҉

 Quatrième vacances.
Soobin jeta un regard à sa montre tout en se dandinant d'une jambe sur l'autre. C'était le grand jour. Enfin, le jour qu'il avait attendu depuis des mois. Trois mois. Trois mois, ce n'était rien, il avait essayé de s'en convaincre. Il avait essayé de s'en convaincre à chaque message qu'il recevait de Taehyun. Ils avaient été bavards depuis leurs dernières vacances. Ils habitaient dans la même ville, dans deux secteurs bien éloignés, mais se voir avait relevé du casse-tête : et ils s'étaient contentés de simples échanges par message. C'était idiot, Soobin s'était fait la réflexion de nombreuses fois qu'ils auraient pu forcer la chose, et qu'étrangement, cela les arrangeait bien de ne pas se voir en dehors des vacances. Il se souvenait de cette fois où ils avaient passé la nuit au téléphone. C'était le soir de son anniversaire, date qu'il avait fini par apprendre en fouinant sur les réseaux sociaux.

Et maintenant qu'il trépignait en attendant son train, il comprenait : il n'y avait rien de plus plaisant que de le revoir après une longue attente. Soobin s'était arrangé pour arriver la veille, et avait insisté pour aller le chercher de nouveau. Sa grand-mère lui avait jeté un drôle de regard en partant, et même si Soobin savait que cela lui faisait très plaisir de revoir à nouveau Taehyun, il se demanda si, de son côté, elle ne commençait pas à avoir quelques doutes sur la nature de leur relation.

– SOOBIN !

La voix de Taehyun l'arracha à ses pensées, et son visage s'illumina en voyant l'autre garçon s'avancer vers lui, une main dans la poche de son jean clair, l'autre tirant sa valise marine. Taehyun avait de nouveau ses cheveux rouge flamboyant, comme au premier jour, et Soobin nota le retour de ses piercings aux oreilles. Il lui lança un sourire radieux, que Soobin lui rendit immédiatement. Fidèle à lui-même, Taehyun fit rouler sa valise vers lui, le regard brillant, avant de s'écrier :

– Tenez mon brave ! Allez donc charger mes affaires dans le coffre de votre voiture !

Il éclata de rire, et eut envie de le serrer dans ses bras quand il fut enfin à sa hauteur. Au lieu de quoi, il l'étreignit brièvement, non sans sentir son cœur battre un peu plus vite.

Ce fut seulement une fois dans la voiture que Taehyun retrouva son visage sérieux.

– Tu m'as manqué, murmura-t-il en s'attachant.

Un petit sourire aux lèvres, Soobin s'apprêta à lui répondre quand une main se posa sur la sienne.

– Ça aussi d'ailleurs.

Il regarda un petit instant leurs deux mains entrelacées sur le levier de vitesse et du prendre sur lui pour briser l'instant de leurs retrouvailles.

– J'ai... Besoin de mes deux mains pour conduire...

Taehyun lui lâcha la main immédiatement.

– Et tu m'as manqué aussi.

Son air froid se dissipa légèrement, et Soobin sut que l'affaire était gagnée. Soobin lui demanda des nouvelles de sa sœur, nouvelles qui s'avérèrent vraiment bonnes. Taehyun avait les yeux brillants quand il parlait d'elle, et Soobin était bien incapable de passer à côté de tout l'amour qu'il éprouvait pour elle. Sa sœur était son rayon de soleil, celle pour laquelle il se levait chaque matin. Il savait que venir ici lui coûtait à chaque fois, bien que Taehyun parvenait à s'en dissuader. Soobin s'était à nouveau cassé les méninges pour l'inviter à la campagne sans qu'il ne s'y sente forcé, et surtout, sans qu'il se sente coupable de laisser quelque temps sa petite sœur derrière lui. Ce n'était que deux petites semaines, mais il savait que pour lui, c'était déjà énorme.

Sa grand-mère insista pour monter ses bagages dans sa chambre, et insista aussi pour installer le futon de Taehyun, ce que Soobin n'avait pas pris la peine de faire. Elle resta un long moment dans la chambre avec eux, pour lui demander des nouvelles de sa famille, et Soobin prétexta une envie soudaine pour les laisser que tous les deux. Quand il revint dans la chambre, Taehyun était enfin seul, et un drôle de sourire naquit sur son visage.

– Ta grand-mère veut nous voir en bas pour l'aider à faire son kimchi !

Soobin s'en fichait pour le moment de son kimchi. Ce qui importait, c'était Taehyun qui venait de le prendre dans ses bras pour de vrai cette fois-ci.

– Bon sang j'ai eu envie de faire ça depuis que je suis arrivé, marmonna-t-il la tête sur l'une de ses épaules.

Les mains de Taehyun se crispèrent légèrement dans son dos, et Soobin n'eut plus du tout envie de le laisser repartir.

– T'as encore grandi ou c'est moi ?
– Taehyun, j'ai arrêté de grandir au lycée, rigola-t-il.
– T'es juste immense et je ne m'en remets jamais alors.

Ils se décollèrent légèrement, et Taehyun planta ses prunelles sombres dans les siennes, un sourire aux lèvres.

– Je peux t'embrasser ?
– Tu sais que tu n'es pas tout le temps obligé de me demander, hein ?

Mais voyant qu'il attendait tout de même une réponse, il feignit l'exaspération et poussa un soupir qui sonnait faux et fit rigoler le garçon toujours dans ses bras.

– Évidemment que -

Sa réponse se noya dans la bouche de l'autre garçon et Soobin eut l'impression de revivre. Taehyun lui avait manqué, pour sûr, mais il n'avait pas imaginé à quel point ses baisers aussi.

҉

Soobin était persuadé que sa grand-mère se doutait de quelque chose. Il sentait bien les regards qu'elle leur lançait, à l'un puis à l'autre. Mais Taehyun était un brillant comédien, Soobin savait que cela était en réalité dû à une relation houleuse et compliquée, et ne laissait rien paraître. Soobin, lui, ne savait pas vraiment sur quel pied danser. Il n'avait rien dit à sa grand-mère, car il n'y avait rien à dire : ni Taehyun ni lui n'avait mis de mots sur leur relation qui avait doucement évolué pendant les dernières vacances. Il connaissait la société dans laquelle sa grand-mère avait grandi, il se doutait de son point de vue sur ce genre de relation, et refusait de se confier sur sa relation naissante.

