L'heure a sonné - William Lewis
« Could you find a way to let me down slowly?
A little sympathy, I hope you can show me
If you wanna go then I'll be so lonely
If you're leaving baby let me down slowly. »
Let Me Down Slowly - Alec Benjamin
Une semaine après la mort d'Éric et Laurana, une semaine après qu'elle ait refusé de me voir, je n'avais toujours pas trouvé le courage de franchir la porte de sa chambre d'hôpital. Je me sentais lamentable de ne pas y arriver. J'avais tellement honte d'avoir lâché sa main ce jour-là, je me sentais tellement responsable de ce qui lui était arrivé. Alors au fond je me disais que j'avais mérité son accueil.
Je ne savais pas dans quel état j'allais la trouver, je ne savais pas si elle accepterait de me voir. Je n'avais jamais autant douté de nous. D'habitude, je savais toujours quoi lui dire, comment la réconforter : j'avais toujours eu ce pouvoir-là. Aujourd'hui, je ne savais pas si j'aurais suffisamment de force pour la consoler, si j'aurais des réponses à lui apporter. On ignorait ce qu'il s'était réellement passé pour ses parents. Tout était arrivé si vite... La police s'était déjà entretenue plusieurs fois avec Alex, accompagné de Noémie. Il était dévasté, nous nous sentions tous impuissants et dépassés face à la spirale dévastatrice qui semblait s'être enclenchée en ce début d'automne.
Au bout de quelques jours, j'appris de la bouche de mon ami d'enfance qu'il s'agissait d'un accident. Lui qui était d'habitude si rationnel commençait à se demander si le karma n'avait pas décidé de prendre leur famille pour cible. Je ne voyais pas comment c'était possible, les Cartier n'avaient absolument rien fait pour mériter ça ; et les responsables du coma de Sarah n'étaient pas la fatalité et le karma, les coupables étaient bien réels : il s'agissait d'Antoine et moi. Mais ça, j'étais incapable de lui avouer. Lacombe avait raison, j'étais trop lâche, trop égoïste pour accepter à voix haute la réalité. Pourtant j'essayai de me booster, je me dis que si je ne pouvais pas lui dire à lui, je pourrais peut-être réussir à me confesser auprès de celle qui ne m'avait jamais tourné le dos. Que je sois mort de trouille ou non, je ne pouvais pas l'abandonner dans un moment pareil : elle avait besoin de moi. Il fallait que j'assume mes responsabilités et que je reprenne ma place auprès d'elle. Je ne pourrais jamais ramener Éric et Laurana, mais mon rôle était de les épauler, elle et Alex, dans ce deuil. On n'avait pas le même sang, mais on n'en restait pas moins une famille.
Je sentis que c'était le moment. Alors je me forçai à quitter le mutisme qui ne m'avait pas laissé respirer depuis une semaine, et me dirigeai vers sa chambre. Je frappai à la porte et ne fus qu'à moitié étonné d'entendre une voix masculine me répondre d'entrer. Antoine, en grand maître des lieux, ne fut pas surpris de me découvrir. Un large sourire sadique se dessina sur ses lèvres. Je ne réagis pas, pourtant j'avais envie de traverser la pièce et de lui enlever toute envie de sourire. Mais, contrairement à lui, je savais rester à ma place. Alors, sans lui prêter attention, je prononçai le nom de Sarah. Elle semblait perdue dans ses pensées, son regard larmoyant accroché à la fenêtre de sa chambre. Je n'en pouvais plus de ses larmes, depuis combien de temps ne l'avais-je pas vue sourire ? « Eh Sarah, angel, tu m'entends ? réitérai-je.
Elle semblait perdue dans le temps, à mille lieues d'ici, ça faisait tellement bizarre de la voir si éteinte, tellement mal.
Je décidai de m'approcher d'elle pour lui prendre la main. Je voulais recréer un contact avec elle, même si je savais qu'elle ne se souvenait plus de moi. On était assez fort pour surmonter ça, et je me dis que quand elle sentirait sa paume contre la mienne elle reviendrait vers moi.
