3| De retour sur le terrain

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Les secondes semblaient défiler aussi lentement que des heures et Mabel devenait folle.

Le regard rivé sur sa montre au bracelet de cuir noir, elle attendit plus ou moins patiemment que la petite aiguille ne tombe sur le six. Quand finalement, ce fut le cas, elle se redressa, souffla un grand coup et reprit sa plume dans sa main. Elle n'arrivait pas à croire que même prendre une pause l'énervait à ce point.

Il fallait dire qu'entre observer sa montre pendant dix minutes ou bien s'atteler à des tâches toutes plus ennuyantes les unes que les autres, elle n'était pas gâtée.

Elle secoua aussitôt la tête, ce n'était pas le moment de se laisser envahir par la colère. Elle ne voulait pas réagir de manière impulsive et faire ou dire quelque chose qu'elle finirait par regretter. À la place, elle reporta son attention sur la petite note en papier blanc qu'elle avait devant les yeux. Elle ne savait pas si c'était la meilleure idée car aussitôt elle sentit sa colère revenir au galop. Ah, si elle pouvait mettre la main sur l'idiot qui l'avait écrit, il passerait un sale quart d'heure. Cela faisait maintenant plus de vingt minutes qu'elle tentait, tant bien que mal, de déchiffrer ce qu'il avait écrit et pour l'instant, elle n'en avait récupéré qu'un ensemble de lettres et de chiffres incompréhensibles.

B...IN  ..OSSI... IMP........ 50W..8..

Les lettres ressemblaient d'ailleurs plus à un gribouillis grotesque qu'à autre chose et elle ne comprenait même pas comment quelqu'un avait pu se permettre d'envoyer une missive dans un tel état. S'attendait-il vraiment à avoir une réponse ? Elle se retint de jeter le papier à la poubelle.

Au lieu de céder à ses pulsions, elle se remit à tenter de le déchiffrer mais après cinq autres minutes où elle ne put récupérer qu'un E, qui aurait tout aussi bien pu être un F, elle jeta l'éponge.

Elle reposa sa plume sur son bureau et se prit la tête dans les mains. Elle était désespérée. Bien sûr, elle pouvait arrêter de travailler sur cette note mais au fond, qu'avait-elle d'autre à faire ?

Depuis sa rencontre avec le directeur de la sécurité magique, il y avait de cela deux semaines, elle avait été bloquée derrière son bureau. Les seules tâches qu'elle avait à faire étaient de type administratif et elle savait très bien que les autres Aurors ne les lui confiaient pas sans raison. C'était ce cher M. Graves qui le voulait. Elle pouvait comprendre qu'il ne lui fasse pas suffisamment confiance pour l'envoyer en mission à l'autre bout des Etats-Unis mais de là à l'enfermer ici, c'était un peu fort. Certaines fois, quand elle avait bien trop de temps libre sur les mains, elle se mettait même à se demander s'il cherchait à la rendre folle d'ennui pour qu'elle démissionne. Si c'était le cas, il était le plus grand expert en torture qu'elle n'avait jamais connu. Dommage pour lui, elle était aussi fière qu'un hippogriffe et n'était pas prête à se laisser manipuler aussi facilement.

Si elle le devait, elle serait comme un caillou dans sa chaussure : énervant au plus haut point mais dont il aurait un mal fou à se débarrasser.

Bien évidemment, la situation dans laquelle elle se trouvait actuellement ne l'avait pas dérangée au début, bien au contraire. Cela lui avait permis de faire la connaissance des Aurors du département et plus particulièrement de ceux avec qui elles seraient amenées (peut-être un jour, si Graves comptait la laisser sortir) à travailler en étroite collaboration. Elle avait remarqué très rapidement que Netanya Mizhari, l'américaine d'une trentaine d'années, était une Auror sérieuse mais très serviable et que le jeune Curtis Fletcher était un expert dans l'art du sarcasme, ce qu'elle appréciait grandement.

