La création d'un lien invincible - William Lewis
« I was born to tell you I love you,
And I am torn to do what I have to,
To make you mine
Stay with me tonight »
Your Call - Secondhand Serenade
Nous étions si petits la première fois que je l'ai rencontrée. J'ai du mal à m'en souvenir. Je me souviens malgré tout d'avoir rigolé parce qu'elle ne voulait pas me parler. Elle faisait la tête dans son coin, feulant quand on l'approchait. Et ça m'avait fait rire, mourir de rire. Ma mère n'avait pas arrêté de me reprendre : parce que Sarah allait se vexer, qu'elle était plus petite que moi, et que je devais être gentil avec elle. Ce fut alors au tour de mon père de m'engueuler, parce que je n'arrêtais pas de lui parler en anglais et qu'elle ne comprenait pas. Je n'y pouvais rien, elle me donnait envie de lui faire découvrir mon monde, juste comme ça, en penchant sa petite tête, intriguée par ma manière de tenter de communiquer avec elle. J'avais passé la journée à me mettre mes parents à dos, à enchainer les conneries, pour impressionner cette gamine qui ne voulait pas me décrocher un mot. Toute cette prise de risque pour rien, car, malgré tous mes efforts, ce fut le calme d'Andy qui réussit à l'amadouer en premier. Il l'avait prise dans ses filets avec ses tours de magie et ses briques colorées. Du coup, j'avais cassé le vaisseau Lego qu'il avait construit... et je m'étais pris la rouste de ma vie. J'avais fini par me mettre à l'écart, préférant bouder dans mon coin, sans plus une once de malice, à deux doigts de pleurer, quand mini Sarah s'était enfin approchée de moi. « Dis, pourquoi t'arrêtes pas d'énerver tes parents ? Ma maman, elle dit que si je l'énerve tout le temps ben je vais finir un cancre... mais je sais pas trop ce que c'est. Tu vas finir un cancre toi ?
- J'en sais rien... je sais pas ce que ça veut dire...
- Si je joue aux Lego avec toi, tu promets d'arrêter de faire la tête et de pas finir un cancre ?
J'essuyai le soupçon de larmes qui était en train de décorer mes joues de bambin et saisis la main qu'elle me tendit. Je vis alors son joli sourire pour la première fois, celui qui ne quitterait plus jamais mes pensées, même dans les moments les plus sombres.
- Dis, t'es un ange non ? Sinon pourquoi tu voudrais pas que je devienne un je sais pas quoi ? Il y a que les anges qui font en sorte d'apporter du bien aux gens !
- Ben non, tu dis n'importe quoi ! Je suis pas un ange, rigola-t-elle faisant pétiller ses éclats de noisettes caramélisés, j'ai pas d'ailes !
Elle se tourna, tapotant son dos pour me montrer qu'elle n'avait rien de féerique. Pourtant sa manière de virevolter me faisait sourire. Elle devait bien avoir des pouvoirs magiques cachés quelque part... une personne sans superpouvoirs ne pouvait décemment pas rendre les gens heureux par un simple sautillement.
- Et puis, Alex il m'a dit qu'il y avait des anges méchants aussi. Ils ont été bannis du paradis, je te jure que c'est la vérité !
- N'importe quoi, me moquai-je affectueusement, ça existe pas les anges comme ça !
Sarah croisa les bras sur sa poitrine, mécontente du ton que j'avais employé; alors je lui souris gentiment pour me rattraper. Elle me sourit en retour, lumineuse, et repoussa de sa petite main la jolie boucle de ses cheveux qui semblait la gêner depuis un moment. Elle provoqua alors un raté à mon cœur, une sensation que j'étais bien trop jeune pour comprendre. Je la traduisis du mieux que je le pouvais du haut de mes quatre ans.
- Tu veux bien que je t'appelle angel ? Ça veut dire « ange » dans la langue de mon papa !
- D'accord, mais tu promets de plus bouder ? C'est plus marrant quand tu souris, ça te fait un trou là, dit-elle en indiquant la fossette de ma joue, c'est trop rigolo. Mes autres copains à l'école ils ont pas ça sur le visage ! »
Je pris remarquablement bien son « compliment » bizarre et je scellai mon premier marché avec elle. Le premier d'une longue liste. J'acceptai enfin de rejoindre le salon qu'Andy n'avait pas quitté. Lui et Alex semblaient se battre pour recoller les morceaux du vaisseau que j'avais brisé. Sarah et moi nous assîmes alors à côté d'eux pour le reconstruire en y ajoutant - en combinaison de nos connaissances infaillibles en architecture Lego - quelques améliorations.
