12| Une apparition inattendue
Le lendemain matin, et alors que le soleil commençait tout juste son ascension lente dans le ciel, Mabel se préparait déjà pour se rendre au Congrès. Quelques vingt minutes plus tard, la sorcière était prête et transplanait hors de son appartement. Le Woolworth Building, siège du MACUSA, apparut sur sa droite.
Ce matin-là, le vent était fort et faisait tournoyer les cheveux courts de la britannique devant ses yeux. Mabel fit glisser sa main dans ses boucles pour les coincer derrière ses oreilles tout en dévalant la ruelle illuminée par le soleil levant puis, de grimper les marches du Congrès.
À cette heure matinale de cette froide journée d'octobre, elle était seule. Ni sorciers, ni moldus ne tournaient autour du bâtiment. Elle espérait qu'il en soit de même à l'intérieur du majestueux immeuble.
À son grand soulagement, ce fut le cas et elle ne croisa aucun sorcier du hall jusqu'à l'étage des Aurors. Les seules âmes présentes étaient celles des elfes de maison en charge des ascenseurs et du ménage.
Mabel était rassurée par ce désert silencieux. Elle tenait à tout prix à être la première à poser le pied à son étage car, avec le bazar de documents qu'elle avait laissé sur son bureau la veille en voulant échapper à Graves, elle était sûre d'attiser la curiosité des autres Aurors du département. Et s'il y avait bien une chose qu'elle ne souhaitait absolument pas, c'était que des rumeurs sur ses recherches atteignent les oreilles de Curtis ou Netanya. Ou pire, qu'ils les découvrent par eux-mêmes. Mabel devait donc ranger tous ces parchemins incriminants avant que quelqu'un d'autre ne mette le nez dessus.
Quelle ne fut donc pas sa surprise quand elle s'arrêta devant son bureau pour découvrir celui-ci débarrassé de tout papier. Le choc la cloua sur place tandis que son cerveau l'assaillait de mille questions différentes.
Où étaient les parchemins ? Pourquoi n'étaient-ils plus sur son bureau ? Les avait-elle rangés et l'avait oublié ? Des Aurors les avaient-ils trouvés avant qu'elle ne puisse les ranger ? Ou était-ce Graves qui les avait ramassés ? Si oui, où les avait-il mis ? Et surtout que cela signifiait-il ?
Mabel s'arrêta le temps d'observer la pièce. L'étage était vide, comme le reste du bâtiment. Et il l'avait été quand elle s'était éclipsée à toute vitesse la veille. Cela ne pouvait donc être que Graves. Il était celui qui avait remis de l'ordre derrière elle.
En essayant de ne pas se laisser envahir par la panique, elle s'assied à son bureau et se mit à le fouiller. Elle ouvrit chaque tiroir un à un. Les trois tiroirs de gauche furent une impasse et quand elle atteint le dernier tiroir de droite, elle commençait déjà à perdre espoir. Mais alors, son regard tomba sur trois dossiers en cuir impeccablement et discrètement rangés tout au fond du compartiment. Ils n'avaient rien à faire ici. Ce tiroir était habituellement vide. La main tremblant légèrement, Mabel les déposa devant elle.
Le premier dossier contenait toutes les dépêches que Mabel avait subtilisées à Netanya la veille. La sorcière se hâta de remettre le dossier dans le bureau de sa collègue.
Les deux autres dossiers contenaient toutes les coupures de journaux que Mabel avait récoltées lors de ses recherches. Elles étaient empilées les unes sur les autres, sans ordre précis.
Mabel laissa échapper un soupir de soulagement audible. La seule personne dont elle avait à s'inquiéter maintenant était Graves.
Elle remit les deux dossiers dans le tiroir du bas et le ferma d'un coup de pied avant de s'avachir dans sa chaise.
Désormais que cette inquiétude avait disparu, la sorcière se retrouvait assailli d'autres pensées dérangeantes. Tout d'abord, elle ne savait même plus si elle souhaitait vraiment continuer ses recherches, surtout après sa discussion avec Graves. Après tout, elle pouvait très bien chercher le mage au mauvais endroit comme il l'avait suggéré, et elle ne voulait plus perdre de temps sur de fausses pistes. Cela lui coûtait trop de temps et d'énergie. Elle n'aurait qu'à attendre qu'il réapparaisse. Il le ferait forcément, un jour ou l'autre. Et ce jour-là, elle le ferait payer pour tout ce qu'il avait fait.