Lors de leurs rares discussions, elle avait aussi appris qu'ils n'avaient pas été mis au courant de la raison de son transfert et avait ainsi donc pu leur fournir une explication (ou plutôt un mensonge) si banal et ennuyant que la curiosité qu'ils avaient pu avoir avait disparu aussi rapidement qu'une bague en présence d'un niffleur. Elle avait donc pu profiter ensuite d'une tranquillité toute relative qui lui avait permis de faire ce pourquoi elle était venue : aller fouiner dans les archives du MACUSA.

Cependant, même cela n'était pas suffisant pour combler ses journées et à mesure que les jours passaient et qu'elle se retrouvait emprisonnée à cet étage sombre et silencieux, elle commençait à regretter de ne pas être dans les rues de New York à étouffer sous la chaleur oppressante qui semblait ne jamais quitter la ville. Elle aurait tout donné pour avoir affaire à quelque chose de plus distrayant que des notes de service ou des dépêches urgentes.

Elle ne demandait quand même pas grand-chose, une simple enquête de routine lui aurait suffi. Elle voulait simplement pouvoir se remettre à enquêter. Cela lui manquait au plus haut point. De la même manière, et cela l'étonna, elle détestait aussi se sentir aussi seule. Au Ministère de la Magie, elle ne l'avait jamais vraiment été, elle connaissait tout le monde, mais ici, c'était l'inverse. Et les seules personnes qu'elle avait rencontrées, les autres Aurors, étaient pour la plupart toujours dispatchés sur le terrain, la laissant donc au bureau, seule, bien plus souvent qu'elle n'en avait l'habitude.

En ce moment-même d'ailleurs, Netanya et Curtis étaient partis depuis trois jours pour enquêter sur l'inquiétante disparition d'un fabricant de baguette au Texas et Mabel se retrouvait ainsi à contempler deux bureaux vides. Celui en face du sien, le bureau de Curtis, était dans une pagaille monstre. Des tours de fiches en tout genre se trouvaient à chaque extrémité et menaçait, à chaque léger courant d'air, de s'effondrer dans une pagaille monstre. À l'inverse, celui de Netanya, sur sa droite, était impeccable. Presque trop. Il lui faisait d'ailleurs beaucoup penser au bureau du directeur Graves. Tellement propre et bien rangé que l'on avait l'impression que personne n'y travaillait.

Légèrement démoralisée, Mabel s'appuya contre le dossier de sa chaise à roulette et se mit à contempler le plafond blanc avec ennui. Ce fut seulement quand une autre note s'écroula sur son bureau qu'elle se redressa, sans n'avoir aucune idée du temps qu'elle avait passé à rêvasser.

Elle prit la note dans ses mains et pria pour que celle-ci soit mieux écrite que la précédente avant de déplier le papier blanc doucement. S'il y avait bien une chose qu'elle ne souhaitait pas, c'était refaire la même erreur qu'à ses débuts et se retrouver avec un tas de notes déchirées en deux.

À son plus grand soulagement, l'écriture qui se trouvait à l'intérieur était impeccable et le message qui y était noté était on ne peut plus intriguant.

« Nouvel accident à Brooklyn, possible créature magique en liberté. », suivi de l'adresse du lieu de l'accident en question.

Mabel contempla le papier pendant plusieurs secondes, une curiosité familière courant dans ses veines. Cela n'était pas la première fois qu'ils recevaient un message dans ce genre du département qui référençait les accidents « étranges » qui se déroulaient à New York. C'était même le troisième en deux semaines. Et même elle savait qu'autant d'accidents liés à des créatures magiques n'étaient pas naturels.  Pourtant, à chaque fois que des Aurors s'y rendaient, ils revenaient toujours les mains vides et à ce qu'elle avait entendu, leurs enquêtes n'avançait pas d'un pouce.

Mabel se mordit la lèvre inférieur en jetant un coup d'œil au reste de la pièce. Elle était seule. Si elle partait maintenant pour aller se faire une idée de l'accident en question, personne ne le remarquerait.

