Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme toi - Julie Clavel
« You can count on me like 1, 2, 3
I'll be there
And I know when I need it
I can count on you like 4, 3, 2
You'll be there
'Cause that's what friends are supposed to do »
Count On You — Bruno Mars
Le jour de ma rentrée en seconde, une boule de nerf aussi grosse qu'une maison se forma au creux de mon estomac. Pas n'importe quelle maison, pas un petit chalet de montagne tout mignon bordé par le calme de la forêt et réchauffé par les doux rayons du soleil ; non, moi ce que je ressentais c'était une énorme villa bourgeoise pleine d'amertume, avec des colonnes en bronze et des statuts de chevaliers — comme dans les films — qui me transperçaient le bide à coup d'épée. Et le pire dans cette histoire c'est que, quitte à avoir un mec en armure dans le bide autant qu'il soit sexy... ben non... même pas : j'avais hérité du chevalier lourd et bedonnant qui me donnait la nausée. Tout ça pour dire que c'était un gros bordel là-dedans, et que j'avais envie de partir en courant. Pourquoi avais-je l'impression que j'allais tomber dans le coma ? Parce que j'allais débarquer dans l'endroit hostile qu'était le lycée sans connaître personne, à des centaines et centaines de kilomètres de chez moi.
J'avais vécu toute ma vie dans la ville de Grenoble, au bord des Alpes. Pour la première fois de ma vie, j'avais dû déménager pour suivre mon père, qui suivait ma mère, parce qu'elle avait été mutée dans une grosse boite près de Nice. Mais, je n'avais pas mal au ventre parce que j'avais le mal du pays, bien au contraire. À vrai dire, j'étais super contente d'être ici, en bord de mer, au calme, dans une jolie maison avec jardin. J'avais une chambre magnifique et même mon propre balcon : en clair, je ne serais rentré en Isère pour rien au monde. Mais je n'avais pas l'habitude d'être la nouvelle, et faire ma première fois dans une petite ville où tout le monde semblait se connaître m'effrayait considérablement.
J'avais passé un mois à essayer de m'acclimater, me baladant dans les rues dès que j'en avais l'occasion. J'avais l'impression d'être déshabillée du regard dès que je croisais quelqu'un. Je ne savais pas pourquoi, je ne savais pas si c'était moi qui devenais parano ou si les gens me voyaient réellement comme l'étrangère bête de foire, la nouvelle attraction du coin. Mes longs cheveux flamboyants, visibles à des kilomètres à la ronde, n'arrangeaient pas les choses. J'avais toujours été fière de ma chevelure de feu, mais pour la première fois de ma vie j'avais envisagé de les couper — ou de les teindre — pour passer inaperçu. Bref... si le regard des passants me pesait dans un lieu neutre comme la rue... qu'est-ce que ça allait être dans les couloirs du bahut ?
Le « jour J », j'avais passé des heures dans mon placard à trouver quoi me mettre. Une tenue à la mode, pas trop voyante, mais pas ringarde, pour ne pas attirer les yeux sur moi. Il ne manquerait plus que je me mette à dos les reines de la mode et du ragot dès le premier jour. Surtout qu'avec mon franc parlé, j'avais souvent des facilités à me faire des ennemis. « Mais pas cette fois », me promis-je, j'avais réellement envie de me faire des amis, de m'intégrer. Je voulais passer de super années de lycée, les plus belles de ma vie, comme les films américains me l'avaient promis. On a le droit de rêver, non ? Après avoir vidé l'intégralité de ma garde-robe, j'avais opté pour un look féminin et cool : une jupe en simili cuir taille haute et un chemisier type bucheron pour casser le style. J'aimais oser les combinaisons qui sortaient de l'ordinaire pour en faire quelque chose de différent, de personnel, mais de classe. Ce travail des mélanges était une de mes qualités, peut-être superficielle, mais qui me donnait de la confiance, de l'assurance. Je me sentais à l'aise dans mes fringues, je me sentais moi.
Une fois habillée, la tension dans mon ventre diminua un peu, pas suffisamment pour me permettre d'avaler un petit déjeuner correct, mais assez pour ne pas dégobiller en arrivant devant la grille de l'établissement Simone Weil.