Taehyun avait ramené tout plein de choses de Séoul pour elle, et en un rien de temps, la vieille femme se retrouva à rire à ses côtés, et Soobin se sentit mieux : Taehyun avait un don pour se la mettre dans la poche. Sa grand-mère l'adorait, il le savait, et c'était une raison de plus pour qu'elle ne sache rien. Il lui parla longuement de ses études, discussion que Soobin n'écouta que d'une oreille distraite, car il était déjà bien au courant de ce que vivait Taehyun à Séoul. Son cadre scolaire l'étouffait, et il avait l'impression de se noyer peu à peu.

Sa grand-mère les raccompagna jusque dans la chambre, geste que Soobin trouva immédiatement suspect. Taehyun s'installa sur le futon, Soobin dans son lit, et elle leur lança un dernier regard rempli d'amour avant de refermer la porte. Il eut un petit moment de flottement, pendant lequel aucun des deux garçons ne sembla respirer, ou ne prit la parole. Puis, dès que les bruits de pas dans l'escalier se firent entendre ils soupirèrent en cœur.

– Bizarre hein ?
– Bizarre.

Et dans la minute qui suivit, Taehyun s'était glissé à ses côtés sans un bruit. Soobin aima beaucoup ce moment. Il aima l'avoir contre lui – Taehyun ne lui laissait jamais vraiment le choix – et papoter de tout et de rien, jusqu'à sentir le sommeil le gagner entièrement. Taehyun jouait avec ses cheveux, une jambe glissée entre les siennes, et lâcha un rire léger. Soobin haussa un sourcil avant de demander :

– Quoi ?
– Tu me regardes de manière étrange.
– Je me dis juste que tu es très beau.
– Arrête ça va ! On ne voit rien en plus.
– Je sais que tu l'es...
– Tsss, chut, tais-toi !
– Tu es moche.
– Eh !
– Tu ne veux pas que je dise le contraire, alors je -

Taehyun lui plaqua une main sur la bouche, et dans la semi-obscurité de sa chambre il distingua sans mal ses sourcils froncés.

– Ok, ok, j'accepte ton compliment.
– Il va falloir t'y faire, je veux t'en faire plein !

Taehyun souffla.

– Sauf si tu me dis, bien sûr, que lui aussi t'en faisait beaucoup et que tu as fini par y développer une allergie.

C'était toujours lui, ou bien l'autre. Il n'avait pas de nom, pas de visage pour Soobin, et il s'en moquait bien. Il était juste une bribe du passé de Taehyun, qui prenait bien trop de place par moment.

– Il n'en faisait jamais.

Peiné, Soobin effleura l'une de ses joues du bout des doigts, en essayant de lire dans son regard qu'il voyait très mal.

– Demain on ira au champ des arbres, il faut que tu voies leurs fleurs. Elles sont magnifiques cette année, souffla-t-il pour changer de sujet.

Taehyun acquiesça, sans souffler mot, et Soobin sut que le temps était venu de laisser le sommeil les emporter tous les deux.

҉

– Tu vas nous faire tomber !

Taehyun riait aux éclats juste derrière lui. Il n'avait pas pris la peine de prendre son propre vélo ; monter derrière celui de Soobin ne lui posait plus aucun problème. Soobin donna un nouveau coup de guidon un peu trop sec qui manqua de les faire déraper et Taehyun hurla avant d'éclater de rire à nouveau. Il était heureux, cela s'entendait, et Soobin ne comptait pas lui faire perdre sa bonne humeur de si tôt. Quand ils arrivèrent près des champs, Soobin accéléra un peu, pressé de retrouver le coin qu'ils aimaient bien tous les deux. Il était désert, pour son plus grand bonheur. Il déposa son vélo contre le tronc d'un des arbres, avant de s'étaler par terre de tout son long. À cette période l'année, l'herbe était encore douce et agréable au toucher. Elle était confortable, ses odeurs étaient encore fraîches, et sa couleur nullement fanée par un soleil trop envahissant.

– Ouah...

Taehyun se laissa tomber à genoux à ses côtés, le nez en l'air. Les arbres avaient fleuri bien plus vite que l'an passé. Soobin trouvait les fleurs bien plus nombreuses. Elles formaient un véritable abri de pétales les protégeant des rayons timides du soleil. Soobin avait les yeux rivés sur ces dernières, un sourire aux lèvres, heureux d'être là avec lui. Taehyun s'allongea à son tour, sans cesser de commenter ce qu'il voyait un peu partout au-dessus de sa tête.

– Tu sais, je suis vraiment heureux d'être de retour ici, lui lança-t-il.

À tâtons, Soobin glissa sa main dans la sienne. Il le sentait, Taehyun semblait être comme sur un petit nuage depuis qu'il avait remis les pieds chez sa grand-mère. En l'entendant éternuer, il se redressa sur un coude, inquiet.

– Si c'est maintenant que tu m'avoues être allergique au pollen, je vais me sentir sacrément con.

Taehyun éclata de rire, s'étouffant à moitié de par sa posture allongée et Soobin plissa les yeux, méfiants. Autour d'eux, un vent léger venait de se lever.

– Non, non ne t'en fais pas !

Taehyun leva une main pour la glisser derrière sa nuque, et l'attira vers lui, le regard brillant.

– Tu sais, la première fois que je t'ai vu ici, je me suis demandé ce que cela ferait de t'embrasser sous ces arbres.
– C'est le moment de répondre à cette interrogation je crois...

