13| Un rapprochement attendu
Le sol était froid et dur mais il était loin de l'être autant que le temps qui s'était considérablement dégradé en quelques heures. Le ciel était d'un gris sombre et terne, les nuages étaient menaçants et la température était bien trop basse pour un mois d'octobre.
Mabel, assise sur le trottoir, restait cependant aussi immobile et silencieuse qu'une statue. Réchauffée par le manteau noir du sorcier pour qui elle avait des sentiments, elle tentait de se faire oublier.
Elle savait que ce n'était pas des moldus - qui l'avaient vu crier comme une dérangée alors que le danger était passé - qu'elle s'inquiétait ; ils avaient, pour la plupart, déjà perdu la mémoire grâce au travail rapide et expert des Oublietteurs du Congrès. Non, celui qu'elle cherchait à éviter était le sorcier même qui refusait de lui accorder son souhait.
Au pied d'un immeuble et entouré de débris de verre et de quelques chapeaux abandonnés suite à la panique, Graves supervisait ses employés. De manière discrète et calme, il indiquait quelles personnes étaient encore à oublietter et lesquelles étaient simplement à éloigner. Il émanait l'autorité et ce malgré l'anxiété que Mabel pouvait lire sur son visage.
Elle savait ce qu'il pensait : cette affaire prenait trop d'ampleur ; cette créature était trop dangereuse et visible. C'était toute leur communauté qui était en péril si ces accidents continuaient.
Mabel ne voulait donc pas être un fardeau supplémentaire pour lui. Elle ne voulait pas qu'il ait à s'inquiéter pour elle ; elle ne voulait pas voir ses yeux se plisser soucieusement à chaque fois qu'il s'approchait d'elle. Et ce, même si égoïstement, elle ne souhaitait que sa compagnie.
Ce casse-tête interne lui fit serrer les poings, ce qu'elle regretta aussitôt. La douleur fusa de ses paumes, à ses avant-bras, jusqu'à atteindre ses épaules endolories. Elle se savait couverte d'ecchymoses suite à sa chute ; ne serait-ce qu'à la façon dont chacun de ses membres semblaient la tirailler affreusement ; mais elle savait aussi qu'elle était recouverte de sang. Elle le voyait, séché, sur ses paumes, ses avant-bras, ses vêtements et même sur le carré de bitume sur sa droite : à l'endroit où elle s'était cognée violemment le visage. Elle sentait d'ailleurs, en plus de la douleur lancinante qui lui tenaillait la tête, la matière, dorénavant froide et collante, recouvrant la moitié de son visage. La même substance rougeâtre qui ornait désormais la chemise blanche et le veston noir de Graves. Alors qu'il s'approchait d'elle, elle voyait cette tâche rouge informe s'agrandir et elle s'en voulait terriblement. Elle savait qu'il faisait attention à son apparence, à l'image qu'il renvoyait de lui mais voilà que par sa faute à elle, il se retrouvait dans les rues de New York sans manteau et tâché de sang qui n'était pas le sien.
Mabel inspira une dernière fois l'odeur rassurante d'après-rasage et de vieux parchemins qui émanait du manteau épais qui reposait sur ses épaules avant de se lever et de le rendre à son propriétaire. Graves voulut protester mais Mabel insista et il enfila son bien.
— Je vais te ramener chez toi, lui dit-il à voix basse.
— Et les Oublietteurs ?
— Ils ont leurs ordres. Ils sauront finir le travail tout seul. Suis-moi.
Sa main se logea dans le creux du dos de la sorcière et il la poussa dans une ruelle sur leur droite. Mabel se laissa faire. Elle n'avait pas spécialement envie de retourner au MACUSA couverte de sang. Cela ne donnerait qu'une raison de plus à Netanya et Curtis de s'inquiéter pour elle. Quand ils furent suffisamment éloignés des moldus, il lui demanda son adresse puis transplana, avec son accord, directement dans son appartement.
La sensation d'aspiration et de déchirement qui parcourut le corps de Mabel amplifia la douleur qui vrillait son crâne et elle poussa un cri de douleur quand ses pieds se posèrent sur son tapis. Percival l'a fit aussitôt asseoir sur une surface molle qu'elle reconnut comme son canapé. À travers ses yeux plissés par la douleur, Mabel pouvait voir le regard du sorcier se poser sur sa blessure. Puis, une douce caresse se fit sentir au même endroit rapidement suivit d'un apaisement complet et bienvenu. Mabel sentit sa douleur s'évanouir et lâcha un soupir. C'était comme si le marteau piqueur qui avait élu domicile dans sa tête depuis plusieurs heures venait finalement de s'arrêter et lui permettait enfin, de voir clair. Elle observa Percival retirer sa main de son visage et la sorcière porta la sienne à sa tempe. Sa peau était intacte, uniforme.
