4| Première erreur
Le sourire que Mabel avait esquissé disparut aussitôt que Graves posa les yeux sur elle. Un froncement de sourcils sur le visage, il ne cacha pas sa stupéfaction face à sa réaction. Peut-être pensait-il qu'elle était incapable d'éprouver des émotions positives sincères, comme elle le pensait pour lui...
Elle aurait bien aimé lui répondre qu'elle pouvait ressentir bien d'autres sentiments en dehors du faible éventail qu'elle montrait. Un spectre allant de la haine incontrôlée à un état de dépression intense, brièvement interrompu par des périodes plus légères où elle pouvait rire et plaisanter sans sentir le poids de sa culpabilité peser sur elle.
Cette pensée la frappa de plein fouet et son visage se ferma. La mâchoire serrée, elle détourna le regard tout en serrant plus fortement sa baguette entre ses doigts fins.
Graves ne tiqua pas et les deux employés du MACUSA observèrent en silence les badauds qui s'étaient rassemblés dans la rue à leur arrivée finir de se disperser, plongeant la rue dans un calme presque onirique.
Mabel parcourut la rue du regard, se tenant si droite et immobile qu'elle semblait figée dans la pierre. Elle fixa son regard sur un ensemble de panneaux blancs à quelques mètres d'elle. Plusieurs noms de lieux y étaient inscrits en lettres noires.
La première indication ne lui dit rien. La deuxième ne lui fut pas d'une plus grande aide. Quand elle atteint la dernière flèche blanche, cependant, elle eut un faible sourire victorieux.
Jardin Botanique de Brooklyn.
Bingo !
Elle ne s'était donc pas trompée, elle se trouvait bien sur le lieu de l'accident reportant une créature magique en liberté. Jetant un coup d'œil discret à Graves, qui avait les yeux fixés sur une vieille montre à gousset, elle se félicita d'avoir résisté à la tentation un peu plus tôt et de ne pas s'être éclipsée en douce pour aller enquêter toute seule sur l'affaire.
Elle n'osait même pas imaginer la réaction de son supérieur si elle était tombée nez à nez sur lui alors qu'elle se trouvait à l'extérieur du Congrès sans sa permission.
Se serait-il énervé ? L'aurait-il renvoyé illico au MACUSA ? Ou l'aurait-il tout simplement renvoyé pour avoir désobéi aux ordres ?
Elle n'en avait aucune idée et pour une fois, elle était bien contente de ne pas connaître la réponse.
Sur sa gauche, Graves rangea la montre et l'appela. Il n'attendit pas qu'elle ne réagisse et se dirigeait déjà, d'un pas rapide, vers la petite ruelle qu'ils avaient empruntée pour transplaner un peu avant.
Avant de le suivre, Mabel jeta un dernier coup d'œil à l'intérieur du magasin d'instruments de musique. Le vieil homme, debout parmi ses meubles et instruments nouvellement réparés, se mettait déjà à tout nettoyer, le visage plus serein. La sorcière sentit un fort sentiment de fierté fuser dans ses veines. Même si elle repartait vers sa prison dorée sans avoir de réponses au mystère des dégradations magiques, elle avait, au moins, réussi à rendre la vie de quelqu'un plus supportable.
Elle emboîta alors le pas à Graves et alors qu'elle s'approchait de la ruelle dans laquelle la veste noire du directeur venait juste de s'engouffrer, son regard fut attiré par une vive couleur, étonnamment familière, à une dizaine de mètres devant elle.
Instinctivement, ses yeux volèrent par-dessus un chien qui buvait goulûment dans une flaque d'eau ainsi qu'un homme qui lisait tranquillement le journal pour se focaliser sur ce blond, à la limite du blanc, aveuglant.
Un frisson parcourut tout son corps.
Elle aurait reconnu cette coloration n'importe où et même si, à la lumière du jour, celle-ci semblait plus vive que dans ses souvenirs, Mabel ne s'y attarda pas, préférant se laisser submerger par une fureur sans précédent.
