11| La fin des secrets
Le mois d'octobre commençait tout juste à tomber sur New York et avec lui les premières feuilles orangées des arbres. Mabel les entendit crisser sous ses chaussures alors qu'elle pénétrait dans le Woolworth Building.
Ce jour-là, comme depuis deux semaines, la sorcière avait décidé de déjeuner en ville. Elle avait donné de nombreuses raisons à ses collègues : un cadre plus agréable, une envie de sortir du Congrès et de prendre l'air, une nourriture plus appréciable que celle du réfectoire, etc.
La vérité était moins reluisante : elle évitait Graves.
Depuis qu'elle s'était rendue compte de ses sentiments pour lui, deux semaines auparavant, Mabel faisait de son mieux pour ne plus le croiser. Elle était loin de s'en sortir admirablement. Elle le croisait au minimum une fois par jour et plusieurs fois, elle s'était retrouvée seule en sa compagnie à parler du travail, à plaisanter légèrement, à le découvrir un peu plus à chaque fois ; et bien évidemment, tout cela renforçait les sentiments de la sorcière pour lui.
Quand elle se mit à gravir les marches menant au hall du Congrès magique des États-Unis, elle chassa le visage souriant du directeur de sa tête. L'effervescence inhabituelle du lieu lui fournit le remplacement nécessaire pour lui occuper l'esprit.
Elle observa avec curiosité plusieurs employés, les bras chargés de dossiers en cuirs remplis de parchemins, la dépasser en courant. Plus elle avançait dans la pièce, plus elle rencontrait des petits groupes de sorciers parlant à voix basse d'un sujet qui semblait vraisemblablement les inquiéter. Si Mabel ne s'était pas rendu compte qu'il se passait quelque chose auparavant, alors la quantité étonnante de notes et de chouettes qui volaient dans l'air lui auraient sûrement mis la puce à l'oreille.
Dans une sorte de réflexe, Mabel jeta un coup d'œil à la pendule gigantesque qui trônait au milieu de la pièce. Avec ses différents niveaux de gravité, elle indiquait la situation de danger de la communauté magique américaine.
À son étonnement, la flèche indiquait toujours le niveau 2 : Menace Modérée. Soit le même niveau que depuis plus de cinq mois. Elle se demanda donc bien ce qui pouvait provoquer un tel émoi chez les employés mais qui ne soit pas considéré comme suffisamment grave pour mériter un changement de statut de sécurité.
En attendant l'ascenseur, la britannique tenta d'écouter les conversations de ses voisins mais rien ne lui parvint. Ils semblaient faire très attention à ne pas parler trop fort. Quand la cabine s'ouvrit devant elle, elle s'y engouffra. Elle fut la seule. Les autres sorciers ne semblèrent même pas s'en rendre compte.
Brad, qui remettait sa casquette en place, la salua et Mabel lui demanda aussitôt ce qui se passait. Il se gratta l'arrière de la tête, mit l'ascenseur en marche et répondit :
— Je n'en ai aucune idée et je m'en moque.
— Tu n'as rien entendu ?, demanda-t-elle tout de même.
Elle se doutait que malgré la volonté de l'elfe de ne pas parler aux sorciers, il avait probablement grappillé certaines informations qui pourrait l'éclairer.
— Une histoire de sorcellerie, pour changer. Une attaque, quelque part en Europe. Rien de plus.
Il se renfrogna aussitôt et Mabel sut qu'elle ne tirerait rien d'autre de lui.
Elle essaya à la place de se remémorer les affaires en cours des Aurors qui pourraient correspondre à une attaque ou même à une situation étrange en Europe mais rien ne lui vint.
Elle se mit alors à écouter attentivement les conversations des quelques employés qui montaient et descendaient de l'ascenseur. Elle n'entendit que des paroles attristées et aussi la mention de l'Écosse.
Tout cela attisa grandement sa curiosité et elle entra dans le département des Aurors avec la ferme intention d'avoir des réponses.
En pénétrant dans la grande pièce mal éclairée, un groupe de trois Aurors aux visages fermés et graves passèrent devant elle pour rejoindre les deux ascenseurs. Mabel ne les connaissait pas de nom car ils n'étaient pas souvent à New York mais elle savait qu'ils enquêtaient principalement à l'étranger. Elle ne fut donc pas étonnée de les voir avec une valise à la main. Et de ce qu'elle avait récolté de Brad et de ces employés du département des objets magiques, elle en déduit qu'ils partaient pour l'Europe et plus précisément pour l'Écosse.
