10| Un duo de choc
La vieille locomotive s'arrêta en crachotant. La fumée grisâtre envahit le ciel et obscurcit momentanément le ciel déjà terne de début de matinée.
Mabel descendit de son wagon avec appréhension. Ses bottines claquèrent contre le sol bétonné du quai jusqu'à se qu'elle atteigne un banc en métal marron rouillé.
Elle y déposa sa malle de taille moyenne contenant les quelques vêtements qu'elle avait emporté avec elle lors de son départ précipité de New York deux semaines auparavant.
L'air s'est rafraîchi, pensa-t-elle en boutonnant sa fine veste en coton. Ou alors, la chaleur oppressante du Sud de la Californie l'avait rendu bien trop sensible aux températures plus rudes de la côte Est.
Elle piétina sur le sol irrégulier du quai, tentant de se réchauffer. Elle était envahie de frissons et elle priait que pour cela soit seulement dû au temps maussade et non pas au fait d'être de retour à New York. Et à tout ce que cela sous-entendait derrière.
Dans le doute, elle évita le plus possible de regarder les passagers, qui comme elle, descendaient de la locomotive et formaient une foule compacte. Elle ne souhaitait pas y apercevoir des visages qui n'y avaient pas leur place.
Quand finalement, elle ne fut entourée que par une poignée de voyageurs, elle observa son environnement.
Pour une ville aussi peuplée que New York, le quai de la gare était étonnamment petit. Il ne devait pas faire plus de dix mètres de longueur avant de s'enfoncer dans la gare. Il était protégé par une toiture en bois, abritant ainsi les passagers de la pluie. Enfin quand le vent n'était pas de la partie. La toiture était soutenue par de grandes colonnes métalliques grises. Et entre chaque colonne se trouvaient des bancs en métal, comme celui sur sa gauche.
Mabel tenta d'apercevoir celle qui devait venir l'accueillir. En vain.
Elle commençait à se sentir anxieuse. À découvert. Seule.
Elle regrettait la foule des passagers. Elle aurait aimé pouvoir s'y abriter, pouvoir s'y sentir en sécurité.
— Mabel !
Mabel se retourna pour trouver la source de la voix. Elle se détendit aussitôt. Un sourire soulagé orna ses lèvres et elle expira fortement.
Netanya lui faisait de grands signes de la main. Mabel récupéra sa malle et se dirigea vers elle.
— Tu m'as fait peur, tu cherches à me tuer ?, plaisanta Mabel en atteignant son amie.
Elles échangèrent une courte accolade tandis que Netanya s'excusait en riant.
— Ce n'était pas mon intention. En plus, Curtis ne me le pardonnerait jamais. Tu lui as tellement manqué. moi aussi, d'ailleurs.
La sorcière pencha la tête sur le côté, ses yeux marrons reflétant une douceur nouvelle, presque maternelle, que Mabel ne lui reconnaissait pas.
— Vous m'avez manqué aussi, répondit-elle avec honnêteté.
Cependant, Mabel omettait de dire qu'elle n'était pas fâchée d'avoir pu s'absenter. Au contraire, elle aurait même aimé pouvoir rester à l'autre bout du pays plus longtemps.
Netanya sembla le deviner.
— Tu penses que ça ira ?, demanda-t-elle avec sollicitude. Si tu ne te sens pas prête, je suis persuadée que Graves le comprendra.
Mabel prit une expression résolue.
— Tout ira bien. Il n'y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas, pas vrai ?
Le sourire faux que Mabel avait fait apparaître sur ses lèvres pour se rassurer flancha aussitôt qu'elle prononça ces mots et l'inquiétude brilla dans son regard pendant une courte seconde. Netanya glissa son bras sous le sien et l'entraîna hors du quai.
— Bien évidemment. Mais dans tous les cas, tu peux compter sur moi en cas de problèmes.
— Merci, Netanya.
— Pas de soucis. Viens, on va passer chez toi pour que tu puisses déposer ta valise puis après on ira au MACUSA.
Mabel prit une profonde inspiration pour essayer de convaincre son cœur de ne pas s'emballer.
Même si elle rechignait à l'idée de remettre les pieds dans son appartement, elle préférait cependant de loin y retourner pour la première fois avec quelqu'un d'autre. Simplement dans l'hypothèse que le sorcier qui y avait pénétré une première fois aurait décidé de remettre le couvert.