Impressionnée, elle ne dit mot mais son regard parlait pour elle. Percival Graves était un sorcier plus talentueux encore qu'elle n'avait bien pu l'imaginer. Il venait, si elle ne devenait pas folle, de soigner une blessure profonde et douloureuse d'un simple geste de ses doigts.
Elle en eut la confirmation quand il prit ses mains dans les siennes. Mabel observa avec une fervente attention sa magie être à l'œuvre.
Le sorcier ténébreux effleura les multiples coupures des paumes de la britannique de son pouce et celles-ci se refermèrent instantanément, ne laissant derrière elles que de fines lignes blanches.
Mabel le remercia dans un murmure ébahi. Elle garderait des cicatrices légères mais l'intervention du sorcier lui avait épargné l'étape longue et handicapante de la guérison.
Elle glissa ses doigts sur ses paumes pour en admirer le résultat tout en gardant ses mains dans celles du sorcier. Il ne les retira pas.
— Est-ce que tu as mal ailleurs ?
Mabel fit non de la tête. Cela n'était pas vrai. Son dos semblait avoir été piétiné par mille Hippogriffes et ses épaules étaient aussi douloureuses que lorsque qu'elle revenait de ses entraînements de Quidditch à Poudlard. Mais elle ne dit pas un mot car tout cela n'était que superficiel. Et parce que son esprit était obnubilé par ses sentiments envahissants pour le sorcier en face d'elle. Elle ne souhaitait qu'une chose à cet instant : retourner se lover contre sa poitrine.
— Il faut que je retourne au Congrès pour m'entretenir avec la présidente. Est-ce que ça ira ?, demanda-t-il en fronçant ses sourcils épais.
Mabel s'écrasa violemment à la réalité de la situation et à l'impossibilité de ses sentiments. Elle retira ses mains nouvellement soignées de celles de Graves et les joignit sur ses cuisses.
— Oui, bien sûr. Ça ira.
Graves la jaugea du regard avant de se lever. Il rajusta son écharpe bleue et se dirigea vers la porte.
— Repose-toi, Mabel.
— C'est un ordre ?, ne put-elle s'empêcher de rétorquer avec un sourire oscillant entre la tristesse et la taquinerie.
Elle ne souhaitait pas qu'il parte et encore moins qu'il le fasse en pensant qu'elle pouvait, de quelques façons, être indifférente à toutes ses petites attentions.
Il eut un sourire amusé.
— Plutôt une recommandation.
Il transplana sur ses mots. Un sourire aux lèvres et une étincelle curieuse dans le regard. Mabel sentit le vide de son départ jusque dans son cœur.
Les bruits du quartier autour d'elle semblèrent soudain prendre de l'ampleur. Mabel reconnut l'aboiement rauque du chien errant vivant dans le terrain vague derrière son immeuble ainsi que les klaxons des rares automobiles traversant Mulberry, puis de manière plus discrète, les gémissements plaintifs d'Oscar.
Mabel se précipita dans sa chambre pour le prendre dans ses mains et resta longuement allongée sur son lit à se reposer auprès de son Boursouflet de compagnie.
Les yeux fermés, elle essayait d'occuper son esprit et la meilleure façon de le faire était de repenser à cette créature obscure et étrange, faite de fumée et de sable et dont le cri déchirant lui brisait le cœur. Mabel voulait savoir d'où elle venait, ce qu'elle était et la raison de son déchaînement sur la ville.
Elle caressa les poils violets de la petite créature à ses côtés. Les yeux clos, elle émit un son proche du ronronnement. Inoffensive, vulnérable et adorable. Si différente de celle qui avait failli mettre la britannique à terre ce matin. Mabel ne cesserait jamais de s'étonner face à cette diversité animale.
Elle se reposa encore un peu, puis une fois que le trouble qu'elle avait ressenti s'était finalement dissipé, elle prit une longue douche. L'eau chaude brûla sa peau mais Mabel s'en moquait. Cela l'empêchait de penser aux douleurs dans son dos. Elle resta longuement captivée par le rouge qui coulait le long de sa peau et teintait l'eau. Au fil des minutes, celui-ci se fit plus rare et bientôt Mabel recouvrit son corps d'une serviette légèrement rêche.