Suite à cette résolution, le visage de Grindelwald disparut pour être remplacé par celui de Graves.
Mabel fronça aussitôt les sourcils. Elle ne comprenait pas le comportement de son supérieur. Il lui avait très clairement fait comprendre qu'il n'approuvait pas sa recherche du mage noir alors pourquoi avait-il laissé tous les parchemins à sa portée ? Quitte à les ranger, il aurait pu repartir avec, empêchant ainsi Mabel de continuer ce qu'elle faisait.
Toutes ses pensées donnaient un mal de tête à la sorcière et son trouble l'empêchait de réfléchir pleinement. Tout comme sa fatigue.
À cause des deux confrontations qu'elle avait subi la veille avec ses collègues sorciers, Mabel avait passé une nuit effroyable. À se retourner constamment dans son lit et à ne pas pouvoir éteindre son cerveau plus de quelques secondes.
Les visages de ses anciens coéquipiers, morts, resurgissaient constamment sous ses paupières mais étaient, cette fois-ci, accompagnés du visage de Grindelwald ainsi que du regard déçu de Graves et de celui désapprobateur de Netanya.
C'était comme si la sorcière était tiraillée entre deux mondes qui refusaient de coexister en paix et qui cherchaient constamment à l'attirer d'un côté.
Au final, même le souvenir des mains chaudes et légèrement rugueuses de Percival sur son visage, lorsqu'il avait tenté de la convaincre de tourner la page, n'avait pas suffi à l'apaiser et elle avait fini par sortir prendre l'air au beau milieu de la nuit.
En compagnie de fêtards ivres et de compagnons insomniaques, elle profita du calme et de l'obscurité de Petite Italie pour se vider l'esprit.
Quand elle retourna se réfugier dans son appartement un peu après, le sommeil la percuta de plein fouet. Mais seulement deux petites heures plus tard, elle avait dû se lever en sursaut pour rejoindre le Congrès. Et maintenant que l'anxiété qui la faisait tenir debout s'évanouissait, Mabel sentait la fatigue envahir son corps progressivement. Elle avait besoin de se réveiller.
Elle jeta un coup d'œil à sa montre. Il lui restait trente bonnes minutes avant que les premiers employés ne commencent leur journée. Elle avait le temps d'aller boire un café, ou même deux.
Elle ne partit pas bien loin et s'installa sur la terrasse du café qui se trouvait en face du Congrès.
Un serveur aux traits tirés prit sa commande puis Mabel déplia le journal qu'elle avait récupéré un peu avant, à son étage.
Le New York Ghost datait de la veille mais Mabel ne s'en plaignit pas. Au moins, elle avait de quoi se changer les idées.
Elle se laissa emporter par les nouvelles. Elle lut avec avidité un article d'investigation sur l'emplacement de Grindelwald. Les journalistes avaient cherché à Londres, Paris et Berlin, sans rien trouver. Elle porta ensuite son attention sur des nouvelles plus récentes : un mouvement anti-sorcellerie qui monte chez les moldus, une sorcière arrêtée pour avoir vendu des élixirs d'immortalité à des moldus, une colonie de Centaures sous surveillance près du Montana, etc.
Après une vingtaine de minutes et deux cafés commandés, Mabel reposa le journal sur la table.
— Vous permettez ?
Mabel se retourna vers l'homme qui venait de lui parler. Il était assis sur la table à sa droite et buvait un café. Mabel s'étonna de ne pas l'avoir entendu arriver.
— Oui, tenez, dit-elle avec un sourire aimable en lui tendant le journal qu'il pointait du doigt.
— Merci beaucoup.
Il lui sourit amicalement et une lueur étrange brilla dans son regard. Mabel fronça les sourcils, interloquée. Elle détailla l'homme du mieux qu'elle le put : des yeux verts, une moustache brune et épaisse, un chapeau recouvrant ses cheveux, un grain de beauté sur la tempe droite.
La sorcière se creusa la tête mais elle fut obligée d'admettre qu'elle ne le connaissait pas, malgré le sentiment de familiarité qui émanait de lui.
— Vous travaillez au MACUSA ? demanda-t-il en ouvrant le journal.
— Tout à fait. Et vous ?
L'homme eut un léger rire amusé.
— Du tout. Je suis seulement de passage à New York.