Elle suivit Netanya en silence jusqu'aux toilettes publics de la gare. Ils étaient vides et elles transplanèrent directement dans l'appartement de Mabel.
Quand leurs pieds se posèrent sur le tapis épais du salon, une odeur de renfermé les assaillit.
La sorcière se dirigea vers les deux fenêtres en face d'elle et en ouvrit une. En chemin, elle en profita pour jeter un regard anxieux autour de la pièce. Tout était exactement comme elle l'avait laissé deux semaines auparavant. Mais cela ne signifiait pas pour autant que personne n'était entré par effraction chez elle. Elle le savait maintenant. Et cela la terrifiait.
Avec la fenêtre ouverte, une brise rafraîchissante pénétra dans l'appartement et avec elle, l'agitation de la rue qui redonna vie à la pièce silencieuse et morte. Cela soulagea les sueurs froides qui parcouraient le corps de la sorcière.
En silence, Mabel pénétra dans sa chambre et déposa la malle de voyage sur son lit. Elle la viderait dans la soirée. Cela lui occuperait l'esprit. Et en entendant les glapissements aigus d'Oscar, elle se répéta en boucle, qu'au moins, elle ne serait pas entièrement seule.
— Tu m'as manqué, chuchota-t-elle à la petite créature quand elle le sortit de sa cage et qu'il se nicha dans ses mains.
— Je l'ai déposé avant de venir te chercher, ça ne te dérange pas ?, demanda Netanya en s'adossant à la porte de la chambre.
Caressant le Boursouflet du bout des doigts, Mabel fit non de la tête.
— Isaac a eu beaucoup de mal à le laisser partir. Il s'était attaché à lui.
Netanya eut un rire affectueux.
— Comment va-t-il, d'ailleurs ?
— Très bien, comme toujours, répondit l'Auror vaguement.
Mais Mabel remarqua l'éclat nouveau sur le visage de Netanya. Elle voyait bien qu'il y avait quelque chose que sa collègue ne mentionnait pas mais elle ne dit rien. Netanya se confirait à elle quand elle en ressentirait l'envie. Mabel ne comptait pas la forcer.
La sorcière déposa un léger baiser sur la tête d'Oscar avant de le remettre dans sa cage. Il gémit.
— Je reviens bientôt !
Et elle le ferait. Mais la vérité était que Mabel ne voulait pas rester une minute de plus dans cet appartement.
Depuis l'effraction, elle ne s'y sentait plus en sécurité.
Et désormais, elle ne voulait plus qu'une chose : retourner au Congrès et se remettre au travail au plus vite.
Elle sortit de sa chambre avec précipitation, entraînant Netanya dans son sillage. Elle referma la fenêtre du salon, s'assura que la porte d'entrée était bien fermée à clé puis fit un signe de tête à son amie. Les deux sorcières transplanèrent hors de cet espace suffocant.
Mabel ne pénétra jamais aussi vite dans le Woolworth Building qu'elle ne le fit ce jour-là.
Elle fut aussitôt envahie d'une chaleur réconfortante. Elle entra dans le hall du bâtiment avec une légèreté qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. Elle avait l'impression de pouvoir respirer de nouveau.
Avec délectation, elle se laissa assaillir par les nombreux petits bruits qui résonnaient dans cette salle immense : les chaussures des employés qui claquaient contre le sol de marbre noir et doré ; les ailes des chouettes qui battaient fermement l'air ; les rouages métalliques de l'ascenseur se mettant en action.
Même l'étage mal éclairé et légèrement triste du département des Auror ne réussit pas à faire descendre Mabel de son petit nuage. Et quand Curtis l'accueillit avec un sourire radieux, les lèvres retroussées montrant ses dents blanches parfaites, Mabel lui en rendit un tout aussi étincelant.
Le jeune homme ouvrit grand les bras pour serrer la sorcière dans ses bras. Mabel s'y engouffra et lui rendit son étreinte avec joie.
— Tu m'as manqué !, s'exclama-t-il en la soulevant du sol et la faisant tournoyer.
Mabel rit joyeusement.
— Toi aussi, répondit-elle, la voix empreinte d'émotion.
— La Californie, c'était bien ?, demanda-t-il en la reposant au sol.
Mabel se détacha du sorcier et partit vers son bureau.
— C'était ressourçant.