Postée devant son miroir, elle retira la buée du revers de la main et observa son visage. Ses joues étaient rouges dû à la chaleur ; ses yeux bruns étaient marqués par des cernes ; ses lèvres pulpeuses semblaient sans vie. Et une fine cicatrice blanche était visible de sa tempe à son arcade sourcilière droite.
Mabel resta fixée sur cette nouvelle et étrange particularité de sa personne. Il lui faudrait du temps pour s'y habituer. Car malgré son métier dangereux, elle n'avait que très peu de cicatrices à montrer. Une sur la jambe après une rencontre avec un mage noir qui s'était admirablement défendu et une sur le coude après un match de Quidditch qui avait été bien trop violent. Autrement, elle s'en était toujours tirée avec des ecchymoses. Comme celles qui ornaient désormais son dos et ses bras. Mabel en voyait une relativement large se former derrière son épaule et deux autres sur ses coudes.
Elle soupira, passa un dernier coup d'eau sur son visage pour retirer les traces de sang qui lui avait échappées puis se vêtit d'un pyjama confortable. Il n'était que le début d'après-midi mais elle ne comptait plus sortir.
Elle passa ainsi sa journée dans sa chambre, à osciller entre sommeil et éveil. Sa voisine, Mme Conti, qui avait été celle à appeler la police après l'effraction d'un sorcier chez elle, vint lui rendre visite en début de soirée, alors que le soleil commençait tout juste le début de sa descente dans le ciel. Cela était devenu une habitude pour la vieille femme. Elle aimait s'assurer que sa plus jeune voisine allait bien. « Entre femmes seules, il faut veiller les unes sur les autres. », aimait-elle à répéter. Mabel savait néanmoins que la vieille femme se sentait seule depuis la mort de son mari et cherchait de la compagnie. La sorcière faisait donc de son mieux pour aider son amie moldue autant qu'elle le pouvait.
Resserrant la ceinture de son peignoir en soie autour de sa taille, Mabel fit un signe de la main à sa voisine. Elle resta adossée à sa porte verte écaillée jusqu'à ce que la porte rouge de la vieille femme se ferme. Mais alors que celle-ci venait de se refermer, Mabel entendit l'escalier de l'immeuble grincer sous les pas d'un individu. Sans en savoir la raison, elle resta figée sur le seuil de sa porte. Elle n'attendit pas longtemps avant que la personne responsable du bruit n'apparaisse devant elle. Mabel ne cacha pas sa confusion ni sa surprise.
— M. Graves. Que faites-vous ici ?
L'Auror la salua d'un sourire léger alors que Mabel jetait un coup d'œil derrière lui, se demandant si d'autres sorciers l'accompagnaient. Il était seul.
— Tu peux m'appeler Percival, dit-il très sérieusement en l'atteignant. Nous ne sommes pas au Congrès.
Mabel fut prise de court. Elle avait déjà beaucoup de difficultés à le tutoyer alors l'appeler par son prénom ? Cela faisait personnel. Probablement trop pour la relation qu'ils entretenaient.
— Percival alors, concéda-t-elle en croisant maladroitement les bras sur sa poitrine, soudainement consciente de la présence de l'homme qu'elle chérissait dans son immeuble à une heure tardive. Que me vaut une telle visite ?
Elle prit soudainement peur que l'entrevue que l'Auror avait eu avec la présidente sur la créature durant la matinée se soit transformée en discussion à son sujet. Elle détesterait entendre qu'ils avaient finalement décidé de se débarrasser d'elle.
Mais la douceur qu'elle lisait dans les yeux sombres du directeur depuis qu'elle avait prononcé son prénom la convainquit du contraire. Il n'était pas là pour ça.
— Je souhaitais m'assurer que tout allait bien. Est-ce que je peux entrer ?
La sorcière hésita puis se décala. L'Auror pénétra dans son appartement sans un bruit. Elle referma la porte derrière lui et lui prit son manteau. Elle remarqua qu'il s'était changé. Sa chemise n'était plus tâchée de sang et son veston était d'un gris sombre et non plus noir. En posant son manteau sur un cintre dans une armoire de son vestibule, Mabel l'observa du coin de l'œil. Il observait la pièce avec une attention polie et détachée qui servait à cacher la nervosité qu'il ressentait et que Mabel pouvait voir à la façon dont il touchait constamment sa cravate ou bien les manches de sa chemise. Elle ne l'avait jamais vu comme cela et se remit aussitôt à imaginer le pire. S'il était nerveux alors peut-être était-il bien là pour la renvoyer.