Cette journée fut le commencement d'une longue, très longue, et chahuteuse, amitié. Nous nous entendîmes si bien tous les quatre, que nous bassinâmes nos parents pour nous voir à nouveau. Ainsi, ce qui devait, à la base, être une unique rencontre en mémoire des années de lycée de nos mères se transforma en une réunion presque familiale trimestrielle. Nous passions la quasi-totalité de nos vacances scolaires communes ensemble, tous les Noëls, les étés. Nous interchangions entre l'Angleterre et la France, pour que chacun y trouve son compte.
C'est pour le huitième anniversaire de Sarah que je lui offris la boule à neige qu'elle avait joliment exposée sur sa table de chevet. « T'as vu ? C'est trop cool ! m'avait-elle dit. Comme ça, quand t'es pas avec moi, ben t'es quand même à côté de moi pour pas que je fasse de cauchemars ! C'est un peu comme un attrape-rêve en fait, tu sais le truc qu'Alex a au-dessus de son lit ? ». Elle pouvait passer des heures à contempler la neige tomber sur Big Ben, des étoiles pleins les yeux. J'avais toujours aimé faire étinceler ses prunelles. Elles avaient le pouvoir de réchauffer instantanément n'importe qui, elles auraient pu me réchauffer enseveli sous la neige, après une avalanche, et même déclencher la fonte des glaces plus rapidement que les gaz à effet de serre.
Vers dix ans, j'avais commencé à être super jaloux de la relation qu'elle entretenait avec mon frère. J'avais l'impression qu'elle passait tout son temps avec lui, à l'admirer... tout ça parce qu'il était plus grand, plus cool, et qu'il avait le droit de faire des trucs que je n'avais pas le droit de faire. Et Dieu sait que ça m'agaçait de m'énerver pour ça ! Andy et Sarah avaient toujours été proches... mais c'était pareil pour Alex et moi, ou Andy et Alex... je veux dire : on avait toujours été proche tous les quatre... Je ne comprenais pas pourquoi, d'un coup, comme ça, ça me prenait la tête. Pire que ça, ça m'horripilait. J'avais été, pendant quelques semaines, très désagréable avec elle. Je me mis à me moquer d'elle pour évacuer ces sensations bizarres et négatives. Je m'en prenais à elle à chaque fois qu'Andrew faisait une blague et qu'elle y rigolait ; parce que je n'en pouvais plus, parce que ça me saoulait qu'elle lui sourit comme ça, qu'elle l'idolâtre comme ça. Ça n'avait pas duré longtemps, mais je l'avais énormément fait pleurer pendant cette période... à chaque fois je m'en étais voulu et j'avais eu terriblement mal au cœur. C'est d'ailleurs dans un de ces moments-là, alors que je revenais vers elle parce qu'elle était effondrée, que je ressentis pour la première fois la peur de la perdre. Mais, comme le gamin débile que j'étais, ça ne m'empêchait pas de recommencer à la rendre malheureuse : je la blessai encore, en me disant que mon idiotie et la douleur que je ressentais passeraient avec le temps. Il fallut qu'elle arrête de me parler pendant une semaine entière pour que je me rende compte que je faisais vraiment n'importe quoi. Le septième jour, je l'avais trouvée en train de pleurer, en boule, au fond de son jardin. Quand je l'avais rejoint, elle avait quitté son état de tristesse pour me renvoyer toute sa colère. J'avais alors passé des heures à m'excuser, sincèrement effrayé par l'idée de l'avoir perdue pour de bon, avant qu'elle n'accepte que je la prenne dans mes bras. « Je suis désolé angel, vraiment... cette fois j'ai compris, je ne recommencerai plus. Je n'aurais pas dû te balancer toutes ces conneries, je n'en pensais pas un mot ».
Je ne m'étais plus jamais retourné contre elle, plus jamais, et notre amitié s'en était trouvé un peu plus renforcée. Mais je n'évacuais plus les sentiments étranges de frustration que j'éprouvais et ça me rendait incroyablement susceptible. Andy et Alex l'avaient rapidement remarqué et ils avaient pris la mauvaise habitude de me chercher dès que Sarah était dans mon champ de vision : ça les faisait marrer de me faire péter des câbles.
Quand nous étions seuls, Andy n'arrêtait pas de me rabâcher que j'étais amoureux. De mon côté, je ne cessais de lui répéter que c'était des conneries et que j'étais bien trop jeune pour « avoir une amoureuse ».
C'est à peu près à ce moment-là qu'Antoine avait débarqué dans nos vies et avait commencé, grain après grain, à foutre sa merde dans le groupe.
