27| Nouvelle vie

Février 1927. Lieu inconnu, Etats-Unis.

Comme une véritable cheffe d'orchestre, Mabel manœuvrait sa cuisine d'une main de maître. Il fallait dire qu'elle avait eu le temps de s'entraîner.

Agitant sa baguette inconsciemment, elle faisait à la fois griller des tranches de bacon et des œufs dans deux poêles séparées, coupait du pain frais en tranches fines et préparait la table. Tous ces ustensiles de cuisine faisaient un bruit monstre, surtout quand les couteaux commençaient à se battre entre eux dès que la sorcière tournait le dos ou qu'elle se laissait distraire par l'étrange discours des chanteurs du groupe Troubadur qui émanait du poste de radio trônant sur le comptoir. Sur une mélodie mélangeant luth et flûte, ils vantaient la consommation abusive de Géranium Dentu, ce qui laissait l'ex-Auror perplexe.

Profitant d'un interlude musical sans parole ambiguë, Mabel prit un grand verre d'eau et laissa son regard tomber sur les grandes plaines qui s'étalaient à perte de vue depuis la grande fenêtre de la cuisine. Elles étaient parsemées d'arbres en tout genre, de petites fermes et maisons similaires à la sienne et de troupeaux de moutons. Au loin, Mabel pouvait même voir le petit village moldu dans lequel elle allait faire ses emplettes. Dissimulé sous un ciel de fumée de sa propre création, il paraissait peu accueillant, et pour y avoir mis les pieds un certain nombre de fois, Mabel ne pouvait pas vraiment dire le contraire.

Il fallait aussi dire que la sorcière n'était pas entièrement heureuse de son séjour prolongé à la campagne. Même si le calme surréel et l'air frais l'apaisait, cela la rendait aussi folle. Elle avait passé une majeure partie de sa vie à Londres et l'autre partie à New York. L'agitation des grandes villes était sa normalité. Elle ne connaissait que cela. Et être ainsi isolée, dans cette maison perdue au milieu de nulle part, devenait progressivement un cauchemar. Elle sentait le besoin de repartir grandir en elle mais elle ne disait rien. Elle gardait ce sentiment enfoui bien profondément en elle. Pour Percival.

Un fracas métallique retentit dans son dos et Mabel sursauta. En se retournant, elle vit les deux couteaux, qui s'occupaient du pain, tomber sur la planche à découper et Percival venir la rejoindre.

— Un peu plus et ils s'attaquaient à ton dos, l'informa-t-il en déposant un baiser sur sa joue. Tu t'es encore laissé distraire ?

— Tu connais déjà la réponse, répondit-elle avec un sourire alors qu'elle déposait les deux couteaux agressifs dans le lavabo puis coupait le feu d'un geste de baguette.

Elle fit voler les plats cuits en direction de la table. Le bacon, qui grésillait toujours dans la poêle, fila sous son nez en laissant un arôme délicieux sur son chemin. Mabel le suivit, laissant Percival se remplir une tasse de café. Avant de rejoindre Mabel à table, le sorcier éteignit la radio qui interrompait la diffusion de la nouvelle chanson des Poud'Block pour un flash info.

— Tu as bien dormi ? s'enquit-il quand il s'assit enfin face à elle.

— Plutôt mais un peu plus de sommeil ne m'aurait pas fait de mal.

Elle indiqua la raison de son mécontentement d'un signe du menton en direction de la maisonnette située à une dizaine de mètres de la leur.

— Tu as du mal à t'habituer à ce coq, la taquina-t-il, faisant apparaître de légères rides autour de ses yeux.

—  Je peux supporter tous types de moteur mais ce cri incessant dès qu'il fait jour, c'est plus fort que moi, je n'y arrive pas, plaisanta-t-elle en se servant des œufs.

Elle se mordilla la langue quand une autre pensée traversa son esprit. Elle ne voulait pas vraiment la dire à voix haute car elle ne souhaitait pas montrer à Percival à quel point elle ne se sentait pas à l'aise dans cette maison mais elle ne put se retenir que deux minutes entières avant de finalement tout lui dévoiler.

—  Tu as remarqué que les moldus du village nous dévisagent à chaque fois que l'on a le malheur d'y mettre les pieds ?

