Chapitre 4
Falkas, confortablement assis, s'apprêtait à envoyer une missive aux autres Mémoires de la capitale, quand quelqu'un frappa à sa porte, attendit quelques secondes, puis l'ouvrit. Asine passa sa tête par l'ouverture.
- Falkas, les étudiants sont arrivés et ils t'attendent.
Voyant que le vieil homme ne réagissait pas, elle l'appela doucement. Il lui arrivait souvent se s'endormir devant des manuscrits trop longs, mais cette fois-ci, il semblait extrêmement concentré.
- Falkas, tu m'entends ?
Le Mémoire releva la tête et vit enfin la secrétaire.
- Excuse-moi, tu disais ?
- Les étudiants, Falkas, les étudiants ! répéta-t-elle en secouant la tête.
Le visage du vieillard s'éclaira :
- Ah, oui ! Les étudiants ! J'arrive dans deux minutes, le temps de finir cette satanée lettre.
La jeune femme s'en alla donc, laissant Falkas seul. Celui-ci suspendit sa plume quelques secondes puis expira un grand coup et la reposa dans l'encrier. Il se leva à grand peine et sortit de la pièce. A l'extérieur, un grand brouhaha l'accueillit.
Il y avait là de nombreux étudiants, tous d'une vingtaine d'années, qui conversaient bruyamment entre eux. Cependant, dès qu'ils le virent, ils se turent et un lourd silence s'installa. Le vieil homme s'avança à leur rencontre, tandis que leurs professeurs faisaient de même. Ils échangèrent ensuite les banalités d'usage tout en se serrant la main avec déférence. Le Mémoire tourna la tête vers le groupe. Quand leurs regards se croisaient, les jeunes gens préféraient baisser la tête, par respect ou par crainte de l'offenser. Voyant cela, Falkas prit la parole :
- Voici donc la promotion de cette année !
Il se mit à effectuer des aller-retours devant les étudiants, comme un général inspectant ses troupes. Quand il sentit que chacun l'écoutait attentivement, il reprit :
- Il y a de cela des centaines d'années, le Collège de Mémoire fut créé. Jusque-là je ne vous apprends sans doute rien, n'est-ce pas ?
Personne ne fit mine de répondre, considérant la question comme purement rhétorique.
Falkas eut un léger sourire en coin et répéta plus fort :
- N'est-ce pas ?
Ils s'écrièrent tous avec verve :
- Non, Mémoire !
Comme il adorait taquiner les étudiants ! Chaque année, c'était la même chose ! Encore une partie intéressante de mon travail, se dit-il.
- Bien, je vois que vous me suivez. Jusque-là tout va bien.
Il s'arrêta net devant un élève :
- Toi ! Peux-tu me dire à quoi sert le Collège de Mémoire ?
Le jeune homme en question commença par bafouiller, mais, voyant les traits de son aîné se durcir, il se reprit bien vite.
- Le Collège a été créé pour réduire la fréquence des Pertes, proposa-t-il.
Falkas se tourna vers le reste du groupe, le visage radieux. Les élèves, ne sachant comment interpréter cela, demeurèrent silencieux.
- Faux, énonça simplement Falkas. A ton tour, continua-t-il en avançant vers une jeune étudiante alors que l'autre baissait la tête, rouge de honte.
Elle sembla réfléchir intensément puis :
- Le Collège de Mémoire sert à étudier les perturbations de mémoire survenant suite aux phénomènes de Perte, Mémoire.
Falkas se contenta de hocher là tête :
- C'est déjà mieux, mais toujours pas suffisant. Quelqu'un d'autre ?
Un professeur, tête haute, regard hautain, s'avança. Falkas se souvenait de lui, Sarogar. Il avait déjà essayé de semer le trouble parmi les étudiants en le critiquant ouvertement les années précédentes.
- Le Collège sert à former de nouveaux Mémoires afin de remplacer ceux qui ne sont visiblement plus capables d'occuper ce poste, et qui feraient mieux de laisser leur place à plus compétents, alors qu'ils s'enorgueillissent et répugnent à perdre une telle position.
