6| Un colis suspect

Se lever le lendemain matin avait été une vraie torture pour la sorcière et le trajet ennuyeux de chez elle au Congrès avait été encore pire. Mabel avait fini par entrer dans l'immense bâtiment avec un mélange d'appréhension et d'impatience. Elle voulait se débarrasser des questions de ses collègues sur l'événement de la veille le plus vite possible même si elle aurait préféré ne pas avoir à en parler du tout.

Elle savait pourtant qu'elle n'allait pas avoir le choix.

Quand elle s'écroula dans sa chaise derrière son bureau en bois et salua ses coéquipiers d'un signe de tête, il y eut comme un flottement gênant entre eux. Curtis passa sa main sur sa nuque, hésitant visiblement à demander à la sorcière ce qui lui triturait l'esprit. Ses yeux marrons légèrement plissés, il regarda Mabel avec inquiétude pendant de longues secondes. Mabel fut la première à craquer.

— Crache le morceau, Curt' !, finit-elle par marmonner.

Les deux Aurors se dévisagèrent calmement pendant quelques secondes. À côté d'eux, Netanya leva les yeux du papier qu'elle lisait et observa la scène avec curiosité jusqu'à ce que, finalement, Curtis pose la question qui le tourmentait depuis la veille.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé hier soir ?

La réponse de Mabel ne se fit pas attendre. Elle l'avait répété plusieurs fois dans sa tête déjà.

— J'étais fatiguée. Et j'imagine que l'Angleterre me manque plus que ce que je veux bien le montrer. (Mabel sourit faiblement puis roula les yeux.) Idiot, je sais ! Tu n'as vraiment pas à t'inquiéter pour moi.

Le ton de la sorcière s'adoucit à la fin de sa phrase. Les yeux dans le vide, elle réalisa à quel point la sollicitation de Curtis lui rappelait son ancien bras-droit, Kyle, et à quel point elle s'était attaché à lui alors même qu'elle s'était jurée il y a plusieurs années de ne plus faire cette erreur.

Elle fut happée de nouveau par le présent quand Curtis hocha la tête en la regardant avec compassion. Il ne la croyait pas mais tout dans son expression assurait Mabel qu'il serait là pour elle quoi qu'il arrive. Elle en eut chaud au cœur.

Ses pensées se dispersèrent quand une petite note blanche en forme d'avion vola à toute vitesse entre son bureau et celui de Curtis pour venir atterrir gracieusement sur celui de Netanya. L'Auror à la queue de cheval fronça les sourcils avant de déplier la note. Ses yeux naviguèrent de gauche à droite puis elle déposa le papier et se leva, faisant un signe de tête à Mabel dans la foulée.

— Suis-moi ! On nous demande au rez-de-chaussée.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?, demanda l'interpellé en se levant.

Elle était toujours d'attaque pour une nouvelle mission.

— Aucune idée, il n'y avait pas plus d'information. Curtis, je te laisse en charge du rapport pour Graves, ajouta Netanya avec un petit sourire.

— Merci beaucoup pour le cadeau !, grommela Curtis, esquissant tout de même un sourire amusé. C'est toujours les mêmes qui font tout le boulot de tout manière !

Netanya roula les yeux, d'humeur taquine, et Mabel eut un léger sourire face à une telle complicité. Puis, elle suivit sa partenaire dans le couloir sombre qui longeait la fosse à l'apparence sans fin, les petits lampadaires sur les rambardes projetant une lueur orangée jusqu'à perte de vue. Quand les deux sorcières atteignirent l'ascenseur et se mirent à l'attendre, Mabel demanda :

— Cela fait un petit moment que cela me tracasse, avoua-t-elle en jetant un rapide coup d'œil en direction du holster à la jambe droite de sa coéquipière. Pourquoi est-ce que tu portes des armes moldues sur toi ?

Netanya ne parut pas surprise par la question. Elle l'avait probablement déjà entendu plusieurs fois.

— Par habitude, principalement. Mes parents sont des Non-maj', expliqua Netanya en observant avec attention le visage de Mabel à la recherche d'un signe de dégoût qu'elle avait probablement déjà dû voir plusieurs fois sur d'autres personnes. Quand elle n'en vit aucun, elle continua : Mon père est militaire et dès mon plus jeune âge, il m'a appris à me défendre avec ce type d'arme. (Elle haussa les épaules.) Et même si ce n'est pas réglementaire, ça m'a sauvé la mise un certain nombre de fois, les sorciers ne s'attendent pas à ça.

— Et la présidente Picquery et Graves le savent ?

— Oui, bien sûr. Ils m'ont donné leur accord. Tant que je ne tue pas de Non-maj' avec, tout va bien.

