De l'autre côté de la mer - Part II - William Lewis
« What are you willing to lose ?
You cover your wounds, but underneath them
A million voices in your head that whisper, "Stop, now"
Another twist of the knife, turn of the screws
It's all in your mind and it's fighting you
Arm yourself, a storm is coming
Well, kid, what you gonna do now?
It's your reflection looking back to pull you down »
Phoenix — Cailin Russo
Les premiers mois en Angleterre furent vraiment compliqués à gérer. J'avais parfois l'impression de ne plus avoir ma place ici, de ne plus avoir ma place nulle part. C'était un sentiment vraiment étrange, qui me suivait matin et soir, et que j'avais du mal à partager. On m'avait arraché, trop rapidement, deux parts de moi. En m'enlevant Andy et Sarah c'est comme si on m'avait arraché le cœur tout entier, comme s'il ne restait plus rien. J'essayais de garder la tête haute, le sourire, de me montrer de bonne humeur, pour le bien de mes parents. Ils souffraient énormément, je ne voulais pas leur ajouter une inquiétude supplémentaire. Alors, même si j'avais mal, même si je ne savais pas si je pourrais me relever un jour, je souriais.
L'absence d'Andy me faisait étonnamment souffrir. J'aurais pensé qu'elle serait plus simple à accepter que celle de Sarah, parce que je n'étais plus proche de lui depuis un moment et qu'avant tout ce bordel je ne le voyais presque jamais. Mais, à l'époque, je me disais que ce n'était qu'une mauvaise période à passer, qu'il allait finir par se calmer, et je savais qu'il finirait par passer le seuil de la porte. Aujourd'hui, sa chambre restait résolument fermée, et je savais qu'il n'apparaîtrait plus dans son encadrement. C'était difficile à supporter, difficile de la regarder.
Mon retour dans le monde réel se passa en revanche plutôt bien. Je repris le chemin des cours une semaine après être rentré en Angleterre. La vie avait continué en mon absence, comme si rien ne s'était passé. Les gens ne me posaient pas spécialement de questions, et je savais plutôt bien masquer mes émotions. Comme tout le monde pensait que ça allait, je réussissais parfois à me persuader que c'était vrai. Reprendre les cours me fit donc le plus grand bien. Je pouvais me concentrer sur mon travail, prendre part à des discussions anodines, et oublier, tout simplement. C'était plus simple d'oublier que d'affronter ma douleur, même si ça ne faisait que repousser mon effondrement inévitable.
J'aurais aimé pouvoir passer tout mon temps en classe, parce que dès que je rentrais chez moi, je me rappelais que la vie normale n'avait plus sa place dans mon existence, qu'elle n'était qu'une illusion. J'entendais mes parents pleurer et se disputer presque tous les soirs, pendant des heures, dans leur chambre. Et ça faisait un mal de chien. En parallèle, Alex me donnait des nouvelles, toutes les semaines, comme il me l'avait promis. Je savais que rien n'avait bougé de son côté à elle, et je savais qu'elle aussi allait mal. Je savais que, de là où j'étais, je ne pouvais rien faire pour l'aider. Plus d'une fois, je faillis craquer, plus d'une fois je faillis dire à mon ami d'enfance que j'avais changé d'avis et qu'il pouvait lui parler de moi, qu'il devait lui parler de moi. Plus d'une fois, je faillis faire une crise à mes parents, malgré leur mine éreintée, pour pouvoir prendre un avion et me casser d'ici. Mais je tins le choc, grâce à Katty, la seule personne avec qui j'arrivais encore à me laisser aller, à être honnête.
Je voyais Kate tous les jours. En classe, elle suivait le mouvement, elle prenait sur elle et me laissait mentir. Elle me laissait faire comme si tout allait bien. Elle savait que je n'avais pas envie d'étaler ma vie devant tout le monde et elle le respectait. Mais, presque tous les soirs, elle exigeait de rentrer avec moi à la maison pour ne pas que j'aie à affronter seul la morosité morbide de mon domicile. Au début, elle m'avait juste tenu la main en silence, me laissant faire mon manège habituel, me laissant faire comme si de rien n'était. Puis, lassée, son tempérament de feu avait repris le dessus et elle avait commencé à me secouer. « Tu n'es pas obligée de me raccompagner tous les soirs, lui avais-je dit ce jour-là. Je vais très bien. Rentre chez toi, il commence à faire nuit.
Kate avait levé un sourcil inquisiteur, agacée, avant de souffler d'exaspération.
— Tu vas très bien ? Tu es sûr que tu vas très bien ?
J'avais senti la colère poindre dans sa voix et ça m'avait surpris. Mais je l'avais guidée vers la sortie, sans me départir de mon sourire.