— Qu'est-ce qui vous amène ici ? demanda Mabel, curieuse et cherchant de la même manière à passer le temps.
— Une envie de découvrir la ville et aussi de saluer de vieux amis.
— Je vois. D'où venez-vous, si je peux me le permettre ?
— Californie, répondit-il après une seconde que Mabel perçut comme de l'hésitation. Et vous d'Angleterre, n'est-ce pas ? Vous avez un accent charmant.
— Vous avez, vous aussi, un accent mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur son origine.
L'homme lui sourit mais quelque chose semblait différent. Mabel sentit un frisson la parcourir.
— J'ai vécu entouré d'immigrés, cela doit venir de là.
Son sourire devint plus chaleureux et Mabel se détendit. Elle discuta avec l'homme pendant plusieurs longues minutes. Ils abordèrent des sujets aussi variés que le temps, le Quidditch, ou bien le MACUSA.
Et quand les premiers employés du Congrès pénétrèrent dans le bâtiment, elle en fit de même, laissant derrière elle son compagnon de café.
Cette conversation l'avait relaxé et elle pénétra de nouveau à son étage avec l'esprit serein. Elle aperçut Curtis et Netanya qui semblaient tout juste arriver ainsi que cinq autres Aurors qui étaient déjà assis à leur bureau. Le son des machines à écrire et des notes traversant l'air à toute allure bourdonna à ses oreilles.
En s'asseyant sur sa chaise, Curtis lui lança un sourire qui oscillait entre le soulagement et l'inquiétude.
— Tu avais peur que je ne vienne pas, devina-t-elle.
Il fit une moue désolée en réponse.
— On tient à toi, Mabel, c'est normal qu'on s'inquiète, intervint Netanya.
— Je vais bien, enfin mieux, les rassura-t-elle avec un sourire.
— Tu as l'air fatiguée, fit remarquer sa collègue alors que le bruit reconnaissable de l'ascenseur s'arrêtant à leur étage se fit entendre.
— J'ai eu un peu de mal à m'endormir mais ce n'est pas vraiment inhabituel.
— Tu devrais aller voir McCabott sur la 5ème avenue, il pourra te prescrire une potion pour ça.
Mabel remercia Curtis d'un signe de tête alors que Percival Graves pénétrait dans la pièce. Leurs regards s'accrochèrent pendant une courte seconde, rendant la sorcière nerveuse. Elle pria pour qu'il ne soit pas là pour elle. Elle perdit tout espoir quand il s'arrêta devant leur îlot de bureau.
— M. Graves, dirent les trois Aurors à l'unisson en se levant pour saluer leur directeur.
Graves fit un geste de la main pour les saluer et aussi pour leur signifier qu'ils pouvaient se rasseoir. Mabel fut coupée dans son élan.
— Cole, suivez-moi. Vous m'accompagnez à Bowery.
Mabel se figea sur place.
Tout mais pas ça.
Il était hors de question qu'elle reste seule avec lui parce qu'elle savait pertinemment le sujet qu'il voudrait aborder. Un sujet qu'elle aimerait faire disparaître de sa vie.
— Oh, hum, j'ai du travail en retard mais je suis sûre que Curtis, enfin l'Auror Fletcher, se fera un plaisir de vous accompagner.
Curtis haussa les sourcils, surpris de l'entendre mentir aussi effrontément à leur directeur car il savait très bien qu'elle n'avait pas de travail en attente ; tout avait été bouclé le jour d'avant. Mais, ami loyal qu'il était, il se contenta d'approuver ses propos d'un hochement de tête motivé. Mabel l'aurait serré dans ses bras si elle l'avait pu.
Graves, le visage aussi expressif qu'une tombe, jeta un coup d'œil à Curtis.
— Dans ce cas, il n'a qu'à s'occuper de votre travail en retard. (Il fixa Curtis d'un air inflexible et ce dernier ne put qu'acquiescer.) Très bien, c'est réglé, s'exclama-t-il en se retournant face à Mabel. Suivez-moi.
Le visage de Mabel s'affaissa à la perspective de devoir se retrouver seule avec lui. Elle récupéra sa veste et suivit le sorcier jusqu'à l'ascenseur. Malgré son malaise, elle aperçut le regard interrogateur qu'échangèrent Netanya et Curtis à son départ et elle se réprimanda pour leur avoir donné une nouvelle raison de s'inquiéter pour elle.
