Chapitre 1
Plus qu'un dernier effort. Je poussai à l'aide de mes bras avec le peu de forces qu'il me restait. Mes bottes en cuir glissaient sur la paroi lisse. J'appuyai mon buste sur la roche froide pour retrouver un creux où poser mon pied. Je glissai ma botte dans un renfoncement à hauteur de genoux et me hissai sur la roche plate. J'atterris allongée, le souffle court, à bout de forces. Je m'accordai quelques secondes pour respirer et me relevai aussitôt. Je pris la main que mon ami me tendait et la tirai vers moi. Il dérapa et manqua de dévaler la montagne. Je raffermis ma prise sur son poignet et recommençai mon exercice. Il atterrit au bord de la falaise. Il se releva, tituba sur quelques mètres, puis s'allongea dans les herbes folles. Ses cheveux bruns étaient trempés et la sueur perlait le long de sa nuque. Je m'installai à ses côtés, le souffle court.
- Rappelle-moi pourquoi tu veux toujours monter ici ? haleta-t-il.
Je me redressai sur mes coudes et regardai en contrebas. Des villages aux grandes maisons s'étalaient à perte de vue, une école aux allures de château brillait au milieu de tout ce luxe. La rivière était si claire et qu'on pouvait sûrement se mirer dedans. Les derniers rayons du soleil illuminaient le grand château blanc et argent qui semblait tout droit sorti d'un conte de fée. Les villageois se réduisaient à de petites taches de couleurs tellement nous étions éloignés d'eux. Des chants et des éclats de rires me parvenaient. De l'autre côté de la montagne, le paysage n'était pas du tout le même. Une ombre menaçante – celle des grandes montagnes rocheuses sur lesquelles on se reposait - s'étirait sur le petit village. Mon petit village. De petites maisons aux toits de chaume se succédaient. Des charrettes tirées par des chevaux déambulaient dans les rues désertes. Les seules personnes encore dehors à cette heure ici étaient quelques paysans qui rassemblaient leur matériel, ou quelques habitants qui transportaient leurs chutes de bois sur la rivière.
- L'autre côté est tellement beau. J'aimerais y aller. Juste une fois, murmurai-je en triturant une mèche rebelle rousse qui s'était échappée de ma tresse.
- Tu sais tout comme moi que c'est impossible, me raisonna-t-il.
Je soupirai tout en observant les villages aisés. Un son désagréable de trompette m'extirpa de mes rêveries. Le couvre-feu. Ezra se leva et me tendit la main. Je l'ignorai et admirai le côté encore un peu ensoleillé de l'île. J'étais sûre que là-bas, ils avaient de bonnes pâtisseries au goût sucré et doux et assez de vêtements pour ne pas remettre les mêmes quatre jours d'affilée sans pouvoir les laver.
- Polly, je ne rigole pas ! On doit y aller, dit-il en tapant dans ma botte.
Je me levai et m'arrêtai au bord de la montagne.
- Je passe d'abord, dit-il en descendant la paroi pentue.
Un pli se formait toujours entre ses sourcils quand il prenait un air sérieux. Je descendis après lui. Mes muscles me criaient d'arrêter alors que je cherchais un appui. Une brise légère caressait mon visage. Je me concentrai dessus et continuai de descendre. Un cri étouffé m'interpella.
- Ça va ? demandai-je à mon ami.
- Mes doigts, gémit-il.
Je levai mon pied gauche en m'excusant. Je le laissai reprendre de l'avance pour ne plus lui écraser les mains. Nous y étions presque. Je regardai en bas en estimant la hauteur. Pas plus de deux mètres. Je m'élançai en arrière et atterris dans un tas de feuilles mortes. Ezra, qui avait le vertige, ne regardait jamais en bas et pour cette raison, descendit jusqu'à avoir touché le sol de ses pieds.
- On a quinze minutes de retard, me prévint-il en époussetant sa montre de bronze.
On courut dans les ruelles sinueuses. J'abandonnai mon ami devant sa maison et finis le chemin seule. J'aperçus un visage familier au loin. Oh non, pas lui. Je pressai le pas, épuisée. Je pensais l'avoir semé quand, à un embranchement, je percutai quelque chose. Ou plutôt, quelqu'un.