— Oui, je vais très bien. C'est adorable de t'en soucier, mais ça va. Rentre chez toi Katty, je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose à cause de moi.
— Pourquoi devrait-il m'arriver quelque chose à cause de toi ? Tu peux m'expliquer ?
Mon masque se fendilla un instant. J'ouvris la bouche pour répliquer, mais elle me coupa.
— Depuis quand tu es si négatif William ? J'habite à deux rues de chez toi, dans un lotissement remplit de vieux, tu peux m'expliquer ce qu'il pourrait m'arriver de mal ? Et tu m'expliques pourquoi ce serait automatiquement de ta faute s'il m'arrivait quelque chose ?
— Je suis désolé.
Plus je parlais et plus elle s'énervait. Je n'y étais pas habitué, et je n'y étais pas non plus préparé. Parce qu'elle avait raison, je n'allais pas bien, j'étais incapable de supporter la moindre émotion négative. J'étais incapable de supporter le poids d'une dispute. Elle le savait. Kate avait trouvé le moyen de briser la glace, de détruire ma bonne humeur fictive.
— Désolé de quoi ? Pourquoi tu serais désolé ? Tu peux m'expliquer ce que tu as fait ? Depuis quand tu t'excuses pour rien ? Pourquoi tu ne m'envoies pas chier, hein ? Pourquoi tu ne me demandes pas de me mêler de mes affaires ?
Je ne répondis pas, parce que je ne savais pas quoi répondre et que ça l'aurait surement agacée un peu plus si j'avais répliqué quoi que ce soit. Sortir des excuses sans aucun sens, c'était un peu comme sourire pour éviter qu'on me pose des questions. C'était une façade. C'était une manière d'éviter que les gens creusent un peu plus, parce que j'étais devenu incapable de me défendre.
— Bon, je te promets de te laisser tranquille si tu arrives à répondre à ma question, me dit-elle. Sinon, je veux que tu me promettes que tu arrêteras de me mentir et que tu me laisseras t'aider. Parce que, que tu le veuilles ou non, tu as besoin d'aide !
Sa voix, ferme, ne me laissait pas vraiment le choix. Je hochai la tête, acceptant tacitement son deal. Je devrais bien réussir à répondre à sa foutue question, trouver un moyen de la contourner pour qu'elle me fiche la paix.
— Si tu vas si bien que ça, pourquoi est-ce que je t'entends t'effondrer à chaque fois que je m'en vais et que la porte de ta chambre se referme sur toi ? C'est le comportement de quelqu'un qui va très bien selon toi ?
Je clignai des yeux, ne m'attendant pas du tout à ce qu'elle me demande un truc pareil.
— Tu m'as entendu ? chuchotai-je.
Contrairement à ce que je pensais, je fus incapable de répondre à sa question : elle était en train d'irradier toutes mes barrières. De toute façon, Kate m'avait percé à jour il y a bien longtemps. Ça ne servait plus à rien de me cacher. Et puis elle avait raison : j'avais besoin de quelqu'un qui me permettrait d'être naturel, sinon j'allais finir par imploser. Mon corps le comprit avant mes pensées, car, malgré tous mes efforts pour garder la tête froide, mon sourire se fissura de lui-même, sans me demander mon consentement. Mes mains se perdirent dans mes cheveux, masquant mes yeux, qui se remirent à couler. Katty calma sa fureur et s'approcha de moi. Elle m'entraina en direction de ma chambre, referma la porte derrière elle, et me laissa donner libre cours à mes angoisses sans me juger une seule fois. Je sentis ses bras se renfermer autour de moi et, pour une fois, je ne la repoussai pas.
— Dimples (1), murmura-t-elle, ne t'en fait pas d'accord. On est tous là pour toi. Tu n'as pas besoin de faire semblant avec moi. Ça va finir par s'arranger.
Comme je ne répondais pas, Kate continua de me parler calmement et trouva les mots que j'avais désespérément besoin d'entendre, même si elle n'avait aucune preuve de ce qu'elle avançait, même si personne ne pourrait jamais en avoir la preuve.
— Andrew ne voudrait pas que tu te mettes dans cet état.
Kate retira ma main, encore perdue dans mes cheveux, pour la prendre dans la sienne. Elle la pressa amicalement, m'encourageant d'un sourire timide à prendre la parole.
— J'ai parfois l'impression que je vais devenir cinglé.
— C'est normal d'avoir peur, tu sais ! Sarah me manque à moi aussi, énormément. Je n'ose même pas imaginer ce que tu ressens. Mais elle t'aime tu sais, elle t'aime plus que tout, ne l'oublie jamais. Et nous aussi on t'aime, même si tu n'es qu'un idiot incroyablement borné et particulièrement chiant.
Je lâchai un rire léger, avant d'acquiescer silencieusement. Katty me sourit, franchement cette fois, et remit mes cheveux désordonnés en place.
