Le jour où tout a basculé - William Lewis


« I open my eyes
I try to see but I'm blinded by the white light
I can't remember how
I can't remember why
I'm lying here tonight »

Untitled — Simple Plan

           Une fois que Sarah eut soufflé ses bougies, nous décidâmes de nous éloigner un moment. Approchait tout doucement l'heure où nous avions fait, tous les quatre, le plus mauvais choix de nos vies : celui qu'Antoine attendait. On allait se retrouver seuls, paumés au milieu de la forêt, sans rien ni personne pour nous entendre en cas de problème. C'est Sarah qui avait voulu s'éloigner, pour que l'on passe un moment ensemble, parce qu'elle pensait encore pouvoir calmer les tensions. Elle pensait avoir le pouvoir de réconcilier tout le monde, et même d'adoucir Antoine. Il avait très bien compris comment elle fonctionnait, il avait parfaitement capté sa sensibilité. Son agressivité m'était exclusivement réservée, quand il s'agissait d'amadouer Sarah il pouvait se montrer aussi doux qu'un agneau. Elle pensait donc pouvoir le calmer avec le temps. Ce qu'elle ne savait pas, c'est qu'elle se faisait manipuler elle aussi. Il n'était pas gentil avec elle parce qu'elle réussissait à l'apaiser, il était gentil avec elle parce qu'il voulait la posséder. Ces mots me répugnaient tellement, mais c'est ce qu'il voulait : la posséder. Sarah n'était qu'un trophée pour lui. Sauf que cet abruti était de plus en plus incapable de garder son self-contrôle avec moi. Tout ça parce que, malgré toutes ses tentatives, quand j'étais là Sarah lui échappait complètement. Alors il passait ses nerfs sur moi et perdait ainsi le peu d'estime qu'elle pouvait avoir pour lui.

          Mais c'est pour réinstaurer la paix que Sarah avait voulu qu'on se retrouve tous les cinq. C'était le jour parfait pour calmer les esprits. Tout s'y prêtait. Sauf que les esprits ne voulaient pas être apaisés et qu'on ne pouvait pas les y forcer. Alors quand nous nous éloignâmes pour profiter du soleil et que Sarah se cala une nouvelle fois contre moi, une nouvelle dispute ne tarda pas à éclater. « Vous ne pouvez pas arrêter, ne serait-ce que deux secondes ? s'agaça Antoine.

— Arrêter quoi ? demanda Sarah le plus innocemment possible.

          Je la sentis gigoter, mal à l'aise. Et putain que ça m'énervait. Il ne pouvait pas la lâcher, faire un effort pour la laisser agir comme elle voulait sans penser à lui, ne pas se comporter comme un con juste une journée ?

— Arrêtez de faire comme si vous étiez le centre du monde ! renchérit Antoine plus venimeux que jamais.

— Je pense qu'elle a le droit d'être le centre du monde le jour de son anniversaire, avançai-je le plus calmement possible.

         Je puisai dans le reste de mon sang froid, déjà bien entamé par ses commentaires tout le long de la montée, pour ne pas partir au quart de tour.

— Tu as très bien compris Lewis ! Arrête de monopoliser le « centre du monde » si tu préfères !

           J'allais vraiment finir par lui éclater la gueule s'il continuait. Il avait vraiment de la chance d'avoir mon frère de son côté. Je n'en pouvais plus de l'entendre parler comme ça, de l'entendre parler de Sarah comme si elle n'était pas là, comme si elle n'avait pas le choix, comme si c'était un objet.

— Je ne la force pas à rester avec moi.

— William ! me coupa Alex.

           Je sais qu'il voulait calmer les tensions, mais ça m'énerva juste un peu plus que lui aussi se braque contre moi. Et j'en avais sérieusement ma claque de les laisser cracher sur Sarah sans rien dire.

— Tu ne vas pas te mettre à lui cirer les pompes toi aussi ? Elle fait ce qu'elle veut, non ? Je ne vais quand même pas la forcer à partir pour lui faire plaisir !

— C'est sûr, tu es bien trop égoïste pour ça !

