec le recul, je sais qu'il a bien fait, ce jour-là, de venir frapper à ma porte pour discuter avec moi. Je l'ai entendu arriver avant même qu'il ne s'approche de mon entrée, et je compris ce qu'il allait m'annoncer avant même qu'il n'ouvre la bouche. Je n'ai jamais su quel avait été l'élément déclencheur — celui qui lui avait ouvert les yeux sur notre relation toxique — et je lui en ai beaucoup voulu de ne pas avoir su me l'expliquer. « Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, m'avait-il simplement dit, mais toi et moi, il faut qu'on arrête. Katty, tu sais qu'il faut qu'on arrête. C'est en train de nous détruire tous les deux.

          Alors je lui hurlai littéralement dessus. Je m'époumonai horriblement pendant une bonne quinzaine de minutes. Je crois que je n'avais jamais crié à ce point, eu mal à ce point. J'avais juste envie de trouver un coupable, celui qui m'empêchait d'avoir le droit à mon premier amour. Et j'aimais trop Sarah pour la désigner comme telle. Elle ne l'était pas... Parce que la seule coupable, c'était celle qui n'assumait pas d'avoir fait n'importe quoi : c'était moi. Et je le savais, je le savais dès le début que ça allait finir comme ça. Ça ne pouvait pas finir autrement, pas avec lui.

— Tu t'es servi de moi William ! Comment as-tu pu te servir de moi à ce point ? Je t'ai tout donné, tout... Tu savais ce que je ressentais pour toi ! Comment as-tu pu jouer avec moi comme ça ? Je ne suis pas un pansement !

          Ce n'est que quand je le vis reculer, acculé au mur, assommé par ma réaction et pourtant si inexpressif que je me rendis compte de mon erreur. J'avais envie que ce soit lui, le seul et unique coupable de l'histoire, parce que je culpabilisais trop, sur le moment, pour avouer que j'étais aussi coupable que lui. Je culpabilisais trop pour accepter l'image de l'amie atroce que notre rapprochement intime me renvoyait. Moi aussi, j'avais profité de la situation. Mais quand je vis que, contrairement à moi, il ne se servait pas de notre séparation pour me cracher au visage toute sa rancœur et ses peurs, quand je compris qu'une fois de plus il préférait attendre de se calmer pour me protéger de propos inutiles qui pourraient me blesser : je me maitrisai. Ce fut comme si j'avais respiré un désinhibant, comme si sa mâchoire serrée m'avait mordue pour injecter un calmant dans mes veines.

          Je restai un instant sur place, statique, reprenant le fil de ma respiration décousue. Mais qu'est-ce qui m'avait pris d'exploser à ce point ? Je m'approchai en silence de la banquette fleurie bordant la fenêtre de ma chambre et me laissai tomber dessus. Je levai alors mes yeux vers lui, retenant du mieux que je le pouvais le flot silencieux qui menaçait de s'en échapper. Et, enfin, je fis ce que je lui avais demandé de faire des centaines et des centaines de fois avec moi : lui parler avec toute la sincérité dont mon cœur était capable.

— Excuse-moi d'avoir été si conne, je voulais t'aider. C'est tout ce que je voulais : t'aider, et je n'ai fait qu'aggraver la situation. Et aujourd'hui j'ai... je... je n'aurais pas dû te le reprocher. Will... je suis désolée, tellement désolée. Je savais quel jour on était : quand je t'ai embrassé la première fois, je savais à quel point tu devais avoir mal ce jour-là... je t'ai entendu l'appeler, cette fois-là, et presque toutes les autres fois... je n'aurais pas dû insister... je voulais juste t'aider. Mais j'ai préféré fermer les yeux, parce qu'il y a une part de moi qui... je voulais avoir la chance de vivre une histoire d'amour avec toi. C'était une erreur.

          Desserrant la mâchoire, il retrouva le sourire, laissant tomber ses barrières. Il s'avança alors vers moi, prudemment, s'attendant probablement à une nouvelle vague d'explosions spectaculaires. Mais j'avais vidé toute mon énergie, et je n'avais pas l'intention de briser notre amitié... On avait fait une connerie, une longue connerie, parce qu'il se sentait seul, et que j'avais cru pouvoir combler ce manque-là. Mais finalement, ce n'est qu'en rompant avec moi que le sourire revint par moment dans ses yeux. Il allait me faire mal, pour que je cesse de souffrir avec lui. Un mal pour un bien. Pour que l'on puisse, tous les deux, retrouver la sérénité.

          Quand il s'assit à côté de moi et me prit la main, je cessai de parler.

— C'est moi qui suis désolé Katty. Tu m'as aidé, tous les jours. Tu m'aides tous les jours depuis que je suis rentré. Et j'aurais aimé pouvoir te rendre la pareille, je voudrais pouvoir le faire. Alors c'est moi qui suis désolé.

          Il soupira un instant. Je le voyais hésiter, hésiter à prononcer les mots que je redoutais : ceux qui allaient me bousiller, mais que je devais entendre. Alors je resserrai ma prise autour de sa main pour l'encourager, une simple pression, brève et déterminée. De mon côté, je me préparai à supporter la douleur qui allait suivre.