— Qui aurait dit qu'une affaire de vol de baguettes pouvait l'être ?, rétorqua-t-il, tout sourire. D'ailleurs, pas la peine de t'installer, on part. (Mabel s'immobilisa, surprise.) Graves t'a personnellement désigné pour m'accompagner. Il semblerait qu'il ne souhaite pas te laisser te reposer. J'ai défendu ton cas pourtant !
Mabel se retint de sourire. Cette mission inattendue était l'attention la plus touchante que Graves aurait pu porter à son égard. Et même si Curtis ne le voyait pas, Mabel, elle, s'en rendait bien compte. Graves comptait la garder occupée et elle lui en était infiniment reconnaissante. C'était tout ce dont elle avait besoin.
— Pas de soucis, répondit-elle plus joyeusement qu'elle ne l'aurait dû. Où va-t-on ?
— Hell's Kitchen. Prépare-toi à retrouver tes frères et sœurs.
— Je suis anglaise, pas irlandaise.
— C'est la même chose !, répondit-il avec un sourire sarcastique.
Mabel le bouscula légèrement en chemin vers l'ascenseur, taquine. La légèreté du sorcier lui avait manqué et elle était aux anges de pouvoir partir en mission avec lui.
Même si cela signifiait devoir arpenter les rues, noires de monde, du quartier de Hell's Kitchen.
Mabel ne savait pas si cette foule était dû au marché en plein air qui se déroulait sur la 9ème avenue ou bien à la longue et tout sauf naturelle tranchée qui était apparue au beau milieu de la route pendant la nuit.
Pour atteindre cette nouveauté probablement liée à la magie, Mabel du jouer des coudes. Que ce soit pour passer entre les stands de vendeurs de fruits et de légumes moyennement frais, ou bien entre les mères au foyer suivit de leur innombrable progéniture qui venaient faire leur course. En temps normal, la ferveur du lieu était haute, mais avec tous les curieux qui s'étaient déplacés en plus, l'agitation était à son comble.
— Home sweet home !, s'exclama Curtis en prenant une grande bouffée d'air frais.
Un sourire moqueur sur les lèvres, il fit un clin d'œil à Mabel.
— Ne m'oblige pas à te faire cracher des limaces pour te faire taire.
— J'espère que tous les irlandais ne sont pas aussi agressifs que toi !, plaisanta-t-il en s'éloignant de Mabel à grand pas alors qu'elle le menaçait d'une tape derrière la tête.
Il s'arrêta un mètre plus loin et elle le rejoignit en riant de bon cœur. Quelques minutes en sa compagnie et elle en oubliait déjà tous ses soucis.
Si seulement elle pouvait le mettre en bouteille et le porter autour du cou, elle ne se sentirait plus jamais triste.
Sinon, elle pouvait le convaincre d'aménager chez elle. Au moins, cela lui donnerait une bonne raison de vouloir retourner dans son appartement.
— Sacré trou, hein ?, s'émerveilla Curtis en se penchant au-dessus du fossé une fois qu'ils l'atteignirent.
Celui-ci faisait bien un mètre de profondeur et deux mètres de largeur. Quant à la longueur, même en se dévissant le cou, Mabel n'en voyait pas la fin. Il devait probablement s'étendre sur une vingtaine de mètres.
Elle acquiesça.
— Sacré trou, effectivement.
À son tour, elle se pencha au-dessus du fossé. Le fond était un mélange de terre et de béton brisé, comme si celui-ci avait été cassé à la masse.
Et encore, Mabel savait pertinemment qu'un tel résultat était impossible. Pas sur un mètre de profondeur. Ils avaient donc, de nouveau, un problème de sorcellerie sur les bras. Et vu la foule qui s'était rassemblée pour observer cette nouveauté, elle n'était pas la seule à trouver cela tout sauf naturel.
Avec un tel risque d'exposition de la communauté magique, Graves et Picquery devaient devenir fous.
Mabel fit un signe de tête à Curtis. Le sorcier sauta dans la fosse avant de remonter sur la route de l'autre côté.
Mabel se retourna et se mit en quête de témoins. Elle avait une enquête à mener.
L'Auror arpenta la 9ème avenue en long, en large et en travers. Une fois. Puis encore une autre fois.
Elle marcha le long du fossé jusqu'à en avoir mal aux pieds. Et vu la longueur de celui-ci, environ trente-deux mètres, cela ne l'étonnait pas.
Elle recherchait maintenant Curtis des yeux. Ils s'étaient séparés pendant plus de deux heures et pendant ce temps, Mabel avait parlé à une centaine de personnes. Elle n'avait récupéré aucune information.