— Elle reviendra, laisse-lui le temps. En attendant, j'ai quelque chose pour toi. Et si tu refuses mon cadeau, je te préviens, je t'en colle une.
Katty se retourna pour saisir son sac de cours et farfouilla dedans. Elle grogna un peu, ne trouvant pas tout de suite ce qu'elle cherchait. Puis, fière d'elle, elle finit par sortir un papier. Elle me le tendit, contente de son coup.
— Petit cadeau de Noël en avance. C'est de la part de Joshua, James, Ethan et moi. C'est Ethan qui en a eu l'idée. Il dit que tu pourras y aller avec lui. Ça fait plus de trois ans qu'il y est inscrit. Ça vous fera une activité entre mecs ! On pense que ça pourra t'aider à évacuer.
Je dépliai la feuille qu'elle venait de glisser de force entre mes mains. Elle avait enfin toute mon attention, piquant ma curiosité.
— Les garçons sont au courant, dans les grandes lignes, de ce qui s'est passé. Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé avant, mais je me suis dit que tu aurais besoin de soutien, alors j'ai pris la liberté de leur en parler. De toute façon, tu n'aurais jamais accepté que je leur dise quoi que ce soit si je t'avais demandé ton avis donc... Bref, tout ça pour dire que tu n'as plus besoin de faire semblant avec eux non plus, d'accord ? Tu me promets de faire un effort ?
— OK, lâchai-je.
Bizarrement, je n'arrivais pas à lui en vouloir, j'étais même soulagé qu'elle leur en ait parlé, parce que j'aurais personnellement été incapable de le faire. Avec tout le mal qu'elle se donnait, je ne pouvais qu'acquiescer. Kate sourit, une fois de plus, ravie de son effet. Puis elle m'indiqua le papier d'un coup de tête pour que je reprenne ma lecture. Ils m'avaient inscrit dans un cours de boxe thaïlandaise, à mi-chemin entre Londres et Reading, dans le club de sport d'Ethan. Je fronçai le nez, réticent. De la boxe, sérieusement ? Avec tout ce qui s'était passé ces derniers temps, je n'étais pas certain qu'une dose de violence supplémentaire soit une si bonne idée que ça.
— Je ne sais pas si...
— Oh, allez Will, arrête un peu ! me coupa Katty sans vergogne. Ça va te permettre de te défouler ! Ethan sera hyper content de t'avoir avec lui, il n'arrête pas de se plaindre qu'il s'ennuie tout seul. Il est à deux doigts de tout lâcher alors qu'il a déjà payé pour l'année entière ! Tu vas vraiment le laisser gaspiller tout son argent sans bouger le petit doigt ? Et puis, notre offre n'est pas remboursable, ça ne serait vraiment pas cool de ta part de refuser, pas cool du tout ! Tu n'auras qu'à imaginer la tête de quelqu'un que tu détestes pendant que tu cogneras ! Je te permets même de m'imaginer moi, pour te venger, si tu acceptes d'essayer ! Je peux même t'offrir un punching-ball avec ma face collée dessus si ça peut te dérider ! »
Je levai les yeux au ciel, avant de lui spécifier que je n'avais aucune raison de me venger d'elle. Bien au contraire. Kate était mon point d'ancrage. Elle se battait continuellement contre vents, marées, et mon tempérament de chien pour m'aider. Alors je finis par accepter son cadeau, la rendant plus heureuse et fière d'elle que jamais. Mais, bien évidemment, une fois sur le ring, ce ne fut pas elle que je m'imaginai massacrer.
Antoine devint, étrangement, ma source de motivation principale. Je ne ratai aucun cours, me perfectionnant dans mon défouloir du mieux que je le pouvais. Je donnais le meilleur de moi-même en me disant qu'un jour, peut-être, j'aurai réellement l'occasion de l'éclater. Et, ce jour-là, je ne lui ferai pas de cadeau. Bonne motivation ou pas, ça me permettait de continuer à me battre. Ainsi Katty avait eu raison, elle avait eu raison d'insister. Le sport me faisait un bien fou, c'était mieux qu'une thérapie professionnelle, l'alliance parfaite d'avec les cours dans lesquels je continuais de me plonger aveuglément le reste du temps. Avec tout ça, j'arrivais à subsister malgré le trou béant qui avait élu domicile dans ma cage thoracique.
(1) Angl. Trad : fossettes. Surnom anglais.
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Pleurer fait parti d'un processus de reconstruction. C'est humain, ce n'est pas dégradant. Tout le monde pleure. Accepter d'avoir mal, accepter de l'aide, accepter ses émotions sont de véritables forces. Cela fait peur, quoi qu'on en dise, n'en ayez jamais honte, ne culpabilisez jamais d'être peiné.
Lily <3
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