Dévorée par la curiosité, elle se précipita vers son bureau. Aussitôt qu'elle atteint l'îlot des trois bureaux, elle surprit le regard inquiet de Netanya sur elle.
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ?, demanda-t-elle à personne en particulier.
— Mabel, enfin ! Tu ne devineras jamais la nouvelle que l'on vient d'apprendre !, annonça Curtis dont le ton énergique mais sérieux inquiéta Mabel plus que tout ce qu'elle venait de voir auparavant.
Quand Curtis était sérieux, alors il s'était passé quelque chose de grave. Elle en eut la confirmation par Netanya, sur sa droite, qui sembla se pétrifier sur sa chaise. L'Auror à la queue de cheval sembla implorer Mabel des yeux mais cette dernière ne comprit pas pourquoi.
— Raconte-moi tout, demanda-t-elle donc à son collègue alors qu'elle s'asseyait à son tour.
En faisant cela, elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle. La plupart des Aurors présents, une dizaine, parlaient entre eux à voix basse. La distance l'empêchait d'entendre ce qu'ils disaient mais elle se doutait du sujet de conversation.
— On devrait probablement faire ça ailleurs, recommanda Netanya à l'attention de Mabel qui, là encore, ne comprenait pas la raison d'un tel propos.
Curtis eut la même réaction qu'elle. Il dévisagea Netanya d'un air perdu avant de se concentrer sur Mabel et d'entamer son récit :
— Un peu après ton départ, une dépêche du Ministère de la Magie britannique nous est parvenu. Elle était courte et concise : le ministère était à la recherche de trois de leurs Aurors. Il n'avait pas beaucoup d'informations sur leur disparition, simplement qu'ils étaient partis en mission de reconnaissance dans les quartiers huppés d'Édimbourg et qu'ils ne donnaient plus signe de vie depuis la veille. Ils nous demandaient de bien vouloir vérifier nos frontières et de nous assurer qu'aucun de leurs trois ressortissants ne tentaient d'y entrer.
— Pourquoi ça ?, demanda Mabel, légèrement interpellée par cette demande qui sortait de l'ordinaire.
— Il semblerait qu'ils aient des problèmes avec certains de leurs employés dernièrement. Il y a eu plusieurs cas, dans les dernières semaines, de disparition de documents et d'objets magiques dans leurs locaux et ils se sont rendu compte que certains sorciers qui travaillaient pour eux s'étaient ralliés à la cause de Grindelwald. Depuis, ils sont extrêmement vigilants et méfiants.
Mabel hocha la tête le plus calmement possible, essayant de cacher la tempête qui faisait rage dans son cerveau depuis la mention de ce nom. Elle commençait à avoir un mauvais pressentiment ; cette histoire ne pouvait que mal finir. Encore plus maintenant qu'elle comprenait le comportement de Netanya.
Inconsciemment, elle prit tout de même note de toutes ses informations, comme un réflexe dû à ses deux années de traque du mage. Curtis continua, sans remarquer la pâleur qui envahissait le visage brun de la sorcière.
— Bref, au final, à peu près une heure après, une nouvelle dépêche nous est parvenu. Les trois Aurors avaient été retrouvé mort dans une vieille bâtisse en périphérie de la ville. Ils avaient été tués.
— Le sortilège de la mort, en conclut Mabel qui commençait à sentir des frissons s'emparer d'elle.
Peu de sorciers osaient utiliser ce sort. Trop peu pour laisser un doute sur le coupable.
Mabel sentit sa gorge se refermer, elle était incapable de former un seul mot cohérent.
— Le ministère semble persuadé que le coupable est Grindelwald, ajouta Netanya, confirmant les doutes de Mabel.
En dehors même de l'incertitude que Mabel éprouvait à l'idée de recommencer ses recherches sur le sorcier, elle se sentait confuse.
La sorcière croisa les yeux de sa collègue et une discussion silencieuse sembla se dérouler entre elles.
Si Grindelwald était en Écosse, si loin des États-Unis, alors qui était entré par effraction chez elle un mois auparavant ? Et pourquoi ?
— Est-ce qu'il aurait pu faire le trajet entre les deux pays ?, lui demanda-t-elle en ne sachant pas quelle réponse elle souhaitait entendre.
Netanya secoua la tête.