Imperceptiblement, Mabel se figea. Son cœur se mit à battre plus fort au souvenir de son erreur stupide dans les rues de Brooklyn, un mois auparavant. Elle se reprit rapidement et sourit, prétendant que tout allait bien, mais Netanya, pénétrant dans la cabine d'ascenseur qui venait d'arriver, ne lui prêtait déjà plus aucune attention. Mabel la suivit en serrant et desserrant nerveusement ses poings. Cependant, à la vue du petit elfe grincheux aux commandes de la cage en fer, Mabel se détendit. Les joutes verbales qu'elle entretenait avec lui depuis plusieurs semaines déjà étaient toujours synonyme d'amusement.

— Brad, je t'ai loupé ce matin, s'exclama-t-elle en prétendant une forte tristesse.

— C'était donc pour cela que j'étais aussi morose, grogna-t-il dans sa barbe.

— Je suis là maintenant. Raconte-moi tout ce que j'ai loupé, mon chou.

Elle lui sourit de toutes ses dents et l'elfe secoua la tête, refusant de répondre. Cependant, elle vit un léger sourire apparaître discrètement sur ses lèvres et elle sut qu'elle commençait à l'amadouer.

Netanya les questionnait du regard et Mabel ironisa :

— Brad est un grand bavard. Il adore me raconter ses journées.

Netanya eut un petit rire, les yeux scintillants, alors que Brad, l'elfe de maison, secouait la tête avant de marmonner :

— Votre étage, sorcières.

— Tu es un ange !, s'exclama Mabel en sortant de la cage d'ascenseur pour pénétrer dans l'immense hall d'entrée.

Elle lui jeta un sourire rayonnant avant de s'éloigner de l'ascenseur, suivit de Netanya, pour permettre aux sorciers qui attendaient d'y pénétrer. Derrière elles, les gigantesques phénix en feuilles d'or étincelaient de mille feux. Mabel regarda sa coéquipière pour lui demander où elles devaient se rendre mais se tut quand elle aperçut son expression partagée.

Netanya releva la tête, regarda bien en face Mabel et, une gravité nouvelle dans le regard, lui déclara :

— Je suis au courant de la raison de ton transfert. (Elle laissa passer quelques secondes pour que Mabel se remette de ses émotions.) Et je ne te juge pas. Si je te le dis, c'est parce que je veux que tu saches que je suis là pour toi, au cas-où tu ressentirais le besoin de parler ou simplement de décompresser un peu. (Elle ouvrit la bouche, fronça les sourcils, avant d'ajouter tristement.) J'ai aussi perdu des amis proches, je sais à quel point cela peut être dur.

Netanya sourit, voulut poser sa main sur l'épaule de Mabel mais ne le fit pas, de peur de franchir une limite. À la place, elle lui fit un signe de tête en direction des bureaux de l'accueil sur leur gauche et s'éloigna.

Mabel la regarda partir en avalant sa salive. Cette petite révélation venait de l'ébranler au plus haut point. D'un autre côté, elle se rabroua pour avoir été aussi naïve. Bien sûr que Netanya avait été mise au courant : c'était la cheffe de leur équipe.

Elle se précipita à la suite de l'Auror et se sentit soudainement mal à l'aise. Elle remarqua aussi pour la première fois que la sorcière faisait presque une tête de plus qu'elle.

— Est-ce que Curtis le sait ?, demanda-t-elle nerveusement.

Elle se doutait de la réponse mais préférait être sûre.

— Non. Je n'avais pas de raison de le lui dire. Et ce n'est pas à moi de le faire.

Netanya lui jeta un regard compréhensif et Mabel, appréciant cette réponse, se détendit. Elle se terra tout de même dans le silence, ne souhaitant pas en dire plus et apprécia que Netanya en fasse de même.

Les deux Aurors se dirigèrent donc en silence en direction des deux bureaux qui se trouvaient sur leur gauche. Des visiteurs venaient statuer le but de leur visite ou demander des informations et des employés du Congrès entraient et sortaient de couloirs à l'arrière.

Plusieurs mètres à droite des bureaux, Mabel aperçut le long manteau noir du directeur de la sécurité magique et se redressa imperceptiblement. Elle fronça les sourcils à la vue des autres Aurors avec lui : Tina Goldstein et un certain Marcus Carter.

Ils étaient tous trois postés de dos en ligne droite et semblaient observer quelque chose avec gravité.

Les deux sorcières s'approchèrent et Mabel, les yeux rivés sur les cheveux noirs du directeur, se sentit envahir par la gêne. La situation embarrassante de la veille refit surface dans son esprit et elle dut respirer et expirer calmement plusieurs fois pour ne pas se mettre à faire une crise d'angoisse en plein milieu du hall.