Elle se souvenait encore des emplettes qu'ils avaient tous les deux fait le vendredi d'avant. Ils s'étaient à peine arrêtés à un stand de fruits et légumes que, déjà, Mabel avait senti les regards lourds des habitants dans leur dos. Cela commençait sérieusement à la mettre en rogne.

—  C'est simplement qu'ils n'ont pas l'habitude de voir des étrangers ici.

—  Cela va quand même faire deux mois qu'on a emménagé.

— Nous ne nous mêlons pas vraiment à eux et puis, nous ne sommes pas mariés, ce n'est pas conventionnel.

Mabel se garda bien de révéler l'inquiétude qui grandissait en elle. Que, peut-être, ces moldus indiscrets les avaient vu utiliser la magie et que la rumeur concernant leurs drôles de mode de vie commençait à se répandre. Et elle espérait sincèrement qu'elle se trompait car, dans le cas contraire, cela risquait de révéler leur présence dans ce village à des sorciers qui ne devaient absolument pas l'apprendre.

Percival sentit les doutes de la sorcière.

—  Tu ne devrais pas t'inquiéter pour ça.

— C'est assez difficile, je n'ai pas beaucoup d'autres occupations à part m'inquiéter, justement.

Percival fronça les sourcils. Il reposa sa fourchette dans son assiette et vrilla ses yeux marron foncé sur Mabel. La distance qu'elle sentit dans son regard la désespéra. Elle aurait mieux fait de se taire.

—  Ce ne sera pas toujours ainsi, affirma-t-il.

Mabel se contenta d'acquiescer. Ils reprirent leur repas en silence. L'atmosphère était pesante et, plus que jamais, la sorcière se sentait désespérément seule.

Percival avait beau partager ses jours et ses nuits avec elle, dans cette petite maison de campagne, il lui semblait toujours hors d'atteinte. Comme s'il vivait à l'intérieur de lui-même, perdu dans des pensées sombres qu'il refusait de partager.

Un bruit sourd retentit à l'extérieur, près de la porte d'entrée, et le sorcier se leva d'un bond. La baguette à la main, il voulut se diriger vers la porte mais Mabel, le cœur serré, agrippa la manche de sa chemise blanche pour le retenir.

— C'est le nouvel hibou pour le journal, il se cogne toujours contre la porte, expliqua-t-elle pour le forcer à se rasseoir.

Percival hésita, ses yeux fixés sur la porte d'entrée qui se trouvait dans la pièce voisine. Mabel donna un petit coup sur le tissu tout en implorant l'américain du regard et finalement, il obéit. Avec un dernier regard méfiant en direction de la porte, il se rassit.

Mabel laissa reposer sa main sur celle de Percival jusqu'à la fin du repas. Elle souhaitait l'amarrer à l'instant présent afin d'éviter qu'il ne s'enferme dans ses pensées. Elle dut cependant s'avouer vaincue quand elle vit la tension s'installer dans ses épaules et son regard suspicieux alterner entre son assiette et la porte. De toute manière, Mabel savait pertinemment qu'elle avait perdu le sorcier depuis longtemps. Depuis deux mois très exactement. Lors de son emprisonnement.

Pourtant, pour se soigner physiquement et moralement, le couple avait quitté New York dès que Percival avait recouvré toutes ses capacités. Mabel avait opté pour la démission de son poste d'Auror ; après ce qu'elle avait vécu, elle ne sentait plus capable de supporter un tel danger constant. Percival, lui, avait posé un congé à durée indéterminé, le temps de décider s'il voulait, à terme, retourner au MACUSA.

Souhaitant à tout prix s'éloigner du monde sorcier, Percival avait insisté pour qu'ils s'installent tous les deux dans un village moldu. Mabel avait accepté à contre-cœur. À l'époque, elle avait pensé que cela aiderait l'américain à aller mieux. Avec le recul, elle devait bien avouer que cela n'avait pas aussi bien marché qu'elle ne l'avait espéré.