— Impossible. Les frontières sont bien trop surveillées. Sortir du pays, je ne dis pas, mais entrer sans être remarqué à aucun moment, c'est inenvisageable.
Mabel ferma les yeux. Ils parlaient de Grindelwald. C'était l'un des sorciers les plus puissants de leur communauté, rien ne prouvait qu'il n'avait pas pu entrer sur le continent.
Les yeux dans le vague, elle resta immobile.
Cet accident changeait tout.
Pendant deux longues années, elle n'avait trouvé aucun signe de vie du sorcier. Elle avait pourtant retourné chaque pierre possible mais il semblait s'être évanoui dans la nature. Et maintenant, qu'elle commençait à sortir la tête de l'eau, il réapparaissait et lui servait littéralement des indices sur son emplacement sur un plateau.
Il y a quelques mois, elle en aurait été folle de joie. Mais maintenant, elle ne savait plus quoi faire.
Elle se rendait compte de sa situation. Elle n'était plus la sorcière qu'elle était auparavant : courageuse, puissante et qui n'avait peur de rien. Maintenant, son cerveau lui jouait des tours et elle se retrouvait bien souvent à confondre passé et présent, rêve et réalité.
De plus, et elle n'aurait jamais pensé dire cela, mais ce transfert aux États-Unis s'était avéré efficace pour diluer son obsession et son désir de vengeance. Petit à petit, elle se sentait faire la paix avec elle-même. Elle se sentait se pardonner pour la mort de Victoria, Ophelia, Kyle, Spencer et Matthew.
Alors maintenant qu'elle commençait à aller mieux, voulait-elle vraiment renouer avec ses vieux démons ?
Mais pouvait-elle vraiment tourner le dos à une telle opportunité de retrouver ce monstre et de tenter, au moins une deuxième fois, de mettre fin à tous ces meurtres ?
La réponse était non. Elle se devait d'essayer.
— Où sont ces dépêches ?, demanda-t-elle à Curtis.
Curtis récupéra cinq parchemins qui traînaient sur son bureau, encore plus en désordre que d'ordinaire, et lui tendit.
— Mabel, ne fais pas ça, s'interposa Netanya en s'emparant des documents avant que la sorcière ne puisse les prendre.
— Netanya, donne-les-moi, demanda Mabel d'une voix ferme.
— Tu sais très bien que je ne le ferais pas.
Les deux sorcières se dévisagèrent. L'une était sûre d'elle et ferme, l'autre était désorientée et confuse.
Mabel jeta un regard désespéré aux dépêches. Elle avait besoin de voir les informations qu'elles contenaient. Elle devait au moins essayer de rendre le monde plus juste pour toutes ces familles qui avaient perdu leurs proches.
— J'ai besoin de savoir, dit-elle à voix basse.
— Tu as besoin de tourner la page, rétorqua Netanya d'un ton ferme et sans appel.
Témoin de ce face à face, Curtis observait ses deux amies sans rien dire. Quand le silence se prolongea, il se pencha au-dessus de son bureau avec une expression troublée.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi est-ce que tu as besoin de tourner la page ?, demanda-t-il à Mabel. Tout va bien ?
Mabel se tourna vers Curtis quand elle entendit sa voix chargée d'inquiétude. Le sorcier l'observait avec sollicitude et une once de peur, comme s'il s'attendait au pire.
Il méritait la vérité.
Elle soupira avant de faire non de la tête.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ?, demanda-t-il alors que Netanya vint s'asseoir sur la droite de Mabel.
L'israélienne mit sa main sur l'épaule de son amie et Mabel la remercia d'un sourire. Puis, elle entremêla ses doigts pour cacher ses tremblements. Elle ne voulait pas en parler. Elle ne voulait pas revivre tout cela. Mais Curtis était son ami, il méritait de savoir la raison de sa présence ici.
— Qu'est-ce qui m'arrive ? C'est une question à laquelle je ne saurais pas vraiment te répondre. (Mabel secoua la tête.) Ce que je peux te dire, c'est que je ne vais pas très bien, et ce depuis plusieurs années maintenant. Depuis bien avant mon transfert aux États-Unis et je pense qu'il est temps que tu en saches la raison.
Mabel s'arrêta pour déglutir. Curtis attendait anxieusement la suite.