Elle riva ses yeux marrons sur le papier, en quête de réponse, tout en tapotant la surface dure du meuble avec ses doigts.

C'est une mauvaise idée.

Un grognement de frustration traversa ses lèvres alors qu'elle se prenait la tête dans les mains. Même si elle avait désespérément besoin d'action, le mieux pour elle était de continuer à suivre les ordres.

À contrecœur, elle se leva, prit les deux notes dans sa main et se dirigea vers l'immense tableau d'affichage en liège qui trônait près des portes de la salle de réunion. Celui-ci était déjà bien chargé. Il servait à rassembler un pêle-mêle d'informations.

Tout en haut de celui-ci étaient d'abord accrochés, en large, les portraits robots des cinq mages noirs les plus recherchés du moment, Grindelwald en tête. En dessous, une vingtaine de petites vignettes se succédaient les unes après les autres, donnant chacune les contacts d'urgence de toutes les grandes institutions du pays. Puis, enfin sur le reste du tableau, donc la grande majorité, se trouvait une cinquantaine de petites notes de services, comme les deux qu'elle tenait dans les mains.

Les notes qui étaient accrochées ici étaient souvent des informations jugées secondaires par les Aurors. C'est-à-dire que s'il n'avait pas le temps, ou bien l'envie, de partir enquêter sur cette affaire, il l'accrochait ici et un autre pouvait venir y jeter un coup d'œil.

Si on lui demandait son avis, ce que personne ne faisait, Mabel trouvait que cela était une très mauvaise idée. Elle savait bien que les Aurors ne pouvaient pas être partout et qu'ils devaient faire des choix mais avec la quantité de notes qu'elle voyait sur le tableau, elle se rendit bien compte qu'un grand nombre d'accidents n'étaient jamais enquêtés. Certaines des notes dataient même de plusieurs mois.

Elle secoua la tête, accrocha ses deux papiers et se fit une note mentale de parcourir les autres quand elle aurait le temps. Elle voulait être sûre qu'aucun événement capital n'était passé à la trappe.

Ensuite, elle recula pour avoir une vue d'ensemble du tableau. Plus ses yeux passaient sur les notes, plus elle en reconnaissait. Elle en avait accroché un bon nombre vu qu'elle n'était pas censée pouvoir enquêter par elle-même. À la vue de cela, elle en venait à se dire qu'elle avait plus le travail d'une secrétaire que d'une Auror.

Elle savait d'ailleurs que beaucoup de ses collègues commençaient à se poser des questions sur sa situation mais ils avaient la délicatesse de ne pas le dire à voix haute et elle les remerciait pour cela. C'était d'ailleurs en partie pour cela qu'elle commençait à les apprécier.

De plus, passer du temps en leur compagnie l'aidait à ne pas se mettre à déprimer plus que d'ordinaire. Après tout, la seule raison qu'elle avait eu d'accepter son transfert avait été parce qu'elle pensait que le MACUSA aurait plus d'informations sur Grindelwald que le Ministère de la Magie et pourtant, en épluchant leurs archives, elle devait bien admettre qu'il n'y avait rien de nouveau. De temps à autres, cependant, certains accidents lui rappelaient le mode opératoire du mage noir mais elle ne pouvait pas se rendre sur les lieux et les rapports des Aurors en charge du dossier était toujours absolument inutiles. Cela la rendait folle, il était là, dehors, et pourtant personne n'était capable de le trouver.

— Cole !

Mabel sursauta, surprise d'entendre une voix à cet étage. Elle ne s'était pas rendu compte à quel point elle s'était habituée au silence qui l'entourait. Elle se retourna précipitamment et tomba sur Percival Graves qui jetait un regard circulaire autour de la pièce.

Son cœur sembla s'arrêter. Après deux semaines sans le croiser, elle devait admettre qu'il ne lui avait pas particulièrement manqué. Elle se surprit à vouloir savoir ce qui l'amenait ici. Bien sûr, elle voulait aussi beaucoup lui dire deux ou trois mots sur la façon dont il la traitait depuis son arrivée mais elle n'était pas encore suffisamment idiote ou énervée pour hausser la voix devant son supérieur.