Parmi ses témoins, certains avaient entendu le fracas de la route se faisant écarteler, d'autres, celui des voitures se fracassant au sol. Quant à certains, ils n'avaient absolument rien vu ni rien entendu mais voulait tout de même se faire entendre. Mabel dut donc écouter pendant une vingtaine de minutes, un vendeur, à l'accent irlandais fortement prononcé, lui soumettre toutes sortes de théories sur l'apparition mystérieuse de cette fosse. Sa version préférée étant de loin celle impliquant la mafia italienne creusant des tunnels sous leur quartier pour s'attaquer à leurs enfants. Mabel savait que la rivalité était forte entre les mafia italienne et irlandaise moldues mais cela lui paraissait exagérée.
C'est donc fatiguée et démoralisée que Mabel aperçut Curtis, assis dans le fossé et entouré de trois enfants âgés de 6 à 12 ans. Probablement orphelins, se désola-t-elle aussitôt.
Elle s'assit sur le rebord de la route, faisant pendre ses jambes dans le trou. L'un des enfants se retourna, curieux, avant de retourner à ses affaires : ce qui ressemblait vaguement à un jeu. Un jeu d'argent à en juger par les billets et les pièces empilés entre les quatre joueurs.
— Tu t'amuses bien ?, demanda la sorcière à son ami.
Curtis lui adressa un sourire en coin en récupérant un jeton en bois à deux couleurs parmi le tas d'autres jetons. Même si Mabel ne reconnaissait pas le jeu, elle pouvait deviner, aux grands sourires des jeunes enfants, que Curtis perdait.
— Je m'amuse énormément, lui répondit-il en lançant le jeton aux faces rouge et bleu. Tu devrais me rejoindre.
Le jeton tournoya dans l'air avant de retomber sur le sol de terre et de béton. La face bleue restait apparente. Curtis grimaça. Les trois enfants rirent.
— Est-ce que tu as réussi à récolter des informations ?, demanda Mabel en se frottant les yeux.
Après le trajet de nuit peu reposant qu'elle avait enduré quelques heures auparavant pour rentrer à New York, la fatigue se faisait sentir et rester assise à ne rien faire ne l'aidait pas.
— Je n'ai rien, personnellement.
Un enfant de quatre ou cinq ans aux cheveux blonds vint s'asseoir à côté d'elle. Il lui sourit, faisant apparaître une petite dent solitaire au milieu de sa bouche.
Mabel lui sourit à son tour.
— J'ai peut-être quelque chose, répondit Curtis en relançant le jeton. (Il atterrit de nouveau sur la face bleue.) Par la barbe de Merlin ! Il est temps pour moi de m'arrêter.
Les trois enfants protestèrent mais Curtis se leva et ajouta quelques pièces d'argent moldu à la pile déjà haute de billets. Ils se précipitèrent sur leur gain.
Curtis remonta gracieusement sur la route et tendit sa main à Mabel pour l'aider à se relever. Elle la prit. Avant de s'éloigner, elle sortit un billet d'un dollar, le seul billet moldu qu'elle avait sur elle, et le tendit au petit garçon qui était resté à ses côtés. Il sourit de nouveau avant de partir en courant.
En s'éloignant, Mabel rappela à Curtis :
— Vérifie que tu as bien ta baguette sur toi.
La sorcière adorait les enfants. Cependant, elle appréciait beaucoup moins de se faire dépouiller par eux.
— Je l'ai. Et puis avec tout l'argent que je viens de perdre, ce serait la moindre des politesses que de ne pas me faire les poches en plus, plaisanta-t-il.
— Je ne te pensais pas aussi mauvais au jeu.
— Je ne le suis pas.
Le ton sérieux de Curtis surprit Mabel.
— Mais quand je peux aider, je le fais. Je sais ce que c'est que de devoir voler pour survivre.
La sorcière sentit une pointe de tristesse l'envahir. Curtis s'était retourné en direction des enfants et les regardait avec une expression triste et lointaine.
— Je suis désolée d'apprendre ça, Curt'.
Mabel serra affectueusement l'avant-bras du sorcier. Il lui sourit. Ses yeux pétillants de nouveau.
— Ne le soit pas. C'est de l'histoire ancienne.
— Comment est-ce que tu es sorti de cette situation ?