Netanya s'arrêtant à la droite de Graves, Mabel vint se poser à côté de Tina Goldstein. Elle lui adressa un signe de tête courtois et la sorcière le lui rendit. Depuis leur mission ensemble, les deux femmes entretenaient des rapports plus que cordiaux mais Mabel sentait bien la tension qui émanait du groupe. Elle se tourna alors vers Graves qui la salua d'un signe de tête absent.

Les sourcils froncés, il regardait avec préoccupation une immense caisse en bois qui trônait devant eux. Mabel, soulagée de se rendre compte qu'il avait déjà oublié l'incident, sentit ses épaules se détendre et se mit alors, comme les autres, à inspecter la caisse.

Celle-ci faisait presque deux mètres de large sur deux de hauteur. Elle était faite entièrement en bois clair et aucune inscription ne venait rompre l'homogénéité de la matière. Elle semblait suspecte au plus haut point.

Mabel sentit ses sens se mettre en alerte et son cerveau tenter de trouver toutes sortes d'explications logiques quant à la présence de l'objet ici et de ce qu'il pouvait bien contenir. Elle se rappela alors tous ces accidents avec des créatures magiques en liberté et, en regardant ses collègues présents : Tina, Netanya, Marcus et même Graves, elle se rendit compte qu'ils avaient tous travaillé sur ces missions. Ce qui voulait dire que Graves soupçonnait fortement d'avoir affaire à la même chose, sinon il ne les aurait pas appelés ici.

Elle posa inconsciemment sa main sur sa baguette, attachée à un étui autour de sa taille. Elle jeta un coup d'œil à Graves de nouveau : il semblait intrigué, légèrement surpris mais aussi d'un calme glaçant.

Netanya, qui avait fait le tour de la boîte pour l'inspecter, demanda d'une voix posée :

— Une idée de qui l'a envoyé ?

— Aucune, sans surprise, répondit Graves en s'approchant de la caisse.

Il se mouvait aussi gracieusement et silencieusement qu'un chat. Et Mabel se surprit elle-même à le remarquer.

Elle s'avança alors aussitôt vers la boîte et resta silencieuse pendant quelques secondes, tâchant d'essayer d'entendre quelque chose à l'intérieur.

Rien.

Elle fronça les sourcils puis se tourna vers Graves qui observait le hall, prenant sûrement en compte toutes les variables et imaginant tous les scénarios possibles.

— Est-ce que cela ne pourrait pas être autre chose ?, demanda Mabel, sans vraiment y croire. Je veux dire, attaquer des moldus sans défense est une chose, mais s'en prendre au MACUSA... Pourquoi ? Il n'y a aucun lien.

— Peut-être voulaient-ils simplement s'assurer que leurs petits colis marcheraient bien avant de s'attaquer à leur vraie cible ?, proposa Marcus.

— Mais pourquoi ne pas le faire sur des sorciers alors ? Ils auraient eu une réaction plus similaire à la nôtre.

Tina secoua la tête, confuse.

— En plus, ils perdent l'effet de surprise, ajouta Netanya. Ils devaient se douter que nous serions mis au courant de ces histoires.

Mabel hocha la tête. Cela ne semblait pas tenir debout. Graves, à côté, les observait. Il écoutait avec attention les propos de ses Aurors, sans broncher et sans montrer son point de vue.

— La seule manière de savoir ce qu'il y a à l'intérieur, c'est de l'ouvrir, annonça Tina d'un air exaspéré.

Elle prit aussitôt sa baguette dans sa main et regarda Graves avec une expression fermée, prête au combat.

Marcus se tourna vers elle, les yeux écarquillés, prêt à protester mais Graves approuva avant qu'il n'en ait eu le temps. Mabel savoura l'expression de consternation qui apparut alors sur son visage.

— Carter, établissez un périmètre de sécurité autour de nous, ordonna Graves.

L'homme secoua la tête, un plissement d'énervement sur le front à être ainsi relégué au second plan. Toutefois, il s'éloigna de trois mètres et projeta un immense bouclier blanc en forme de dôme autour d'eux. Certains des sorciers en visite s'arrêtèrent pour observer la scène avec curiosité, au plus grand désespoir de Mabel.

— Que chacun prenne une place aux coins de la caisse.

Graves fit un geste de main et les trois sorcières se déplacèrent en même temps, comme une machine bien huilée.

Mabel fit glisser sa main le long de la caisse. Ses doigts mouvant au gré des irrégularités du bois avant de s'arrêter à deux mètres du colis, au coin droit. Elle vit Netanya se placer sur sa droite et Graves prendre le coin sur sa gauche.

