Chapitre troisième
Zoki dort. Elle le sait. Pourtant, le décor qui l'entoure paraît bien réel. Il fait sombre, les murs ont l'air fait de roches. En passant sa main sur les parois, elle sent l'humidité légère de la grotte et la rugosité de la pierre. À quelques pas devant elle, un filet d'eau coule sans discontinuer. Il est si régulier que plus Zoki le regarde, plus elle a l'impression qu'il s'agit d'une ligne tracée au sol. D'un simple pas, elle l'enjambe et se trouve face à une immense grille ouverte. Est-elle sur le point de pénétrer dans une propriété privée ? Elle hésite un instant et se rappelle qu'elle n'est pas vraiment là. Elle avance alors sur un chemin joliment pavé.
Chaque dalle sur laquelle elle marche s'illumine d'un éclat doré. Elle se met à courir sur ce drôle de sentier et gravit quelques marches au bout de sa course. La jeune femme se retourne et voit les pierres brillantes tracer un symbole qu'elle n'a jamais vu. Pourtant, au fond d'elle, elle sait qu'elle le connaît. Elle l'analyse, cherchant à le comprendre. Elle retient son tracé, minutieusement.
Puis un grognement derrière elle la fait se retourner. Une bête gigantesque à l'allure féroce dévoile ses crocs immaculés. Zoki a un mouvement de recul et elle se sent tomber dans les escaliers qu'elle a monté. Le monstre hurle. Zoki Merlynne hurle. Elle chute dans le vide.
Elle tombe de son lit. Une secousse a ébranlé le navire. On frappe frénétiquement à sa porte. Elle ouvre et voit le visage paniqué de Dvalin.
— Il s'est passé quelque chose ! Allume ta télé !
Absente, Zoki cherche sa télécommande en marmonnant.
— J'ai rêvé... J'étais en enfer... J'ai vu Cerbère et... Ah, la voilà.
L'écran s'allume sur une chaîne d'infos. La présentatrice a l'air bouleversé et sa voix se brise à chaque phrase qu'elle lit sur son prompteur.
— L'Öræfajökull est entré en éruption soudainement... Les-les habitants ne-n'ont pas eu d'alerte... L'î-l'île a-a été... L'île a été engloutie... T-tout s'est passé en-en quelques mi-minutes à peine et-et on ignore encore si des-des survivants ont réussi à-à s'échapper...
— L'I... L'Islande a été immergée ?!
— J'ai tout perdu... En quelques instants, ça me paraît tellement surréaliste, j'arrive pas à réaliser...
— Je... Je suis désolée, Dvalin... Je...
Son ami vient probablement de perdre ses parents et tous les gens qu'il a connus toute sa vie et même la grande Alfonsa del Romaö n'aurait pas su trouver ses mots. Zoki pose sa main minuscule sur le bras énorme du géant. Elle sait qu'il n'est pas très tactile et qu'il a tendance à garder ses émotions pour lui. Mais elle lui montre qu'elle est là pour lui. Et il le comprend. Dvalin se tourne vers elle un instant, les yeux brillants de larmes qui refusent de couler. Il l'attrape et la serre contre son torse. C'est sa façon à lui de se rassurer. De savoir qu'elle est bien là. Tant qu'il ne la lâche pas, il peut bien la garder. Au moins elle.
Zoki s'efforce de l'enlacer en retour. Mais il est si grand... Il la serre si fort qu'au bout de plusieurs longues minutes, elle se demande si elle n'est pas morte d'asphyxie.
Snorri rompt l'étreinte en frappant à la porte restée ouverte.
— Excusez-moi de vous déranger mais... C'est l'heure du repas, on est attendu dans la cantine...
Dvalin reprend contenance en un instant et suit sa dernière connaissance islandaise. C'est une Zoki discrète et perdue dans ses pensées qui les accompagne. Elle sait depuis si longtemps que le monde est en péril, mais la disparition si soudaine de tout un pays l'avait ramené à une réalité dure et froide. Bientôt, il n'y aurait nulle part sur Humbra où l'on pourrait être sauvé.
Après un voyage en mer de plusieurs interminables jours, les trois voyageurs arrivent enfin au port de Leau. C'est une petite ville de pêcheurs, le dernier endroit à proposer les trajets par bateau vers l'Islande. Enfin, ils n'ont plus grand-chose à proposer aux touristes, maintenant.
En attendant leur train, Zoki regarde tristement une vitrine de télévisions. Les mêmes informations défilent en boucle. Des navires de sauvetage avaient été envoyés en urgence, dès que les grosses premières vagues étaient passées mais ils avaient dû faire demi-tour quand une tempête s'était déclarée dans la zone qui était l'Islande quelques jours plus tôt.
Désormais, on apprend la disparition d'autres îles tout autour de la planète. Une partie du vieux continent avait même était submergée par la vague produite par l'engloutissement des terres maritimes.
Le monde est en panique et beaucoup d'évacuations sont organisées dans les zones jugées à risque. Et ça n'allait pas s'arranger. Zoki le sait. Ce n'est que le début de la fin.
— Zoki ? Encore perdue dans tes pensées ?
— Hmm ? Ah, Dvalin, tu me parlais ?
— Notre train va être en retard, ils disent un quart d'heure...
— Hum, donc il faut plutôt compter une bonne demi-heure...
— À ce point ?
— Ben oui, c'est comme ça que ça marche...
— Mais c'est affiché...
— S'ils étaient un jour à l'heure, même quand les retards sont signalés, ça se saurait !
— ... Tu veux dire... Que ce serait vraiment la fin du monde ?
— La fin du m... Mince, t'as raison...
Snorri les rejoint après un énième croissant. Il prétend que c'est ici que l'on trouve les meilleurs au monde. En même temps, l'Islande n'était pas réputée pour ses croissants. Le train arrive, à l'heure prévue par Zoki. Peut-être que même en cas de fin du monde, les trains seraient toujours en retard.
Après ce trajet, Snorri allait les laisser continuer leur chemin. Il profite alors du calme relatif de leur voiture pour sortir la carte refaite par Dvalin.
— Alors, vous voyez les montagnes là ? Maintenant c'est plutôt celles-ci, elles sont plus hautes.
— Alors il faudra prendre l'avion jusqu'en Slovénie ?
— Oui, c'est ça. Mais avec les soucis en ce moment, il faut espérer que les vols soient maintenus...
— Tu veux vraiment pas nous accompagner plus loin ?
— Non. Máni l'a dit. C'est au Luxembourg que je trouverai mon point final.
— Et on ne peut pas te faire changer d'avis ?...
Zoki sent à son ton que Dvalin cherche désespérément à s'accrocher à la dernière personne de son pays natal. Mais elle voit bien que l'écrivain est sûr de sa décision. Et en même temps, son point final, ce n'est pas aussi parce qu'ils vont tous mourir très bientôt ? Peut-être que Dvalin l'a senti aussi... La jeune femme pose sa main frêle sur celle de son ami.
— Ça ira. On trouvera le secret de la Nature Ancestrale et on le rejoindra ensuite.
Elle se veut rassurante. Mais même ses propres convictions s'effacent peu à peu. Plus ils avancent dans leur quête insensée, plus Zoki Merlynne sent qu'elle perd espoir. Elle n'est peut-être pas à la hauteur de sa destinée. Il est peut-être déjà trop tard.
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