Souhaitant repousser l'inévitable, elle l'invita dans la cuisine pour lui préparer une tasse de thé. Alors qu'elle se mettait à faire bouillir de l'eau, Percival s'appuya contre le comptoir, les mains dans les poches et une expression attentive sur le visage. La sorcière sentait ses yeux disséquer chacun de ses mouvements. Quand elle se retourna vers lui, prête à entamer cette fameuse discussion, elle le vit détailler sa tempe.
— Je suis désolé. Pour ta cicatrice.
— Ce n'est pas ta faute, répondit-elle, légèrement étonnée de l'entendre s'excuser.
— Je n'aurais pas dû utiliser la magie pour t'éloigner de cette créature. Tu étais tout à fait capable de t'en sortir sans moi, j'ai simplement aggravé les choses.
Mabel fronça légèrement les sourcils. Elle comprenait mieux maintenant la force de l'impact qu'elle avait ressenti. Elle s'était doutée que quelqu'un l'avait aidé ; elle aurait dû comprendre plus tôt que cela ne pouvait être que Graves. Devant le regret qu'elle lisait déjà sur son visage, elle ne souhaita pas en ajouter. De plus, elle appréciait le répit que lui apportait ce sujet avant d'entamer la vraie raison de la présence du sorcier chez elle.
— Tu ne pensais pas à mal. C'est ma faute, j'ai mis trop de temps à réagir, le rassura-t-elle en repensant aux secondes précieuses qu'elle avait perdu à observer la créature et qui avait poussé le sorcier à l'évincer de la ligne de mire. Cette créature était tout simplement fascinante, j'étais perdue dans mes pensées.
— Fascinante mais surtout dangereuse, rétorqua-t-il aussitôt et son visage prit un air sombre. On ne peut pas laisser une telle bête errer dans les rues de New York. Notre sécurité est en jeu.
— Est-ce que tu as une idée du type de créature auquel nous avons affaire ?, demanda-t-elle en voyant le sérieux de son expression.
— Non, aucune.
Les yeux perdus dans le vide et une moue ennuyée sur les lèvres, il plongea dans ses pensées. Mabel l'observa réfléchir à la situation et la comparer à tout ce qu'il connaissait de leur monde et vit donc la frustration apparaître sur son visage. Il détestait être aussi dépassé. Finalement, ses yeux se reposèrent sur la sorcière et il reprit, de manière plus douce.
— Je ne suis pas venu ici pour parler de ça de toute façon et je pense que tu le sais.
Mabel baissa les yeux au sol pour ne pas craquer. Elle se racla la gorge, croisa les bras sur sa poitrine et fit de nouveau face au sorcier. Elle ne ferait pas de vague.
— Je m'en doute, oui. Je viderais mon bureau tôt dans la matinée pour éviter de causer des problèmes, finit-elle difficilement.
Elle ne souhaitait pas partir comme une voleuse mais elle ne souhaitait pas non plus devoir dire adieux à des personnes qui lui étaient proches. Elle espérait simplement que Curtis et Netanya comprendraient.
— Vider ton bureau ? Pourquoi ?
L'expression perplexe de Graves fit froncer les sourcils de Mabel.
— Tu es là pour me licencier, lui dit-elle doucement en haussant un sourcil.
L'incompréhension qui empara son interlocuteur fit douter la sorcière. Graves cligna des yeux plusieurs fois en la dévisageant.
— Non, ce n'est pas la raison de ma présence. Où as-tu été chercher une idée pareille ?
— Je- ça me paraissait pourtant être la raison la plus évidente, se justifia Mabel. Je suis loin d'être l'employée modèle et je cause plus de problèmes que je n'en résous.
La sorcière se passa une main sur le front et repoussa une mèche bouclée de son visage. Elle était soulagée d'apprendre qu'elle n'était pas renvoyée mais se mettait désormais à craindre la vraie raison de la visite de son supérieur.
— Je ne peux pas entièrement nier cela mais je peux t'assurer que cela n'est pas la raison de ma présence. (Graves fit un pas dans sa direction, s'arrêtant à un mètre d'elle. Il desserra légèrement sa cravate avant de reprendre.) Je veux parler de ce qu'il s'est passé ce matin, de ce qu'il t'est arrivé après t'être cogné la tête.