— Lorsque j'étais au Ministère de la Magie, j'étais directrice de la sécurité magique. Je m'occupais de tous les dossiers les plus dangereux et donc bien évidemment, ceux en lien avec les mages noirs de l'époque dont Grindelwald. (Elle grimaça en prononçant son nom. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne l'avait pas dit à voix haute.) J'avais une équipe de 5 Aurors très compétents sous mes ordres. Je m'occupais de leur formation et j'étais très proche d'eux. Nous formions une famille soudée même si légèrement dysfonctionnelle. (Elle sourit tristement et cligna des yeux rapidement, essayant de chasser les larmes qui menaçaient déjà de couler sur ses joues.) Enfin bref, le point étant que deux ans auparavant, en mars 1924, nous avons eu vent de plusieurs accidents étranges qui s'étaient déroulés à Minsk, en Biélorussie. Étant dans une période plutôt calme, j'ai moi-même décidé d'enquêter sur ces évènements et après plusieurs jours de recherches, j'en était venu à y suspecter la présence de Gellert Grindelwald. (Curtis remua nerveusement dans sa chaise, comme s'il devinait comment cette histoire allait finir. Netanya ne bougeait pas d'un pouce.) A l'époque, j'étais impétueuse. J'avais tendance à dégainer ma baguette avant même de prendre en compte toutes les variables. J'avais aussi un record de capture excellent qui m'avait permis de gravir les échelons rapidement. J'avais donc confiance en mes capacités et même si j'étais douée, je me surestimais. Donc bien évidemment, quand j'ai trouvé le mage noir dans cette ville perdue d'Europe de l'Est, je me suis précipitée sur l'occasion d'être celle qui l'arrêterais. J'ai donc prévenu le ministre de mon départ avant d'entraîner mon équipe avec moi, même ma toute dernière recrue. Elle n'était parmi nous que depuis deux ans et je savais pertinemment qu'elle n'était pas prête à faire face à un tel sorcier mais je me suis laissée convaincre par son enthousiasme. Elle me rappelait moi à son âge ; quand je commençais tout juste et que je ne connaissais pas l'horreur des combats. (Mabel plongea son regard dans ceux de Curtis et Netanya. Elle n'avait pas besoin d'en dire plus, ils voyaient très bien de quoi elle parlait : des sorts qui volent dans tous les sens, de la peur mélangée à l'adrénaline, des blessures, de la mort.) Arrivés à Minsk, nous nous sommes préparés. De par notre nombre, nous avions l'habitude d'encercler un ennemi avant de l'attaquer mais une fois arrivés dans le bâtiment résidentiel où nous l'avions localisé, nous n'avons rien trouvé. Nous l'avons fouillé de fond en comble mais il n'y avait aucune trace du sorcier. Nous sommes sortis du bâtiment en étant totalement démoralisés mais nous avons vite réalisé que quelque chose n'allait pas quand le soleil qui brillait au-dessus de nos têtes disparut et qu'un brouillard épais nous encercla. Il était bel et bien là. Mais il nous avait trouvé avant. J'ai su aussitôt que nous ne nous en sortirions pas tous vivants mais je n'aurais jamais pensé que j'aurais été la seule à être épargnée.
Mabel arrêta son récit pour essuyer les larmes qui s'étaient mises à couler sur son visage. Elle ferma les yeux et inspira profondément mais les visages de ses anciens coéquipiers refusaient de disparaître. Elle revoyait Kyle, les yeux grands ouverts et le teint livide. Victoria, entourée d'un halo orangé créé par ses cheveux et Ophelia, tombée à ses côtés et probablement tuée lorsqu'elle s'était élancée au secours de sa partenaire. Spencer, qui avait été projeté contre un mur et dont les jambes s'étaient brisées à l'impact. Et Matthew, qui s'était étouffé dans son propre sang.
Elle revoyait la scène comme si elle l'avait vécue la veille. Elle s'en souvenait dans les moindres détails.
Elle se souvenait de la difficulté qu'elle avait eu à joindre le Ministère et à expliquer la situation. La difficulté d'attendre les secours, assise au milieu des morts. Puis de retour à Londres et en pleurs, la difficulté de voir leur corps être emporté loin d'elle.
Mais ce n'était rien face à la difficulté qu'avait représenté celle d'annoncer la nouvelle à leurs proches. Elle n'avait pas été obligé de le faire mais elle avait insisté. Elle leur devait bien ça. Après tout, tout était de sa faute.
Elle s'arrêta de pleurer et fit du porte à porte.