Depuis leur départ de New York, Percival n'avait pas arrêté d'être protecteur envers elle et méfiant et froid envers les étrangers. Il évitait le plus possible d'aborder les habitants du village et refusait le plus souvent de communiquer avec la communauté magique en général. Mabel avait dû se battre corps et âmes pour pouvoir communiquer avec Curtis et Netanya. Leurs échanges se passaient aux téléphones et même si cela était mieux que rien, Mabel ressentait le besoin grandissant d'être physiquement en leur compagnie. Mais il était plus prudent qu'ils ne sachent pas où elle se trouvait donc elle se contentait difficilement des appels. Du moins, en attendant les quelques visites qu'elle avait prévu. Celle qu'elle attendait le plus était le week-end à New York qu'elle avait réussi à planifier pour la fin du mois de février. Elle comptait y retrouver Curtis. Le jeune homme, qui travaillait toujours au MACUSA et qui commençait tout juste à s'habituer à ses deux nouveaux coéquipiers, souhaitait à tout prix lui présenter sa fiancée. Il refusait de lui en dire plus sur cet évènement joyeux tant qu'elle ne viendrait pas le voir mais Mabel sentait à son ton qu'il était extrêmement heureux. Quant à Netanya, qui était désormais enceinte de quatre mois, Mabel avait prévu de lui rendre visite à Winnipeg dans un mois. Cette dernière semblait aussi bien plus sereine depuis qu'elle avait déménagé.

En échangeant avec ses amis, Mabel réalisait que s'isoler avec Percival avait probablement été une très mauvaise idée. Elle se demandait si, vivre dans l'anonymat comme ils le faisaient, ne contribuait pas à accentuer leur psychose et leur paranoïa. Ils ne vivaient plus. Ils attendaient.

Et cela sautait aux yeux quand la sorcière observait un tant soit peu son compagnon. Si elle devait le décrire, elle aurait utilisé le terme de prédateur, de chasseur. Toujours à l'affut de sa proie et attendant le bon moment pour frapper.

Il passait une grande partie de ses journées à l'extérieur, derrière les sorts de protection qui entouraient la maison. Menaçant et sombre, il attendait que Grindelwald s'échappe et les retrouve pour pouvoir se venger. Pour pouvoir le tuer, comme il l'avait promis.

L'accident du hibou avait réveillé son ressentiment et, assis en face de Mabel à la table de leur petit déjeuner, il était rempli de haine.

Certaines fois, quand Mabel voyait son visage fermé, sa mâchoire serrée, ses yeux plissés et son corps tendu, elle se sentait envahie de doutes. Des doutes qui revenaient sans cesse depuis le début de cette affaire.

Grindelwald, sous les traits de Percival.

Grindelwald, prenant un petit déjeuner avec elle.

Grindelwald, posant sa main par-dessus la sienne.

Mabel dû faire appel à toute sa bonne volonté pour ne pas retirer sa main de celle de Percival. Elle ne voulait pas le blesser, une fois de plus.

Elle se souvint de la première fois qu'elle avait ressenti cela. Qu'elle avait douté de lui.

C'était le jour de leur sortie de l'hôpital, lorsqu'ils s'étaient retrouvés tous les deux seuls.

Comme aucun des deux n'avait voulu retourner dans leur appartement, souillés par la présence de Grindelwald, ils s'étaient contentés de prendre le strict nécessaire et de s'installer à l'hôtel Paramount, dans la chambre que Mabel avait réservé sous un faux nom plusieurs jours auparavant, laissant leur habitation vide tomber à l'abandon.

Ils s'étaient alors allongés l'un à côté de l'autre dans le lit immense. Comme deux étrangers. Immobiles et silencieux, ils avaient tenté de trouver le sommeil, sans succès. Percival avait alors initié le rapprochement. Il avait attiré la sorcière contre son torse avant de la serrer contre lui. Mabel avait bien senti le désespoir de son étreinte, le besoin qu'il avait eu de sentir qu'elle était avec lui, bel et bien présente mais surtout vivante mais elle avait été incapable de se laisser faire docilement. Elle s'était aussitôt sentit prisonnière de ses bras musclés et de ce souffle chaud qui caressait ses cheveux noirs. Et pour la première fois et pas la dernière, elle s'était mise à douter.

Grindelwald pouvait-il être déjà de retour ? Pouvait-il avoir repris l'apparence de Percival sans qu'elle ne s'en rende compte ?

