Chapitre quatrième
Arrivés au Luxembourg, les trois voyageurs s'arrêtent dans un motel miteux de banlieue. Les temps sont durs pour tout le monde. Zoki s'étonne de voir l'état de détresse de ce pays réputé autrefois si riche. Vraiment, plus son voyage avance, plus elle se rend compte qu'il était temps qu'il l'entreprenne. Peut-être parviendra-t-elle à sauver les meubles. Mais s'il n'y a plus personne pour les utiliser, est-ce vraiment bien utile ?...
— Monsieur Snorri, vous êtes sûr de vouloir rester ici ? Je veux dire, cet endroit n'est pas très accueillant... Je comprends que vous souhaitez rester pour accomplir votre destin, mais cet hôtel n'est pas vraiment... très... net ?
— Je vous remercie de vous inquiéter, mais je sais que tout ira bien pour moi. Le cadre est parfait. Je sens déjà l'inspiration depuis qu'on s'est installé dans nos chambres...
— C'était pas plutôt la moisissure, que vous avez senti ?... Je suis bien contente de ne pas rester trop longtemps... Enfin, j'espère...
Elle a bien raison d'espérer. Après tout, à chaque radio, chaque écran, nos voyageurs apprennent de mauvaises nouvelles à travers le monde. Zoki n'est même pas sûre de pouvoir trouver un avion à destination de la Slovénie. Enfin, elle en a bien trouvé un, elle a même réservé son vol mais qui sait, il pourrait tout à fait être annulé à la dernière minute. C'est d'ailleurs étonnant que certaines personnes continuent de vivre leur vie comme si de rien n'était. La marée était montée si haut que le pays plat commence à être grignoter, son voisin, plus bas, a presque entièrement disparu et le royaume du Danemark, qui était autrefois un gruyère, enfin, un emmental, puisque le gruyère n'a pas de trous, est désormais un étrange archipel déserté.
Dvalin s'inquiète que la mer ne monte jusqu'ici et n'emporte Snorri. Il a bien raison. Peut-être bien que d'ici quelques jours, de la fenêtre de sa piteuse chambre, l'écrivain pourrait voir son reflet dans l'eau du nord. Mais le géant au grand cœur ne serait plus là pour voir ça. Il partirait avec l'apprentie sorcière en quête de quelque chose qui n'existait peut-être que dans la tête de cette dernière. Mais il veut croire en ses fantaisies, il veut croire que le monde peut être encore sauvé. Qu'il n'a pas quitté sa famille pour rien. Que ceux qu'il aime ne sont pas morts en vain. Si Zoki n'abandonne pas, il n'abandonnerait pas.
Zoki Merlynn trouve que cette nuit dans ce motel effrayant est bien trop longue. Dès le lendemain, elle pourrait partir, mais en attendant, elle doit prendre sur elle et supporter l'inconfort de ce lit aux draps qui grattent. Elle finit par rejeter sa couverture, tant pis s'il fait un peu froid. Elle ferme les yeux, espérant que ses rêves la guident.
Elle se trouve à nouveau dans la grotte, légèrement humide, devant la grille des enfers. Ce n'est pas logique. Ça ne peut pas être la solution. La jeune femme s'avance, les dalles dorées brillent déjà sous ses pas. Arrivée en bas des escaliers, elle hésite à y monter. Et si elle se retrouve à nouveau devant le monstre ? Mais ce n'est que de là-haut qu'elle peut voir le motif des dalles. Avec appréhension, elle commence son ascension. Très vite, elle arrive au sommet, sans encombre. Se retournant vers le vide, elle voit le tracé au sol. Il lui semble que les lignes sont différentes de la fois précédente. Il lui semble même que le dessin bouge et se transforme. Petit à petit, des lettres apparaissent, comme si ses yeux traduisent d'eux-même le symbole. Mais elle n'arrive pas à en comprendre le sens.
Dans sa tête, un mot résonne. Lumière. Lumière, lumière, lumière. Est-ce que ça aurait un rapport avec sa ville d'origine ? Non, c'est autre chose. Une autre sorte de lumière. Celle des satellites, peut-être ? Mais elle doit les éteindre ! Ou peut-être... la lumière des étoiles ? Qu'il lui faudrait rallumer ? Peut-on rallumer les étoiles ?
Un grognement derrière elle l'interrompt. Elle sait qu'il est là. Mais elle se retourne quand même, lentement. La bête à trois têtes lui fait face. Il continue de gronder. Mais le son d'abord menaçant apparaît petit à petit comme... un ronronnement ? Une lumière semble émaner de la créature qui fixe Zoki sans bouger. Cette dernière décide d'avancer vers le monstre, la main tendue. Et alors qu'elle l'effleure, des zébrures d'éclairs traversent la fourrure de la chose. Zoki retire aussitôt sa main, surprise.
— Qu'est-ce que tu es ?, dit-elle comme si l'autre allait lui répondre.
Les stries de lumière parcourent de plus en plus intensément le corps de la bête pour finalement l'envahir entièrement. Ce n'est plus qu'un lumière, immense, face à Zoki et elle s'avance vers celle-ci, abasourdie. La lumière avale Zoki Merlynn, est-ce la fin pour l'apprentie sorcière ?...
Hé bien non, Zoki ouvre les yeux, dans le lit du motel miteux, alors qu'un nouveau jour se lève sur le monde en déclin. Elle n'a pas de temps à perdre. Elle attrape sa valise et va réveiller Dvalin. En réalité, celui-ci ne dort pas. Il n'a pas fermé l'œil de la nuit. Il l'a passé à faire son deuil. Comme chaque nuit depuis qu'il a appris l'engloutissement de son pays, de son monde.
Les deux jeunes gens font leurs adieux à Snorri. Enfin, ils se disent au revoir en pensant, chacun de leur côté, adieu. Cette histoire finira mal. Que les enfers qu'à cru voir Zoki soient réels ou non, que la lumière soit la réponse ou non.
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