9| Petite Italie
Aussitôt que les portes de l'ascenseur s'ouvrirent devant Mabel, elle s'y engouffra.
— Brad !
Elle salua l'elfe grincheux d'un signe de tête et d'un sourire enjoué. Elle était de très bonne humeur aujourd'hui. Comme depuis plusieurs jours d'ailleurs.
— Sorcière.
L'elfe secoua sa main en l'air dans un geste qui pouvait soit être interprété comme un salut distrait, soit comme une manière de lui dire de se taire.
Une secousse fit vibrer l'ascenseur et celui se mit en marche.
— Quand est-ce que tu vas te décider à m'appeler par mon prénom, mon chou ?, le taquina-t-elle.
Brad, peu amusé par ce nouveau surnom, grogna dans sa barbe. Mabel sourit de toutes ses dents.
L'ascenseur s'arrêta un étage plus bas, semblant soulager l'elfe qui salua avec un enthousiasme étonnant le nouvel arrivant : M. Graves.
Mabel se décala sur le côté pour laisser de la place à son supérieur tout en le saluant d'un signe de tête. Elle ne manqua pas de jeter un regard faussement vexé à l'elfe tout de suite après. Il lui rendit un sourire moqueur. Elle le taquinait mais il n'était pas en reste non plus.
Le trajet reprit en silence.
Mabel se creusa alors la tête pour trouver un sujet de conversation à aborder avec le sorcier à ses côtés mais en vain.
Cette nouvelle relation qu'ils entretenaient depuis un peu moins d'un mois maintenant, depuis cette soirée d'août où il l'avait appelé par son prénom pour la première fois, la déconcertait quelque peu. Bien souvent, elle se retrouvait à conserver amicalement avec Graves dans les couloirs ou les ascenseurs. Ils ne parlaient que du travail mais cela était toujours détendu et agréable. Et elle savait que cela jouait sur l'inhabituelle bonne humeur qu'elle ressentait dernièrement.
Cette fois-ci, cependant, ils restèrent tous les deux silencieux.
Une vingtaine d'étages défilèrent, laissant entrer et sortir tout autant d'employés, avant que la petite cabine en fer forgé ne s'arrête finalement au département dédié aux Aurors.
Mabel et Graves y sortirent tous les deux.
Alors que la grille de l'ascenseur se refermait derrière eux, Mabel se retourna et envoya un baiser à Brad.
— A tout à l'heure !
Sans laisser échapper un son, elle articula un « mon chou », puis ponctua sa phrase par un clin d'œil. L'elfe se contenta de rouler les yeux puis de remettre en marche l'ascenseur.
Mabel eut un petit rire détendu mais quand elle se retourna et vit le regard de Graves posé sur elle, son sourire flancha.
— Vous harcelez mon personnel, Cole ?, demanda-t-il en haussant un sourcil interrogateur.
Son sourire revint aussitôt sur ses lèvres.
Il lui avait fallu un certain temps mais Mabel avait fini par décerner la différence entre le ton professionnel du directeur et son ton amical.
Dans ce dernier cas, elle avait remarqué qu'une lueur se mettait à briller dans ses yeux foncés. Une lueur qui semblait réchauffer tout son visage et qui accentuait le léger mouvement de ses lèvres, comme un sourire mais en bien plus discret.
— J'essaie de convaincre ce cher Brad des bienfaits d'une relation entre un elfe de maison et une sorcière mais j'ai bien peur qu'il ne soit pas réceptif à mes arguments.
— Vous m'en voyiez navré, répondit Graves avec un très léger sourire.
Mabel se retint de ne pas sourire de toutes ses dents. Ce n'était pas grand-chose mais à chaque fois qu'elle arrivait à faire apparaître un sourire sur le visage habituellement si sérieux de l'Auror, elle avait l'impression de gagner à la loterie.
La gaieté de l'instant restait bien souvent ancrée en elle pendant de longues minutes et en arrivant devant son bureau, suivit par Graves, elle souriait toujours.