Dans l'incapacité d'accepter cette étreinte inquiétante, elle s'était détachée du sorcier avec empressement. Le regard brisé de Percival avait suffi à lui faire regretter sa méfiance mais pas à ce qu'elle retourne dans ses bras.

Dans le clair de lune, il avait alors pris sa baguette magique et l'avait déposé dans la main tremblante de la sorcière.

—  Fais-le, avait-il soufflé en pointant l'arme sur son cœur.

Mabel s'était exécutée dans la seconde.

— Revelio.

Cette fois-ci et comme toutes les fois qui suivirent, rien ne se passa. Percival resta Percival.

À la fois soulagée et honteuse, Mabel s'était effondrée dans les bras du sorcier où elle avait passé le reste de la nuit à s'excuser. Dès le lendemain matin, elle sut que cette nuit avait tout fait basculer dans leur vie. Percival devint plus sombre et elle, plus tourmentée. Et à chaque fois qu'elle redevenait réticente à le laisser la toucher, ils recommençaient le même scénario vicieux : un enchantement, un résultat toujours similaire, une haine toujours plus accrue.

Ainsi, à chaque fois qu'elle se mettait à douter de la personne qui se tenait en face d'elle, qu'elle confondait le sorcier avec le mage noir, Percival s'enfonçait un peu plus profondément dans sa haine. Comme elle-même s'était enterrée dans sa fureur après le meurtre de son équipe. Elle avait été obsédée, calculatrice et dangereuse, comme lui désormais, et ce, jusqu'à temps qu'il vienne la déterrer et lui montrer comment vivre de nouveau. Maintenant, c'était à Mabel de lui montrer le chemin.

Les seuls moments où elle avait l'impression de pouvoir le faire était quand le sorcier baissait sa garde. Quand elle pouvait voir que, derrière sa colère, il était aussi brisé et vulnérable qu'elle. Mabel pouvait reconnaître ces moments avec facilité et ce malgré leur rareté. C'était bien souvent lorsqu'il se posait sur le banc qui se trouvait dans le petit jardin à l'arrière de leur maison et qu'il se mettait à contempler le paysage. Il pouvait y rester des heures, à simplement profiter du vent qui faisait voler ses cheveux dans tous les sens, du soleil qui réchauffait son visage et même, certaines fois, de la pluie qui attaquait son corps. Comme s'il avait peur de ne plus jamais pouvoir profiter des éléments. Quand elle le rejoignait lors de ces moments de calme, Mabel avait l'impression de retrouver un peu du Percival d'avant. Il était doux et affectueux, taquin et sérieux à la fois.

Cela lui donnait de l'espoir. L'espoir qu'ils puissent, un jour, aller mieux. Qu'ils puissent se pardonner leurs erreurs et oublier leurs traumatismes. Qu'ils puissent faire tomber leurs masques et se reconstruire. Etre heureux, à leur manière.

Il leur restait simplement beaucoup de chemin à parcourir car, en attendant, l'ombre de Grindelwald planait toujours sur leur couple comme une dague bien aiguisée.

Ce fut la sensation de la main de Percival quittant la sienne qui fit revenir Mabel à la réalité. Elle observa d'un air fatigué Percival se diriger vers la porte d'entrée. Il avait à peine fini la moitié de son repas.

Mabel préféra rester assise. Elle picora dans son assiette en attendant que le sorcier revienne avec le journal dans la main et peut-être quelques plumes de volatiles oubliés sur le perron. Elle attendit. Longtemps. Trop longtemps.

Elle sentit l'air frais de l'extérieur pénétrer dans la maison et chatouiller sa colonne vertébrale et la sorcière se précipita vers la source du froid.

Elle trouva Percival, dos à elle, dans l'entrée. Il tenait le journal dans les mains. Comme elle l'avait déduit, le bruit qu'ils avaient entendu venait de leur livreur de journaux animal. Percival avait simplement dû vouloir profiter du temps clément pour feuilleter le journal dehors. Pas de quoi paniquer. Soulagée, elle le rejoint. Puis, elle vit le visage fermé du sorcier et son regard rivé sur le papier entre ses mains et elle sut que quelque chose n'allait pas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top