Il me suffit de l'imiter - Antoine Lacombe
« I'm worse at what I do best
And for that gift I feel blessed
Our little group has always been
And always will until the end »
Nirvana — Smells Like Teens Spirit
Le jour où Sarah sortit de l'hôpital, la neige avait miraculeusement recouvert le sud de la France. Tous ces cristaux, miroitant aux rayons du soleil, bordaient magnifiquement le bord de mer. On aurait presque dit un mirage, le mirage d'un mariage parfait entre la beauté presque surnaturelle du paysage et le son de mon cœur battant la chamade. C'était le grand jour, j'allais enfin la revoir, j'avais hâte de la revoir. Si j'avais cru en Dieu, j'aurais directement pensé que les cieux prêchaient en ma faveur. Mais je ne croyais pas à toutes ces conneries. Je ne croyais qu'en moi. En moi, ma confiance, ma persévérance, et en ma force de caractère.
J'attendais, depuis des semaines déjà, le coup de fil de Noémie. Celui où elle m'annoncerait que Sarah était rentrée à la maison. J'avais soupiré des jours durant dans mon coin en attendant. Je m'ennuyais, je m'ennuyais tellement. Le monde autour de moi était à nouveau inintéressant. Les gens étaient redevenus creux depuis qu'elle était enfermée, mon existence avait perdu de son fun. J'avais l'impression qu'on m'avait soutiré l'objet de ma convoitise, qu'on m'empêchait une fois de plus d'y accéder, sauf que cette fois je ne pouvais pas lutter, je ne devais pas lutter, parce que ça ruinerait mes chances. Je prenais sur moi en sachant que ce n'était que pour un temps. Mais la patience n'a jamais vraiment été mon truc. Alors je sursautais à chaque fois que mon téléphone sonnait, j'espérais à chaque fois que j'allais chez Noémie. Puis, je le reçus enfin, cet appel presque divin, et je me mis directement en route pour la rejoindre.
Je calmai difficilement mes ardeurs, sur le chemin de la maison de Noémie. Il fallait que j'y arrive, car je n'étais pas certain de l'état dans lequel j'allais la trouver. Rien n'était moins sûr après l'épisode sur lequel on s'était quitté. Mais j'avais foi en sa mémoire sélective, foi en ces doux moments qui nous avaient bercés, en la confiance qu'elle avait eue en moi. J'avais hâte de la voir. Ça allait enfin être elle et moi, après toutes ces années. Lewis ne faisait plus partie du paysage, enfin. J'allais enfin pouvoir passer la seconde avec elle. Elle n'allait voir que moi, elle ne verrait plus que moi.
La maison de Noémie était à une quarantaine de minutes de marche de chez moi. J'aurais pu y aller en bus, mais je préférai dépenser mon énergie et y aller à pied. Je préférai profiter de la combinaison piquante de la glace en formation et du soleil presque brûlant de cette fin de matinée. Une alchimie parfaite, mélodieuse, aussi explosive qu'elle.
Je m'étais parfaitement apprêté pour l'occasion, j'avais mis le paquet pour l'appâter. Je ne voulais rien laisser au hasard. Je l'imaginais déjà, m'apercevoir sur le perron, et se ruer dehors pour me rejoindre. J'espérais qu'elle éclaterait de joie en me voyant, qu'elle serait incapable de me lâcher.
L'ambiance pesante de la demeure de Noémie aurait dû me calmer. Les alentours étaient silencieux, presque glacials. La demeure semblait triste, inhabitée. Mais peu importe, elle allait s'illuminer quand elle me verrait.
Je sonnai à la porte et attendis que des bruits se manifestent à l'intérieur, impatient, trop impatient. Dieu qu'ils étaient longs à ouvrir. Qu'est-ce qu'ils foutaient ? Je finis par entendre des pas de l'autre côté de la porte, puis la poignée en laiton s'abaissa. Noémie apparut dans l'encadrement et me sourit, tristement. « Coucou mon chouchou, je ne pensais pas que tu viendrais aussi vite, entre. Je suis tellement contente de te voir, c'est un tel soulagement que tu sois là. Sarah est dans sa chambre. Elle est encore un peu perturbée, ne t'étonne pas trop. Mais elle devrait être contente de te voir. Je suis sûre qu'elle sera ravie de te voir. Elle était si heureuse d'avoir de tes nouvelles tous les jours.