— Quand j'ai été enrôlé à Ilvermorny. Ma lettre d'admission me disait de me rendre au MACUSA et quand le président de l'époque a appris pour ma situation, il m'a fait devenir pupille du Congrès. Ils ont payé ma scolarité et m'ont donné un endroit où vivre pendant l'été. Je leur dois tout. C'est probablement pour cela que je suis devenu Auror.
— Tu te sentais redevable, finit Mabel.
Curtis acquiesça. Son expression était solennelle.
Mabel resta silencieuse. Elle venait de découvrir une nouvelle facette de son collègue, une partie de son passé qu'il avait bien voulu lui révéler et elle se sentait coupable de ne pas avoir été honnête avec lui dès le début. Il méritait de connaître la raison de son transfert, la raison de sa présence ici avec lui.
Elle serra les poings et inspira profondément. Alors même qu'elle ouvrait la bouche pour tout avouer, Curtis pointa quelque chose du doigt.
— Tu vois ces deux gus là-bas ?
Mabel suivit son geste du regard et aperçut deux hommes d'une vingtaine d'années assis devant la devanture d'une poissonnerie.
Ils avaient l'air totalement ivres.
Rectification : ils étaient totalement ivres.
— Ce sont eux, tes témoins ?, demanda Mabel, dépitée.
— À ce que m'ont dit Joseph, Billy et Joe,-
— Joseph, Billy et Joe ?
— Les trois enfants de tout à l'heure. Donc, à ce qu'ils m'ont dit, ces deux-là étaient présents lors de l'accident hier soir. Ils ont aussi mentionné la passion des deux gentlemans pour les boissons alcoolisées mais vu que je n'avais rien d'autre, je me suis dit qu'il fallait tenter le coup.
Curtis haussa les épaules et se dirigea vers les deux ivrognes. Mabel le suivit par dépit.
— Bien le bonjour messieurs, s'exclama Curtis avec un grand sourire aussitôt qu'il parvint à la hauteur des deux hommes.
Les deux poivrots, Mabel ne voyait pas comment les décrire autrement, le saluèrent dans un chaos rendu incompréhensible par l'alcool et leur fort accent.
L'odeur d'alcool qui imbibait leurs vêtements était à peine camouflée par l'odeur de poisson qui émanait de la poissonnerie derrière eux.
La sorcière jeta aussitôt un coup d'œil autour d'elle, espérant qu'aucun policier ne passerait dans le coin. Elle ne voulait pas être à proximité d'eux quand ils se feraient arrêter. Et elle espérait que le bar clandestin où ils avaient été faire la fête la veille était bien caché.
— Vous avez vu ce trou béant dans la route ?, demanda Curtis avec une expression stupéfaite. Je me demande bien comment c'est arrivé !
Mabel reconnut l'ingéniosité de Curtis. Se faire passer pour un curieux lui vaudrait plus de réponse que de se faire passer pour un policier. Le jeune homme de gauche, aux long cheveux roux et à la barbe crasseuse, ne perdit pas de temps pour répondre.
— Je vais te le dire, moi, s'exclama-t-il en tapant sur sa poitrine. C'était une bande de fumée gigantesque. Toute noire. Et qui crépitait.
Il fit de grand geste, les yeux écarquillés. Son accent irlandais rendant chaque mot qui sortait de sa bouche légèrement déformé et Mabel dut se concentrer pour tout comprendre. Curtis était totalement perdu. Elle répéta pour lui.
— Une bande de fumée noire ? Vous êtes sûr ?, demanda Curtis, n'en croyant pas un mot.
— Ah ça, si on est sûr. On l'a vu de nos propres yeux, pas vrai, Tony ?
— Oui, oui, répondit le dénommé Tony qui commençait à somnoler.
— Elle est passée à un mètre de nous. J'ai même failli tomber dans le trou.
Le garçon leva les sourcils en haussant les épaules, comme s'il n'y avait pas preuve plus irréfutable que ça.
Curtis hocha la tête, une moue incrédule sur le visage. Il jeta un coup d'œil à Mabel qui se contenta de faire une moue dépitée.
— C'est... étonnant, finit-il par répondre.
— Ah ça oui ! Cela doit être un projet secret du gouvernement !
Le jeune homme mit son index sur sa bouche et jeta un regard inquiet autour d'eux.
— Vous avez raison, répondit aussitôt Mabel. Vous feriez mieux, toi et ton ami, de vous éloigner de la scène du crime, vous en avez trop vu.