Netanya et Curtis, qui étaient assis derrière leur bureau, se levèrent de leur siège pour saluer le directeur. Ils échangèrent cependant un regard complice avant et Mabel sut qu'aussitôt que Graves serait parti, elle risquerait d'être la cible d'un certain nombre de taquineries. Curtis adorait faire tout un tas de sous-entendus sur son rapprochement avec leur supérieur.
Elle ne s'en tracassa pas trop et posa son sac sur son bureau avant de ramener son attention sur Graves. S'il s'était arrêté à leur îlot, c'était qu'il avait une mission à leur donner. Elle n'eut pas à attendre longtemps.
— Il y a eu un accident dans un immeuble résidentiel sur Mulberry Street, dans le quartier de Petite Italie. Un sorcier aurait utilisé la magie en présence de Non-Maj'. La police a été contacté et est déjà sur place, expliqua-t-il de sa voix grave. Il va falloir que deux d'entre vous fassent le ménage et trouvent le coupable. Cela fait trop d'accidents en quelques mois.
Graves les regarda tour à tour, attendant des questions. N'en ayant aucune, il les congédia :
— Vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Il se retourna et partit en direction d'un autre îlot de bureaux, probablement pour attribuer une autre mission à d'autres Aurors.
Mabel le suivit du regard plus longtemps qu'elle ne l'aurait dû. Quand elle se retourna vers ses coéquipiers, Curtis la dévisageait avec insistance. Et avec un sourire moqueur.
— Toi et notre cher directeur, vous devenez... proches, se contenta-t-il de dire, ne cherchant pas à cacher le sous-entendu qu'il y avait dans son ton.
— Ne sois pas jaloux, Curt'. Je suis persuadée que Graves finira par ressentir la même chose pour toi.
Le sourire de Curtis s'élargit mais Netanya lui coupa la parole avant qu'il ne puisse répondre.
— Qui vient ?
— Moi !, répondit aussitôt Mabel en récupérant son sac.
— Quoi ? Non !, protesta Curtis.
— Pas assez rapide, le taquina-t-elle. Peut-être que si tu arrêtais de te mêler de ma vie privée, tu ne serais pas obligé de rester coincé ici !
— Je savais qu'il y avait quelque chose entre vous, s'exclama-t-il aussitôt.
Mabel se contenta de prendre un air mystérieux tandis qu'elle suivait Netanya vers l'ascenseur. Au moins, Curtis aurait de quoi se distraire pendant leur absence. Toutefois, elle regrettait presque de le laisser croire qu'elle avait une relation avec Graves, car à son expression curieuse et excitée, elle savait qu'il l'assaillirait de questions à son retour.
Mabel allait, soit devoir lui avouer la vérité, soit inventer quelque chose, car même si Graves et elle se parlaient plus facilement et partaient plus souvent en mission ensemble, leur relation restait strictement professionnelle.
Ce qui est probablement pour le mieux, pensa-t-elle en entrant de nouveau dans l'ascenseur.
Le trajet se fit en silence. Netanya, à ses côtés, semblait tiraillée par ses pensées et Mabel ne voulait pas le déranger. Quand les deux sorcières mirent le pied hors du Congrès, Mabel finit cependant par craquer :
— Tout va bien ?
— Oui. Je suis un peu préoccupée, c'est tout.
Netanya lui sourit avant de ramener son regard devant elle puis de tourner dans la ruelle sur leur droite. Un sorcier d'une quarantaine d'années transplana devant elles, les salua puis pénétra dans la rue qu'elles venaient de quitter.
Mabel et Netanya transplanèrent en direction de Petite Italie.
Aussitôt arrivé, les narines de la sorcière furent envahies par l'odeur forte de nourriture qui n'était que légèrement atténuée par la brise faible de début septembre. Mabel grimaça. Même en ayant vécu dans ce quartier pendant les quatre derniers mois, elle ne s'habituait pas à l'odeur constante de nourriture qui flottait dans l'air dû à la trentaine de restaurants qui jonchaient les rues. Surtout pas de si bon matin.
Elle sortit de la ruelle, cachée entre un restaurant italien et un immeuble de plusieurs étages, pour se mêler aux passants sur Elizabeth Street. Le quartier, comme toujours, était en ébullition. Des voitures roulaient et klaxonnaient tout autour d'eux. Des chiens aboyaient. Des enfants criaient en italien. Et contrairement à l'odeur, Mabel appréciait cette agitation.