Celui-ci fronça les sourcils quand il reporta son attention sur elle et avec une expression résignée, il lui fit signe de le suivre.

Mabel ne se fit pas prier. Tout pour sortir d'ici. Elle se précipita vers son bureau et récupéra sa veste bleue marine fine, grimaçant légèrement à l'idée de devoir la mettre sur le dos. Mais elle n'avait pas vraiment le choix, cela n'aurait pas été très professionnel de se balader en chemise à côté du bras droit de la présidente.

Ensuite, elle s'engouffra dans le couloir sombre qui séparait les bureaux de l'ascenseur en enfilant sa veste. Elle atteint la cabine en fer forgé noir quelques secondes après Graves mais, au regard qu'il lança dans sa direction, elle comprit qu'il était passablement ennuyé d'avoir eu à l'attendre. Elle entra dans la cabine sans un mot. Elle n'allait pas s'excuser pour cinq secondes de retard.

L'elfe de maison qui se trouvait sur la gauche de Graves lui fit un signe de tête avant de mettre l'ascenseur en marche et Mabel fut rassurée de voir que ce n'était pas Brad, l'elfe grincheux qu'elle avait l'habitude de taquiner, qui était là aujourd'hui. Elle était persuadée qu'il n'aurait pas pu s'empêcher de lui faire une remarque sur son retard et elle n'était pas sûre qu'elle aurait pu retenir une réponse cinglante en retour.

Cependant, au bout de quelques secondes, elle finit par regretter sa présence.

Un silence pesant régnait dans la cabine. Se tenant bien droite à côté de Graves, elle pouvait littéralement entendre la respiration râpeuse et basse de l'elfe. Elle se gratta la nuque nerveusement, se demandant si elle devait dire quelque chose. Peut-être lui demander où ils allaient ?

Mabel n'eut pas à tenter sa chance, à son plus grand soulagement. Elle n'était pas du genre à être intimidée facilement mais quand elle était en sa présence, elle avait l'impression de devoir marcher sur des œufs.

Elle était prête à remercier silencieusement les nouveaux arrivants mais quand elle vit leur nombre, elle se retint. Six gratte-papiers du département des naissances et décès pénétraient dans la petite cabine de l'ascenseur, saluant tour à tour Graves et tentant désespérément de se mettre le plus loin possible de lui. Elle n'était pas étonnée, personne ne voulait être celui qui se retrouverait à le coller et à donc, risquer de se faire mal voir.

Hélas pour elle, un homme d'une cinquantaine d'années vint se placer dans un minuscule espace sur sa droite et elle n'eut pas d'autre choix que de se décaler, tapant contre l'épaule de Graves.

Magnifique, pensa-t-elle amèrement. Comme si j'avais besoin de me faire plus remarquer.

Elle resta aussi immobile qu'elle le put, imaginant facilement l'expression ennuyée que devait avoir son supérieur. La mâchoire serrée, les sourcils légèrement froncés et le regard fixé devant lui comme un robot.

Finalement, de la lumière naturelle éclaira les contours de l'ascenseur et les portes de la cabine s'ouvrirent sur le hall. Tous les sorciers les laissèrent passer et Mabel suivit Graves jusque dans le couloir de son bureau. Elle fut déçue quand elle le vit passer devant la porte qui débouchait sur l'extérieur et se demanda alors ce qu'il comptait bien faire d'elle.

Il pénétra dans son bureau et elle attendit. Plusieurs minutes passèrent avant qu'il n'en ressorte, comme si de rien n'était. Il rejoignit Mabel et posa sa main sur son bras. La sensation familière d'être aspirée la frappa de plein fouet et bientôt ils se retrouvèrent tous les deux à l'extérieur.