La silhouette fine de l'homme aux cheveux blonds disparut aussi vite qu'elle était apparue, s'engouffrant dans une rue étroite sur sa droite. Mabel cligna des yeux et en un battement de cœur, elle s'engageait à sa poursuite, tenant sa baguette dans sa main comme si sa vie en dépendait.
Ses phalanges étaient blanches sur sa peau foncée et ses bottines semblaient marteler l'asphalte sous ses pieds. Sans même se retourner, elle passa en coup de vent devant la ruelle où Graves l'attendait, allant même jusqu'à l'ignorer quand il appela son nom avec autorité. Il la remercierait quand elle ramènerait le corps sans vie de Gellert Grindelwald devant le MACUSA.
Effrayée à l'idée de perdre sa trace aussi rapidement qu'elle ne l'avait trouvée, Mabel se mit à courir. Ses pensées, un tourbillon incohérent, et son visage, aussi impassible et froid que de la pierre.
Le simple fait de penser que Grindelwald se trouvait à New York, littéralement sous son nez, la rendait folle de rage. Elle se demandait depuis combien de temps il était là ? Et s'il s'était bien amusé à la voir ainsi baigner dans l'ignorance ?
Avec rapidité, elle passa devant la devanture d'un barbier ainsi que d'un boucher avant de pénétrer dans la ruelle étroite que le mage noir avait empruntée seulement quelques secondes auparavant.
Au-delà des poubelles entassées maladroitement contre le mur de gauche, elle le vit. Grindelwald.
La tête baissée, il semblait tenir quelque chose dans sa main droite. Mabel ne perdit pas de temps en réflexion et tendit sa baguette devant elle.
Elle ne le laisserait pas s'échapper. Elle n'attendrait pas qu'il la voit. Plus rien d'autre ne comptait que sa vengeance.
Il était temps de mettre un terme à la liberté de celui qui lui avait fait tout perdre.
Son sortilège sur le bout des lèvres, Mabel eut à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'elle se retrouva projetée contre le mur de briques sur sa droite. Ses poumons se vidèrent sous l'impact et elle s'écroula au sol, totalement hébétée.
Comment avait-il fait pour réagir aussi vite et surtout sans qu'elle ne le voie ?
La tête douloureuse, elle se releva en chancelant et tendit la main devant elle pour se défendre, se rendant compte, trop tard, qu'elle ne tenait plus sa baguette.
Une pensée terrifiante et légèrement réconfortante, traversa son esprit. Elle allait mourir. Ici et maintenant.
Son bras retomba contre son flanc et elle soutint le regard du mage noir, s'attendant déjà à voir la lueur verte la frapper de plein fouet.
Sa respiration se bloqua quand les yeux verts de l'homme plongèrent dans les siens. Son visage angélique déformé par la suspicion et l'inquiétude. La main posée sur une poignée de porte et des clefs dans l'autre, il n'avait strictement rien à voir avec Gellert Grindelwald si ce n'était pour ses cheveux blonds-blancs ramenés nettement en arrière.
Mabel se sentit pâlir. Clignant plusieurs fois des yeux, elle tenta de refouler cette envie de vomir qui grandissait en elle.
Aussi silencieux qu'un chat, Graves passa devant elle et fit un signe de main au jeune homme pour le rassurer. Mabel laissa échapper un hoquet de surprise avant de se passer une main sur le visage. Elle posa la seconde sur le mur de briques sur sa droite, prenant confort dans la dureté, la stabilité ainsi que la froideur des pierres sous sa peau.
Elle tremblait de tout son corps.
Son cœur battait à cent à l'heure.
Elle savait pertinemment quel sort elle avait eu l'intention de lancer.
Elle perdait la tête, ils avaient tous raison.
Elle aurait pu tuer un moldu. Comme ça, sur un coup de tête. Simplement parce qu'il ressemblait vaguement au mage noir qui hantait ses nuits.
Une telle faute, ici aux Etats-Unis, c'était la peine de mort qui l'attendait.
Le bruit sec d'une porte qui s'ouvrit et qui se referma lui fit relever la tête. Quand elle fut capable de reporter son regard vers le moldu, celui-ci avait disparu.