Car parmi tous ces immigrés, comme elle, Mabel se sentait moins seule. C'était pour cela qu'elle avait choisi de prendre son appartement dans ce quartier. Ainsi que pour sa proximité relative avec le Congrès.
Elle suivit Netanya en silence avant de s'arrêter quelques mètres plus loin devant la devanture d'une animalerie miteuse et vraisemblablement à l'abandon.
Mabel ne se laissait pas berner. Elle savait que la vitrine crasseuse et l'énorme pancarte qui indiquait « Fermé pour une durée indéterminée » était seulement là pour duper les moldus.
Deux mois auparavant, elle avait déposé, dans cette enseigne de sorciers, les Boursouflets qui avaient été lâché dans l'enceinte du MACUSA. L'intérieur de la boutique était classique et luxueux et une dizaine d'animaux en tout genre, allant des hiboux aux Fléreurs, s'y trouvaient. Mabel savait que l'animalerie était bien fréquentée et que ces petits Boursouflets trouveraient un nouveau domicile assez vite.
Toujours arrêtée devant la porte, elle hésita. Elle aurait aimé vérifier que toutes les petites créatures soient parties mais en se retournant vers la rue, elle vit Netanya tourner au coin sur Grand Street et se détourna de la boutique. Elle y entrerait une autre fois.
Elle accéléra le pas pour rattraper Netanya et ce fut seulement au croisement de Mott et Grand, une rue plus loin, qu'elle le put.
Netanya ne sembla même pas la voir. Mabel s'en voulait d'insister mais son état la préoccupait.
— Tu es sûre que tu ne veux pas en parler ?
— C'est un problème personnel, répondit la jeune femme, les yeux dans le vide. J'ai besoin de découvrir par moi-même ce que je veux.
Mabel approuva d'un signe de tête. Netanya était de loin la personne la plus réfléchie qu'elle ait rencontré, elle ne doutait pas de sa capacité à régler le problème qui la tourmentait.
— Est-ce que je peux te poser une question alors ?, demanda Mabel, pensant soudainement à quelque chose qui l'a titillait depuis plusieurs mois et voulant profiter d'être seule avec Netanya pour satisfaire sa curiosité.
— Bien sûr.
Mabel prit le temps de choisir ses mots.
— Graves est extrêmement respecté au Congrès, n'est-ce pas ?.
Netanya acquiesça tout en gardant les yeux rivés devant elle, sur leur destination.
— Pratiquement plus que la présidente, non ?
— Au moins tout autant, rectifia la sorcière au teint hâlé.
— Pourquoi ?, demanda finalement Mabel.
Elle était infiniment curieuse. Après avoir passé quatre mois au Congrès, elle se rendait bien compte de l'égard des employés envers lui et qui, pour elle, allait bien au-delà de son statut de bras-droit de Picquery. Mabel était persuadée qu'il y avait quelque chose d'autre.
Netanya lui sourit.
— Je ne sais pas si tu es familière avec l'histoire des États-Unis ?
— L'histoire magique ? Très peu, admit Mabel.
— Pour faire court, lors de la création du Congrès Magique, en 1693, le pays faisait face à des problèmes de sécurité majeurs. Que ce soit le problème des Ratisseurs, des sorciers corrompus qui tuaient d'autres sorciers, ou bien celui des criminels venant d'Europe pour se réfugier ici, la communauté magique avait besoin d'être encadrée et protégée. Le président de l'époque, Josiah Jackson, décida de recruter des Aurors pour faire cela. Douze se portèrent volontaires pour le travail, dont Gondulphus Graves.
Netanya s'arrêta pour laisser le temps à Mabel d'assimiler ces informations.