— Je suis désolé de ne pas pouvoir t'aimer comme tu mériterais que je le fasse, dit-il enfin.

          Alors mon cœur se brisa en un millier de morceaux et j'explosai en sanglot. Je m'en voulus de le faire, parce que j'avais toujours su que ça finirait comme ça. Je l'avais su à chaque instant de notre « relation » qui n'en était même pas une. Will encaissa le coup, désemparé. Entre deux sanglots, je posai la question la plus évidente du monde, et pourtant si importante à mes yeux, comme pour me torturer un peu plus.

— Ça a toujours été Sarah, pas vrai ?

          Il acquiesça, simplement. Et c'est là que je me rendis compte qu'en plus d'avoir trahi mon amitié pour lui, je l'avais trahie elle. Je ne m'en étais pas rendu compte jusqu'à présent. Je n'y avais même pas pensé. Elle était si loin de nous dorénavant que j'en étais venu à me demander si elle avait vraiment existé.

— Elle va nous en vouloir tu crois ?

         William lâcha un sourire en coin, étonnamment détendu face à ma question, comme si la réponse était une évidence. J'avais prononcé ces mots la voix tremblante, coupable, et sa réponse aurait dû épaissir la montagne de ma culpabilité. Pourtant elle m'apaisa. Parce qu'elle rendait réel le retour imminent de Sarah dans nos vies.

— Elle va nous tuer tous les deux.

          Ces simples mots expédièrent au loin la parenthèse venimeuse que nous avions vécue tous les deux. Recentrant notre relation sur ce qu'elle avait toujours été : de l'amitié. C'était comme si la magie de ma brunette française avait opéré à distance pour nous soigner du mal qui était en train de ruiner notre santé mentale. À partir de ce moment je ne vis plus jamais William comme un potentiel petit-ami, plus jamais.

— Et moi, tu crois que je trouverai mon « Sarah » avec des pecs à la place de la poitrine ? rigolai-je.

          Je devais me l'avouer, aussi terrible soit-elle, j'avais toujours envié leur histoire. Parce que malgré tous les cataclysmes qui avaient tenté de les éloigner il n'avait jamais cessé de l'aimer. Et même si elle ne s'en souvenait pas, j'étais persuadée que c'était pareil pour Sarah.

— Évidemment !

— Et s'il me brise le cœur ?

— Alors je serai obligé de le démolir.

          William avait répondu du tac au tac, sans réfléchir, avant de se rendre compte de l'ironie de la situation.

— Bon là je risque d'avoir mal en plus d'avoir l'air extrêmement con à me frapper tout seul...

          Je rigolai enfin, chaleureusement, ravalant ma peine pour profiter du naturel qui semblait revenir entre nous. C'était mieux comme ça : tellement plus normal. Il n'y avait plus de malaise dans nos gestes ni dans nos paroles, plus de sous-entendus... Je ne m'étais même pas rendu compte que ça m'avait manqué.

— C'est vrai ? Tu seras toujours là pour moi ?

— Kate, tu es mon amie, d'accord ? Une des plus précieuses. Tu ne m'as jamais laissé tomber, pas une seule seconde. On a déconné, mais ce qui est sûr c'est que tu comptes énormément pour moi. Alors oui, si tu veux toujours d'un crétin comme moi dans ta vie, je serai toujours là pour toi.

          Mes lèvres s'étirèrent un peu plus, provoquant le plissement de mes joues et l'évacuation intempestive de mes dernières larmes. Ça y est, ça irait mieux maintenant. Et, pour je ne sais quelle raison, je savais qu'il finirait lui aussi par aller mieux, enfin, bientôt, très bientôt.

— Alors ça y est, tu vas la récupérer ?

— Je vais essayer, dit-il simplement.

          Filant dans ses cheveux, la main de William disparut un instant, libérant la mienne. Retrouvant ma bonne humeur je grognai de mécontentement et lui cognai les cotes d'un geste aussi vif que fourbe.

— Ah non hein ! Je ne me fais pas larguer pour que tu essayes ! Tu vas la récupérer et la ramener ici par la peau des fesses ! J'ai besoin d'un câlin à la française !

— Un câlin à la française ?

— Ne change pas de sujet vile rascal (1) ! Tu vas la récupérer ?

—Évidemment, j'ai toujours adoré les défis. »

Angl. Trad. Vil « Rascal » : désigne une personne espiègle ou coquine, en particulier un enfant ou un homme (généralement utilisé de manière affectueuse).

********************

Vous pensez que le chemin est enfin tracé?

Vous pensez que les choses vont enfin s'améliorer ?

Au passage : ne jugez pas les gens qui trébuchent sur leur route à eux, on le fait tous, on fait tous du mieux qu'on peut. L'important c'est de reconnaitre que nos mains se sont écorchées au passage et que l'on aurait pu mieux placer nos pieds, l'important c'est de se relever et de continuer d'apprendre à marcher. 

Avec tout mon amour,

Lily <3

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