Derrière une porte en bois, elle trouva la femme de Kyle. Ils s'étaient mariés deux semaines avant. Elle s'écroula au sol. Mabel fut incapable de trouver les mots pour la consoler. Derrière une porte bleue, elle vit les parents de Spencer, en larmes, tomber dans les bras de l'un et de l'autre. Derrière une porte boisée rouge, elle entendit les cris des parents de Victoria, s'accusant mutuellement du sort de leur fille. Mabel savait que leur couple allait mal mais elle n'avait jamais imaginé cela. Inconsciemment, elle se blâma pour avoir brisé d'autres vies. Derrière une porte blanche, elle vit le sourire de la sœur de Matthew s'évanouir de son visage. Elle ne la revit plus jamais sourire. Mais le plus dur fut pour Ophelia. Il n'y avait aucune porte sur laquelle frapper car la sorcière n'avait plus de famille. Et Mabel qui n'avait personne à qui annoncer sa mort se détesta de se sentir aussi soulagée.
Netanya lui tendit un mouchoir et Mabel le prit. Elle sécha ses larmes et reprit son histoire :
— Quelques jours après leur mort, j'ai repris le travail. Cela était bien trop tôt et tout le monde le savait mais je ne supportais plus le silence de mon appartement. Je ne supportais pas non plus de ne pouvoir rien faire. À ce moment-là, je ne pensais qu'à une chose : retrouver Grindelwald et me venger. (Mabel regarda Curtis de nouveau. Il avait relié toutes les pièces du puzzle entre elles et regardait maintenant la sorcière avec compassion.) J'ai passé les deux années qui suivirent à enchaîner les mauvaises décisions. Dans ma recherche obstinée et imprudente, je me mettais en danger, moi, mais aussi mes collègues et certains moldus. Je pensais que chaque accident lié aux moldus était un signe de Grindelwald. Je le traquais partout, tout le temps mais je ne le trouvais jamais. Finalement, après un troisième accident impliquant des moldus et où j'ai failli, moi-même, perdre la vie, le ministre m'a proposé un ultimatum. Prendre ma retraite ou être transférée aux États-Unis. J'ai choisi le transfert pour pouvoir continuer à le traquer. Et je l'ai fait. C'est pour ça que je suis venue ici, finit-elle. Pour lui.
Mabel s'arrêta pour reprendre son souffle. Elle était contente d'avoir enfin tout dit à voix haute. Elle se sentait plus légère. Mais le poids de ce secret n'avait pas enlevé le poids de sa culpabilité et reparler de ces évènements ne la convint que plus de reprendre ses recherches.
— Netanya, je sais que tu as peur que je retombe dans mes anciens travers mais crois-moi, ce ne sera pas le cas. Depuis quelques mois, je vais mieux, mentit-elle pour convaincre son amie de lui fournir les dépêches.
Netanya fronça les sourcils. Curtis se précipita vers Mabel pour la prendre dans ses bras.
— Je suis tellement désolé, Mabel.
La sorcière, distraite par son ami, se détourna de Netanya et le serra dans ses bras. Elle s'agrippa à son veston avec force. Elle n'avait pas réalisé à quel point elle avait eu besoin de la présence de quelqu'un contre elle. Quand il la relâcha, elle s'interdit de pleurer de nouveau.
— Qui d'autre est au courant ?, demanda-t-il à Netanya..
— Moi, Graves et la présidente. Et probablement les employés en charge des dossiers.
Curtis hocha la tête. Il réfléchit quelques secondes.
— Je pense que tu devrais lire les nouvelles, dit-il à Mabel. Tu as besoin de savoir.
Netanya regarda Curtis avec désapprobation mais elle ne protesta pas quand il récupéra les cinq dépêches et les tendit à Mabel. La sorcière lui offrit un sourire reconnaissant avant de se concentrer sur les parchemins entre ses mains.
Le nom de Grindelwald apparaissait à chaque page mais elle voyait bien qu'il n'y avait aucunes preuves réelles de son implication dans cette affaire. La paranoïa du Ministère pouvait très bien l'envoyer sur une fausse piste mais l'étrangeté des évènements lui paraissait suffisant pour qu'elle se sente obligée de creuser un peu plus.
Maintenant sûre de sa décision, elle rendit les dépêches à Netanya tout en gardant un visage impassible.
— Je vais bien. Cela m'a fait du bien d'en parler.