Le jeune homme la regarda un instant, sans comprendre, puis comme si une lumière venait de s'allumer dans un recoin sombre et sobre de son esprit, il chuchota :
— La police secrète, oui.
La police tout court, pensa-t-elle.
Il secoua son ami par l'épaule puis le traina avec lui dans une ruelle adjacente. Tony ne semblait pas apprécier de devoir marcher.
Mabel les regarda partir avec un sourire amusé et dépité.
— Cela ne nous avance pas beaucoup.
— Je suis bien d'accord.
Curtis et Mabel échangèrent un regard las puis partir. Ils avaient un rapport à remplir et aucune information digne de ce nom à y mettre.
Cependant, rentrer au MACUSA et pouvoir s'asseoir sur leur chaise leur remit du baume au cœur. L'après-midi s'écoula sans accident. Netanya, comme la plupart des autres employés du Congrès, finirent par rentrer chez eux et Mabel fut seule avec Curtis. Après trente minutes de travail acharné, Curtis fut le premier à finir son rapport.
— Enfin libre !, s'exclama-t-il en se redressant et en faisant craquer ses doigts.
Mabel répondit par un grognement, la tête toujours penchée sur son rapport sur la Californie. Son rapport sur l'accident de Hell's Kitchen était fini et celui-ci était à deux lignes de le rejoindre.
— Tu as trouvé quelque chose à dire dans ton rapport ?, demanda Mabel en relevant la tête et en se massant le cou.
— Vaguement. Mais sincèrement, je me vois mal remettre ça à Graves. Cette histoire d'ombre... Il va nous prendre pour des fous.
— Je lui rendrais, proposa la sorcière.
— Tu ferais ça ?
— Je dois lui remettre les miens de toute manière, je ferais d'une pierre deux coups.
Curtis sourit, visiblement soulagé.
— Tu es la meilleure.
— Je sais !
Curtis rit, se leva et déposa le dossier marron sur celui-ci qui était déjà posé sur un coin du bureau de Mabel.
— À demain, Cole !
Il lui fit un signe de la main et se dirigea vers l'ascenseur en sifflotant. Mabel le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le couloir sombre.
Désormais seule, elle se replongea aussitôt dans son rapport.
Le silence qui l'entourait l'oppressait et elle se mit à taper nerveusement du pied. Elle sentit un courant d'air traverser la pièce et son prénom être murmuré à voix basse.
Mabel se retourna et scanna la pièce du regard. Elle était vide et calme. En apparence normale.
Elle se retourna et se frotta les yeux.
Tout va bien. Tu vas bien.
Elle reprit sa plume et griffonna une phrase à la va-vite sur le morceau de parchemin déjà bien rempli.
« Le sorcier a été attrapé et remis aux Aurors Trevor et Priko, en charge de son extradition au Mexique. »
Un nouveau courant d'air s'engouffra dans la pièce. Mabel frissonna.
— Mabel.
Cette fois-ci, elle se releva et pointa sa baguette en direction de la voix.
Rien.
Elle sentait de la sueur couler sur son front et elle l'essuya avec sa manche.
Elle déglutit et se retourna. Elle prit sa plume, signa le parchemin et referma le dossier. Puis, attrapant sa veste, son sac et les trois dossiers marrons, elle se précipita dans le couloir pour appeler un ascenseur.
Elle passa les quinze secondes d'attente à se retourner constamment et à être à l'affut de la moindre présence autour d'elle. Mais les ténèbres restaient unies et le silence parfait.
Aussitôt que l'ascenseur s'ouvrit, elle s'y engouffra avec un soulagement palpable. L'elfe de maison, qu'elle ne reconnaissait pas, lui lança un regard curieux avant de mettre en marche la cabine, puis de la déposer au premier étage.
Elle traversa le couloir avec rapidité, sursautant au moindre bruit provenant des profondeurs du bâtiment. Elle qui s'était toujours senti en sécurité au MACUSA, elle ne comprenait pas pourquoi ce havre de paix semblait désormais se retourner contre elle.
Elle atteint la troisième porte d'un blanc immaculé sur sa droite et y déposa trois coups francs.
Dix secondes s'écoulèrent et Mabel eut peur que Graves ne soit déjà rentré chez lui. Elle ne tenait pas à retourner à son bureau pour y redéposer les dossiers.
Elle attendit dix secondes de plus avant que Graves n'ouvre la porte.
Les deux sorciers se dévisagèrent quelques secondes en silence, surpris.
