Je ne serai jamais à la hauteur - Noémie Thomas
« You should see me in a crown
I'm gonna run this nothing town
Watch me make 'em bow
One by one by one
One by one by
You should see me in a crown
Your silence is my favorite sound
Watch me make 'em bow
One by one by one
One by one by one »
You should see me in a crown Billie Eilish
Le deuxième été sans ma chère Laurana et son époux nous étions restés à la maison. Je n'avais jamais eu trop l'habitude de voyager, c'était Stéphane qui s'occupait autrefois des réservations, de tout planifier. Depuis qu'il n'était plus là, je n'avais plus eu le goût de partir quelque part. Et maintenant que j'avais Alex et Sarah à ma charge, ça me semblait encore plus compliqué. Ils n'étaient pas toujours faciles à gérer. Non, s'occuper de deux adolescents en plein deuil n'était pas tous les jours une mince affaire. Alex avait fini par redoubler, malgré mes remontrances. Je n'avais rien pu faire pour l'aider à remonter la pente. Je crois que devoir mentir à sa sœur, faire comme si elle n'avait jamais rien eu, passer au-dessus de son amnésie, n'était pas facile à porter pour lui. Ça avait fini de l'achever. Pour moi, en revanche, c'était plus simple : grâce à la disparition de sa mémoire, Sarah n'avait que peu de souvenirs de ses parents, elle avait donc mis moins de temps à se remettre de leur mort, même s'il lui arrivait d'avoir quelques réminiscences, pendant ses rêves, qui la faisaient rechuter. Et puis elle avait Antoine, qui n'avait jamais cessé de s'occuper d'elle. Il la supportait, au quotidien, au moindre instant depuis l'accident. Que j'étais fière de lui, fière qu'il mette ses solides épaules au service de ma nièce ! Il faisait preuve d'une telle gentillesse et de tellement de patience. Sarah avait repris du poil de la bête grâce à lui, elle avait retrouvé sa bonne humeur, elle s'était fait de nouveaux amis. Mais plus elle allait bien, plus elle blessait mon Antoine au passage. Il était peiné, même s'il n'osait pas en parler. Je le voyais bien, quand il venait me voir, qu'il avait moins le sourire. Son corps se voutait un peu plus chaque jour, s'affaissait au fil des mois. Je ne savais pas quoi faire pour l'aider. J'avais l'impression que Sarah le délaissait un peu, qu'elle ne lui accordait plus autant de temps qu'il l'aurait voulu. Et je la trouvais un peu injuste parce qu'il avait tout donné pour la soutenir dans son rétablissement.
Comme tous les vendredis soir, Antoine passa à la maison pour discuter un peu avec moi. Sarah et Alex étaient de sortie et je comptais bien profiter de ce moment avec lui pour lui remonter le moral et lui tirer les vers du nez. Une personne aussi adorable que lui ne pouvait pas rester triste et seule dans son coin. Je voulais qu'il m'explique la situation.
Avant qu'il arrive, je préparai du thé vert glacé au citron : son préféré. Une fois le liquide à l'abri dans un joli pichet fleuri, je débarrassai la table du salon et posai des petits sablés maison en son centre. J'instaurai ainsi une douce ambiance, une ambiance que je voulais réconfortante, une ambiance optimale pour lui délier la langue. Il fallait qu'il me parle, même s'il préfèrerait probablement se taire pour ne pas attirer d'ennuis à sa petite chérie. Je savais que vider son cœur le soulagerait.
Antoine arriva à dix-sept heures, pile à l'heure comme à son habitude. Je lui ouvris la porte et répondis à son sourire timide. Je l'invitai alors à rentrer, prenant par la même occasion des nouvelles de sa mère. Me suivant, aussi calmement qu'à son habitude, Antoine rejoignit le salon. Il fut extrêmement touché par toutes mes petites attentions et ne cessa de me complimenter sur la présentation de notre goûter. Comment pouvait-on se permettre de rendre aussi morose quelqu'un d'aussi parfait que lui ? C'était un tendre amour. Son cœur était si fragile.