Antoine tenta de s'interposer, il voulait m'empêcher de passer. Comme s'il pouvait m'empêcher de passer. D'un regard, je lui fis comprendre qu'il ferait mieux de dégager de mon chemin. À ma grande surprise, il s'écarta sans broncher, haussant simplement les épaules.
J'arrivai à la hauteur de mon amie d'enfance, toujours dans son monde, et passai ma main dans ses cheveux. Je plaçai ses mèches rebelles derrière son oreille et entraperçus ses lèvres frissonner, comme si elle reprenait vie. J'eus alors une envie irrépressible de l'embrasser. On avait déjà perdu tellement de temps. Mais ce n'était pas le moment, elle était bien trop perturbée, anéantie, ça aurait été profiter de la situation. Je retins toute ma ferveur en mon for intérieur et laissai ma main, enfin, trouver le chemin de la sienne. Je serrai délicatement son petit poing dans ma paume, réchauffant sa peau glacée, quand elle se rendit enfin compte de ma présence. Elle posa d'abord ses yeux sur sa main, encore dans la mienne, puis se tourna vers moi. Ses larmes redoublèrent à la seconde même où ses prunelles se plongèrent dans les miennes. Je crus tout d'abord qu'elle était soulagée de me voir, que tout son malheur ressortait parce que j'étais là et qu'elle pouvait enfin se lâcher. Je crus un instant que rien n'avait changé. Pourtant quand je tentai de l'attirer contre moi elle me repoussa violemment.
- Comment oses-tu ? Comment oses-tu débarquer ici et poser tes mains sur moi, espèce d'ordure ? Hein ? Tu croyais que je ne m'en souviendrais pas, c'est ça ? Tu pensais que j'étais stupide ?
Elle commença à me frapper et je ne fis rien pour l'en empêcher, complètement décontenancé. J'entendis alors un ricanement discret. Antoine était en train de se payer ma tête, caché derrière Sarah. Mais, honnêtement je n'en avais rien à foutre qu'il rigole, parce que rien ni personne ne pouvait me faire plus mal qu'elle en cet instant.
- Pourquoi tu dis rien, hein connard ? continua-t-elle. Ça t'a fait jubiler de les laisser crever au bord de la route ? Mes parents sont morts à cause de toi ! J'ai plus personne à cause de toi ! Je veux que tu dégages, tu comprends ? Je ne veux plus jamais croiser ta face de raclure ! Tu n'as rien fait pour les aider, ça ne sert à rien de venir me voir pour te racheter ! C'est trop tard !
- Qu'est-ce que tu racontes... ?
J'étais consterné, je ne comprenais rien de ce qu'elle me disait. Mais je connaissais le responsable de sa fureur : il se trouvait juste en face de moi à la porte de la jouissance.
- Dégage !
- Sarah... écoute-moi, s'il te plait...
Recouvrant un minimum mes esprits, je tentai une nouvelle approche, immobilisant ses poignets pour l'empêcher de me frapper à nouveau. J'essayai de la prendre contre moi pour la calmer. Mais lorsqu'elle sentit ma main sur elle, elle s'éloigna au plus vite, s'assit par terre la tête entre les mains, et se mit à hurler de tout son soûl. Son cri me déchira tout entier. Je sentis les larmes me monter aux yeux, à deux doigts de faire ce que je pensais être une crise d'angoisse. Je titubai en reculant quand le regard d'Antoine m'accrocha.
- Tu n'es pas le bienvenu ici, tu as entendu ?
- Qu'est-ce que tu lui as fait enfoiré ?
Je crois que je ne m'étais jamais senti aussi énervé qu'en cet instant. Il fallait que je fasse quelque chose, je devais le faire taire. Je n'y voyais plus très clair. J'étais aveuglé par mon envie irréfrénable de lui mettre mon poing dans la gueule. Mais dès que j'esquissais un geste, Sarah se mettait à hurler de plus belle, appelant à l'aide, me broyant un peu plus le cœur au passage. Les médecins, alertés par sa soudaine crise d'hystérie, débarquèrent en trombe.