En silence, les deux Aurors sortirent du bâtiment et Graves posa légèrement sa main sur l'épaule de la sorcière pour transplaner.
L'odeur immonde qui atteint les narines de la sorcière fut suffisant pour lui indiquer l'endroit où elle avait mis les pieds. Elle plissa le nez et se précipita vers la porte de sortie pour échapper à cette puanteur. En traversant le seuil, elle tomba nez à nez sur un quadragénaire qui souhaitait faire ses besoins dans les toilettes pour hommes. L'homme sursauta, fit la navette entre la sorcière et son supérieur derrière elle, et leur lança un sourire graveleux.
Mabel lui répondit avec un regard noir et à la façon dont l'homme se mit subitement à reculer pour les laisser passer en baissant la tête, elle devina que Graves devait avoir eu la même expression aimable sur son visage.
Elle observa le couloir en dalles beiges crasseuses qui s'étendait de gauche à droite. Le bruit reconnaissable d'une rame de métro s'arrêtant sur les rails lui parvint de la droite. Elle se dirigea vers la gauche. Elle fit deux pas seulement avant que Graves n'attrape son poignet et ne la fasse s'arrêter.
Elle se retourna vers lui avec appréhension. Elle était une vraie boule de nerf. Pour elle qui n'aimait pas se dévoiler, cet homme connaissait tous ses secrets et elle redoutait ce qu'il allait se passer maintenant entre eux. Ce qui était sûre, c'était qu'elle ne souhaitait pas parler de ce qu'il avait découvert la veille.
Percival lâcha son bras et Mabel, cherchant vainement à l'empêcher de parler, cracha la première phrase qui lui passa par la tête.
— Tu comptes, de nouveau, me confisquer ma baguette ?
Elle se souvenait de leur première mission ensemble, qui semblait remonter à si longtemps. Quand Graves lui avait confisqué sa baguette car il ne lui faisait pas confiance. Parce qu'il se doutait qu'elle ferait quelque chose de dangereux. Et il avait eu raison.
Cinq mois s'étaient écoulés depuis et elle avait l'impression que les progrès qu'elle avait fait avec lui venait de s'écrouler, qu'ils étaient revenus à la case départ. Pourtant, Graves semblait s'entêter à lui pardonner tous ses excès et Mabel n'en comprenait pas la raison. Il avait pourtant l'air d'être une personne tout à fait sensée.
Elle n'était donc pas fière de sa provocation mesquine et elle le fut encore moins quand Percival lui lança un regard peiné. Elle s'excusa aussitôt. Il chassa tout cela d'un geste de la main, comme si cela n'avait déjà plus d'importance.
— Il faut que l'on parle de ce qu'il s'est passé hier soir.
Par pitié, non.
Mabel se retrouva bien incapable de répondre et fut soulagée de voir une masse compacte de travailleurs, en costumes chics et chapeaux assortis, se diriger vers la sortie de la station de métro. Leur passage lui fournit un court répit salvateur. Simplement le temps pour les deux sorciers de se décaler pour laisser passer la troupe de New Yorkais pressés.
Mabel aurait cependant payer chère pour disparaître car entre le mur crasseux qui se trouvait sur sa droite, les New Yorkais désagréables sur sa gauche et le regard profond et insondable de Graves en face d'elle, Mabel se sentait prise au piège.
D'une voix peu assurée, elle finit par répondre :
— Il n'y a rien à dire de plus.
— Au contraire, ils nous restent encore beaucoup de sujets à aborder.
Face à l'obstination du sorcier, Mabel se recroquevilla sur elle-même. Elle ne souhaitait pas en parler.
— Je croyais que l'on était ici pour une mission, rappela-t-elle alors que les bruits de pas s'estompaient déjà derrière eux et qu'ils se retrouvaient seuls.
Percival sentit son embarras et son refus d'obtempérer.
— C'est le cas. (Il fit glisser sa main droite le long de sa mâchoire rasée de près avant de faire un signe de la tête vers la sortie.) Suis-moi.
Il abdiquait mais Mabel savait qu'il reviendrait à la charge très bientôt et elle ne savait pas pendant combien de temps elle pourrait éviter de répondre à ses questions.
La rue dans laquelle ils débouchèrent était large et bordée d'immeubles de briques rouges. De petites boutiques étaient parsemées le long de la route et au loin, des tours de bureaux moldus d'une vingtaine d'étages se dressaient. Ils quittèrent la station Bowery pour s'engager sur la rue du même nom, puis s'engagèrent, à l'intersection, sur la rue E. Houston.