La sorcière cligna des yeux plusieurs fois, éblouie. Puis, elle observa l'endroit dans lequel ils avaient atterri, tentant de se situer. Elle ne connaissait pas encore très bien New York et la ruelle sale et banale dans laquelle ils avaient atterri ne l'aidait pas particulièrement. Cela aurait pu être n'importe quelle ruelle malodorante de la ville.

Cependant, elle était infiniment heureuse d'être enfin de retour sur le terrain. Elle se retint tout de même de sourire de toutes ses dents.

Elle se félicita d'ailleurs de l'avoir fait quand Graves apparut devant elle, son habituelle expression froide sur le visage. Visiblement, il ne l'avait pas amené de bonté de cœur. Soit il avait dû se contenter d'elle parce que tous les autres Aurors étaient déjà occupés ailleurs, soit c'était une manière pour lui de garder un œil sur elle pendant sa première mission, ce qui ne l'enchantait pas.

— Votre baguette.

Graves plongea ses yeux dans les siens avant de tendre la main vers elle. Mabel ne put retenir une expression consternée. Il était hors de question qu'elle ne se sépare de sa baguette lors d'une mission !

Une réplique cinglante lui brûlait les lèvres mais elle se retint de la dire, se contentant de soutenir le regard froid de son supérieur. Elle n'avait pas l'intention de la lui donner, s'il la voulait, il allait devoir venir la chercher lui-même. Mabel n'avait jamais été du genre à cacher sa baguette, elle préférait l'avoir à porter de main mais ce n'était pas pour autant qu'elle était facile à voir.

Elle ne fit donc aucun geste pour satisfaire sa demande et Graves fronça les sourcils. Il se rapprocha d'elle sans la quitter des yeux et Mabel fit de son mieux pour ne pas flancher. Ses yeux marrons foncés renvoyaient une expression sévère lui donnant l'impression d'être une enfant de dix ans désobéissante.

Elle sentit une main passer sous sa veste et elle sut qu'il était en train de récupérer sa baguette lui-même. Elle fut légèrement impressionnée. Elle se demandait comment il avait pu découvrir qu'elle la gardait à un étui autour de sa taille. Il était bien plus observateur qu'il n'en donnait l'impression.

Sans un mot, il glissa la baguette de la sorcière dans la poche de sa veste noire et se retourna. Mabel le regarda s'éloigner avec un mélange de colère et de honte.

Elle était en colère qu'il puisse douter d'elle comme cela mais elle était aussi honteuse de savoir que ses actions passées pouvaient donner à son nouveau supérieur une estime aussi faible d'elle. Qu'il puisse penser qu'elle soit si dangereuse ou inconsciente qu'il faille lui retirer son seul moyen de défense était immensément vexant.

Elle haussa la tête et se débarrassa de ces pensées. Elle avait justement l'occasion de se faire mieux voir. Sur ce, elle lui emboîta le pas et sortit de la ruelle.

La rue dont laquelle elle atterrit était bordée d'immeubles et de petits magasins en tout genre. Tout était calme si ce n'était pour une dizaine d'hommes en costume qui parlaient fort et observaient avec curiosité un magasin à la devanture verte sur le trottoir d'en face.

Mabel ne voyait pas très bien de là où elle était mais elle était sûre que les trois hommes qui se tenaient devant étaient des inspecteurs moldus. Elle ne s'était donc pas trompée, Graves l'emmenait enquêter. Elle se permit un sourire avant d'accélérer le pas pour se retrouver à sa hauteur. Il ne lui accorda pas un regard.

Ils marchèrent en silence et d'un pas rapide les derniers mètres qui les séparaient du magasin à la devanture verte. Mabel fronça les sourcils quand elle s'arrêta devant. La vitre qui occupait une grande partie de la façade était brisée en mille morceaux et recouvraient maintenant le trottoir d'une cinquantaine de petits bouts de verre. Elle jeta un regard interrogateur à Graves qui saluait les inspecteurs. Il lui jeta un regard et lui fit signe de le suivre à l'intérieur.