Puis Graves lui fit signe d'entrer avec un sourire poli.
Mabel sentit sa chair de poule s'apaiser aussitôt qu'elle quitta le seuil de la porte. Son soudain sentiment de sécurité et d'apaisement l'effraya plus encore que ses troubles anxieux. Elle commençait à ressentir une dépendance à Graves et à la chaleur qui lui faisait ressentir et cela n'était jamais une bonne chose de ressentir ce genre de sentiments envers son supérieur.
— Que faites-vous encore ici, Mabel ?, l'interrogea-t-il en retournant derrière son bureau.
Il ne l'appelait par son prénom que quand ils étaient seuls et Mabel s'étonnait à chaque fois du sentiment d'intimité que cela lui faisait ressentir.
— Je suis venu vous apporter mes rapports. (Graves lui fit signe de s'asseoir et elle le fit.) Celui-ci sur les vols de baguettes en Californie, précisa-t-elle en montrant le dossier en haut de la pile, et ces deux-là sur l'étrange accident de Hell's Kitchen. Il y a le mien et celui de Curtis Fletcher.
— Très bien, posez-les ici.
Mabel les déposa sur le coin de bureau qui lui montrait.
En remontant les yeux sur son visage, elle ne put s'empêcher de remarquer, comme toujours, les cernes qui grandissaient sous ses yeux mais aussi ses cheveux noirs en désordre, son veston déboutonné et sa cravate entièrement défaite. Elle devina qu'il était tourmenté par un problème épineux.
— Vous allez bien ?, lui demanda-t-il, lui volant les mots de la bouche.
— Cela pourrait être pire, répondit-elle en haussant les épaules et en sachant pertinemment qu'il ne mentionnait pas simplement l'effraction de son domicile mais tout ce qui se passait dans sa vie.
Effrayée par ce qu'il pourrait lire dans ses yeux, elle détourna le regard.
Son regard passant de vitrines en vitrines, elle hésita à le remercier. Après tout, quand elle était rentrée au Congrès avec Netanya deux semaines auparavant, juste après avoir découvert la présence d'un sorcier chez elle, Graves avait semblé sentir son désarroi et sa panique aussi facilement que si elle s'était mise à pleurer à ses pieds. Et quand il l'avait retrouvé seule à son bureau, le soir-même, entourée de notes en papier provenant tout droit d'Angleterre et lui annonçant qu'aucun des nombreux sorciers qu'elle avait arrêtés au cours de sa carrière n'avait retrouvé la liberté, il avait compris le problème. Ce soir-là, elle avait été au bord des larmes. Plus effrayée que longtemps auparavant. Mais Graves avait su trouver les mots pour la rassurer. Sans jamais prononcer le nom du mage qui la tourmentait depuis des années, il avait réussi à la calmer et à l'apaiser. Puis, il lui avait confié une mission. En Californie. Le plus loin possible de New York qu'il aurait pu trouver. Quand il lui avait dit qu'elle pouvait y passer autant de temps qu'elle le voulait, elle avait bien failli se jeter à son cou. Elle s'était contentée de le remercier chaleureusement et le lendemain matin, elle était déjà partie.
Mais le geste du sorcier était bien plus important aux yeux de Mabel que tout ce qu'elle aurait bien pu dire et elle ne savait pas comment le remercier, comment lui faire comprendre qu'il lui avait permis de ne pas perdre la tête, en tout cas, pas plus qu'elle ne semblait déjà la perdre.
— Merci encore, pour cette mission, finit-elle par dire. Cela m'a fait plus de bien que vous ne pouvez le penser.
Graves, les avant-bras posés sur le bureau, se pencha légèrement en avant. Ses yeux marron foncé plongèrent dans ceux de la sorcière. Profond et chaleureux.
— Vous n'avez pas à me remercier, Mabel. C'était le moins que je puisse faire.
La sorcière en fut touché. Après tout, il aurait pu ne rien dire, ne pas la consoler, ne pas chercher à l'aider à aller mieux. Et il aurait surtout pu ne pas l'envoyer loin de New York. Mais il l'avait fait. Et le simple fait qu'il puisse penser que cela n'était pas un si grand geste que ça lui prouvait à quel point le sorcier était bien plus qu'un homme à l'apparence froide et autoritaire. Non, Percival Graves était patient, attentif et attentionné. Et Mabel comprit qu'elle tombait amoureuse de lui.
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