Ce qui apparut devant les yeux de Mabel la prit au dépourvu.
Elle avait pensé que Graves l'avait choisi pour l'accompagner simplement à cause des événements du soir précédent mais elle réalisa alors que ce n'était qu'en partie vrai.
Il l'avait amené avec lui parce qu'elle avait déjà enquêté sur l'étrange événement pour lequel il se déplaçait à cet instant. Pour enquêter sur l'apparition inattendue et surprise d'une longue fosse au beau milieu d'une route faite de béton et dérangeant ainsi la tranquillité d'un quartier moldu.
Pour la deuxième fois en moins d'un mois, Mabel se retrouvait donc face à cette vision surréaliste qui n'avait, pour l'instant, aucune explication logique.
Elle s'approcha du fossé qui s'étendait sur une dizaine de mètres avant de s'arrêter soudainement. Cependant, alors que la rue de Hell's Kitchen où s'était déroulée cette scène plusieurs semaines auparavant avait été épargné par la force à l'œuvre, ici, cela était bien différent. Des voitures étaient renversées, les vitrines des boutiques étaient en miettes et une partie de la toiture d'un immeuble se trouvait sur le trottoir.
— Cela ressemble comme deux gouttes d'eau à ce que j'ai vu à Hell's Kitchen, murmura Mabel en désignant le trou béant dans la route.
Elle s'agenouilla à côté de celui-ci. Le fond était un mélange de terre, de béton et de quelques éclats de verre brillant provenant probablement des parebrises de voiture.
— Comment est-ce possible ? demanda-t-elle clairement déboussolée en se relevant.
Après son enquête infructueuse en compagnie de Curtis, Mabel avait naïvement pensé qu'elle n'entendrait plus parler de cela mais voilà qu'elle se retrouvait face à une affaire similaire. Et elle se devait bien d'admettre que cela ressemblait plus à une affaire impliquant la magie qu'une impliquant des moldus.
— C'est pour ça que je t'ai amené. Je veux que tu compares les témoignages des témoins ici présents avec ceux que tu as rencontré la dernière fois, répondit Graves en observant un couple converser à voix basse à quelques mètres d'eux. Commence par eux.
Mabel ne se fit pas prier. Elle acquiesça puis se dirigea vers le couple.
Arborant son plus beau et innocent sourire, elle s'arrêta face au jeune couple de New Yorkais et les salua gaiement. Ils la saluèrent également et Mabel, dont les lèvres commençaient à la faire souffrir, abandonna son sourire faux et incommodant pour une simple expression curieuse.
— Je passais dans le quartier quand j'ai vu cette fosse au beau milieu de la route, est-ce que vous avez une idée de ce qu'il s'est passé ?
L'homme, aux cheveux bruns, et la femme, au manteau de fourrure hors de prix, échangèrent un regard hésitant.
— Hélas non, nous n'avons rien vu du tout, finit cependant pas répondre l'homme alors que la femme se mettait à observer ses mains avec attention.
L'homme avait menti avec un aplomb qui aurait rendu jaloux n'importe quel espion mais Mabel avait bien vu l'agitation qui parcourait les corps des deux jeunes gens quand ils échangeaient des messes basses un peu avant qu'elle ne les aborde. Elle avait aussi vu l'anxiété dans leurs yeux quand elle leur avait poser la question. Elle en déduisit qu'ils avaient peur de quelque chose. Peut-être bien peur de passer pour des fous ? Et qu'est-ce que, en dehors de la magie, pourrait bien faire penser cela à des moldus ? Mabel était suffisamment sûre d'elle pour insister. Et puis, elle faisait confiance à Graves. S'il l'avait envoyé les interroger, c'était qu'il avait dû voir quelque chose, lui aussi, dans leur comportement qui insinuait qu'ils savaient ce qu'il s'était passé.
— Vraiment ? Mince. (Mabel fit mine de réfléchir.) Je ne devrais peut-être pas en parler mais le même phénomène s'est produit quelques semaines auparavant un peu plus au Nord. J'ai entendu des histoires abracadabrantes sur son origine.
— Quel genre d'histoire ? demanda aussitôt la femme avec une curiosité non dissimulée.
Mabel fit de son mieux pour ne pas sourire de triomphe.