Noémie faisait partie de ces personnes toujours inquiètes, assez négatives, souvent sur la défensive. Elle avait tendance à exagérer les choses, à les rendre plus sombres qu'elles ne l'étaient dans la réalité. Je ne crus donc pas réellement ses paroles. Sarah avait juste besoin de s'acclimater, mais elle devait aller très bien, elle irait très bien. Elle n'avait plus aucune raison d'aller mal après tout : elle était bien entourée, aimée. Néanmoins, ça ne servait à rien de faire remarquer à Noémie qu'elle en rajoutait un peu.
— C'est normal, dis-je, après tout ce qu'elle a traversé... Mais je suis certain que tu t'en sors très bien avec elle. Et puis maintenant, je suis là. Je peux monter la voir ?
Dans le salon, Alex me regarda d'un air inquisiteur. Il ne m'adressa pas la parole, mais je sentis qu'il observait mes faits et gestes, méfiant, sur la réserve. J'ignorais ce qu'il savait, j'ignorais s'il parlait encore à Lewis, mais il n'était pas un danger, je ne l'avais jamais considéré comme un danger. Alex était un roseau, il se laissait porter par le vent et le courant. Si je me comportais bien, il finirait par baisser sa garde, quoi que lui dise Lewis. Et, de toute façon, il n'avait aucune raison de se méfier. J'avais déjà fait mon travail, mon plan s'était parfaitement déroulé. Plus personne ne se mettrait en travers de mon chemin désormais. Alors je le saluai, d'un geste de la main, avant de lui adresser un sourire faussement encourageant. Il ne répondit pas, et Noémie se renfrogna, exaspérée par son attitude qu'elle trouvait probablement puérile. Puis, elle m'attira avec elle, dans le couloir conduisant à l'escalier.
— Ne fais pas attention à son comportement, il est sur la défensive avec tout le monde en ce moment. Il voit le mal partout. Il se calmera d'ici quelque temps. J'en suis convaincue.
Qu'est-ce que j'en avais à foutre ? Il pouvait bien me détester autant qu'il me laissait indifférent. Tant qu'il ne venait pas m'emmerder, ça ne changerait pas ma vie. Son insignifiance ne m'avait jamais intéressé. C'est sa sœur, pas lui, que je voulais. J'eus une envie presque irrépressible de lever les yeux au ciel. Au lieu de ça, je répondis :
— Ça peut se comprendre Noémie, j'aurais probablement réagi pareil que lui... si j'avais dû endurer tout ça. Je ne lui en veux pas. Alex est mon ami, ça lui passera.
— Tu es toujours si gentil mon chéri... j'aurais aimé avoir un fils aussi attentionné que toi. »
Je souris faiblement à Noémie, répondant à sa déclaration. Contente, elle m'indiqua enfin la chambre qu'occupait désormais Sarah. Après une douce accolade, elle me laissa monter, retournant à ses occupations.
Une fois face à la porte, j'abattis lourdement mon poing contre le bois de sapin qui me séparait encore de Sarah. J'étais plus excité que jamais, électrisé. Elle était juste derrière la porte, à ma portée. La voix de Sarah s'envola jusqu'à mon oreille, doucereuse. Elle tremblait légèrement, mais m'invita malgré tout à entrer, sans une once d'hésitation. Je pénétrai dans la pièce et profitai du plaisir de me retrouver dans un endroit si intime, seul avec elle. Comme à son habitude, elle m'attendait contre la fenêtre, le regard planté dans le ciel. Sa robe en laine semblait trop grande pour elle, la rendant plus fragile, chétive, si désirable. Elle était comme dans mes souvenirs, à la fois vulnérable et indomptable, dans son monde tout en attendant désespérément que quelqu'un lui tende la main pour la ramener dans la réalité. Et, cette fois, c'est moi qui saisirais sa main.
Je la rejoignis, nonchalamment, et me stoppai à quelques centimètres d'elle. En me sentant à ses côtés, elle se tourna vers moi. Elle cligna des yeux, analysant mon visage, puis sourit. Ses pommettes rosées brillèrent au soleil, encadrant parfaitement la pulpe de ses lèvres, accentuant ma volupté. Mais son sourire avait quelque chose de bizarre, de différent, de superficiel. Pourquoi ne me souriait-elle pas comme à l'hôpital ? Tout d'un coup, j'eus un doute, un doute affreux. J'essayai de ne pas le montrer, de ne pas changer de visage, de conserver la douceur de mes traits. Elle n'avait quand même pas pu m'oublier ? M'oublier moi ? Avant de m'énerver, je préférai lui poser, simplement, la question. « Salut joli cœur, tu sais qui je suis ?
Sarah pencha sa tête sur le côté, faisant valser au passage la masse sulfureuse de ses ondulations caramélisées. Elle papillonna des yeux, étonnée, avant de me répondre.