Mabel souffla, et du coin de l'œil, elle vit Graves se retourner vers elle, faisant voler la baguette de la sorcière du sol où elle était tombée à sa main. Il ne fit aucun geste pour la lui rendre.
La sorcière évita soigneusement son regard. Elle ne souhaitait pas voir son expression. Elle avait agi irrationnellement. Comme il avait dû s'y attendre.
Tandis qu'il agrippait son avant-bras fermement et transplanait, Mabel réalisa que c'était lui qui l'avait projeté contre le mur. Que c'était lui qui l'avait empêché de faire la plus stupide des erreurs. Après tout, elle avait fait des choses idiotes dans sa vie mais jamais, jamais, elle n'avait pointé sa baguette sur un moldu avec l'intention de lui faire du mal.
Les deux sorciers atterrirent dans la ruelle jouxtant le Woolworth Building. Étroite et située à l'ombre du bâtiment, elle constituait le lieu de transplanage favoris des sorciers travaillant au Congrès.
Mabel releva alors la tête vers Graves, hésitant entre le remercier et se taire. Elle opta pour la seconde solution alors qu'il l'entraînait derrière lui en direction de l'entrée du bâtiment.
Les quelques minutes de trajet semblèrent se dérouler à une lenteur folle. Graves ne lui lâcha pas le bras, ses doigts enserrant fortement Mabel et montrant ainsi sa colère.
La sorcière avait l'impression d'être sa prisonnière et elle se demanda d'ailleurs si ce n'était pas réellement le cas. Après tout, il l'avait prévenu : au moindre faux pas, c'était la fin pour elle.
Cependant, et à sa plus grand surprise, Graves l'entraîna dans son bureau. La tension qui semblait courir dans ses veines sembla se calmer mais aussitôt que ce fut le cas, un questionnement inquiet fit son apparition dans le cerveau de l'Auror. Ou plutôt, ex-Auror.
Peut-être cherchait-il simplement à faire le sale boulot dans un endroit clos où il n'y aurait pas de témoins.
Mabel pénétra dans le bureau avec une boule au ventre et sursauta légèrement quand Graves referma la porte violemment derrière elle d'un simple mouvement de la main. Le claquement résonna dans la pièce grise tandis que la sorcière sentit une pointe de respect naître en elle. Peu de personnes pouvaient ainsi utiliser la magie sans baguette.
Elle se fit une note mentale de ne jamais se faire de Graves un ennemi, si ce n'était pas déjà trop tard.
Le directeur de la sécurité magique contourna son bureau et, avec énervement, retira sa veste noire avant de la jeter sur sa chaise.
Mabel se figea derrière les chaises qui se trouvaient au milieu de la pièce. Voir un homme qui ne montrait habituellement aucune expression s'énerver ainsi la rendait nerveuse.
Graves desserra sa cravate avant de poser ses mains à plat sur la surface noire du bureau. Il la regarda alors droit dans les yeux et Mabel n'eut d'autre choix que de soutenir son regard.
À la vue de la colère et de la déception qui se lisaient sur son visage, la sorcière cilla avant de se reprendre.
Elle détestait voir à quel point il l'impressionnait.
Elle détestait voir à quel point elle vouloir lui faire bonne impression. Et échouait misérablement.
Mais ce qu'elle détestait le plus, c'était d'être partie en vrille devant lui. De lui avoir donné une bonne raison de ne pas lui faire confiance. De lui avoir prouvé qu'elle n'était pas fiable, exactement comme il le pensait depuis le début. Exactement comme il le pensait quand il lui avait confisqué sa baguette un peu plus tôt. Et exactement comme il le pensait lors de leur toute première rencontre.
Sans surprise, quand il prit la parole, son ton était dur et sec.
— Qu'est-ce qu'il vous a pris ?
Mabel déglutit. La mâchoire serrée du directeur et ses yeux dilatés au possible à cause de sa colère le rendait menaçant. Mais ce qui l'interpellait le plus était la lueur de déception qui brillait dans son regard.