Soobin comptait tous leurs baisers, ne voulait en oublier aucun, comme si chacun d'entre eux avait une véritable importance. C'était peut-être son âme de rêveur qui lui faisait faire des choses aussi absurdes, mais il s'en fichait. Tous les baisers échangés avec Taehyun étaient différents. Il y avait les furtifs, dans le garage de sa grand-mère, quand elle avait le dos tourné. Il y avait les légers, juste avant de s'endormir, les préférés de Soobin. Il se souvenait de celui échangé dans la voiture, lors des dernières vacances, juste avant que Taehyun ne file en gare prendre son train. C'était le premier où ils s'étaient un peu emportés, et Soobin avait donné un coup de klaxon qui les avait rendus sourds tous les deux, avant d'éclater de rire. Et il y avait celui-là, sous les arbres. Le premier, accompagné d'une brise légère qui annonçait le retour des beaux jours, et des pétales qui tombaient des arbres. C'était le premier aussi qui lui donnait ce drôle de se sentiment d'être inarrêtable, invincible. Peut-être parce qu'ils s'embrassaient pour la première fois dehors, et que le lieu était important à leurs yeux. Ou peut-être parce que Taehyun avait changé sa manière de l'embrasser. Ou bien parce que lui-même avait bien plus d'assurance que les autres fois.

Quand Taehyun se redressa légèrement, et qu'il insista pour continuer encore un peu, ce dernier lâcha un drôle de rire.

– Soo, je commence à avoir trop chaud.
– On peut aller se baigner si tu veux ? Elle sera un peu fraîche mais -
– Non, j'veux dire, faut que tu me lâches, j'ai vraiment chaud.
– Oh.
– Ouais.

Un peu maladroitement sans doute, il le repoussa, et Taehyun roula sur lui-même, avant d'éclater de rire pour de bon cette fois-ci.

– Quel tact !
– Pardon ! Je ne pensais pas que tu, enfin... Que je t'avais poussé si fort !

Taehyun continua de se bidonner, plié en deux, et Soobin le regarda, presque déçu.

– J'ai tout gâché !

Taehyun ria encore plus fort.

– Mais arrête ! Je suis vraiment un petit ami en carton...

À ces mots, le garçon aux cheveux rouges arrêta immédiatement de rire. Il y eut un léger battement, pendant lequel Soobin se demanda ce qu'il avait fait ou dit de mal, avant de réaliser.

– Oh, je...

En face de lui, Taehyun le regardait la bouche pincée, les yeux légèrement plissés.

– Les mots ont dépassé ma pensée, se justifia-t-il.
– Ah ouais ?
– Arrête Taehyun je... Je ne sais pas quoi penser quand tu fais cette tête-là.

Il le regarda épousseter ses vêtements sans rien dire, et tendit une main vers lui, effleurant le bas de la veste légère qu'il portait. D'une petite voix, il demanda :

– Tu veux que l'on rentre ?

Déjà ? Avait-il envie de rajouter. Il n'en avait aucune hâte. Il voulait encore rester là longtemps, allongé dans l'herbe sans jamais que personne ne les dérange, à l'abri des regards. Il n'aimait pas meubler les blancs qu'il y avait entre eux. Il n'était jamais à l'aise dans ce genre de situation quand Taehyun se braquait, et ne disait plus rien. Il savait très bien pourtant que, de son côté, le garçon aux cheveux rouges ne faisait que cogiter.

– Non, non, on peut rester là.

Soulagé, il le vit se rasseoir, puis se rallonger à ses côtés et sentit sa main se glisser à nouveau dans la sienne.

– J'ai été pris au dépourvu.
– Je ne le dirais plus si cela te gêne...
– Ça ne me gêne pas Soo', vraiment. C'est juste que... Je ne sais pas, ça m'a fait tout drôle, c'est tout.
– Tu sais Taehyun, si c'est encore à cause de -
– Arrête Soobin.
– Tu peux m'en parler franchement. Je ne vais ni me vexer, ni me sentir jaloux. J'ai compris depuis le temps que tu avais été dans une relation qui s'est mal terminée, et si tu as besoin d'en parler, de vider ton sac ou que sais-je, tu peux. Je sais écouter.
– Ta plus grande qualité, souffla Taehyun.

Soobin laissa échapper un rire léger.

– Je... Je ne sais pas trop quoi te dire. Au lycée, j'étais vraiment différent. L'état de ma petite sœur me préoccupait beaucoup, je ne pensais qu'à ça. Et un jour, il a débarqué dans ma vie sans que je m'y attende. J'en suis tombé raide dingue.

Soobin sentit son cœur battre un peu plus vite, mais se concentra sur la fleur au-dessus de leur tête qui menaçait de lâcher sa branche.

– C'était un peu idiot, mais il avait un côté très rêveur, un peu comme toi, qui m'a tout de suite captivé. Il chantait, il rêvait de voyage, et il avait un rire qui me faisait tout oublier. Dans un premier temps, je ne voyais plus que lui. Je lésinais tout le reste, jusqu'à mes études. Il était ma première relation, moi qui ne pensais pas en avoir avant la fin de mes études. Et puis, ma sœur a commencé à montrer des signes de faiblesse. J'étais avec lui, le week-end où elle a terminé en urgence à l'hôpital. Je n'avais pas décroché mon téléphone du week-end.

Sentant sa voix trembler légèrement, Soobin resserra légèrement sa main sur la sienne.

– Quand je suis rentré, et que je l'ai appris, j'étais mortifié. Par la suite, j'ai essayé d'être davantage là pour ma sœur. Cela faisait plusieurs mois que nous nous fréquentions, je pensais que tout irait bien mais au final, je me suis surtout rendu compte d'une chose ; il n'assumait rien du tout. Je lui en demandais sans doute trop, avec le recul, je me dis qu'il n'était pas le seul fautif de la destruction lente mais certaine de notre couple. Je me suis réfugié auprès de ma sœur, on est devenu distant. On se voyait au lycée, bien sûr, mais juste comme de simples camarades de classe. À côté, c'était toujours la même chose, froid et distant. Il faisait tomber les barrières uniquement dans sa chambre, et rien de plus. Et puis un jour, il a estimé qu'il en avait assez. Je repartais de chez lui après une soirée que j'avais pourtant adoré, la première depuis des semaines. Le jour de mon anniversaire, qu'il avait oublié, il m'a annoncé que tout était fini.
– Taehyun je -
– J'ai dû chialer toute la nuit. J'étais énervé, j'avais l'impression qu'il venait de piétiner toute ma fierté, et j'ai voulu qu'il lui arrive les pires horreurs. On ne s'est plus parlé, ni côtoyé après ça. Il a continué sa vie de son côté, et moi du mien.
– Je suis désolé...
– Ne le sois pas. J'ai appris de mes erreurs je suppose ?