          « Mais ferme ta gueule ! » pensai-je. Au lieu de ça, j'utilisai le ton le plus sarcastique que j'avais en réserve pour me payer un peu sa tête.

— Merci du compliment. »

        Sarah, toujours contre moi, laissa échapper un frisson de tension. Elle préféra s'éloigner, partir s'asseoir un peu plus loin. Elle était à deux doigts de pleurer, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Si je continuais à la regarder arracher brutalement l'herbe autour d'elle, j'allais vraiment finir par m'énerver. Alors je profitai du vide qu'elle m'avait laissé pour m'allonger au sol et me détendre. Je ne les écoutais plus, les yeux plantés dans le ciel qui s'étendait infiniment devant moi. Je fermai alors les paupières, profitant du doux bercement de la brise pour m'endormir.

*

*         *

          Ce fut les cris des parents qui me réveillèrent. Ils repartaient en promenade. C'est là que je déconnai complètement : au lieu de prendre Sarah avec moi et de les suivre, je restai allongé là, dans l'herbe et les fleurs. Tout ça parce que sa main se trouvait dans la mienne et que j'étais incapable de réfléchir correctement, j'étais incapable d'imaginer que tout allait mal tourner. J'ignorai donc royalement les parents. Sarah porta sa main sur ma joue, caressant la fossette créée par l'étirement de mes lèvres. Il fallait qu'elle arrête de me fixer comme ça, qu'elle arrête de fixer mes lèvres comme ça, j'allais finir par crever si je ne l'embrassais pas. Je pense que je l'aurais fait, sans réfléchir, sans penser à la présence des autres, si Alex n'avait pas explosé de rire.

           On se redressa, tous les deux, brisant notre bulle au passage. Antoine contracta les poings et se cassa en direction de la forêt. « Qu'est-ce qui lui prend ? se risqua à demander Sarah.

           Sa question était maladroite et j'avais peur qu'Andy en profite pour l'enfoncer un peu plus. J'allais donc lui répondre pour limiter la casse, mais mon frère me devança. Au moins, ce n'est pas à elle qu'il en voulait.

— Il est jaloux, ça ne se voit pas ? Tu es vraiment con William, tu le sais ?

         La voix d'Andrew me déstabilisa complètement. La violence présente dans son timbre me choqua. Alors je le fixai comme le con qu'il estimait que j'étais, sans rien trouver à répondre. Sarah s'empara presque brutalement de ma main, à son tour en colère, et prit ma défense.

— Ne parle pas comme ça à ton frère ! gronda-t-elle.

         Je crois que c'était la première fois qu'elle employait ce ton contre lui, contre n'importe qui d'ailleurs. Si je ne l'avais pas parfaitement connue, j'aurais pensé qu'elle détestait Andrew. Et je trouvais ça super flippant, parce qu'elle semblait avoir abandonné toute envie de réconciliation. Mais au lieu de se démonter et de se remettre un peu en question, Andy lui répondit de la manière la plus méprisante qu'il soit.

— Parce que tu crois que je vais laisser une gamine de quatorze ans me dicter ma conduite ?

          Il appuya bien sur la mention de son âge pour lui montrer un peu plus qu'elle ne méritait aucunement son respect. La dureté de ses mots claqua si fort dans le silence qu'elle réussit à énerver le plus paisible d'entre nous : Alex.

— Laisse ma sœur en dehors de ça ! le menaça-t-il.

          Le noyau de notre amitié avait complètement explosé, notre relation était désintégrée. Et, au lieu d'arrêter là, Andrew en rajouta une couche. J'avais l'impression d'avoir Antoine en face de moi, le Antoine de nos tête-à-tête, le petit con qui profitait de mes moindres moments de solitude pour me faire chier.

— Je te promets que si ça tourne mal tu ne t'en tireras pas comme ça. Je jure que je prendrai soin de t'arracher une par une toutes tes insupportables mèches blondes et que je passerai ta tête au broyeur.