— Certaines personnes m'ont parlé d'une ombre gigantesque qui serait passé à toute vitesse devant eux et n'aurait laissé qu'une traînée comme celle-ci derrière elle. C'est incroyable, non ?
Mabel feint autant d'enthousiasme qu'elle le put et attendit. Bien sûr, elle ne précisa pas l'état d'ébriété de ces deux témoins mais elle espérait qu'en racontant cette histoire totalement folle et en montrant sa croyance en celle-ci, elle donnerait suffisamment de courage à ces deux moldus pour qu'ils se confient à elle.
Elle sentit qu'elle venait de réussir quand l'homme et la femme échangèrent un long regard qui se solda par la jeune femme hochant la tête. L'homme, dont une mèche de cheveux tombait devant son œil droit, reprit la parole, plus bas.
— Je ne saurais pas l'expliquer mais c'était bien une ombre gigantesque. Je n'avais jamais rien vu de tel auparavant.
Sa femme hocha la tête vigoureusement.
— Nous avions peur d'être devenu fous ! ajouta-t-elle. Cette ombre, non, pas une ombre. Je parlerais plutôt d'une masse compacte et fluide, rectifia-t-elle. Et noire ! Eh bien, elle est sortie de nulle part et a disparu aussi vite qu'elle était apparue. C'était surréel.
Mabel eut du mal à cacher son étonnement. Étaient-ils vraiment en train de confirmer les dires des deux irlandais ?
— Comment est-elle apparue ? demanda-t-elle.
— En volant. Une seconde avant, le ciel était vide et celle d'après, cette chose descendait vers nous et passait à toute vitesse dans la rue en détruisant tout sur son passage.
— Tout à fait, approuva la jeune femme. Et la manière dont cette chose changeait de cap aussi vite : de haut en bas et de droite à gauche, comme si elle pouvait se déplacer aussi facilement qu'un oiseau, comme si elle était vivante. C'était effrayant.
Elle frissonna et son compagnon entoura ses épaules de son bras.
— C'était surnaturel, conclut-il.
Mabel hocha la tête très sérieusement, oubliant tout de son rôle de moldue curieuse. Elle n'avait jamais rien entendu de tel. Une masse volante et sombre ? Qui semblait vivante ? Et qui était capable de telles destructions ?
Quel sortilège pouvait bien créer cela ?
Elle devait faire son rapport à Graves. Peut-être en saurait-il plus qu'elle. Elle remercia le couple et se mit à la recherche de son supérieur. Elle trouva le sorcier au bout de la tranché créée par cette chose magique. Il était en train d'examiner la distance entre les premières fenêtres brisées et celle de la fin de la fosse.
— La chose qui a fait de tels dégâts a atteint le toit de l'immeuble en moins de trois mètres. Atteindre une telle hauteur sur aussi peu de chemin est impossible pour les Non-Maj'. En tout cas, pas avec leur technologie actuelle.
Mabel ne savait pas s'il lui parlait à elle, ou à lui-même, ni même comment il pouvait en savoir autant sur la technologie moldue pour affirmer cela mais elle lui répondit tout de même.
— Quoi que ce soit, c'est définitivement d'origine magique.
Graves porta toute son attention sur elle.
— Que t'ont-ils dit ?
— Aussi étonnant que ce le soit, ils ont confirmé les propos des précédents témoins. (Graves fronça les sourcils tout en jetant un bref coup d'œil au couple.) Ils m'ont parlé d'une masse compacte, noire et imposante qui aurait traversé la rue en volant et en laissant ce chantier derrière elle. Ils l'ont aussi décrit comme se déplaçant rapidement et agilement, ce qui pourrait expliquer cela, ajouta-t-elle en désignant les trois mètres séparant la fin de la fosse et le début des dégâts sur l'immeuble dont parlait Graves.
Ce dernier parût considérer ses propos.
— Sont-ils fiables ?
— Ils le sont, confirma Mabel.
Le couple lui avait paru lucide et sobre, bien loin des deux hommes de Hell's Kitchen. Elle ne mettait donc pas en doute leurs témoignages, et encore moins maintenant qu'elle se retrouvait avec deux descriptions similaires.
— Nous pouvons toujours interroger d'autres témoins, proposa-t-elle sans grande conviction.
— C'est trop risqué. Il vaut mieux les oublietter avant que l'histoire ne se propage trop. Je vais appeler des renforts, reste ici et assure-toi qu'aucun de ceux présent ne quitte les lieux.