Elle n'avait pas besoin de chercher bien loin pour savoir pourquoi il ressentait cela. Ce n'était pas tellement le fait qu'elle ait fait une énorme et stupide erreur, non cela, il devait sans douter après avoir lu son dossier. Ce qui le décevait autant, c'était qu'il lui avait fait confiance ; c'était qu'il avait cru pouvoir faire d'elle un bon élément. Et il venait de se rendre compte qu'il avait eu tort.
Quelques jours auparavant, elle aurait sûrement protesté mais pas aujourd'hui, elle n'était pas assez naïve pour le faire. Elle se rendait très bien compte de la gravité de ce qu'elle avait été sur le point de faire.
Toutefois, une petite partie de son cerveau, son ego probablement, la fit dire, alors même qu'elle savait que c'était idiot :
— C'était une erreur de jugement.
Elle avait failli rajouter : cela n'arrivera plus. Mais d'une, elle n'en était pas si sûre et de deux, une telle phrase n'aurait amené qu'une seule réponse : Non, vous avez raison. Vous êtes renvoyée. Et elle n'avait vraiment pas envie d'entendre cela.
Debout dans ce bureau froid et lugubre, elle prit conscience que la seule chose qui la gardait saine d'esprit était ce travail. Et elle n'osait pas imaginer le puits de folie dans lequel elle s'enfoncerait si elle n'avait pas une raison de se lever tous les matins.
Le rire grave de Graves la ramena dans l'instant présent et elle fronça les sourcils. Une main sur les yeux, il laissa échapper un autre rire sans joie et Mabel y décerna une profonde lassitude.
— Rentrez chez vous, Cole. (Sur ce, il s'assit sur sa chaise, ne la regardant même pas.) Et la prochaine fois, ne vous laissez pas contrôler par vos émotions aussi facilement.
Mabel sentit un frisson lui parcourir le corps. Il savait.
En prononçant sa phrase, elle avait senti son ton être moins dur, ses yeux, remontant sur son visage, être moins froids, et Mabel, dont le soulagement avait commencé à grandir en elle à la perspective de ne pas être renvoyée, se sentit soudain totalement nue.
Elle détestait cela. Elle détestait qu'il puisse lire en elle aussi facilement. Elle détestait qu'il connaisse autant de choses sur elle sans qu'elle n'ait eu son mot à dire là-dessus. Elle détestait que la seule opinion qu'il avait d'elle était celle qu'il s'était faite sur ses expériences passées, consciencieusement recopiées sur quelques pages en papier. Et elle détestait au plus haut point constater que ses expériences passées, qu'elle pensait ne jamais revivre, la rattrapaient au galop.
Elle détestait beaucoup de choses.
Mabel hocha la tête et se détourna. Elle n'avait qu'une envie, sortir de ce bureau étouffant.
En refermant la porte derrière elle et en pénétrant dans le couloir, elle se prit la tête entre les mains.
Elle n'avait pas rêvé, elle avait vu de la pitié dans son regard. Etait-ce ce sentiment qui lui avait évité un renvoi ?
Si c'était le cas, elle aurait préféré ne jamais le savoir.
Elle fit un pas en avant et eut l'impression d'avoir des boulets enchaînés aux pieds. Elle se sentait lourde. Elle avait l'impression qu'elle allait couler, qu'elle allait manquer d'air.
Sa respiration se bloqua dans sa gorge et elle ferma les yeux, amplifiant sa détresse.
Posant les mains à plat sur le mur du couloir, elle inspira profondément, se concentrant sur la froideur de la pierre sous ses paumes.
Tu n'es pas en train de te noyer. Tu n'es pas en train de suffoquer. Tout va bien.
Elle se répéta ce credo plusieurs fois dans sa tête, inspirant et expirant profondément à chaque fois. Petit à petit, sa respiration s'apaisa et elle remarqua alors que ses mains n'étaient plus posées à plat contre le mur mais serrées en poings. Ses ongles si violemment enfoncés dans sa chair que des gouttes de sang perlaient sur sa peau et tombaient à intervalle régulier sur le sol.
Elle perdait définitivement la tête.
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