Elle leur offrit un sourire tremblotant paraissant suffisamment faible pour leur ôter tout soupçon.
— Je suis content que tu l'aie fait, lui confia Curtis.
Il la prit dans ses bras une dernière fois puis retourna à son bureau. Netanya fit de même.
Du coin de l'œil, Mabel l'a vit ranger les documents dans le troisième tiroir de gauche de son bureau.
Elle passa ensuite le reste de l'après-midi à prétendre qu'elle allait bien. Enfin, pas complètement bien mais suffisamment pour qu'ils croient qu'elle ne comptait pas renouer avec ses vieux démons.
Ses amis semblèrent y croire et quand la journée de travail toucha à sa fin, elle les suivit jusqu'à l'ascenseur puis jusqu'à l'extérieur du bâtiment, comme si elle comptait réellement rentrer chez elle.
Elle refusa poliment leur offre d'aller se détendre dans un bar en prétextant vouloir rester seule. Elle se sentait mal de devoir leur mentir mais elle ne tenait pas à ce qu'ils l'empêchent de faire ce qu'elle devait faire.
Netanya hésita longuement avant de transplaner, suivit de Curtis. Une fois seule dans la ruelle, Mabel fit demi-tour et retourna à son bureau. Elle vérifia que l'étage était vide avant de récupérer les dépêches du Ministère dans le bureau de Netanya, puis elle se mit au travail.
Pendant quatre heures, elle resta la tête baissée sur ses recherches. Elle passa au peigne fin tous les accidents étranges impliquant des moldus qui s'étaient déroulés en Ecosse durant les derniers mois. Que ce soit une disparition, une mort ou même juste un comportement étrange. Mais elle ne trouva rien.
Vers 21 heures, elle s'accorda une pause. Elle descendit au réfectoire qui se trouvait au troisième étage et se prit une tasse de café. La salle immense et remplie de tables était totalement vide. Mabel ne s'y attarda pas. Elle en venait à détester rester seule dans des parties comme celles-ci du bâtiment. Elle s'étonna d'ailleurs de ne pas avoir eu d'hallucinations étranges pendant qu'elle travaillait toute seule à son bureau. Peut-être qu'elle allait mieux ?
Elle eut un rire triste. Elle avait pensé cela bien trop de fois ces dernières semaines et à chaque fois, il lui arrivait quelque chose pour lui prouver le contraire.
Elle remonta à son étage et parcourut la distance entre l'ascenseur et son bureau en se frottant les yeux pour en chasser la fatigue.
Elle faillit donc pousser un cri quand elle vit Graves se tenir derrière son bureau. Elle s'arrêta à deux mètres de lui, sentant son regard déçu sur sa peau. Le sorcier reposa, avec calme, les divers parchemins mentionnant le nom de Grindelwald qu'il tenait dans les mains sur le bureau de la sorcière. Mabel resta pétrifiée, attendant qu'il prenne la parole et redoutant ce qu'il allait lui dire.
— Vous ne devriez pas faire ça, lui conseilla-t-il calmement.
Mabel en fut déstabilisée. N'était-il pas en colère ?
Il plongea ses yeux dans ceux de la sorcière et Mabel détourna le regard sur tous les parchemins étalés sur son bureau et qui rivalisaient avec le désordre qui régnait normalement sur celui de Curtis.
Elle décida d'être franche. À quoi bon mentir, il venait de l'attraper la main dans le sac.
— Pourquoi ne devrais-je pas le chercher ? Il ne mérite pas la liberté.
Mabel fixa Graves. Curieusement, elle se sentait plus sûre d'elle maintenant qu'il savait et qu'elle voyait sa réaction posée.
Après tout, c'était un Auror expérimenté, il savait bien ce qu'avait fait Grindelwald. Il devait bien comprendre son envie de l'arrêter.
Il inspira profondément avant d'avancer vers elle. Il s'arrêta à quelques centimètres à peine de la sorcière. Désormais qu'il n'y avait plus de secrets entre eux, Mabel se sentait libérée et elle se demandait s'il ressentait la même chose.
— Tout cela, ce ne sont que des rumeurs. Rien ne prouve qu'il ne soit à l'origine de ces meurtres.
Il fixait intensément la sorcière, comme jamais auparavant. Mabel en aurait été déstabilisé si elle n'était pas aussi intriguée par la dernière phrase du sorcier. Il semblait si sûr de lui.
—Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Pourquoi ne serait-il pas en Europe ?
La mâchoire de Graves se serra et son expression devint plus ferme. Mabel sentit tous ses espoirs voler en éclat et le doute l'attaquer impitoyablement. Que savait-il qu'elle ne savait pas ? Cela voulait-il dire que Grindelwald était bel et bien aux États-Unis ?
Elle ne comprenait plus rien. Elle était déstabilisée, apeurée.
Graves se rapprocha de quelques centimètres. Les deux sorciers n'avaient jamais été aussi proches.
— Vous devez passer à autre chose, conseilla le directeur en évitant de répondre à la question de la sorcière.
Mabel sentit la colère qui sommeillait en elle se réveiller.
—Comment voulez-vous que je passe à autre chose ? Surtout après tout ce qu'il a fait !
Elle recula et grogna d'impuissance quand elle sentit sa voix se briser sous le coup de l'émotion. Elle mourrait d'envie de laisser sortir toute sa colère et de crier haut et fort tout ce qu'elle avait sur le cœur mais l'émotion l'en empêchait. Elle détestait quand cela lui arrivait. Quand sa colère était diminuée par ses larmes et qu'elle ne pouvait laisser libre cours à ses cris de haine.
Elle était en colère. Ou du moins, elle voulait l'être. Mais son corps en décidait du contraire.
Toutefois, en plongeant son regard dans celui du sorcier, elle sut qu'elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Mais Graves ne semblait pas décider à la laisser se retrancher dans sa colère. Il se rapprocha de nouveau, dépassant Mabel de quelques centimètres.
—Nous avons tous subit ce genre de pertes, Mabel. Vous devez arrêter cette recherche insensée.
—Je ne pense pas en être capable.
Et elle se savait dire la vérité. Elle avait passé tellement de mois de sa vie à rechercher le mage noir qu'elle ne se souvenait même plus de ce à quoi ressemblait sa vie avant.
Une larme coula sur sa joue à cette pensée.
Percival pencha la tête sur le côté, très légèrement. Son visage était voilé par la peine. Mabel sentit le pouce du sorcier sur sa joue avant de le voir. Il essuya toute trace de cette larme avec une expression douce sur le visage.
Mabel aurait aimé savoir ce qu'il pensait mais ses yeux restaient indéchiffrables. Elle détourna le visage pour qu'il ne puisse plus la voir ainsi : tourmentée, colérique, apeurée. Elle tenait au mur qu'elle avait construit autour d'elle pour se protéger. Un mur qui était tombé en morceau quand elle avait appris à connaître ses nouveaux collègues. Un mur que le sorcier en face d'elle devait lui aussi dresser entre lui et les autres.
Percival porta sa main gauche sur la joue de la sorcière et de ses deux mains, il força Mabel à le regarder.
— Cela fait plus de deux ans, murmura-t-il, prouvant à Mabel qu'il connaissait véritablement bien tout d'elle.
—Mais il est toujours en liberté.
Sa voix était faible. Elle commençait à craquer, à le laisser pénétrer dans son intimité, à briser sa carapace et à réduire son mur en milliers de petits morceaux.
—Tu ne peux plus continuer comme ça, tu le sais.
Mabel tressaillit quand il la tutoya. C'était inattendu mais pourtant agréable.
— Je le sais.
Bien sûr qu'elle le savait. Netanya, Curtis et lui, ils avaient tous raison.
Quand elle se remettait à enquêter sur Grindelwald, ses crises de panique redoublaient et ses cauchemars empiraient. Mais quand elle n'enquêtait pas sur lui, elle était tourmentée par des hallucinations chroniques. Quoi qu'elle fasse, toute sa vie semblait dérailler. Elle ne voulait plus vivre ainsi. Mais elle ne pouvait rien y faire non plus. Elle renifla et recula. Les mains de Percival quittèrent le visage de la sorcière et retombèrent contre ses flancs et il l'observa se refermer sur elle-même avec son impassibilité habituelle.
— Il faut que je rentre chez moi, marmonna-t-elle.
Elle se frotta les yeux, empêchant toutes larmes de couler et évita soigneusement le regard du sorcier en récupérant ses affaires. Elle sortit de la pièce avec précipitation. Elle attendit l'ascenseur pendant plusieurs secondes mais Graves ne la rejoint pas. Elle ne savait pas si elle en était déçue ou soulagée.
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