           Il ne méritait pas la moindre attention, il ne méritait pas que je me fasse du souci pour lui. Vraiment pas. Alors je ne me démontai pas.

— Tu sais que tu me ferais presque peur.

          Je lui offris toute mon arrogance, tout ce qu'il détestait, en un sourire. Andrew me lança un regard meurtrier que je soulevai, bien déterminé à l'emmerder jusqu'au bout. Sarah se releva et se plaça entre nous, prête à servir de tampon, encore une fois.

— Stop tout le monde ! On arrête de s'énerver ! Je vais aller parler à Antoine et tout va très bien se passer.

— Tu as plutôt intérêt si tu ne veux pas que la tête « d'ange » de ton petit copain en prenne un coup ! cracha-t-il sans me lâcher des yeux.

          J'étais à deux doigts de me jeter sur lui pour lui donner ce qu'il cherchait à obtenir depuis le début de la conversation. Je ne le fis pas parce que Sarah tremblait d'inquiétude à côté de moi. Il méritait de s'en prendre une, même si, pour ça, je devais m'en prendre une encore plus grosse en retour.

— C'est bon, je vais lui parler ! Alex, essaye de faire en sorte qu'ils se calment s'il te plait.

— Plus facile à dire qu'à faire...

        Sarah partit en courant en direction de la forêt, sur les traces d'Antoine. Je me redressai à mon tour, et m'apprêtai à la suivre, quand mon frère me retint par le bras.

— Mais lâche-les putain, s'écria-t-il. Tu ne peux pas les laisser tranquilles cinq minutes ?

          D'un coup sec, je le forçai à relâcher son étreinte. Il pouvait tenter ce qu'il voulait, mais il avait intérêt à y mettre toute sa force s'il voulait m'arrêter parce que je n'avais pas l'intention de rester ici sans bouger. Ça y est, il avait réussi, j'étais hors de moi. La seule qui pouvait me calmer était en train de rejoindre un mec tordu dans un bois à la con.

— C'est hors de question. Insulte-moi autant que tu veux je n'en strictement plus rien à foutre de ce que tu penses.

— Will... s'il te plait, calme-toi... tenta Alex.

— Non, je ne me calme pas ! J'y vais, et c'est comme ça.

           Andrew s'approcha à nouveau de moi pour m'empêcher d'aller plus loin. Alors je continuai sur ma lancée. Je voulais bien l'écouter et la fermer quand il s'en prenait à ma fierté, mais là il la mettait en danger juste pour gagner une guéguerre stupide. Ils étaient tous aveugles ou quoi ?

— J'en ai rien à foutre que tu ne comprennes pas et que tu te sois fait embobiner comme un débile ! Ça ne prend pas avec moi. Je ne le sens pas, point. Je ne la laisserai pas toute seule au milieu d'une forêt avec ce type. Et toi, dis-je à l'attention d'Alex, tu sais très bien que j'ai raison. Il n'est pas normal. Si tu tiens à ta sœur, occupe-toi de mon abruti de frère et laisse-moi passer. »

          Alex hocha finalement la tête et se tourna vers Andrew qui fulminait. Sans demander mon reste, je me lançai à la poursuite de Sarah. Je l'aperçus enfin, un peu plus loin, et ralentis le pas. Je fus rassuré instantanément en la voyant avancer, juste devant moi. Fou, je devenais complètement fou. Je respirai un grand coup pour me maîtriser, puis parcourus le reste de distance qui nous séparait. Au moment où elle entrait dans le bois, je la tirai en arrière. « Will tu m'as foutu une de ces frousses !

— Désolé.

           Elle posa sa main sur mon torse, me repoussant gentiment.

— Retourne là-bas, ton frère va finir par péter un câble.

— Non, je viens avec toi.

— Will...

— Écoute, je suis désolé pour mon frère, il n'est pas toujours comme ça... il aime bien Antoine et il s'est juste emporté, mais il ne fera rien : ni à moi ni à personne d'autre.