Mabel se figea imperceptiblement. Son cœur sembla se mettre à battre plus bruyamment que d'ordinaire.
— Je n'ai pas envie d'en parler.
— Pourquoi cela ? Je ne suis pas ton ennemi. Et tu n'as pas à craindre de perdre ton travail, si c'est ce qui t'empêche de te confier à moi.
Mabel serra les lèvres tout en se grattant la nuque nerveusement. Savoir cela était en effet un réconfort mais elle ne voulait tout simplement pas parler de ce sujet. Elle savait qu'elle passerait pour une folle à ses yeux. Et ses sentiments pour lui refusaient qu'une telle chose arrive.
— Cela fait maintenant deux ans que je vis comme ça, je n'ai pas besoin d'aide. Je vais bien.
Son mensonge lui brûla la gorge. Graves eut un sourire triste.
— Tu en es sûr ? Est-ce que je dois te rappeler tous les accidents qui semblent te suivre depuis ta rencontre avec Grindelwald ?
Mabel frissonna quand il prononça ce nom. Il n'avait pas le droit de le faire ici, chez elle. Elle jeta un regard paniqué autour d'elle. Elle commençait tout juste à se sentir de nouveau bien dans cet appartement maudit et il jetait l'ombre du mage sur elle à cet instant ? Tout comme il osait faire référence à ces accidents précédents ? Cela la mettait dans une rage noire.
— J'avais oublié que tu savais tout de moi ! Est-ce que tu as aussi amené mon dossier au cas-où j'aurais oublié mes erreurs ?
Elle se mit à faire les cent pas autour de la pièce. Ce dossier. Toujours ce dossier. Si seulement elle pouvait mettre la main dessus, elle le brûlerait. Elle détestait savoir que toutes ses erreurs stupides étaient consignées sur ces bouts de parchemins ! Et elle détestait encore plus que Graves ait pu tous les lire.
— Calme-toi !, s'emporta le sorcier. Je suis venu parce que je m'inquiète pour toi, parce que je veux t'aider. Par la barbe de Merlin, Mabel ! Tu as besoin d'en parler, tu ne pourras pas aller mieux si tu ne le fais pas.
Il se rapprocha de la sorcière qui s'était enfin arrêtée de marcher mais Mabel recula aussitôt. Il semblait s'être calmé aussi rapidement qu'il s'était énervé mais Mabel, elle, était toujours aussi furieuse.
— Parce que tu penses qu'en parler va magiquement résoudre le problème ?
Elle ricana amèrement en passant brutalement une main dans ses cheveux. Graves ne se démonta pas.
— Bien sûr que non, ce n'est pas aussi facile. Mais c'est déjà faire un pas en avant.
Il plongea ses yeux sombres dans ceux de la sorcière. Le bruit de l'eau bouillonnant se faisait entendre sur leur gauche. Mabel respirait fortement, sa colère clairement visible sur son visage.
— Tu veux que je parle ? Très bien alors ! Par quoi veux-tu que je commence ? Est-ce que tu veux que te dise à quel point voir les corps mutilés de mes collègues et amis m'a traumatisé ? Est-ce que tu veux que je te raconte les cauchemars récurrents que je fais depuis ? Que je t'explique en détails la manière dont la culpabilité que je ressens à l'idée d'être responsable de ce massacre me gâche la vie ? Que je te décrive l'obsession que j'ai de tuer Grindelwald depuis ce jour-là ? Ou bien, tu souhaites simplement que je te parle de ces horribles hallucinations qui me tombent dessus à n'importe quelles heures de la journée et me rendent folle au point que, certaine fois, je préférerais être morte plutôt que de devoir continuer à être hanté par mes erreurs ?!
Mabel s'arrêta quand elle réalisa ce qu'elle venait de dire. Elle n'avait jamais formé les mots à voix haute ni même en pensées mais maintenant qu'elle l'avait fait, elle ne pouvait douter de leur véracité. Elle savait, au plus profond d'elle-même, qu'elle aurait souhaité que Grindelwald la tue ce jour-là, à Minsk. Elle le savait et Graves semblait le savoir aussi.
Se sentant exposée et vulnérable, elle recroisa aussitôt ses bras sur sa poitrine, comme un dernier rempart pour se protéger. Pendant que sa colère s'évaporait pour être remplacée par une tristesse immense, un silence lourd enveloppa les deux sorciers.