Elle eut tout juste le temps d'apercevoir le mouvement de tête qu'il lui fit pour la prévenir que déjà la planche de bois qui se trouvait entre eux deux tomba au sol dans un fracas assourdissant. Elle sentit le sol trembler sous l'impact alors qu'elle levait sa baguette. Netanya, sur sa droite, recula, se préparant à intervenir si des créatures passaient entre les sorts de Mabel et de Graves. Cette dernière n'eut pas le temps de penser à la confiance qu'il semblait lui faire en la laissant s'occuper de cela avec lui qu'un brouhaha instantané se fit entendre.

Le sortilège de Blocage partit tout seul et, devant les yeux ébahis de la sorcière et sous un soudain silence de plomb, une centaine de lutins de Cornouailles se mirent à flotter dans les airs. Leur peau bleue luisait au soleil et leurs petits yeux étaient écarquillés de tristesse, ou bien de rancœur ; Mabel n'en avait aucune idée.

Elle regarda aussitôt Graves puis Netanya. Elle ne devait pas être la seule à penser que tout cela était trop facile.

Elle s'avança, jeta un coup d'œil au fond de la caisse pour s'assurer qu'elle était bien vide, écartant au passage un lutin de devant son visage, puis s'approcha du directeur de la sécurité magique. Tina se trouvait déjà à ses côtés, troublée.

Elle allait parler quand des cris se firent entendre à quelques mètres d'eux, bien en dehors du bouclier qui les séparait du reste du hall.

Les quatre Aurors se précipitèrent hors du dôme et tombèrent nez à nez avec une dizaine de visiteurs et d'employés paniqués qui couraient dans tous les sens pour se mettre à l'abri.

Un petit insecte volant d'un bleu saphir étincelant traversa le champ de vision de Mabel et la sorcière recula aussitôt. Elle retint un juron et pendant une seconde, se retrouva totalement pétrifiée.

Il y avait des Billywigs partout. Une centaine, facilement.

Elle comprit alors soudainement pourquoi certains sorciers se mettaient à léviter au-dessus du sol en battant des bras avec panique.

Le bruit des battements d'ailes des créatures emplissait le hall, cependant un léger piétinement se faisait entendre. Mabel baissa la tête et aperçut une petite armée de Boursouflets courant à toute vitesse entre les pieds des sorciers apeurés. Une symphonie de couleurs qui cherchait désespérément un abri.

Mabel ne savait pas quoi faire. Son cerveau tournait à vive allure, cherchant une solution mais les créatures étaient trop petites et trop éparpillées dans la pièce aux proportions gargantuesques pour pouvoir toutes les arrêter.

C'est à ce moment-là, et seulement quelques secondes après Graves, qu'elle l'entendit. Un rire. Non, un mélange de rires plutôt.

Par-dessus la cacophonie qui régnait, le rire de jeunes adolescents se faisaient entendre.

Mabel se tourna aussitôt en direction du son. Elle aperçut Netanya et Graves se diriger vers quatre jeunes garçons, âgés d'à peine 14 ans, qui riaient à gorge déployée près des ascenseurs. Quand ils aperçurent les deux Aurors se diriger vers eux, ils partirent en courant vers la sortie mais furent aussitôt immobilisé par un sort de Graves dont la colère était évidente sur son visage. Elle était bien contente de ne pas être à leur place.

Ce fut le bruit de sorts projetés derrière elle qui la fit se retourner et elle manqua de justesse de se prendre le dard d'un Billywig qui volait à toute vitesse au-dessus de sa tête. Elle aperçut alors Tina tentant d'immobiliser le plus de ces insectes possibles. Elle se joignit à ses efforts en immobilisant les Boursouflets, qui s'étaient regroupé, pétrifiés, sous un bureau. Mabel le fit plus pour leur sécurité, effrayée qu'ils se fassent écraser, que parce qu'elle avait peur qu'ils fassent des dégâts.

Elle s'attaqua ensuite aux créatures volantes. Ce fut un travail long et laborieux. Les Billywigs étaient rapides et cela les rendait dur à repérer et encore plus à atteindre avec des sorts et, quand finalement, plus aucun bruit d'aile ne se fit entendre, plus de la moitié des insectes s'étaient échappé.

Mabel souffla et passa sa main sur son front. Les Billywigs manquant, plus d'une cinquantaine, pouvaient désormais être n'importe où dans le bâtiment. Cela allait être une longue journée.

En se retournant vers Tina, Mabel se rendit compte que le hall était vide en dehors des cinq Aurors et de toutes les créatures. Elle en fut soulagée mais cela ne dura qu'un court instant car juste après, Marcus cria :

— Ils se réveillent !

Le chaos de cris aigus qui s'ensuivit lui fit froid dans le dos et Mabel eut tout juste le temps de se mettre à couvert qu'une nuée de lutins de Cornouailles s'échappaient du bouclier protecteur du sorcier.

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