Il eut un sourire narquois, visiblement satisfait de lui-même. Ce même sourire s'effaça rapidement quand il vit l'orage qui menaçait d'éclater dans les yeux du Mémoire.
Falkas serra les poings et les ouvrit plusieurs fois avant de reprendre la parole. Des murmures commencèrent à circuler parmi la foule.
- Serait-ce une menace ? Car si c'est le cas, cher professeur, je serai obligé de faire un rapport au Collège, qui pourrait bien conduire à la perte de votre cher travail, au vu de vos précédentes infractions.
Le visage de l'autre blanchit d'un coup, et Falkas choisit d'enfoncer encore le clou. Il se tourna vers les élèves :
- Voyez-vous, cet homme qui vous sert de professeur est justement très mal placé pour parler d'aptitude et de compétence. Après avoir échoué trois fois au concours de Mémoire, il s'est rabattu sur l'instruction, afin de former des élèves encore plus mauvais que lui. Je vous donne là un conseil. Ne le laissez pas détruire votre avenir par orgueil. Vous valez beaucoup mieux que ça.
Les murmures se turent, avant que le professeur, n'en pouvant plus, laisse éclater son indignation. Son visage passa d'un coup du blanc au rouge :
- Je ne laisserai pas un vieux sénile proférer de telles calomnies !
Il eut un geste insultant, puis s'en alla à grandes enjambées, ruminant contre le Mémoire qui lui avait fait perdre la face devant tous ses élèves.
Les autres professeurs, quant à eux, se contentèrent de fixer plus intensément Falkas, certains acquiesçant même à ses propos.
- Bien. Après cette courte interlude, nous allons pouvoir commencer la visite. Veuillez me suivre s'il vous plaît.
Alors que le groupe commençait à se mettre en route, un jeune étudiant se fraya un chemin et apostropha le vieil homme :
- Et la réponse ?
Falkas s'arrêta, puis se retourna et la foule l'imita :
- Plaît-il ?
- À quoi sert véritablement le Collège ?
Le Mémoire eut un grand sourire :
- Bien ! Très bien ! Prenez tous exemple ! Lui, au moins, il suit ce que je dis ! D'ailleurs, je pense que ce jeune homme a parfaitement compris à quoi sert le Collège, je me trompe ?
- Je dirais que le Collège permet d'apprendre à prévoir une Perte, et à limiter ses dégâts, autant que possible.
- Excellent ! Falkas se mit à applaudir bruyamment, ce que tous les étudiants et professeurs s'empressèrent de reproduire, à la grande confusion de l'élève. Quel est ton nom, mon ami ?
- Eriel, Mémoire.
- Et bien, Eriel, je te félicite. Tu viendras me voir à la fin de la visite si tu veux bien.
Tous les yeux étaient rivés sur le vieil homme et sur Eriel. Finalement, celui-ci se contenta de hocher la tête et le groupe, guidé par le Mémoire, reprit sa progression. Au fil des longs et froids couloirs, ils arrivèrent devant les immenses portes de la Bibliothèque. Les étudiants conservaient une attitude respectueuse qui fit plaisir à Falkas. Il prit alors la parole, brisant le silence.
- Nous voici donc arrivés à l'une des plus importantes salles de l'Empire. Ici est rangé, classé et étudié tout le savoir d'Orepale. Si vous vous posez une question, la réponse est derrière ces portes.
En disant cela, il tendit les bras et poussa sur les lourds battants qui pivotèrent dans un silence absolu. Devant eux, de gigantesques rayonnages, remplis de parchemins et de grimoires, semblaient s'étendre à l'infini, montant sur des dizaines et des dizaines de mètres jusqu'à atteindre une voûte décorée de splendides peintures. La scène était éclairée par une lumière chatoyante qui tombait au travers d'un nombre incalculable de vitraux de toutes les couleurs possibles et imaginables.
Comme toujours en voyant ce spectacle, Falkas laissa échapper un soupir d'admiration.
C'est à ce moment précis que la salle explosa.
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