Percival étudia longuement son visage. Ses yeux montraient toute la douleur et la peine qu'il ressentait à entendre un tel aveu. Peut-être n'avait-il pas réalisé l'étendu du mal-être de la sorcière ? Ou peut-être regrettait-il tout simplement sa promesse antérieure de ne pas la renvoyer ? Mabel n'en avait aucune idée car malgré tous ses progrès, il lui arrivait encore trop souvent de ne pas savoir lire l'homme qui se trouvait face à elle. Quand il reprit la parole, elle sentait déjà ses yeux la démanger à cause des larmes qui s'y accumulaient.
— Cet évènement ne te définit pas, Mabel, tu as encore toute la vie devant toi, tenta-t-il vainement. Et quand tu mettras de côté ta culpabilité, tous tes cauchemars et hallucinations disparaîtront eux aussi.
Mabel secoua la tête. Elle renifla et en voulant essuyer son nez de sa main, elle remarqua les tremblements qui parcouraient ses membres.
— Tu ne comprends pas. J'étais prête à mourir ce jour-là. J'aurais dû mourir. Avec eux. Cela n'a aucun sens que je sois la seule à avoir survécu. Pourquoi m'a-t-il épargné ? Pourquoi est-ce que je dois être celle qui doit vivre avec un tel poids sur la conscience ?
— Tu ne peux pas continuer à penser comme cela. À part te dévorer de l'intérieur, cela ne te sert à rien. Ils sont morts et tu as survécu. Il n'y a rien à dire de plus. Tu dois tourner la page et admettre que rien de tout cela n'était de ta faute. N'importe quel autre Auror aurait pu se retrouver à ta place.
— Et pourtant, c'était moi. Moi qui ai assisté à tout cela. Et c'est donc à moi de venger leur mort, de le faire payer.
— Pourquoi ?, demanda-t-il avec tendresse. Simplement par esprit de vengeance ou parce que tu souhaites qu'il fasse ce qu'il n'a pas fait il y a deux ans ?
Mabel se figea, comme hypnotisée par le regard sombre du sorcier. Il marquait un point.
Pourquoi ? Pourquoi voulait-elle tant retrouver Grindelwald ?
Aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours voulu prendre sa revanche sur lui. Elle avait voulu le trouver et le tuer. Lui faire subir ce qu'il avait fait subir à tant d'autres sorciers et moldus auparavant mais désormais, elle se mettait à douter. Les paroles de Percival n'étaient pas dénuées de sens. Peut-être souhaitait-elle simplement que quelqu'un abrège ses souffrances une bonne fois pour toute. Ses pensées durent se lire sur son visage car le sorcier rétorqua aussitôt :
— Ce n'est pas ce que tu veux. Tout au fond de toi, tu tiens à la vie.
Mabel eut un sourire amer.
— Je n'en suis pas aussi sûre.
— Alors je le serais pour toi, répondit-il en s'approchant de nouveau d'elle.
Suffisamment près pour pouvoir l'enlacer, poser ses mains sur elle ou tout simplement l'embrasser mais il n'en fit rien. Il se contenta de l'observer de ses yeux sombres en silence. Patient. Attentif.
Un sifflement discret commença à s'échapper de la bouilloire. Mabel serra la mâchoire.
Les deux sorciers se dévisagèrent en silence. Leur deux corps, séparé de moins d'un mètre, étaient comme figés dans la pierre. Mabel se sentait incapable de détourner le regard de celui de Percival.
Alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine - sans qu'elle ne sache vraiment si la cause était sa colère passée, sa tristesse actuelle ou bien ses sentiments déplacés pour son supérieur - Mabel rêvait de passer ses mains dans les cheveux poivre et sel de Percival, de déboutonner son veston qui lui paraissait si oppressant et, plus fortement encore, de poser ses lèvres sur les siennes.
Ses yeux tombèrent une courte seconde sur la bouche du sorcier avant de replonger dans ceux de Percival. La tension était palpable.
Au Congrès, Mabel avait pu retenir ses pulsions grâce à l'environnement peu propice à ce type de rapprochement qui y régnait mais, ici, dans son appartement et seule avec celui qui faisait battre son cœur, la britannique sentait sa retenue s'évaporer et se mettait à craindre ce qu'elle pourrait faire.