Soobin se redressa sur un coude pour plonger son regard dans le sien, et passa une main dans ses cheveux flamboyants, un sourire apaisé sur le visage. Taehyun le dévisagea un instant, comme s'il s'attendait à une quelconque remontrance. Il aurait pu passer des heures à regarder son visage perplexe, à se dire à quel point il le trouvait beau, avec cette luminosité printanière. C'était d'ailleurs la première fois qu'il se faisait cette réflexion : il avait toujours trouvé beaux ses cheveux, ses yeux, les minuscules taches de rousseur qui apparaissaient lors des grandes chaleurs. Mais il ne s'était jamais fait la réflexion que Taehyun était tout simplement beau.

– Soobin ?

La main dans ses cheveux rouges s'était figée, et il posa son front contre le sien. Sous lui, Taehyun semblait avoir cessé de respirer.

– Merci de m'avoir raconté tout ça.
– Je ne voulais plus que ça t'inquiète.
– Que ça m'inquiète ?
– Je le voyais à chaque fois Soobin.
– De quoi ?
– Ton regard triste. Et je n'aime pas le voir chez toi.

҉

– Ta grand-mère va se douter d'un truc, rigola Taehyun.
– Penses-tu... Tant que nous lui ramenons ce qu'elle nous a demandé, où est le souci ?
– Peut-être le fait que cela fait une heure que nous sommes là ?

Soobin pouffa et redressa la tête pour regarder autour d'eux. Le champ aux arbres était désert, comme à chaque fois qu'ils s'y rendaient après une virée en ville. Ils s'inventaient des excuses de chemins à chaque fois, de retard de livraisons, de pneus dégonflés... Et sa grand-mère n'y voyait que du feu. Du moins, Taehyun et Soobin en étaient persuadés. Soobin effleura ses mèches rouges et esquissa un sourire en y extirpant un pétale qui venait de s'y loger.

– Celui-là je le garde.

Taehyun souffla, et leva les yeux au ciel.

– Tu vas en faire quoi ?
– Le garder précieusement ? Comme un souvenir ?
– Juste parce qu'il a touché ma tête ?
– Exactement.
– Soobin, tu es magique.

Ils s'embrassèrent encore longuement avant de se décider à prendre le chemin du retour. Ni l'un ni l'autre ne firent attention au petit couple qui s'éloigna prestement en les ayant remarqués allongés sous les arbres.

En cette nouvelle fin de journée, l'excuse du vélo cassé prit encore auprès de sa grand-mère. Soobin l'aida à préparer le regard, guilleret, ce que remarqua immédiatement sa grand-mère que ne manqua pas de lui glisser à quel point il semblait radieux. Elle lui passa une main dans les cheveux, dans ce geste maternel qu'elle avait gardé avec lui depuis sa plus tendre enfance, et le remercia pour son aide.

    Ce soir-là, elle insista pour ouvrir une bouteille de soju. Taehyun ne buvait pas, ou très peu, et Soobin était sur la même longueur d'onde que lui, mais devant les yeux larmoyants de sa grand-mère, ils se décidèrent tous les deux à lui faire plaisir. Ils trempèrent à peine leurs lèvres, faisant mine d'aimer ce breuvage beaucoup trop fort pour leur gosier. Le reste de la soirée lui sembla... Surréaliste.

– Soobin, tu crois qu'elle... Nous comprend encore ?

Les yeux ronds, Soobin dévisagea sa grand-mère, debout devant son vieux poste de télévision, qui chantait aussi faux que lui devant son chanteur favori.

– Elle va bien finir par comprendre que c'est une rediffusion et qu'il est mort l'an dernier, souffla Soobin.

Mais, ivre, elle continuait de clamer ses louanges et de scander les paroles de ses chansons qu'elle connaissait par cœur. Devant ce spectacle aussi drôle qu'affligeant, ils peinaient à contenir leur fou rire.

– Grand-mère, tu devrais...

Taehyun lui agrippa la manche, secouant la tête.

– Laisse-la, elle est bien trop à fond.

Et enfin, ils éclatèrent de rire, aussitôt imité par sa grand-mère. La suite fut chaotique. À la fin de la rediffusion du concert, elle fondit en larme, les deux mains posées à plat sur l'écran de sa télévision. Avec de grandes difficultés, Taehyun l'en sépara, et Soobin essaya de lui faire entendre raison, et d'aller la coucher. Ce fut en l'accompagnant dans sa chanson qu'ils parvinrent à la mettre au lit, tout en s'assurant d'avoir déposé une petite bassine au pied de son lit, juste au cas où. Ils restèrent jusqu'à ce qu'elle tombe dans les bras de Morphée, non sans leur avoir chanté le répertoire tout entier de cet homme qu'elle admirait tant.

– Purée..., souffla Taehyun.
– Tu chantes faux toi aussi.

Il lui donna un coup de coude, faussement vexé.

– Tu peux parler...
– Nous étions trois casseroles, rigola Soobin.
– Tu crois qu'on reste là pour la surveiller ?
– Ça devrait aller, non ?
– J'en sais rien. Elle a l'air bien là.

D'un commun accord, ils restèrent une dizaine de minutes de plus, avant de monter pour regagner sa chambre.

– J'ai cru que cette soirée n'allait jamais finir, lui lança Taehyun en enfilant le large tee-shirt qu'il portait pour la nuit.
– À qui le dis-tu...

Ils se glissèrent dans son lit, épuisés par leur fin de journée qui avait pris un mouvement si inattendu.

– Dis, il est où mon pétale ?
– Tu y tiens on dirait, rigola Soobin. Il est sous un livre, je voudrais l'aplatir !