Graves fit un geste de la main pour englober tous les moldus présents puis la dévisagea sans bouger pendant plusieurs, affreusement longues, secondes. Mabel le voyait batailler dans ses pensées à l'idée de la laisser seule. Mais la sorcière ne savait pas si c'était par inquiétude pour elle ou pour les moldus qui l'entouraient. Quoi qu'il en soit, Graves finit par s'éloigner non sans lui jeter un dernier regard soucieux au passage.
Son long manteau noir disparut derrière le coin d'un immeuble et la doublure blanche, reflétant le soleil, éblouit Mabel pendant une courte seconde. Quand elle se reprit, elle se mit à déambuler le long de la rue et à se mêler à la foule parsemée. Une dizaine de moldus se tassait de chaque côté de la rue, créant deux groupes bien distinct séparés par le trou de terre et de béton.
En se mêlant à eux, elle repéra très rapidement ceux qui avaient réellement aperçu la scène et qui restaient délibérément en retrait et silencieux de ceux qui étaient arrivé sur place suite au raffut et qui élaboraient toutes sortes de théories farfelues. Mabel savait cependant que la plupart ne resterait pas muets éternellement et bientôt, la nouvelle se propagerait. Ils avaient besoin du plus d'oublietteurs possible.
Mabel papillonnait donc de groupes en groupes, relançant certaines discussions quand celles-ci battaient de l'aile avant de prétendre s'intéresser à la tranchée puis de recommencer. Alors qu'elle changeait de côté de rue, un cri strident fendit l'air.
La britannique se retourna et vit la jeune femme au manteau de fourrure qu'elle avait interrogé auparavant se coller à son mari. Elle avait une expression de terreur intense sur le visage et quand Mabel tourna le sien vers l'endroit qui provoquait une telle réaction chez la moldu, un concerto de cris s'éleva autour d'elle, aussi bien hommes que femmes. Cependant aussitôt qu'elle aperçut l'objet de cette frayeur, les cris se dissipèrent pour ne devenir qu'un bruit de fond confus. Seul son cœur qui palpitait dans sa poitrine semblait résonner dans ses oreilles.
À une vingtaine de mètres d'elle seulement, et volant de gauche à droite comme un chien effrayé, l'ombre dont elle avait tellement entendu parler venait de faire son apparition. Mabel resta immobile à l'observer, comme fascinée. Elle observait la manière dont cette ombre semblait changer de forme aussi facilement qu'elle pouvait changer de cap. Elle observait les éclats rougeoyants qui apparaissaient de part et d'autre de la forme, comme semblable à de petites explosions. Et surtout, elle observait la manière dont l'ombre semblait vivante et consciente.
Cette observation ne lui prit que quelques secondes mais dans le même temps, la créature, Mabel ne voyait que cela comme explication, s'était avancée de dix mètres.
Elle fut alors de nouveau assaillie par les bruits environnants : les cris des moldus, les fracas causés par la créature mais aussi une voix plus proche et grave qui criait son nom.
Mabel tourna la tête, vit l'expression inquiète de son supérieur, fronça les sourcils, tourna de nouveau son visage sur la créature et réalisa, alors que celle-ci n'était plus qu'à cinq mètres d'elle, que Mabel se trouvait en plein dans sa trajectoire.
La sorcière plongea sur sa droite et atterrit une dizaine de mètres plus loin, comme si elle avait été propulsée magiquement. Elle freina sa chute avec ses mains et se cogna le haut du visage contre le rebord dur d'un trottoir.
Elle fut entourée de blanc, puis de noir, puis enfin le ciel bleu réapparut devant ses yeux.
Aussi rapidement qu'une vipère, elle se redressa sur ses coudes et observa la créature passer à toute vitesse à quelques mètres d'elle. Au travers de sa masse aussi fluide que des sables mouvants, Mabel pouvait apercevoir Graves de l'autre côté de la rue. Son visage habituellement impassible montrait désormais son anxiété grandissante. Elle s'inquiéta aussitôt pour lui et son état de santé.
Puis ses yeux retombèrent sur la chose, dont la matière noire hypnotisa la sorcière. Elle y voyait des visages, des bouches ouvertes criantes, des yeux morts mais surtout elle entendait le rugissement effroyable qui en émanait.