Comme se jeter au cou de l'américain pour l'embrasser à pleine bouche.
Confuse entre ses désirs et la réalité, il lui fallut donc une courte seconde pour prendre conscience que ses pensées s'étaient transformées en actes. Que ses lèvres s'emmêlaient avec celles du sorcier. Que ses mains venaient d'agripper sa cravate pour l'attirer à elle et que celles du sorcier avaient entouré sa taille. Et que le baiser, aussi passionnel soit-il, était déjà terminé.
Percival fut celui qui l'arrêta. Les yeux voilés, il recula alors que le sifflement strident de la bouilloire se faisait entendre.
Mabel, à bout de souffle et encore ébranlée par ce qu'elle venait de faire, l'observa éteindre le feu et déposer l'ustensile de cuisine sur le comptoir. Il passa une main dans ses cheveux avant de se retourner vers elle et à la grande surprise de la sorcière, il s'excusa une nouvelle fois.
— Je n'aurais pas dû te laisser faire. Tu n'es pas dans ton état normal.
Malgré la neutralité de sa voix, Mabel voyait l'émotion dans ses yeux. Il hésitait. Hésitait entre écouter son bon sens et ne pas faire ce qu'il pensait être profiter du moment de faiblesse de la sorcière en face de lui ou bien écouter son cœur et reprendre ce baiser au goût d'inachevé.
— Tu as peur que je regrette ce qu'il risque de se passer ? (Percival ne répondit pas et elle vit qu'il se faisait violence pour ne pas l'embrasser.) Cela fait des années que je ne suis plus dans mon état normal mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas capable de prendre mes propres décisions. Et ça, t'embrasser, précisa-t-elle, j'en ai envie.
J'en ai besoin même, pensa-t-elle.
Percival soutint son regard, un mélange d'émotions traversant son visage : conflit, résignation, désir. Et Mabel sut qu'il éprouvait la même chose qu'elle.
Il franchit les quelques mètres qui les séparaient avec rapidité et scella de nouveau leurs lèvres ensemble. La tendresse n'avait pas sa place dans ce baiser. Mabel n'y trouva qu'une insatiabilité à satisfaire et y répondit avec tout autant de fougue. Ses lèvres chaudes dévoraient les siennes et inversement.
Mabel était confuse et exaltée. Elle ne comprenait pas vraiment comment elle en était arrivée là : à embrasser le directeur de la sécurité magique du Congrès américain, soit l'homme qui la repoussait tant quelques mois auparavant mais elle sentait aussi que rien n'était plus approprié. Elle n'avait jamais été aussi insouciante et détendue depuis longtemps et, en sentant les mains fermes et stables du sorcier sur le fin tissu recouvrant ses hanches, elle comprit pourquoi ses sentiments pour lui étaient aussi forts.
Percival était un homme fiable, puissant, sûr de lui. Un homme sur lequel elle pourrait compter, toujours. Il le lui avait déjà prouvé. Mais surtout, c'était un homme brisé, comme elle. Elle le sentait à la manière désespérée qu'il avait de l'embrasser et de l'agripper. C'était un loup forcé à la solitude ; un oméga trop concentré sur sa protection et ses ambitions pour rechercher une meute mais qui, inconsciemment, rêvait de changer sa condition. Tout comme elle.
La sorcière se laissa alors guider par son corps et c'est donc tout naturellement que, quand elle sentit Percival la hisser sur le comptoir derrière elle, elle se laissa faire. Elle enlaça sa taille de ses jambes, démêla ses cheveux impeccables et observa à travers des yeux mi-clos le noir se mêler au gris tandis que la barbe naissante du sorcier éraflait la peau délicate de son cou. Son peignoir tomba de ses épaules alors que les lèvres de Percival continuaient de descendre le long de son cou puis de son sternum. Elle passa la main sur son torse, sentant la matière douce et fluide de sa chemise suivre ses gestes alors que les mains du sorcier s'égaraient le long de ses cuisses.
Difficilement, elle parvient à murmurer sa demande :
— Emmène-moi dans ma chambre.
Le sorcier releva aussitôt la tête. Ses cheveux étaient emmêlés, ses joues légèrement rosies et ses lèvres entrouvertes.
— Tu es sûr ?, demanda-t-il d'une voix rauque.
Mabel plongea ses yeux foncés dans ceux désormais presque noirs de Percival.
— Je n'ai jamais été aussi sûre de quelque chose depuis longtemps.
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