Visiblement satisfait de sa réponse, Taehyun étendit le bras pour éteindre la lampe de chevet, et se blottit contre lui, un bras autour de sa taille. Alors qu'il sentait le sommeil commencer à le gagner, il le sentit l'embrasser dans le cou, et esquissa un sourire amusé. Il ne présenta aucune opposition, aussi, Taehyun répéta son petit manège plusieurs fois, sans toutefois devenir plus insistant. Il sentit la main sur sa taille se crisper davantage, sa jambe calée entre les siennes remonter légèrement, et laissa échapper un rire léger, presque inaudible.

– Taehyun, sérieux ? Maintenant ?
– Tu souhaites que j'arrête ?

Soobin ne répondit rien. Au fond, non, il ne voulait pas qu'il cesse. Taehyun savait rendre chaque moment qu'ils passaient tous les deux agréable, et pour rien au monde, il ne souhaitait briser cet instant.

– Un seul mot, et je te fiche la paix, souffla-t-il dans son cou.

Soobin laissa s'échapper un rire presque nerveux.

Comment avais-tu pu passer du garçon se comportant si mal avec moi l'été dernier, à ça ? Les yeux rivés sur le vieux plafond au-dessus de sa tête, les pensées de Soobin bouillonnaient à l'intérieur de lui. Il revoyait Taehyun débarquer ici même, sa grosse valise derrière lui, sa paire de lunettes de soleil sur le nez, et ses cheveux rouges qui avaient immédiatement capté son attention. Il entendait encore son « bonsoir », froid et distant. Il le revoyait le rembarrer minute après minute, souffler après chacune de ses prises de parole. Son cœur se serra rien qu'en y repensant. Taehyun avait été odieux. Et Soobin se demanda pourquoi tous ces mauvais souvenirs qu'il avait tout simplement décidé d'ignorer pendant des mois, revenaient tout d'un coup à la surface.

Une main froide s'invita sous le tissu doux de son tee-shirt et l'arracha à ses pensées, aussi vite qu'il s'y était plongé. Taehyun avait glissé une main sur son torse sans cesser de l'embrasser, et au moment où Soobin voulut lui signifier de s'arrêter là, il captura ses lèvres pour la première fois de la soirée. Il l'emporta dans un baiser délicieux et il ne répondit plus de rien. Les souvenirs de leurs échanges dans le champ aux arbres lui revinrent en mémoire, et lui firent grimper le rouge aux joues. Taehyun l'embrassait avec cette même fougue qui les avait fait s'embraser tous les deux, la pudeur due au lieu public en moins. L'envie de lui rendre la pareille le submergea, et il s'autorisa à son tour à partir à la découverte du corps le surplombant.

– Soobin... Ta grand-mère...
– Elle est KO, en plein sommeil très profond...

Taehyun laissa échapper un petit rire. Et puis, c'est toi qui as commencé... Avait-il envie de rajouter. Mais Taehyun ne lui en laissa pas l'occasion. Ils n'avaient jamais été si entreprenants l'un envers l'autre les autres soirs. En temps normal, c'était Taehyun qui l'embrassait, juste un peu, qui se blottissait contre lui, et il n'y avait rien de plus que Soobin qui le laissait faire, trop heureux de l'attention qu'il lui portait. Ils n'avaient jamais réellement osé se toucher, jusqu'à ce soir. Ce n'était pas tant pas peur ou appréhension de la chose, mais l'envie ne les avait encore jamais pris.

Il lui sembla que Taehyun avait davantage d'expérience que lui, alors il le laissa faire, attendri par les regards qu'il lui lançait, les mots doux qu'il lui murmurait au creux de l'oreille. Et soudain, il se demanda s'il avait été comme ça avec lui. C'était idiot. Taehyun avait eu des relations avant lui, tout comme lui de son côté. Il n'était pas la première personne avec qui il flirtait – bien qu'elles eussent été peu nombreuses – ni qu'il embrassait. Il en était de même pour Taehyun. Alors pourquoi ces questions lui venaient-elles maintenant ? Pourquoi ne parvenait-il pas à les ignorer ? Cette petite voix sournoise refusait de le quitter.

– Ça ne va pas ?

Soobin ne s'était pas rendu compte qu'au-dessus de lui, Taehyun avait suspendu tous ses gestes. Il le regardait, de ses yeux brillants, la bouche légèrement entrouverte et le souffle rapide.

– Si ?

Ce n'était pas l'intonation qu'il avait voulu donner à sa réponse. Taehyun plissa les yeux, et se laissa retomber à ses côtés en soupirant.

– Allez, il se fait tard.

Sonné, Soobin se redressa dans le lit pour lui lancer un regard confus. Taehyun venait de tout arrêter en un claquement de doigts, avant de se positionner pour la nuit.

– Attends, attends, qu'est-ce tu fabriques ?

Il le secoua légèrement une main sur son épaule.

– Je voudrais essayer de dormir, chuchota-t-il.
– T'es sérieux ? Maintenant ? Pourquoi on s'arrête ?

Taehyun se retourna, les sourcils froncés.

– Tu en avais marre, alors j'ai arrêté.
– Ne dis pas n'importe quoi !
– Tu ne me répondais plus.
– Hein ?
– Tu vois... Je te parlais, et toi, tu ne me regardais et ne me répondait même plus.
– Que... Non, je... J'étais juste ailleurs, j'ai...
– C'est pas grave Soobin.

Mort de honte, il le vit se retourner à nouveau, et commença à jouer avec ses doigts. Il resta une bonne minute à ne rien faire à ne rien dire, avant de tirer à son tour la couette sur lui, penaud. Lentement, il se rapprocha de Taehyun, et se blottit tout contre lui.

– Je peux ?
– Mmm.

Soulagé de ne pas se faire totalement rejeter, il resserra un peu plus fort son emprise.

– Taehyun ?
– Quoi encore...
– Je suis désolé. Je ne voulais pas tout gâcher.
– Idiot va...

En entendant une pointe d'amusement dans sa voix, Soobin sut que Taehyun ne lui en voulait nullement.