Il attendit courtoisement sur le côté que je le convie à s'asseoir et que je lui tende l'assiette de biscuits. Il en grignota un par politesse, mais je sentais bien qu'il avait du mal à avaler. Son ventre devait être noué d'anxiété et de peine.
Je reposai le plateau à l'autre bout de la table et pris ses mains dans les miennes. « Antoine, mon chéri, je vois bien que quelque chose te turlupine. Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu n'as pas l'air très en forme depuis quelques mois. C'est à cause de Sarah ?
Il soupira doucement de gêne avant d'acquiescer.
— Raconte-moi ce qu'il s'est passé ?
Il n'avait pas envie d'en parler, parce que Sarah était ma nièce, avant d'être son amie, et qu'il ne voulait pas créer de tensions entre nous. Mais je voyais bien qu'elle était fuyante, qu'elle changeait d'attitude quand je prononçais le prénom du garçon, et je trouvais ça déplorable de sa part. Parce que lui n'avait jamais lâché Sarah, il ne l'avait pas lâché, ne serait-ce qu'un instant, quand elle allait mal, plaçant sa convalescence au sommet de ses priorités.
— Et bien... je pense qu'elle ne me considère plus comme quelqu'un d'utile. Elle a énormément changé ces derniers temps... enfin depuis que Julie a débarqué dans sa vie. Ne te fourvoie pas, s'il te plait, je suis vraiment content qu'elle se soit enfin fait des amis, qu'elle soit intégrée dans un groupe, qu'elle ait trouvé une confidente. Mais, avec tout ça, elle n'a plus de temps pour moi et ça me rend triste. Elle est en train de me remplacer. J'ai l'impression qu'elle n'arrive pas à faire la part des choses.
Je serrai un peu ses mains dans les miennes, pour les réchauffer. Des larmes semblaient perler au coin de ses yeux. Ça me brisait tellement le cœur de le voir comme ça. Antoine était comme mon fils, je l'aimais autant que s'il avait été mon fils. C'était très difficile d'accepter que quelqu'un puisse lui faire de la peine, même si la personne concernée était ma nièce. Surtout que j'étais d'accord avec lui, moi aussi je trouvais que Sarah avait changé, moi aussi je trouvais qu'elle se préoccupait moins des autres. Il fallait qu'elle prenne conscience qu'on ne peut pas, sur un coup de tête, comme ça, remplacer ses amis par d'autres. Je ne pouvais pas la laisser jouer avec les sentiments de ce petit. Ce n'est pas comme ça que ma sœur l'avait éduquée. Ce n'était qu'une adolescente : il suffisait de la remettre sur le droit chemin. C'était mon rôle de lui indiquer la voie à suivre.
— Je l'aime... je l'aime vraiment Noémie, de tout mon cœur. Je lui ai dit que je voulais être avec elle. Je sais que nous sommes faits l'un pour l'autre... je vois bien comment elle me regarde. Alors je ne comprends pas pourquoi elle ne veut pas me donner une chance. Je me dis qu'elle a peur, parce que nous sommes trop proches, elle doit avoir peur de me perdre. Je ne sais pas quoi faire pour qu'elle me laisse une chance. Je ne serai jamais à la hauteur... quoi que je fasse... J'ai tout donné pour elle et j'ai l'impression que je suis en train de la perdre.
Antoine se mit à pleurer devant moi, il s'effondra de malheur. Je n'étais pas préparée à ça. Je ne savais pas que Sarah lui avait fait autant de mal. J'avais bien vu son indifférence, je les avais entendus se disputer plusieurs fois, mais je ne pensais pas que la situation était aussi critique. Antoine n'était pas du genre à se lamenter pour rien. La dernière fois que je l'avais vu aussi malheureux, ça avait été lorsqu'il avait appris le décès d'Andrew. Ma nièce avait vraiment mal dû se comporter. Elle ne se rendait pas compte de la chance qu'elle avait, d'avoir un garçon aussi doux et prévenant à ses côtés. Il ferait tout pour elle, il était prêt à se plier en quatre pour elle.