- Faites-le partir, sanglota-t-elle en me pointant du doigt. Je vous en supplie, faites-le partir ! Je ne veux plus jamais le voir ! »
Je ne leur laissai pas le temps de faire quoi que ce soit, s'ils m'avaient foutu dehors je ne l'aurais pas supporté, je n'aurais pas supporté d'être éloigné d'elle de force, je me sentais suffisamment coupable de son état actuel. Alors je tournai les talons de moi-même et sortis de la salle de mon plein gré, sans me retourner. Je marchai un moment sans rien dire avant de m'effondrer sur le sol d'un des couloirs. Putain ce que ça pouvait faire mal, je ne pensais pas que des mots puissent me faire souffrir à ce point, j'avais l'impression que sa voix résonnant dans mon crâne allait me tuer. C'était comme avoir une plaie ouverte au cœur, exposée aux yeux de tous, et qu'on y versait du sel.
Les infirmiers avaient beaucoup discuté avec les parents de Sarah avant leur décès, j'avais également eu l'occasion de leur parler, il connaissait donc, dans les grandes lignes, la relation que j'entretenais avec elle. L'un deux m'aperçut, assis sur le sol, et m'aida à me relever. Il m'accompagna dans un endroit plus calme pour discuter avec moi de la situation. Il m'expliqua alors que l'état mental de Sarah était encore très fragile, qu'il ne fallait pas je prenne trop à cœur le comportement qu'elle avait eu tout à l'heure. Il pouvait arriver aux patients, dans un état de choc comme le sien, d'avoir des réactions totalement anormales et disproportionnées. D'autant que Sarah, en plus de sa sortie du coma et de sa perte de mémoire, avait également dû encaisser la mort de ses parents. Elle était complètement perdue, sa mémoire était plus qu'instable : « Elle cherche probablement des coupables, les responsables de sa situation actuelle, des explications concrètes pour stabiliser les choses, pour réussir à comprendre ce qui lui arrive. Elle a besoin de temps, mais tout reviendra dans l'ordre. Nous sommes confiants. Quand elle aura réussi à réaliser, à encaisser, elle oubliera probablement les événements de ces dernières semaines. Quand son esprit aura réussi à guérir, il la laissera se reconstruire. Elle oubliera rapidement tout ça, ses pensées irrationnelles, et ses souvenirs reviendront. Ça prendra peut-être du temps, mais encore une fois nous sommes confiants. Rentrez chez vous vous reposer. De toute façon, après ce qu'il s'est passé tout à l'heure, Mademoiselle Cartier n'aura probablement plus le droit de recevoir d'autres visites que celles des membres de sa famille.
- Elle va oublier son passage à l'hôpital ? demandai-je pour être certain d'avoir bien compris.
Je ne reconnus pas ma voix, quand elle franchit le seuil de mes lèvres, je n'avais jamais parlé d'un ton aussi grave. C'était déroutant.
- Probablement oui, si son cerveau estime que c'est nécessaire à sa reconstruction. Et en vue des traumatismes qu'elle a subis depuis son arrivée ici : il y a de grandes chances que ça arrive. Dans tous les cas, on s'occupera bien d'elle. Vous pouvez rentrer vous reposer tranquillement.
J'essuyai mes yeux, qui n'avaient cessé de couler sans que je ne m'en rende compte, et j'esquissai un semblant de sourire.
- Et il ne pourra plus la voir non plus, le garçon qui était avec elle dans la chambre ?
- Non. Seulement sa famille : à savoir Madame Noémie Thomas et Monsieur Alex Cartier d'après mes fiches.
- OK... merci. Prenez-soin d'elle, s'il vous plait. »
Je bredouillai ces derniers mots, un tantinet rassuré. Au moins, même si je n'avais jamais autant eu mal de toute mon existence, je savais qu'il ne pourrait plus l'approcher jusqu'à la fin de son hospitalisation. Elle pourrait se reconstruire un peu.
À ma sortie de l'hôpital, j'aperçus Andy sur un muret. Il semblait m'attendre en silence, depuis des heures déjà. Apparemment, je n'étais pas le seul à avoir pleuré : mon frère semblait dépité. « Will... j'y arrive plus... je ne sais pas quoi faire... il faut que je te parle de quelque chose ».
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Une catastrophe, un cataclysme, entraîne souvent une tornade sur son passage.
Mais après la destruction, viendra le reconstruction.
Ils ont de la ressource, vous en avez aussi.
Lily <3
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