Quand elle passa la porte, son incrédulité fut encore plus forte. La pièce principale de ce qu'elle imaginait être un magasin pour acheter des instruments de musique était sens dessus dessous. Ce n'était pas un simple bazar ou le résultat d'un cambriolage. Non, on pouvait sentir que ceux qui avaient fait cela ne voulait qu'une chose : tout détruire.

Cela lui fit mal au cœur. Elle avança dans la pièce, faisant craquer le parquet en bois sous ses pieds, et observa les dégâts. Des violons étaient éventrés au sol, des touches de piano recouvraient toutes les surfaces possibles et inimaginables et une trompette était enfoncée dans un mur.

Des instruments d'une grande valeur détruits de toutes les manières possibles.

Mabel n'osait même pas imaginer l'état dans lequel devait être le propriétaire des lieux. Elle observa Graves et vit dans son regard la même surprise et interrogation que dans le sien. Qui avait bien pu faire cela et surtout pourquoi ?

Cela devait avoir un lien avec la magie, sinon ils ne seraient pas là. Mais est-ce que cela avait un lien avec la note qu'elle avait reçu un peu avant ? Parlant d'une bête en liberté ?

Elle jeta un coup d'œil dehors, tâchant de savoir si elle était dans Brooklyn ou non, mais pour elle tous les quartiers se ressemblaient et elle abandonna très vite l'idée de se repérer.

Une voix apeurée lui parvint alors du fond de la pièce.

— Des petits monstres !! Je- je suis sûr de ce que j'ai vu !

Mabel se retourna et avança vers la voix, suivant Graves. Ils débouchèrent dans un petit bureau assez chaleureux qui semblait avoir inexplicablement survécu aux damages de la pièce adjacente. Un gémissement plaintif se fit entendre et Mabel aperçut un vieil homme recroquevillé sur un fauteuil. Les yeux grands ouverts, il tremblait de tout son corps, encore sous le choc. En face de lui, un policer tenant un calepin essayait de récupérer des informations mais semblait perdre patience face aux divagations du vieil homme. Graves lui glissa quelques mots à l'oreille et celui-ci ne perdit pas de temps pour partir. Mabel le suivit des yeux et s'étonna de le voir entraîner ses collègues avec lui. Ils semblaient quitter les lieux. Mabel fronça les sourcils et dévisagea son supérieur, se demandant bien ce qu'il leur avait dit pour les faire partir.

Celui-ci était déjà agenouillé devant le vieil homme et lui demandait d'une voix qui semblait étonnamment douce ce qu'il avait vu. Mabel se figea, surprise de l'entendre parler sans ses habituelles inflexions froides et tranchantes. L'homme sembla se calmer quelque peu et il se mit à parler d'une voix saccadée :

— Ils étaient petits et bleus. Ils avaient de grandes dents pointues. Et ils souriaient. (L'homme frissonna avant de reprendre.) Ils étaient partout et rapides. J'ai dû m'enfermer dans mon bureau pour leur échapper.

Le vieil homme secoua la tête puis se prit la tête dans les mains, tremblant. Il était traumatisé.

Graves se pencha en avant et demanda gentiment :

— D'où sont-ils venu ?

— Ils étaient dans l'une des caisses que je venais de recevoir. Elle était censée contenir un Stradivarius. J'aurais dû me douter que quelque chose n'allait pas.

— Comment ça ?, demanda Mabel.

Elle serra aussitôt les lèvres. Elle avait trop l'habitude d'être celle en charge. Graves ne dit rien ; à la place, il attendit la réponse du vieil homme.

— Le prix... Il était bien trop bas. Je pensais que j'avais affaire à quelqu'un qui ne s'y connaissait pas...

Graves se releva, fronçant les sourcils.

— Pouvez-vous nous montrer cette caisse ?

L'homme hocha la tête, avant de se lever. Il s'avança avec lenteur dans la pièce dévastée en s'appuyant sur une vieille canne en bois. Mabel avait pitié de lui, tout dans son regard et dans sa démarche démontrait sa tristesse et sa fatigue. Ce magasin devait représenter toute sa vie et maintenant, il n'en restait plus rien.