C'était impressionnant et effrayant à la fois. Et alors même que la créature disparaissait au coin de la rue, Mabel pouvait toujours entendre ce cri : à la fois fort et faible, à la fois terrifiant et déchirant.
La sorcière pouvait sentir la peine et la douleur émanant de la créature et qui faisait écho à sa propre détresse.
Tout est de ta faute.
Un liquide épais et chaud tomba sur son œil droit et Mabel ferma les yeux, tentant de la même manière de repousser la voix froide de son esprit.
Tu nous as tué.
Elle plaqua les mains sur ses oreilles.
— Non, non. C'était un accident.
Regarde ce que tu nous as fait.
Mabel ne put s'en empêcher. Elle ouvrit les yeux. Quelque chose l'empêchait de voir de l'œil droit mais de l'autre, elle vit une dizaine de personnes, le teint pâle et les yeux laiteux, la regarder. Un vieil homme portant un chapeau de feutre sur la tête et qui crachait du sang. Une jeune fille dont la robe beige était tâchée de rouge. Un homme d'une vingtaine d'années, cloué au sol, dont les jambes refusaient de bouger. Puis au même moment et comme mué par une même force, ils levèrent leur index osseux vers elle et se mirent à approcher. Lentement. À l'encercler.
La sorcière ferma les yeux.
Regarde-nous.
— C'était un accident, répéta-t-elle en boucle, pour les voix comme pour elle.
Le rugissement de la créature s'atténuait. Dorénavant, seules les voix résonnaient dans sa tête. Répétant encore et encore les mêmes paroles et créant une confusion dans l'esprit de la sorcière jusqu'à ce qu'une voix devienne plus forte que les autres et ne prenne le dessus.
Qu'attends-tu pour me retrouver ?
— Non, non, non, ce n'est pas réel.
Elle se plaqua les mains sur le visage et chassa la voix du mage blond de sa tête. Rien de tout cela n'était vrai. Et pourtant tout paraissait si réel.
Mabel sentit une main se poser sur son épaule puis une voix lui murmurer de se calmer. Elle se tendit comme un arc avant de se débattre comme une lionne pour échapper à l'emprise du sorcier.
Elle recula d'un mètre, égratignant plus encore ses mains sur le béton et ouvrit de grands yeux affolés. Elle s'arrêta net quand elle reconnut le sorcier qui se tenait accroupi devant elle. Brun et non blond. Aux yeux foncés et non glacés.
Elle sembla aussitôt s'ancrer de nouveau dans la réalité. Les voix s'atténuèrent jusqu'à ne former qu'un murmure inaudible. Son cœur reprit un rythme régulier sans pourtant se calmer entièrement. Et les passants autour d'elle avaient retrouvés leur visage et leur corps intact. La seule similarité était qu'ils la dévisageaient tous avec insistance.
Mabel comprit, à sa gorge sensible, qu'elle avait crié. Alors que Graves se rapprochait d'elle doucement, comme il le ferait d'une bête sauvage pour ne pas la faire fuir, la sorcière jetait des coups d'œil nerveux autour d'elle. Finalement, Graves bloqua la rue de son champs de vision et elle arrêta sa recherche insensée du sorcier qui n'était présent que dans sa tête.
— Tu trembles, chuchota l'Auror alors qu'il posait un genou au sol.
Mabel posa inconsciemment ses yeux sur ses mains abîmées et rougies. Elle tremblait effectivement comme une feuille.
Graves glissa doucement une main sur la nuque de la sorcière. Mabel se laissa envahir par la chaleur de sa peau. Alors qu'il l'attirait à lui, il chuchota :
— Tout va bien. Tu vas bien.
Elle le sentit glisser un bras autour de sa taille pour sécuriser son étreinte. Comme s'il redoutait qu'elle ne se blesse encore en tentant de s'éloigner. Mais elle n'en avait pas envie. Plus maintenant qu'elle savait que c'était lui, Percival, qui se trouvait à côté d'elle.
Elle enfouit son visage dans le torse du sorcier. Le tissu doux de son veston caressait la joue brune de l'Auror. Elle ferma les yeux et se laissa envahir par l'odeur de vieux parchemins qui émanait de lui, par la sensation de bien-être infinie que lui procurait les mouvements tendres des doigts du sorcier dans ses cheveux.
Le calme l'entourait. Ses mains cessèrent de trembler. Les voix s'éteignirent.
Tout allait bien. Elle allait bien.
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