— Bien sûr que je sais qui tu es ! Pourquoi ne saurais-je plus qui tu es ? Ça fait des années que je te connais Antoine ! Tu me poses vraiment des questions bizarres parfois.
Elle haussa les épaules, et rigola doucement. J'avais dû me tromper à propos de son sourire. Sa réponse me rendit dingue, confirmant tout ce que je savais depuis bien longtemps. Cette fille était la femme de ma vie. Et j'avais pris toutes les bonnes décisions la concernant. Grâce à la force de ma volonté, elle était là, devant moi, elle me souriait, elle rigolait. Et, par-dessus tout, elle ne m'avait pas oublié, moi !
Je portai sa main à ma bouche, effleurant pour la première fois de ma vie cette zone de sa peau de mes lèvres. Elle sembla gênée, mais ne rouspéta pas, alors je gardai ses mains dans les miennes. Puis je commençai, tout doucement, à m'intéresser à elle. Les filles adorent qu'on s'intéresse à elles, qu'on parle d'elles, qu'on prenne soin d'elles. Sarah était parfois différente, mais ne faisait pas exception sur un point aussi bateau. Surtout maintenant, alors qu'elle était seule.
— Tu t'acclimates bien, beauté ?
— Comment ça ?
— Ça n'a pas dû être facile d'emménager ici après tout ce temps à l'hôpital.
Le regard de Sarah se vida de toute émotion. Ses prunelles devinrent aussi inexpressives que celles d'une machine. Elle resta stoïque, un moment, comme si elle avait quitté son corps. Sa réaction était super bizarre, je ne la compris pas, je ne savais pas ce qui se passait dans sa tête, mais ça avait l'air d'être un sacré bordel à l'intérieur. J'attendis donc calmement qu'elle me réponde, pour éviter de faire une boulette supplémentaire. J'avais besoin de toutes les informations nécessaires pour continuer mon questionnement.
Au bout de cinq minutes, environ, elle reprit des couleurs et me regarda. Une belle mélancolie pouvait se lire dans ses yeux perdus.
— De quoi tu parles Antoine ? Tu dois confondre avec quelqu'un d'autre ! Et puis tu sais, en deux mois j'ai eu le temps de m'acclimater chez tatie.
Je ne comprenais absolument rien à ce qu'elle racontait, mais elle semblait sûre d'elle et je me dis que si on lui avait laissé croire en sa version des faits, c'est qu'il y avait une raison. Alors je ne la contredis pas, au contraire : je cherchai à en savoir plus.
— Deux mois déjà, le temps passe tellement vite ! C'est dingue.
Contre toute attente, Sarah trembla, cligna des yeux, et se mit à pleurer. Pourquoi est-ce qu'elle pleurait ? Je pensais qu'après tout ce temps elle avait réussi à se calmer, à arrêter de chialer. Je fus surpris de sa réaction. J'eus un instant envie de rigoler, parce qu'elle n'avait aucune raison de pleurer, mais je me retins. Me moquer d'elle n'était probablement pas la meilleure façon d'agir pour la mettre en confiance.
— Oui... ça fait déjà deux mois qu'ils sont morts... finit-elle par dire.
Ils ? Qui ça ils ? J'eus alors une illumination. Ça m'était tout simplement, complètement, sorti de la tête : « Oh putain, ses parents ! » pensai-je. Elle était en deuil, c'est vrai qu'elle était en deuil ! J'étais tellement obnubilé par sa mémoire que j'en avais oublié ce détail.
Sarah continua de pleurer, silencieusement, restant debout face moi pendant un petit moment. Puis elle rejoignit son lit à pas lent, s'y assit en tailleur et serra sa peluche contre son petit corps. Elle passa ses jambes autour de l'ours pour l'envelopper tout entier. Elle n'osait plus me regarder.