Je me frayai difficilement un chemin entre tous les lycéens excités par leurs retrouvailles. Je me sentais toute petite, je me faisais toute petite. Certains groupes commencèrent à se tourner sur mon passage, m'auscultant minutieusement. J'avais envie de me planquer, alors je baissai la tête pour ne pas croiser leurs regards et passer inaperçue. Grave erreur. C'est là que je percutai quelqu'un sans faire exprès. Je faillis tomber en arrière, mais ma victime me rattrapa, fermement. Et non, ce ne fut pas le coup de foudre comme dans les films, malheureusement : la personne se trouvant devant moi étant très éloignée de l'image que je me faisais du prince charmant.
Le garçon me grisa de ses yeux métalliques, me faisant lâcher un frisson. J'eus un mouvement de recul devant son regard. Il était étonnant, paradoxal. C'est comme s'il s'y dessinait une deuxième personnalité : la dureté de ses prunelles contrastant avec ses traits angéliques. Il était tellement beau, parfait, si désirable et pourtant si repoussant en même temps. Il me fit le même effet qu'une plante vénéneuse, attirant ses proies par ses belles couleurs pour mieux les capturer et les torturer. Ses sourcils, aussi noirs que ses cheveux de jais, se froncèrent, comme s'il réfléchissait, comme s'il m'analysait. Je n'osai pas bouger, captivée. « Eh, Antoine, scanda un de ses acolytes, tu as l'intention de toutes les faire tomber comme ça, dès le premier jour ? Laisses-en un peu pour tes potes.
Antoine ne répondit pas à son ami, et relâcha mon bras.
— Tu ferais mieux de regarder où tu vas, me dit-il tout simplement.
J'ai toujours été quelqu'un de très sensible, je cernais facilement les gens, mais lui me perturba. Je baragouinai des excuses et me préparai à partir quand une fille à ses côtés rouspéta.
— Ne sois pas si froid avec elle ! Tu ne vois pas qu'elle est nouvelle ? Vous pourriez au moins bien l'accueillir !
La mâchoire d'Antoine se contracta, comme s'il encaissait difficilement le fait de s'être fait reprendre par la demoiselle.
— Désolé poupée, j'ai été surpris. J'ai eu peur qu'elle se fasse mal.
Sa gestuelle ne correspondait pas du tout à sa voix maîtrisée, qui se voulait presque douce et attentionnée. C'était super bizarre.
Je regardai le couple en clignant des yeux, ne sachant pas trop quoi faire. En réaction au petit surnom que le fameux Antoine lui avait donné, la fille plissa le nez de mécontentement. Pourtant, elle continua de sourire, comme pour apaiser d'invisibles tensions. Puis, elle s'approcha de moi. Contrairement à son copain, elle semblait imprégnée d'une gentillesse sans faille.
— Salut, moi c'est Sarah ! Sarah Cartier !
Sarah me sortit de ma stupeur grâce à sa chaleur qui m'enveloppa toute entière. J'avais enfin, bizarrement, l'impression d'être chez moi. Ce fut elle mon coup de foudre de cinéma, celui que j'espérais rencontrer en arrivant dans cette ville : Sarah avait été mon premier coup de foudre amical et je l'avais compris à l'instant même où elle m'avait tendu la main ce matin-là.
— Enchantée, je m'appelle Julie Clavel, je suis en seconde...
— Trop bien, j'espère qu'on sera dans la même classe alors.
Ses yeux pétillants clignèrent alors qu'elle me regardait. Un sourire lumineux éclaira son doux visage.
— Tes cheveux sont juste magnifiques, me dit-elle, enfin pas que je fasse une fixette sur les cheveux, hein ! Mais les tiens sont juste... wouah ! Tu ne trouves pas Antoine ?
Elle se tourna vers son ami qui hocha la tête, plus pour ne pas la contredire que pour confirmer son élan d'affection aussi inattendu que spontané.
— Je suis désolée, je suis super directe parfois... ne prends pas peur !
— Non, ne t'en fais pas, ça me touche beaucoup. Tu es super jolie toi aussi.
Sarah rigola, me répondant avec autodérision pour masquer sa gêne. Puis elle se proposa gentiment de m'accompagner à l'intérieur.
— On peut aller regarder le tableau de répartition des classes ensemble si tu veux ?
J'acquiesçai, rassurée d'avoir fait sa connaissance, et de ne pas avoir à affronter ce moment toute seule. Toujours aussi joyeuse, Sarah me prit par la main pour m'entrainer dans le lycée. Je la suivis, sans jamais la lâcher, dans le labyrinthe des couloirs jusqu'à un regroupement intense de personnes. La majorité des élèves s'étaient agglutinés devant le tableau des annonces, proche du bureau du CPE. Sarah sautilla, victime de sa petite taille, pour apercevoir son nom sur la liste.