Le vieil homme s'arrêta devant une caisse en bois rectangulaire d'une trentaine de centimètres de hauteur. Pour l'instant, rien d'étonnant, se dit Mabel. Elle se pencha au-dessus, s'attendant à trouver quelque chose à l'intérieur, mais rien, la caisse était totalement vide. Elle échangea un regard inquisiteur avec Graves avant de reporter son attention sur la pièce. De par la description du vieil homme sur les créatures et la destruction qui régnait dans la pièce, ils ne pouvaient avoir affaire qu'à une seule chose.

— Cela n'a aucun sens. Pourquoi est-ce que quelqu'un enverrait des lutins de Cornouailles à un moldu ?

Sa question était sortie de sa bouche avant qu'elle n'ait eu le temps de la retenir. Elle savait bien qu'elle ne faisait que dire tout haut ce qu'il pensait. Il ne sembla pas gêné mais plutôt perdu en pleine réflexion et Mabel se détendit. Depuis qu'ils étaient entrés dans le magasin, elle avait l'impression d'avoir affaire à un tout autre homme. Il était moins froid et semblait même ne plus la regarder avec autant de dédain qu'auparavant.

— Est-ce que vous pensez que cela a un lien avec les deux autres accidents qui se sont déroulés la semaine dernière ?, demanda-t-elle, en ramassant distraitement une touche de piano qui traînait sur une étagère penchée.

La semaine précédente, deux autres magasins s'étaient retrouvés détruit de fond en comble de la même manière, selon les rapports qu'elle avait pu lire. Les causes avaient été attribué à des goules. Ils ne les avaient pas attrapés ni même compris comment elles étaient arrivées là-bas ou pourquoi.

— Tout est possible, se contenta-t-il de répondre.

— Cela pourrait aussi être une farce idiote d'un sorcier avec un peu trop de temps sur les bras ?

Après tout, ce ne serait pas la première fois que cela arriverait, pensa-t-elle amèrement. Avant d'être Auror, elle avait passé bien du temps à traquer des petits rigolos d'une quinzaine d'années qui trouvaient que piéger des moldus était l'activité la plus drôle du monde. Graves ne sembla pas convaincu. Il jeta un dernier coup d'œil à la caisse avant de se tourner vers le propriétaire du magasin.

— Est-ce que vous avez le nom ou l'adresse de la personne à qui vous avez commandé votre violon ?

Le vieil homme hocha la tête négativement avant de retourner s'asseoir sur le fauteuil. Il se mit alors à pleurer. Mabel en eut le cœur brisé. Graves passa à côté d'elle et lui tendit sa baguette avant de faire un signe de tête vers le moldu.

Elle récupéra sa baguette dans les mains et se dirigea vers le propriétaire du magasin. Elle savait ce qu'elle avait à faire.

Elle pointa sa baguette sur sa tempe et alors qu'elle lançait le sort, observa les épaules de l'homme se détendre, ses pleurs s'arrêter, sa tête se relever et une douce ignorance se répandre sur son visage.

Mabel sourit avant de se retourner ; Graves était déjà dehors. Elle en profita pour jeter un rapide sort autour de la pièce et réparer le plus gros des dégâts. Elle se concentra sur les instruments de musiques. Raccorda les violons, retira la trompette du mur, reboucha le trou. Elle laissa suffisamment de désordre pour que, si les policiers reviennent, ils ne remarquent rien, mais répara suffisamment pour que le vieil n'ait pas à mettre la clef sous la porte.

Graves l'observa faire, sans rien dire, ses yeux marrons foncés aussi impénétrables que d'ordinaire. Une fois fini, elle sortit du magasin et lui tendit sa baguette pour qu'il la récupère. Il refusa et elle se surprit à sourire. Qui sait, peut-être était-il possible qu'ils finissent par s'entendre.

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