— Gondulphus Graves, comme-
— L'ancêtre de notre directeur, oui, confirma Netanya avant de continuer son récit. À cette époque, donc, les défis étaient tellement grands et dangereux que tous savaient que ceux qui se portaient volontaires à ce travail risquaient de perdre la vie. Comme tu te doutes, Gondulphus mourut à son poste. À vrai dire, seuls deux des douze Aurors originaux vécurent jusqu'à un âge avancé. Tout cela pour dire, qu'au vu de leur courage, de leur patriotisme et de leur sacrifice, les descendants de ces premiers Aurors sont éminemment respectés dans notre pays. Dont Graves. Cependant, cela n'enlève rien à son talent, ajouta la sorcière. Il est probablement l'un des sorciers les plus doués et compétents du pays et c'est grâce à cela qu'il est arrivé aussi haut dans la hiérarchie. Et la combinaison des deux est effectivement quelque chose que nous respectons infiniment d'où la révérence de certains à son égard.
Mabel hocha la tête. Cela expliquait bien des choses. Et principalement le sérieux et l'investissement de Graves dans son travail. Cela n'avait pas dû être facile de grandir avec ce poids sur les épaules. De devoir vivre dans la peur de ne pas être à la hauteur de ses ancêtres, de ne pas être à la hauteur de ce que tous les autres pouvaient bien imaginer de lui. Ou bien alors, de devoir constamment travailler plus dur, de devoir prouver à tous qu'il a bel et bien sa place aussi haut dans la hiérarchie, qu'il ne l'a pas juste gagné grâce à son nom de famille. Dans les deux cas, Mabel ne lui enviait pas sa position.
Elle s'attarda sur la jeunesse de Graves jusqu'à ce que Netanya interrompe ses pensées.
— C'est ici, indiqua-t-elle d'un signe de la main au niveau de l'intersection entre Grand et Mulberry.
Mabel suivit des yeux son geste. Elle sentit son cœur s'arrêter.
L'immeuble en brique rouge que son amie et collègue lui indiquait était le sien. Celui dans lequel la sorcière vivait depuis son arrivée à New York, il y a quatre mois.
Celui qu'elle considérait comme sa maison.
Mais à ce moment-là, entouré de badauds curieux, il lui semblait sombre et inquiétant.
En s'approchant de sa résidence, les deux sorcières passèrent devant une boulangerie. L'odeur de pain chaud et onctueux ne mit pas Mabel de bonne humeur comme elle le faisait pourtant habituellement. Cette fois-ci, cela la rendit nauséeuse.
Quand Mabel avait entendu Graves prononcer le nom de son quartier, elle ne s'était même pas attardé dessus. Quelles étaient les chances pour que l'accident en question ait eu lieu dans son immeuble ?
Aucune.
Netanya s'approchait de deux policiers postés devant les marches grises de l'immeuble. Mabel la suivait mais elle avait l'impression d'être hors de son corps. Elle avait un mauvais pressentiment.
Elle dépassa des passants en grande discussion mais ne les entendait même pas.
Netanya s'arrêta à côté des deux policiers et sortit un badge de sa poche. Mabel y vit un insigne ressemblant fortement à celui de la police de New York.
Les deux hommes la saluèrent comme une collègue, tirèrent sur leur cigarette et écoutèrent sa question sans montrer d'émotion ni même d'intérêt.
— On a probablement affaire à un canular, expliqua l'homme de droite qui faisait tournoyer le bout de sa moustache autour de son doigt. Mais c'est au troisième étage, vous n'avez qu'à jeter un coup d'œil par vous-même. Mais je peux déjà vous dire que vous vous êtes déplacées pour rien.
— Ce sera à nous d'en juger. Quel numéro ?
Le policier à la moustache souffla, visiblement agacé qu'on lui pose autant de questions durant sa pause. Il ouvrit son calepin, fit tourner quelques pages pour trouver la réponse. Le policier de gauche tirait toujours sur sa cigarette en dévisageant les deux sorcières.
— Je n'étais pas au courant qu'on embauchait des femmes. Il va falloir que je change de poste de police, le mien en manque cruellement.