Je me rappelle exactement le jour où je compris que mon frère avait raison sur toute la ligne. Ça m'avait semblé d'un seul coup si naturel que je n'en revenais pas de ne pas avoir envisagé, une seule seconde, la possibilité qu'il puisse dire vrai. C'était le Noël juste avant mes quatorze ans, peu de temps avant que tout ne se mette à tomber dans le mauvais scénario de thriller. Nous étions en Angleterre pour les fêtes. Ma chambre avait été aménagée en dortoir pour l'occasion. Nous dormions tous les quatre, comme des manouches, sur de vieux matelas que mes parents avaient installés par terre. Avec mon poids, le matelas déjà bien creusé par le temps semblait rejoindre le sol pour se fondre avec lui. Ça me faisait un mal de chien, mais je n'en avais rien faire ; parce que je n'avais pas l'intention de dormir ; parce que nous avions prévu, avec Sarah, de descendre quand tout le monde s'assoupirait pour s'échanger nos cadeaux ; et parce que le fait qu'elle dorme dans la même pièce que moi, à quelques centimètres de moi, suffisait amplement à dégager tout le côté négatif de la situation.
Je l'entendis un moment gigoter dans son lit, remuant probablement pour éviter de s'endormir. Ce n'est que vers une heure du matin, alors que le silence avait envahi les murs de la maison, que Sarah sortit de dessous sa couette et me secoua. « Will, tu dors ? Will ?
Je fis un instant semblant de somnoler, juste pour l'entendre, encore une fois, murmurer mon prénom à mon oreille. En une seconde, une seconde à peine, alors que sa main reposait doucement sur mon épaule et que son souffle faisait frissonner ma peau je compris que j'étais amoureux d'elle. Je me sentis tellement con d'avoir remballé mon frère de si nombreuses fois, je me sentis tellement con de ne pas l'avoir compris plus tôt. Ça me semblait tellement logique. Elle et moi ça dépassait la logique.
- Will, si tu dors je vais devoir manger ton cadeau de Noël toute seule. Tu n'auras rien et en plus de ça je vais être malade. Ça sera entièrement de ta faute.
Elle ricana doucement, déclenchant malicieusement mon sourire. Je me trahis tout seul, sans le vouloir. Je la laissai alors me traîner en bas, je l'aurais laissé me traîner n'importe où de toute façon. Je remis une buche dans la cheminée du salon alors qu'elle farfouillait sous le sapin pour retrouver le cadeau qu'elle m'avait fait. Une fois les flammes ravivées, je m'installai sur le canapé pour l'attendre.
- Trouvé, s'écria-t-elle un peu trop fort.
Elle rigola quand je la repris, me traitant de rabat-joie pour la millionième fois depuis que je la connaissais, puis vint s'installer auprès de moi. Je la sentis, tout doucement, se blottir contre moi, tirant un plaid pour nous recouvrir tous les deux. Je crois qu'elle ne se rendit pas compte de l'effet qu'elle me fit à ce moment-là. J'avais tellement envie de l'embrasser. J'avais presque besoin de l'embrasser, mais comme je ne voulais pas briser notre complicité, et encore moins notre amitié, je me contentai de la serrer un peu plus fort.
Nous passâmes la soirée à grignoter les cookies de chez Ben's qu'elle était allée m'acheter l'après-midi même, dans le cœur de Londres, avec nos mères. Après ça, je l'avais laissée entamer, dans mes bras, le livre que je lui avais offert.
- Il te permettra de comprendre que, contrairement à ce qu'a pu t'apprendre Alex autrefois, même les anges déchus peuvent avoir un cœur incroyable, lui avais-je dit. Comme ça, tu n'auras plus peur d'être mon ange à moi. »
Elle m'offrit alors le plus beau des cadeaux de Noël en déposant ses lèvres sur ma joue, souriant de plus belle, puis reprit sa lecture en silence. Au bout de quelques chapitres, je la sentis sombrer. Elle glissait, de minute en minute, luttant du mieux qu'elle pouvait. Doucement, je lui retirai son livre des mains et le posai au sol. Elle sembla à peine s'en rendre compte. Alors je la soutins contre moi tandis qu'elle finissait de s'endormir, bercée par le doux crépitement des flammes. Je la suivis quelques minutes plus tard, comme absorbé par ses rêves. Aucun de nous ne se soucia du savon que nos parents allaient nous passer le lendemain quand ils allaient nous trouver ici. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Je dormais avec elle pour la première fois, et rien ni personne n'aurait pu ruiner mon sentiment de complétude.
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Et voilà comment tout à débuté...
Vous voulez en savoir plus ?
Parce que parfois, la logique ne s'explique pas,
Laissez-vous aller,
Laissez-vous aimer,
Lily <3
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