          Sarah me sourit à ces mots. Tout ça, elle le savait très bien... je n'avais pas besoin de lui dire. Pourquoi je m'inquiétais comme ça ? Qu'est-ce que je faisais là ? Mes réactions étaient complètement disproportionnées... Elle voulait juste discuter avec Antoine, rien de plus. Au pire, il allait encore se montrer con avec elle, ou gentil, peu importe, ça ne changerait rien et elle ne risquait rien. Il allait juste faire comme d'habitude. Avec un peu de chance, les tensions allaient se calmer pour le reste de la journée, et tout le monde s'en porterait mieux.

— J'aimerais parler avec Antoine, seule. Si tu viens, il va encore vouloir t'égorger.

        Je portai ma main à ma gorge, faisant mine d'avoir peur, puis j'éclatai de rire. Comment faisait-elle pour me détendre à ce point ? Comment faisait-elle pour me faire rire même dans les pires circonstances ?

— Merci.

— You're welcome angel (1) ! Ne t'attarde pas trop : je n'ai pas envie de finir la tête dans un broyeur. »

            L'éclat cristallin et magique des esclaffements de Sarah résonna dans toute la prairie tandis qu'elle me poussait en direction du chemin du retour. Je me retournai pour la regarder s'en aller, malmené par l'arrivée d'un mauvais pressentiment au moment même où elle franchit le sous-bois. Je restai un instant statique, fixant désespérément l'arbre derrière lequel elle avait disparu, une minute, deux, un temps infiniment long. Puis je secouai la tête, ignorant l'avertissement qui résonnait de plus en plus fort dans ma boite crânienne. Je commençais tout juste à m'éloigner quand les appels à l'aide de Sarah arrivèrent à mon oreille. Mon corps se mit en marche tout seul. Il semblait horriblement préparé à cette éventualité.

          J'atteignis l'entrée de la forêt quelques secondes plus tard. Je les cherchai alors tous les deux du regard. Je suivis difficilement les gémissements plaintifs, presque silencieux, de Sarah avant qu'Antoine ne m'indique exactement leur position.

— Ferme-la ! hurla-t-il.

          Je me précipitai immédiatement en direction de sa voix qui n'avait rien de normal. Mais, je n'étais absolument pas prêt, psychologiquement à découvrir ce que j'allais découvrir. J'arrivai enfin face à eux et tentai tout d'abord de comprendre ce qui était en train de se passer. J'observai, durant une microseconde, les mains d'Antoine enserrant le cou de Sarah. Son visage violacé indiquait clairement qu'elle était en train de suffoquer. Comment pouvait-il ne pas l'avoir remarqué ? Je perdis tout sens de la réalité quand je chopai ce « putain de gros enfoiré » pour le plaquer contre un arbre.

— Qu'est-ce que tu allais faire ? Tu es complètement fou ? Tu ne vois pas que tu étais en train de l'étrangler ?

— Désolé, mec je me suis laissé emporter !

          Je le rapprochai de moi pour le placarder une nouvelle fois contre l'écorce.

— Ne joue pas à ça avec moi !

— OK, OK, je m'excuse, tu peux me lâcher maintenant ? »

          Sarah semblait avoir du mal à reprendre son souffle derrière moi. Je ne la voyais pas et ça m'inquiétait : j'avais besoin de voir comment elle allait. Je pensais qu'Antoine s'était calmé... Je n'aurais pas dû le lâcher, j'aurais dû le foutre par terre, ou je ne sais pas, mais je n'aurais pas dû le lâcher. J'aurais dû me tourner en vitesse, attraper Sarah, et l'embarquer en courant avec moi. Mais je n'étais pas méfiant. Pourquoi je ne m'étais pas méfié alors que je sentais depuis des mois, voire des années, que quelque chose n'allait pas chez ce type ? Hein, pourquoi ? Pourquoi je l'ai lâché pour demander à Sarah comme elle allait ? Pourquoi j'ai perdu toute notion du temps quand elle s'est jetée dans mes bras ? Pourquoi je ne l'ai pas éloignée de moi à ce moment-là ? Pourquoi je ne l'ai pas vu foncer sur nous ? Pourquoi a-t-il fallu que mon poids l'entraine avec moi dans ma chute ? Pourquoi je ne l'ai pas lâchée avant de tomber ? Et pourquoi j'ai laissé sa main glisser ? J'avais promis de ne jamais lâcher sa main ! Pourquoi j'ai pu me rattraper et pas elle ? Pourquoi je n'ai rien fait pour l'arrêter ? Pourquoi je l'ai laissée entrer dans cette putain de forêt ?