Il lança un sourire charmeur à Netanya qui l'ignora entièrement. Elle croisa les bras sur sa poitrine et leva un sourcil en direction du deuxième policier. Celui-ci feuilletait toujours son calepin, sa cigarette tremblant dangereusement au bout de ses lèvres. Mabel, attendant nerveusement la réponse, vit passer des pages entières remplies de dessins, certains très obscènes, et n'eut qu'une envie : lui prendre son calepin des mains et chercher la réponse elle-même. Finalement, le policier au talent de dessinateur releva la tête et répondit :
— Numéro 34. On essaie toujours de joindre la propriétaire donc évitez de toucher à tout.
Mabel eut presque envie de rire.
Sa nervosité et son inquiétude venait de tripler depuis le début de cette conversation.
Amèrement, elle pensa : Plus besoin de chercher la propriétaire.
C'était son appartement.
Aussitôt, les paroles de Graves résonnèrent dans sa tête.
Un sorcier aurait utilisé la magie en présence de Non-Maj'.
Un sorcier.
Sorcier.
Ce petit mot tournait en boucle dans sa tête.
Comme dans une transe, elle vit Netanya gravir les marches du perron de l'immeuble et la suivit. Mais aussitôt qu'elle fut devant la porte du bâtiment, elle se figea. Sa tête commençait à tourner, sa respiration se faisait de plus en plus hachée et son cœur devenait incontrôlable. Elle posa la main sur sa chemise et la décolla de sa peau, elle avait l'impression d'étouffer.
D'une main tremblante, elle prit appui sur le muret en pierre grise sur sa droite.
Elle faisait une crise d'angoisse.
Et dire qu'elle commençait à aller mieux. Qu'elle commençait à se sentir en sécurité dans cette ville.
Qu'elle tournait la page. Finalement, après tant d'années. Qu'elle réussissait enfin à ne plus faire de cauchemars, à ne plus avoir d'hallucinations.
Avait-elle été idiote de baisser sa garde ? D'arrêter momentanément ses recherches ?
Comment aurait-elle pu penser qu'il viendrait ici ?
Grindelwald ? À New York ? Lui qui n'avait pas réapparu depuis deux ans ?
Elle se sentait idiote, faible, apeurée mais aussi en colère.
Pourquoi devait-elle être constamment hantée par ce mage noir ? Ne pourrait-elle jamais s'en sortir ?
C'était comme si la petite lueur d'espoir qu'elle avait commencé à apercevoir depuis plusieurs semaines venait de lui être brusquement retirée et cela, Mabel ne pouvait pas le supporter.
Elle prit réconfort dans sa colère. Celle qui l'avait fait survivre à la perte de ses amis et serra les poings.
Les yeux fermés, elle se força à respirer calmement.
Encore et encore.
Jusqu'à ce qu'elle se sente de nouveau en possession de ses moyens.
Desserrant les poings, elle sentit ses paumes la faire souffrir. Elle s'accrocha à cette douleur comme à une bouée de sauvetage. C'était réel.
— Mabel, tu m'entends ?
Mabel releva aussitôt la tête. Netanya la regardait avec de grands yeux apeurés.
— Tout va bien ?
— C'est mon appartement, se contenta de répondre l'interpellée.
Une lueur de compréhension traversa le regard de Netanya. Elle hocha la tête, sans insister.
Mabel la vit jeter un regard aux policiers, derrière eux, qui devaient probablement les observer avec un intérêt malsain. Netanya enroula un bras autour de ses épaules et la fit entrer dans le bâtiment.
Avant de se retrouver dans celui-ci, Mabel jeta un dernier coup d'œil aux passants qui s'étaient attroupés près des policiers. Elle repéra aussitôt les cheveux roux flamboyants de Victoria et ceux blonds de Kyle.
Les hallucinations étaient de retour.
— Est-ce que tu as une idée de qui pourrait bien vouloir entrer par effraction chez toi ?, demanda Netanya quand Mabel entra finalement dans le hall d'entrée de l'immeuble.
Mabel répondit par la négative plutôt que d'oser dire tout haut ce qu'elle pensait : que le plus dangereux des sorciers était probablement le coupable. Elle ne voulait pas passer pour une folle.
L'ascension des trois étages fut éprouvante. La sorcière ne semblait voir que la queue de cheval de l'Auror israélienne devant elle qui bondissait à chacun de ses pas.