҉

Le lendemain matin, ils eurent le droit à toute une série d'excuses de la part de sa grand-mère. Amusés, mais surtout gênés de la voir ainsi, les deux garçons tentèrent de s'échapper rapidement de la maison. Ce fut sans compter la pluie battante qui décida de s'abattre en ce lendemain de soirée plutôt mouvementée. Dépités, ils prétextèrent devoir aller travailler dans leur chambre. Taehyun déballa bien vite ses affaires et se plongea sans aucun mal dans ses devoirs, alors que Soobin, de son côté, eut bien plus de mal. Son attention était davantage focalisée sur l'autre garçon, plutôt que les livres qu'il devait travailler. Il guettait le moindre de ses mouvements, sans cesser de se demander jusqu'où il aurait pu aller hier s'il n'avait pas tout magistralement foutu en l'air. Des images un peu trop osées et inappropriées naquirent dans son esprit, et Soobin les chassa rapidement.

– Soo ?

Il sursauta presque à l'entente de son surnom et lâcha le stylo qu'il avait coincé entre ses lèvres.

– Tu fais semblant de bosser, hein ?

Dépité, il baissa les yeux sur son livre, et sa feuille à carreau encore vierge de toute trace d'écriture.

– Moi aussi je n'arrête pas d'y penser.

Soobin ouvrit de grands yeux, faisant mine de ne pas comprendre. Taehyun leva les yeux au plafond.

– À hier soir. On a manqué une occasion.

Le visage cramoisi, et sous le regard impassible de Taehyun, Soobin toussota.

–Jesuisdésoléjen'aijustepaspum'empêcherdemecomparerc'estplusfortquemoijen'aiaucuneidéedepourquoij'aipenséàçaetaussiànotrepremièrerencontrepardon !
– Pardon ?

Se rendant compte qu'il n'avait pas articulé une seule fois en parlant, Soobin se reprit, plus calmement.

– J'ai paniqué, voilà tout.
– J'ai fait quelque chose de travers ?
– Non ! Tu sais comment je suis, en temps normal, j'arrive à rester serein en toute circonstance, mais là je... Je ne sais pas pourquoi, j'étais soudain obsédé par l'idée que tout devait bien se passer et j'ai paniqué, j'ai trop réfléchi...

En face de lui, le visage de Taehyun changea du tout au tout. Son expression presque contrariée laissa place à quelque chose de bien plus doux et aimant qui le rassura immédiatement. Quand il apposa une main sur sa joue, Soobin s'autorisa à fermer les yeux, rassuré par ce contact.

– Si tu savais comme je t'ai-
– Les garçons ?

La porte de la chambre s'ouvrit en grand, et immédiatement, Taehyun retira sa main. Soobin recula précipitamment, et sa grand-mère leur jeta un coup d'œil intrigué.

– Je venais vous dire que le jeune couple qui tient la pâtisserie m'a invité à boire le thé... Tout va bien ?
– O-oui.
– Vous voulez venir avec moi ?
– Nous avons encore beaucoup de travail, répondit Soobin précipitamment.
– Comme vous voulez. Vous savez où me trouver en cas de problème ! Je ne rentrerais pas tard !

Ils regardèrent la porte se refermer, et le cœur de Soobin se remit à battre de manière moins anarchique.

Ils attendirent encore une ou deux minutes avant d'esquisser le moindre geste ou de parler à nouveau, par peur qu'elle surgisse de nouveau sans prévenir.

– On a eu chaud, termina par souffler Taehyun.

Ils frôlaient la catastrophe de jour en jour, Soobin s'en rendait bien compte. Et soudain, il tiqua.

– Tu allais dire quoi ?
– Hein ?
– Taehyun, avant qu'elle ne rentre dans ma chambre, tu allais dire quoi ?
– Je ne sais plus.

Menteur ! Avait-il envie de hurler. Et Taehyun se remit à travailler comme si de rien n'était.

– Je descends, j'vais mater la télé, j'arrive pas à bosser.
– D'accord !

Il le laissa à contrecœur.

Sauf que Soobin fut incapable de se concentrer sur l'écran minuscule de sa grand-mère. Les émissions de l'après-midi étaient pathétiques, pleines de vieilles célébrités qu'il ne connaissait pas, de blagues limites et de spectacles grotesques. Il zappait sur la dizaine de chaînes qu'ils captaient avec difficultés, sans cesser de soupirer à chaque changement d'image. Il avait envie de monter, et de voir où en était Taehyun. Il avait envie de l'embrasser, comme hier soir, et de tout reprendre à zéro. Il n'était qu'à quelques mètres de lui, et il lui manquait déjà beaucoup trop, ce constat le fit soupirer encore plus fort. Il l'avait dans la peau. Il avait envie de lui.

– Putain Soobin tu crains, murmura-t-il à lui-même.

Il se renfrogna, et s'enfonça un peu plus entre les coussins du canapé, la télécommande toujours dans la main, à la recherche d'un programme un peu moins abrutissant que les autres.

– Tu regardes quoi ?

Il sursauta en voyant Taehyun au pied des escaliers : il ne l'avait pas entendu descendre.

– Je cherche un truc cool...
– Depuis quarante minutes ?

Quarante minutes ? Il cherchait et zappait d'émission en émission depuis quarante minutes ? Taehyun se glissa à ses côtés, posa sa tête sur l'une de ses épaules.

– Tu as réussi à avancer un peu dans ton boulot ?
– Plutôt oui, j'en suis satisfait. J'ai eu ma sœur au téléphone aussi, elle va bien, fit-il en souriant.
– Tant mieux !

Il zappa de nouveau, avant de laisser tomber la télécommande à côté de lui.

– Partant pour comater devant ce vieux chanteur grisonnant qui oublie les paroles de ses propres textes ?

Taehyun pouffa en guise de réponse, et passa un bras autour de sa taille, une jambe par-dessus les siennes. Soobin aurait menti en disant qu'il se sentait parfaitement à l'aise, mais n'osa rien lui dire. Taehyun semblait bien, et très captivé par l'écran, alors que lui peinait réellement à suivre. Son esprit était ailleurs, très loin de ce petit salon qui sentait bon la cuisine de sa grand-mère.