Je n'avais pas bougé, j'étais toujours debout, au milieu de la pièce. Je tentai de faire redescendre mon euphorie pour répondre à ses besoins. Mais je ne savais pas trop comment je devais m'y prendre. Lui sourire, la séduire, ne servait à rien. Je pris alors une décision, une décision qui me donnait limite envie de vomir, mais qui me semblait indispensable. Pour épauler Sarah dans son deuil, et renforcer notre lien, renforcer notre histoire, j'allais devoir faire un effort. J'allais, pour une courte période et pour la dernière fois de ma vie, utiliser Lewis, utiliser tout ce que je savais de lui pour la mettre dans ma poche, le laisser une dernière fois s'insinuer dans notre relation. Car je le savais : pour la conquérir, il me suffirait de l'imiter. Il n'y aurait rien de plus simple que de l'imiter. Je me demandai alors « que ferait Lewis à ma place ? ». Même si ça me faisait royalement chier de le reconnaître, je savais que lui saurait comment la gérer dans ce genre de situations. Il trouverait les mots bateaux de lover à trois francs qu'elle avait envie d'entendre. « Que ferait Lewis ? ». Je les avais suffisamment observés, tous les deux, pour savoir comment ils fonctionnaient. Je me mis donc rapidement en marche, copiant ses gestes à lui, pour la soutenir. Ça me les brisait de le faire, parce que je pensais que le deuil de Sarah serait terminé à son retour près de moi. Je pensais la retrouver vive et pétillante, battante, comme avant. Je pensais retrouver son répondant. Alors, devoir jouer les Lewis et m'émouvoir du décès d'Éric et Laurana me... les mois à venir allaient être longs, très longs. Mais le jeu en valait la chandelle. Je me devais de prendre sur moi pour que, prochainement, nos rapprochements aux delà de l'amitié puissent avoir lieu.
Je pris un air triste, et la rejoignis sur le lit. J'écartai son ours, toujours calé contre sa poitrine, pour prendre sa place. J'enroulai mes bras autour d'elle, l'attirant un peu plus près pour la rassurer. Puis je penchai alors mon visage à son oreille pour l'effleurer délicatement.
— Ne t'en fais pas, je suis là.
Sarah se retourna, le visage perdu sous sa masse folle et chocolaté. Je repoussai ses cheveux, l'obligeant à me regarder en face, pour qu'elle puisse lire ma sincérité sur mon visage.
— Tu es forte, tes parents seraient fiers de toi. Tout va bien se passer maintenant, je suis là.
— Merci, merci d'être toujours là pour moi. »
Je sentis la fierté poindre dans ma poitrine. Je savais que je venais de marquer des points, un peu plus, toujours plus. C'était beaucoup plus simple depuis qu'elle était isolée. Encore quelque temps auprès d'elle et aucun retour en arrière ne serait possible.
*
* *
Les mois suivants furent assez longs. J'étais tiraillé entre le bonheur de lui être nécessaire et la frustration de devoir jouer la nounou. Tant qu'elle n'allait pas bien, je pouvais difficilement être moi-même. Ce n'était vraiment pas mon truc d'être sentimental et à l'écoute. J'avais envie d'autre chose, qu'elle m'admire, qu'elle parle de moi autour d'elle, qu'elle ne voit que moi. Mais elle ne parlait que de ses parents, de la tristesse d'Alex, de ses inquiétudes vis-à-vis de lui. Et ça me saoulait. Il ne pouvait pas faire un effort de son côté, agir comme un homme, arrêter de pleurer sur son sort. Sortir Sarah de sa période de deuil avec l'autre débile qui ne foutait plus rien en cours et qui se laissait aller était vraiment très compliqué. En plus de ça, Noémie paniquait, avait du mal à gérer du jour au lendemain deux adolescents perturbés, et ça en rajoutait, toujours un peu plus. Ça faisait une personne de plus à supporter. Plus d'une fois, j'eus envie de secouer méchamment Sarah, de lui ordonner de se calmer, de la contraindre à se préoccuper de moi. Mais j'avais réussi, à chaque fois, à écouter la petite voix qui me disait « Lewis ne ferait pas ça ». Ouais, mais merde à la fin, il n'était plus là ! Quand est-ce que j'allais pouvoir être moi-même ? Quand est-ce qu'elle allait arrêter de se soucier des autres pour se soucier un peu plus de moi ? J'avais été suffisamment là ? Non ? À quoi ça lui servait de pleurer des cadavres tous les soirs ? C'était complètement stupide, pleurer ne les ramènerait pas ! Entre ça et les sorties au cimetière...
Mais je ne craquai pas, je donnai le meilleur de moi-même pendant tout le reste de l'année scolaire. Je la soutins à bout de bras jusqu'à la fin de la Troisième en me disant que mes efforts finiraient par payer. Ils devaient payer, non ? Je n'avais jamais fait autant d'effort pour quelqu'un. Cette fille était en train de me rendre faible, de me rendre fou.
Je prenais donc mon mal en patience, tous les jours, et je réussissais étonnamment bien à le faire. Puis l'année de seconde commença et cette salope de Julie débarqua.
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Méfiez vous de l'humain derrière le masque,
Certains savent très bien se cacher,
Belle journée, belle soirée,
Lily <3
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