*

*           *

           Je me précipitai immédiatement dans le fossé, m'écorchant les mains sur tout ce qui se trouvait sur mon passage pour éviter de trébucher. J'avais les paumes et les doigts en sang, mais je ne parvenais même pas à en sentir la douleur. La distance me séparant du corps sans vie de Sarah me semblait plus longue à chacune de mes avancées. « Je n'y arriverai jamais, je n'arriverai jamais auprès d'elle ». Je priai de toutes mes forces pour qu'elle soit encore en vie, mais elle ne bougeait plus d'un pouce et déjà à cette distance je voyais son sang se vider sur le sol.

             J'arrivai enfin à sa hauteur et pris son pouls. Je respirai à nouveau quand je sentis son sang pulser sous mes doigts. Elle était vivante, elle était encore vivante. Mais pour combien de temps ? « Je fais quoi ? Putain, je fais quoi ? Sarah réveille-toi, s'il te plait réveille-toi ! hurlai-je.

             Je me tournai en direction des hauteurs. Antoine n'avait pas bougé, il semblait complètement dépassé par ce qui venait de se passer. Il fallait, pour une fois dans sa vie, qu'il se bouge le cul pour quelqu'un d'autre que lui ; parce qu'à ce moment-là je ne pouvais plus compter que sur lui, je ne pouvais compter que sur un mec complètement instable.

— Va chercher les autres ! criai-je dans sa direction. Il faut qu'on la sorte de là ! Magne-toi !

             Pour la seule et unique fois de sa vie, Antoine ne rouspéta pas, ne s'énerva pas, et sembla obéir. Je le vis s'en aller et priai de toute mon âme pour qu'il ramène les deux autres rapidement.

           Je reportai à nouveau toute mon attention sur Sarah. Je ne savais pas quoi faire. Qu'est-ce que je devais faire ? Elle ne bougeait toujours pas... mais elle respirait. Il fallait que je me calme, elle respirait, c'est tout ce qui comptait. Mais est-ce que je pouvais la faire bouger sans prendre le risque de la tuer ? Je la soulevai délicatement pour la prendre contre moi. Sentir tout son poids contre moi, inerte, finit de détruire les dernières parcelles de ma raison. Je me mis à pleurer sans même m'en rendre compte, incapable de m'arrêter. Je tremblais, je n'arrivais plus à réfléchir correctement, tout semblait flou autour de moi. Je ne savais même plus où j'étais. Tout ce que je savais c'est qu'elle semblait si lourde et si légère à la fois contre moi.

— S'il te plait, répond-moi ! sanglotai-je. S'il te plait angel, réveille-toi ! Tu peux pas me faire ça. Sarah, je t'aime putain, réveille-toi ! Je t'en supplie...

            Heureusement, Andrew et Alex, alertés par Antoine, débarquèrent à ce moment-là en haut du gouffre. Ils se trouvaient à ce qui me semblait des kilomètres d'éternité de moi. J'entendis Andrew dévaler la pente pour nous rejoindre. J'étais pour ma part toujours incapable d'esquisser le moindre geste.

— Je suis désolé mon ange, je suis vraiment désolé de ne pas t'avoir rattrapée...

            Je sentis la main d'Andy se poser sur mon épaule, comme autrefois. Il régnait dans ses yeux le calme qui habitait continuellement ses gestes pendant notre enfance. Ça faisait plus d'un an que je ne l'avais pas vu comme ça. Et je ne pourrais jamais le remercier d'avoir pris les choses en main ce jour-là. Je ne sais pas ce qu'il se serait passé s'il n'avait pas été là.