– Il chante faux, lâcha platement Taehyun.

Sa voix le ramena sur terre.

– Je vote pour le faux blond derrière, marmonna-t-il.

Taehyun était bien plus impliqué que prévu.

– Et toi ?
– Euh, je...
– J'te taquine, je sais que tu ne suis pas depuis tout à l'heure, tu baves la bouche ouverte.

Paniqué, il s'empressa de passer une main sur sa bouche, avant de constater qu'elle était sèche.

– Eh !

Taehyun était fier de sa blague, et lui déposa un baiser sur le nez en guise de pardon, avant de continuer à regarder son émission à la noix. Soobin ne trouvait ni le chanteur aux cheveux sombres, ni le faux blond talentueux. Il se fichait de cette émission qui le rendait ronchon. Taehyun lui grimpait dessus à mesure qu'il chantonnait en même temps que ces deux vieux croûtons, et son corps tout entier tirait la sonnette d'alarme.

– J'ai envie de toi.

Qu'est-ce que je viens de balancer !!

– Oh, tu connais la chanson ?
– Hein ?
– Tu viens de dire le titre !
– Je viens de... Ah.

Taehyun tendit le bras pour attraper la télévision, et alors qu'il pensait le voir monter le volume, ce dernier le baissa au minimum.

– Je te taquine encore... Bon sang, Soobin, tu es tellement facile à berner !

– Mais tu -

Il l'embrassa pour le faire taire, et Soobin laissa tomber. Soobin le stoppa d'un geste un peu maladroit, et Taehyun l'interrogea du regard.

– Attends, je t'avoue que t'embrasser comme ça devant deux vieux schnocks qui chantent mal...

Taehyun lui grimpa sur les genoux, un sourire malicieux sur le visage.

– C'est mieux là ?

Dans un geste presque agacé il se saisit de la télécommande pour éteindre la télévision. Non, il ne voulait plus les entendre du tout. Ils allaient tout faire foirer sans être là. Il voulait profiter de ce moment, qui n'appartenait qu'à eux, rien qu'à eux. Un geste brûlant et plus pressé en entraînant un autre, il avait relevé le tee-shirt de Taehyun pour effleurer la moindre parcelle de peau claire à sa portée. Il le complimenta, c'était plus fort que lui, sans cesser de le dévorer des yeux. Il l'avait déjà vu dans la rivière, de nombreuses fois, mais Soobin ne put s'empêcher de se dire que cette fois-ci, cela n'avait rien à voir. Taehyun n'avait jamais été aussi proche de lui. Il lui faisait tourner la tête, rendait sa respiration compliquée. Et Taehyun n'était pas en reste, et son souffle devint encore plus court quand il s'attaqua au cordon du jogging qu'il portait. Les yeux ronds, et l'esprit un peu embrumé, Soobin se figea quelques instants en le voyant glisser du canapé pour tomber sur ses genoux.

– Taehyun tu...
– Tu n'en as pas envie ?

Évidemment que si. Il aurait été fou de refuser. D'un signe de la tête, il lui intima de continuer.

҉

– Ta grand-mère a dit qu'elle rentrait quand déjà ?
– Elle n'a pas vraiment précisé d'horaire.
– J'espère qu'elle rentrera tard, murmura Taehyun.

Et Soobin ne put s'empêcher d'être d'accord. Il n'avait aucune envie de quitter son lit, de quitter Taehyun tout court, ou de revoir sa grand-mère pour le moment. Les images de lui tirant Taehyun dans sa chambre, refermant la porte sans aucune douceur avant de se jeter à nouveau sur lui se rejouaient encore et encore dans sa tête. Il passa une main dans ses cheveux rouges, qu'il avait maltraités quelques dizaines de minutes auparavant, et Taehyun étira un bras au-dessus de leurs têtes, avant de le laisser retomber mollement sur le matelas. Le nez collé dans son cou, une main toujours perdue dans sa tignasse flamboyante, Soobin s'autorisa à fermer les yeux et à somnoler un peu. Il n'avait besoin de rien de plus que le corps chaud de Taehyun contre le sien, le bruit de sa respiration, et la sensation de ses doigts qui traçaient des formes abstraites en haut de son dos. Il l'écrasait un peu, il en avait conscience, mais Taehyun ne se plaignait pas. Il aurait pu réellement s'endormir ici, maintenant, si la crainte d'entendre la voiture de sa grand-mère dans l'allée de leur maison ne le guettait pas. Taehyun, lui, avait l'air tout aussi apaisé.

– J'ai super faim, murmura-t-il.
– Mmm.
– Tu ne vas pas bouger d'ici, c'est ça ?
– Non...

Taehyun s'amusa un peu avant de laisser tomber son idée de piquer quelque chose dans le frigo.

– Tu me laisserais enfiler un truc au moins ?

Soobin rouvrit les yeux, et se redressa sur un coude, un sourcil arqué.

– À voir...

Ses prunelles sombres balayèrent le corps nu à ses côtés, et il haussa une épaule.

– Non.

Taehyun éclata de rire pour de bon, sans chercher à la contredire, et le repoussa légèrement, sans grande conviction.

Il aimait l'entendre rire ainsi. Le voir sourire aussi franchement également. Il aimait le voir sans le masque qu'il portait dès lors qu'ils quittaient la maison, juste lui, sans artifice. Il aimait ses yeux qui semblaient plus petits quand ils n'étaient pas maquillés. Ses dents droites et alignées qui rendaient son sourire aussi radieux. Cette taille fine qu'il avait observée à de si nombreuses reprises en essayant d'être le plus discret possible. Il aimait Taehyun des pieds à la tête, il en était raide dingue.

Il en était amoureux.

Amoureux.

Tout simplement.