Quand elle atteignit la porte ouverte de son appartement, Mabel prit une profonde inspiration. Elle ne savait pas ce qu'elle allait découvrir. Elle avait peur de ce qu'elle pourrait retrouver.
Elle fit glisser ses doigts sur la peinture verte légèrement écaillée de la porte.
Son souffle se bloqua dans sa gorge.
Elle expira bruyamment, les yeux écarquillés.
Elle fit un rapide tour du salon, puis de la cuisine et de la salle à manger, légèrement stupéfaite.
Tout était exactement comme elle l'avait laissé quelques heures auparavant en partant pour le travail.
Il n'y avait ni désordre, ni objets déplacés, ni même d'objets manquants.
Mabel ne comprenait plus rien.
Elle se dirigea d'un pas décidé vers sa chambre, tombant nez à nez avec trois policiers aussitôt qu'elle en franchit le seuil.
Ébahis devant Oscar, ils ne la virent pas entrer.
Mabel ne leur prêta pas plus d'attention. Elle fit le tour de sa chambre, ouvrit ses tiroirs, vérifia tous ses effets personnels mais là encore, rien ne sortait de l'ordinaire. En dehors des trois intrus qui fixaient son Boursouflet de compagnie.
Légèrement soulagée, Mabel sentit les muscles de son corps se détendre.
Elle n'était cependant pas entièrement rassurée. Elle sentait qu'une épée de Damoclès pendait au-dessus de sa tête.
Elle avait besoin d'en savoir plus.
Elle se racla la gorge pour attirer l'attention des policiers et ils sursautèrent.
Le plus jeune des trois lui montra aussitôt la petite créature violette du doigt.
— Vous avez vu ça ?
Mabel se retint de répondre oui. Bien sûr qu'elle l'avait vu, elle vivait avec le petit Boursouflet prénommé Oscar, depuis deux mois.
La présence de la créature lui était rassurante dans son quotidien et voir cette petite boule de poil ainsi recroquevillée dans sa cage, visiblement apeurée, fendit le cœur de la sorcière. Elle savait qu'Oscar prenait peur facilement depuis l'accident du MACUSA.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?, demanda-t-elle, autant pour avoir des réponses que pour détourner l'attention des policiers de la petite créature.
— Qui êtes-vous ?, demanda suspicieusement le policier le plus âgé, semblant enfin se rendre compte de l'étrangeté de la présence de la sorcière dans cette pièce.
Mabel, bien incapable de répondre à cette question, fut soulagée quand Netanya la rejoignit. Elle sortit de nouveau le badge de police, sauf que cette fois-ci, il n'avait plus du tout le même aspect.
— Bureau d'enquête, mentit effrontément la sorcière en rangeant le badge enchanté dans sa poche de pantalon. On nous a parlé d'évènements étranges qui se seraient produits ici.
Les trois policiers qui s'étaient redressés à la vue du badge se battirent pour répondre à la question. Parlant tous en même temps, Netanya les fit taire d'un geste. Son autorité impressionnait toujours Mabel. Puis, l'israélienne pointa son index sur l'homme du milieu, lui donnant la parole. Le policier, qui était légèrement en surpoids, mit les mains sur sa ceinture et sourit fièrement.
— Nous avons reçu un appel vers 8h d'une vieille dame, vivant dans l'appartement d'à côté, nous prévenant qu'un homme était entré par effraction dans cet appartement. Nous avons été envoyés immédiatement sur place. Nous sommes arrivés, je dirais, vingt minutes après.
Il lança un regard à ses collègues qui approuvèrent d'un signe de tête.
— Une fois dans l'appartement, nous n'avons trouvé personne ni quoi que ce soit sortant de l'ordinaire à part la porte qui était ouverte. On pense que cela est un oubli du propriétaire.
Impossible, pensa aussitôt Mabel. Je ferme toujours ma porte à clé.
— Croyant à une mauvaise blague, nous sommes partis interroger la dame responsable de notre venue. (Le policier eut un rire moqueur.) Autant dire que ses dires ne nous ont pas convaincu. Si vous voulez mon avis, on devrait mettre ces gens dans un asile. Une matinée de perdue.