— Est-ce que tu crois que tu pourrais m'aider ? me demanda-t-il la voix tremblante. Je n'ose plus lui parler de mes sentiments.
J'hésitai un instant, j'aimais beaucoup Antoine, mais j'aimais aussi ma nièce même si elle était en train de faire une grave erreur. Encore une fois, je pensais que sa crise passerait avec le temps, qu'elle avait juste du mal à gérer toutes ses relations amicales, car elle n'avait jamais eu l'habitude d'être autant entourée. Je n'avais pas voulu, au départ, interférer dans leur relation. Puis je repensai à ces dernières semaines, à la façon dont elle avait renvoyé sèchement Antoine, au nombre de fois où elle l'avait abandonné pour aller voir son groupe d'amis sans même lui proposer de les accompagner et je me dis que je devais faire quelque chose. J'aurais souhaité éviter d'intercéder en faveur d'Antoine, mais elle était en train de lui faire beaucoup de mal sans s'en rendre compte. Si lui n'arrivait plus à lui parler, s'il n'arrivait plus à lui expliquer qu'elle faisait n'importe quoi, je devais prendre les choses en main. Il fallait que je lui ouvre les yeux.
— Je vais t'aider mon chéri, je vais parler avec elle.
Antoine baissa les yeux, à la fois soulagé et perturbé. Je passai ma main dans ses boucles de jais pour qu'il quitte le sol et qu'il continue sa confession.
— Tu vas peut-être me prendre pour un fou, mais j'ai l'impression que c'est cette Julie qui lui monte la tête. J'ai essayé de bien m'entendre avec elle, je l'ai aidée à s'intégrer, mais elle ne supporte pas ma relation avec Sarah. J'ai l'impression qu'elle est jalouse, qu'elle ne veut pas que Sarah ait un copain parce qu'elle risque de se retrouver toute seule. Mais ça n'a rien à voir, je ne serai jamais un obstacle entre Julie et Sarah. Encore une fois : je suis si content qu'elle ait enfin des amis. Tu le sais, pas vrai ?
Bien sûr que je le savais. Antoine ne voulait que le bien de Sarah, depuis toujours. Il ne me parlait que quand il avait peur pour elle, quand il pensait que quelque chose de mauvais pouvait lui arriver. Et il est vrai que je trouvais Julie Clavel un peu trop sûre d'elle, pas assez sur la retenue. Elle avait débarqué ici en terrain conquis, et j'avais détesté ça. Mais elle semblait booster Sarah.
— Non tu n'es pas fou, tu pressens toujours bien les choses. Je vais parler à Sarah. Je ne peux pas l'empêcher de voir Julie, mais je vais la mettre en garde et parler en ta faveur. Je ferai ce qu'il faut, parce que j'estime que c'est pour son bien. Je sais qu'elle a besoin de toi, même si elle semble s'égarer un peu ces derniers temps. Tu peux compter sur moi mon chéri. »
Enfin, Antoine quitta le sommet de ses chaussures qu'il n'arrêtait pas de fixer. Le bonheur revint illuminer ses traits. Il ne se sentait plus seul. C'est donc rassuré qu'il rentra chez lui après notre petite soirée en tête à tête. Il avait retrouvé un peu de sa vigueur. Je savais que j'avais pris la bonne décision en acceptant de l'aider. La tâche n'allait pas être facile, Sarah pouvait être une vraie tête de mule quand elle le voulait. Mais son lien avec Antoine était si beau, elle se serait effondrée sans lui à l'hôpital, je ne pouvais pas la laisser lui tourner le dos comme ça, comme si rien de tout ça n'avait existé. Elle avait beau avoir oublié, il n'en restait pas moins qu'il avait passé des jours et des jours à ses côtés sans jamais se détourner d'elle, quand même son William l'avait abandonnée. Moi je m'en souvenais très bien, et je ne pouvais pas la laisser lui faire du mal.
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Et Noémie tomba un peu plus,
Dans les filets de l'enfer.
A très vite,
Lily <3
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