҉

Elle rentra tard ce soir-là, mais Soobin avait assuré leurs arrières. Taehyun était en cuisine pour préparer le repas du soir, et lui s'était arrangé pour ranger l'intégralité de la maison, en débutant par le salon – et le canapé qu'ils avaient mis en pagaille – puis sa chambre. Il avait ouvert sa fenêtre et lancé une machine avec tous les draps de toute la demeure pour éviter toutes questions indiscrètes de la part de sa grand-mère. Quand cette dernière rentra, elle remercia Taehyun – toujours aux fourneaux – puis s'en alla prendre son petit-fils dans les bras tandis qu'il étendait les draps dans le garage.

Elle avait un drôle d'air sur le visage, un air que Soobin ne parvint pas à interpréter. Elle le couva des yeux tout en lui racontant brièvement son après-midi, et en lui posant des questions sur la sienne.

– Oh, eh bien... Taehyun avait du travail à faire pour la fac, et pour le laisser tranquille je me suis installé en bas pour regarder un peu la télévision, et puis, après, nous avons fait un peu de rangement !

Elle n'eut pas l'air convaincue.

– Dis grand-mère...
– Oui Soobin ?
– Demain soir je voulais amener Taehyun à l'endroit où tu m'amenais voir les lucioles quand j'étais plus petit, tu penses que nous avons une chance d'en voir ?
– Oh, eh bien... Oui, je suppose ?
– Super !
– Pourquoi pas ce soir ?
– Nous voulions passer la soirée avec toi !

Et ce fut seulement à ce moment-là qu'elle retrouva son sourire immense.

҉

– Où m'emmènes-tu ?
– Dans un endroit sympa pour ton dernier soir ici !
– Encore plus sympa que la rivière cette après-midi ?

Soobin se sentit rougir légèrement. Ils avaient exploré un nouveau tronçon de la rivière, avant d'y piquer une tête. L'eau était encore froide et Taehyun lui avait fait toute une scène sur la sensation de ses orteils qui bleuissaient. Soobin s'en était amusé, mais beaucoup moins lorsque Taehyun avait décidé de le couler, les deux mains appuyées sur ses épaules. Et Soobin s'était demandé d'où lui venait toute cette force. Il avait réussi à inverser la situation au prix de quelques subterfuges (Taehyun était chatouilleux), pour enfin prendre sa revanche. Ils s'étaient amusés comme deux grands enfants, avant de revenir sur la berge pour se sécher, trempés jusqu'aux os. Taehyun l'avait embrassé, et les souvenirs de tout ce qu'il lui avait fait la veille étaient revenus au grand galop. Il avait été à deux doigts de le supplier de tout recommencer avant que sa pudeur ne le rattrape.

– Allô ici la terre, Taehyun parle à Soobin !
– Euh, oui, sympa ! Encore mieux que la rivière !

Taehyun lui lança un regard amusé, sous la capuche immense de son sweat-shirt rouge bordeaux. Ils continuèrent de rouler sur leurs vélos gonflés à bloc, et quelques minutes plus tard, Soobin bifurqua pour s'engager sur un chemin de campagne un peu plus étroit. Ils n'étaient pas bien loin de la maison, mais ils avaient préféré y aller à vélo, afin de rentrer plus vite une fois le spectacle terminé.

– Nous y sommes !

Ils mirent pied à terre, et déposèrent leur vélo par terre avec soin. Soobin reconnaissait cet endroit qu'il aimait tant étant enfant, et se demanda pourquoi l'idée d'amener Taehyun ici ne l'avait pas pris plus tôt. Ils s'installèrent en silence, à l'endroit que lui avait conseillé sa grand-mère un peu plus tôt avant de partir.

– On va en voir beaucoup ?

La curiosité de Taehyun était de retour.

– Je n'en sais rien à vrai dire...

Taehyun se pressa contre lui, la tête posée sur son épaule et attendit en silence. Les minutes s'écoulèrent, et rien ne se passa. Alors qu'il s'apprêtait à s'excuser de l'avoir fait se déplacer pour rien, Taehyun se redressa subitement et pointa quelque chose du doigt.

– Oh, regarde !

Soobin plissa les yeux, et distingua une petite lumière entre les hautes herbes. Lentement, elles devinrent plus nombreuses et Soobin sentit Taehyun totalement captivé par le spectacle. Il avait la bouche légèrement entrouverte, comme quand il lisait ou qu'il se plongeait en pleine réflexion. Ne souhaitant pas rompre ce moment de quiétude, Soobin se retint de lâcher une quelconque réflexion.

Taehyun comme lui aimait les moments de silence et de contemplation, et ce fut en cet instant que Soobin réalisa pleinement tous les points communs qu'ils partageaient, mais qu'ils n'avaient jamais pris la peine de relever. L'amour de la nature qui les entourait, dans un premier temps, malgré les dires des villageois sur Taehyun et son mépris de la campagne. Ils aimaient tous les deux les silences où ils pouvaient se recueillir, et simplement se laisser aller à la rêverie. Taehyun aimait autant que lui pédaler sans but précis, bien que désormais, il ne cachait plus son envie de simplement monter sur le porte-bagages de Soobin pour se faire promener. Avec le temps il avait découvert cette facette de jeune homme dévoué et toujours prêt à aider. Une facette que Soobin ne pensait jamais voir un jour chez lui.

– Tu vas me manquer, souffla Taehyun.

Soobin crut rêver ces mots. Il tourna légèrement la tête, juste assez pour voir que Taehyun n'avait pas lâché les lucioles et leur lumière rassurante des yeux.

– On pourra toujours se revoir à Séoul ?
– Tu en aurais envie ?
– Taehyun, tu me poses sérieusement la question ?

Il haussa les épaules, l'air de rien.

– Bien sûr que j'en ai envie !

La simple idée de le voir en dehors de la campagne le ravissait : flâner dans les rues de Séoul, se promener dans ses allées bordées d'arbres en fleurs absolument ravissants, explorer les coins où Soobin n'allait jamais, manger un bout dans un café atypique... Tout lui faisait envie en compagnie de Taehyun. Et de son côté, l'autre garçon semblait être parti dans les mêmes divagations.

– Dis, tu reviendras ici cet été, hein ?
– Soobin, s'amusa-t-il, tu me poses sérieusement la question ?

Il le fit taire d'un baiser, sourire aux lèvres.

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