— Et que vous a dit cette femme exactement ?, demanda Mabel, intéressée par ces propos jugés « fous ».
— Que, soi-disant, le cambrioleur serait entré dans l'appartement grâce à un bout de bois qu'il aurait ensuite pointé sur elle quand elle serait entrée dans l'appartement pour lui dire de s'en aller.
— N'oublie pas de dire qu'elle se serait pris une lumière blanche dans la figure avant que l'homme en question ne se téléporte.
Les trois policiers ricanèrent. Mabel était pétrifiée.
Un homme... Et vraisemblablement, un sorcier.
Mabel avait beau tout faire pour ne pas imaginer le pire, cela devenait de plus en plus difficile.
Netanya, dont le visage était grave, demanda :
— Où est cette femme ?
— Chez elle, au numéro 33.
Mabel sortit en trombe de la pièce. Du coin de l'œil, elle vit Netanya sortir sa baguette et sut qu'elle s'apprêtait à leur effacer la mémoire.
En franchissant le seuil de son appartement, elle tomba nez à nez sur sa voisine.
— Mlle Cole, vous voilà enfin !, dit la vieille femme de 80 ans avec un fort accent italien.
— Mme Conti, vous allez bien ?, s'inquiéta aussitôt Mabel.
Sa voisine était une femme adorable. Elle ne la croisait pas souvent mais à chaque fois qu'elle le faisait, elle partait toujours avec un sourire sur les lèvres. Elle refusait de croire qu'un sorcier lui ai jeté un sort. Elle priait pour que ce ne soit rien de grave.
— Très bien voyons, c'est pour vous que je m'inquiétais. Quelle horreur, ce genre de chose.
Mabel approuva d'un signe de tête.
— Est-ce que vous pouvez me décrire l'homme qui est entré ?, la pressa-t-elle, ne pouvant plus attendre avant de pouvoir enfin connaître la vérité.
— Oh oui, bien sûr, je l'ai très bien vu ! Il avait-.
La moldu s'arrêta, fronçant les sourcils.
— Oh, ma mémoire n'est plus aussi bonne qu'elle ne l'a été. Donnez-moi quelques secondes.
Mabel attendit mais plus elle le fit, plus elle sentit ses espoirs diminuer. Emmitouflée dans un cardigan en laine, la vieille dame avait un air confus, désorienté et Mabel comprenait pourquoi. Le sorcier avait dû lui jeter un sortilège de confusion. Elle ne se rappelait probablement plus de son apparence.
— Était-il blond ?, demanda tout de même Mabel en espérant raviver la mémoire de l'octogénaire.
— Je- je- pardonnez-moi, je ne me souviens plus.
Mabel sourit tristement.
— Ce n'est pas grave.
Essayant de ne pas se laisser abattre, elle raccompagna la moldue chez elle et lui effaça la mémoire.
Comme elle aurait aimé pouvoir faire de même.
En sortant de l'appartement et en refermant la porte derrière elle, elle vit les policiers descendre les escaliers, une expression vide sur le visage.
Netanya l'attendait devant sa porte.
— Alors ?
— Elle a été ensorcelée, elle ne pouvait pas le décrire.
Netanya fit une moue désolée.
Mabel ne dit rien.
Ses pensées étaient confuses. Son esprit lui criait que Grindelwald était l'intrus mais une partie plus saine de son cerveau lui chuchotait qu'elle était paranoïaque. Grindelwald ne s'était jamais aventuré aux États-Unis auparavant, pourquoi serait-il venu ici ? Juste pour elle ? Cela n'avait pas de sens. Mais elle ne voyait pas non plus pourquoi un autre sorcier aurait pénétré dans son appartement ? Et n'aurait rien touché ?
Mais d'un autre côté, ses quatorze années de travail en tant qu'Auror lui avait valu bien des ennemis. Vérifier l'état actuelle des peines de ceux qu'elle avait arrêté ne serait peut-être pas une perte de temps.
Elle en venait même à espérer que l'un d'entre eux soit libre. Simplement pour ne pas avoir à faire face à une vérité bien plus dérangeante. Que Grindelwald était de retour dans sa vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top