— Will, ressaisis-toi, tu ne l'aides pas ! m'ordonna-t-il. On doit la remonter, OK ?

            Je hochai mécaniquement la tête et acceptai la main vigoureuse qu'il me tendait.

— Allez petit frère, tout va bien se passer !

           Il plongea ses yeux dans les miens, confiant. Il se tourna ensuite en direction des deux autres et demanda à Alex de partir à la recherche des parents. On devait amener Sarah, au plus vite, à l'hôpital, par tous les moyens. Alors qu'Andy m'aidait à porter Sarah pour la remonter sans trop la brasser, Alex détala le plus rapidement possible pour trouver des renforts.

          Une fois en haut nous rejoignîmes le champ. Le soleil allait la réchauffer, ça allait l'aider, il fallait que ça l'aide.

— Est-ce qu'il y a un moyen de monter jusqu'ici en voiture ? demanda Andy à Antoine.

— J'en sais rien. Il me semble que oui, on peut se rapprocher à moins de dix minutes du champ en passant par-derrière. Par contre, je ne sais pas dans quel état est la route, c'est très peu fréquenté, je ne sais même pas si une voiture classique va pouvoir passer.

— Elle va passer ! Alex ne va pas tarder à revenir, il faudra faire vite !

            Le cœur de Sarah pulsa bizarrement sous mes doigts, et je me remis à paniquer. Je ne les écoutais plus. J'avais l'impression qu'elle était en train de mourir dans mes bras, et je ne pouvais rien faire pour l'empêcher.

— William, calme-toi, elle respire, ça va aller ! Regarde, elle respire, dit-il en posant à son tour sa main sur la poitrine de Sarah.

           Celle-ci se soulevait tout doucement, au rythme de la respiration de notre amie. Tout doucement, certes, mais elle se soulevait. J'acquiesçai en silence, j'étais incapable de dire quoi que ce soit. Si je disais le moindre mot, j'allais littéralement péter un câble.

— Hein, mini chat, dit-il à l'adresse de Sarah, ça va aller ? T'es plus forte que ça ! »

           Antoine n'en menait pas plus large que moi. Il ne disait rien non plus, sous le choc. Seuls mes gémissements et la voix rassurante d'Andrew venaient briser ce silence macabre.

          Je posai mes lèvres sur le front de Sarah, la réchauffant de mes bras. Je ne la quittai pas des yeux, pas un seul instant, tandis que l'on attendait désespérément qu'Alex revienne. Je ne sais pas combien de temps ça dura. J'avais perdu toute notion du temps.

           Des pas précipités me sortirent de ma transe. Derrière Alex, Éric et Laurana couraient le plus vite qu'ils le pouvaient. Personne ne demanda ce qui s'était passé. La priorité était de garder Sarah en vie, le reste importait peu. Les autres étaient partis chercher la voiture. Il fallait que nos deux groupes se rejoignent au plus vite. Il fallait qu'on regagne le véhicule au plus vite.

           Éric tenta un instant de communiquer avec moi, mais voyant que j'étais dans les vapes il extirpa Sarah de l'étreinte de mes bras et la prit contre lui. Il la souleva comme une poupée de chiffon avant de se diriger vers un chemin de l'autre côté du champ. Andy m'aida à me relever et m'entraina à sa suite. Je le suivis sans réfléchir, m'étant machinalement un pied devant l'autre, essayant de ne pas m'écrouler au passage.

            Nous arrivâmes enfin à la première voiture. Noémie, au volant, attendait sa nièce les clefs sur le compteur. Il n'y avait pas assez de places pour tout le monde, il allait falloir courir encore pour rejoindre nos propres véhicules et l'hôpital. Laurana monta à l'avant avec sa sœur. Éric embarqua à l'arrière, sa fille inerte toujours contre lui. Il referma la portière et la voiture détala, emportant le corps de Sarah loin de moi.


(1) Angl. Trad. De rien mon ange.


********************


Pour bien commencer 2022, voilà l'autre point de vue de l'histoire...

Est-ce que cela vous a plu ?

Love de vous,

Lily <3


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