— J'y vois rien, marmonna-t-elle.
Elle joua un peu des coudes, s'imposant dans la masse malgré sa faible corpulence, et réussis à se glisser à l'avant. Elle revint cinq minutes plus tard et me sauta dessus.
— On est dans la même classe ! C'est trop cool !
Malgré son timbre pétillant, je perçus quelque chose de triste dans ses yeux, une faible lueur qui traversa la galaxie noire de ses prunelles aussi vite qu'une étoile filante.
— Quelque chose ne va pas ?
Elle haussa les épaules, maussade, avant de répondre dans un murmure.
— Antoine n'est pas avec moi cette année. J'avais pris l'habitude de toujours l'avoir à mes côtés, ça me fait un peu bizarre, c'est tout. Mais ce n'est pas grave, il devenait un peu étouffant de toute façon...
— Antoine, c'est ton petit-ami ? Il n'a pas l'air très commode.
Je me mordis la langue. Moi et mon franc-parler... critiquer le mec de la seule fille qui avait accepté de m'adresser la parole.
— Oula non, ce n'est pas mon petit-ami ! rigola-t-elle. Mais c'est mon seul ami... enfin en dehors de mon frère, mais ça ne compte pas vraiment. D'ailleurs, il faudra que je te le présente : il est très gentil.
Elle regarda ses pieds, ne sachant plus trop où se mettre, honteuse de sa révélation. Pour ma part, je me demandai : comment une fille aussi jolie, accueillante, et étincelante pouvait-elle n'avoir qu'un seul et unique ami ?
— Mais tu as raison, reprit-elle, Antoine est un peu sur la défensive en ce moment... il a pas mal changé ces derniers temps... je ne sais pas ce qu'il lui prend. Enfin... je n'y peux rien...
Je m'excusai pour mes paroles, mais elle me rassura, me disant qu'il n'y avait pas de mal. Puis, pleine d'une énergie nouvelle, elle me proposa de faire le tour du lycée avec elle.
— C'est tellement grand, je préfère faire un repérage avant les premiers cours pour éviter de me paumer ! Je n'ai aucun sens de l'orientation.
— Ça nous fait un super point commun alors, rigolai-je, je pense que c'est une très bonne idée. »
Je pris la main de Sarah et m'éloignai de la foule qui n'avait pas cessé de s'agglutiner au pied de la liste des classes. Nous traversâmes le couloir principal, parcourant l'intégralité du rez-de-chaussée. Nous suivîmes le numéro des salles, essayant d'en comprendre le fonctionnement, puis finîmes enfin par repérer celle qui avait été assignée à la Seconde 4. C'est dans cette salle que nous nous rapprochâmes de Lucie, Alice et Nicolas pour passer d'un petit groupe de deux à un solide et joyeux groupe de cinq.
*
* *
Le jour de ma rentrée en seconde, j'étais terrifiée. J'avais eu tellement peur, m'en rendant presque malade. Mais il faut toujours avoir foi envers le destin, il fait souvent très bien les choses, de belles choses. Rien n'arrive par hasard, je le compris dès le moment où je croisai ma Sarah et que, grâce à elle, un des pires jours de ma vie se transforma en l'un des plus beaux.
Ce jour-là naquit une belle amitié, une amitié forte et fidèle qui, je l'espère, ne s'éteindra jamais. Nous passions énormément de temps ensemble, aussi bien au lycée qu'à l'extérieur. Sarah m'avait prise sous son aile, me fit visiter toute la ville, me montra ses endroits préférés, me présenta son frère, m'emmena chez sa tante... Elle m'avait fait comprendre de la plus belle des façons que je devais faire partie de sa vie. Nous partagions tout : nos moments de bonheur, nos craintes, ses craintes, puis, quand elle osa enfin me raconter son histoire, son deuil. J'accusai le coup, le jour où elle me raconta le décès de ses parents. Elle pleura un moment dans mes bras, me faisant pleurer à mon tour, avant de se gronder parce qu'elle me rendait triste. Elle s'était alors mise à rire pour que je cesse de pleurer, rire aux éclats à ne plus pouvoir s'arrêter. Sarah s'était toujours trouvée faible et inutile. Futile. Elle ne se rendait pas compte de sa force. Mais, moi si. Derrière sa sensibilité cette fille était une putain de guerrière et je ferai tout pour le lui prouver.
*********************
Il faut parfois savoir écouter son intuition,
Elle est comme une voix supérieure, intérieure, et se trompe rarement,
Ayez confiance en vous,
Lily <3
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