- Encore toi ! s'exclama-t-il.
Je roulai des yeux en répétant mentalement ses dires à venir. Il me faisait toujours le même sermon, je connaissais donc ses paroles par cœur.
- Que fais-tu dehors après le couvre-feu ?
- Mon animal de compagnie s'est échappé et je ne l'ai pas retrouvé. Ma maison est à trois mètres, je vais donc rentrer, tentai-je.
Il me bloqua le chemin et me traina par le poignet comme une poupée de chiffon.
- Hors de question, je te raccompagne. En mon devoir de garde, je rédigerai un rapport aux élites. Si tu recommences néanmoins, nous serons obligés d'employer les manières fortes ! dit-t-il de sa grosse voix.
Il poussa négligemment le portillon abimé de mon jardin et ouvrit la porte d'entrée d'un simple coup de pied.
- On ne vous a jamais appris à prendre soins de vos biens ? m'emportai-je.
- Etant donné que ce ne sont pas les miens, je m'en fiche bien, pouffa-t-il en mordant dans une brioche beurrée qui me donnait envie.
Papa passa la tête par l'embrassure de la porte. Ses cheveux noirs habituellement ébouriffés formaient une courbe au-dessus de sa tête. Il remonta ses petites lunettes sur son nez et plissa les yeux.
- Votre fille était, encore, dehors après le couvre-feu. Cela fera un rapport de plus pour les Elites. Il ne te reste surement plus beaucoup de crédits, petite, tu ferais mieux d'enfermer ton animal de compagnie dans une cage, de regarder l'heure avant de partir ou encore ne pas jouer les aventurières.
Il faisait référence aux autres excuses que j'avais pu lui sortir chaque fois qu'il m'avait prise la main dans le sac.
- Bon, c'est pas tout ça mais j'ai un ordre à faire régner. Que je ne t'y reprenne plus !
Il sortit sans prendre la peine de fermer la porte. Papa s'en chargea et me rejoignit dans la cuisine où je m'étais installée.
- Polly ! Tu dois arrêter d'attirer l'attention des gardes. Plus que quelques reprises et tu retrouveras au cachot.
- Je ne fais pas exprès ! me défendis-je.
- Où étais-tu ? demanda-t-il en se pinçant l'arête du nez.
- Dans la vallée, mentis-je. Je ne pouvais pas deviner quand le couvre-feu retentirait !
Nous n'avons pas de montres, ni l'argent pour nous en acheter. Je posais donc un gros problème à papa.
- Je vais réfléchir à une solution. En attendant, tiens-toi tranquille.
- Oui papa.
Je sortis trois petits pains au beurre volés dans la poche du garde et les déposai sur la table.
- C'est bien ma Polly, ça ! s'exclama papa en riant.
Je montai les escaliers en vitesse pour rejoindre ma chambre. Je me jetai lourdement sur mon lit et caressai Bluey. Une sorte de petit yéti blanc tacheté de points colorés. Une fourrure blanche encadrait sa petite tête à l'expression espiègle. Je sortis de mon sac le livre que j'avais emprunté à la bibliothèque de l'école la veille. Il portait sur les Elites, qui siègent de l'autre côté de la montagne. Les Elites sont les dirigeants de nos terres. Ceux qui nous empêchent d'aller sur la montagne, règle que j'ai enfreinte maintes fois. Si nous passons de l'autre côté de la montagne, qui sait le sort qui nous est réservé. Je pus me plonger dans ma lecture seulement quelques minutes. Mon petit frère, Dexter, avec qui je partage la chambre, vient de sortir du placard et de sauter in extremis par-dessus ma tête.
- Tu ne perds rien pour attendre ! criai-je.
Je parai ses coups d'épée en bois à l'aide d'un oreiller moelleux. Sa fausse lame s'enfonça dans le coussin et il le fit voler à l'autre bout de la pièce.
- Rends-toi ! s'exclama-t-il en pointant son épée sur mon menton.
J'acquiesçai, en prenant un air apeuré. Il reposa son jouet de bois et attrapa la main que je lui tendais. A la place de me hisser avec son aide, je raffermis ma poigne et, en un rapide mouvement, le fis passer par-dessus moi de façon qu'il se trouva, lui aussi, affalé sur le matelas. Je me relevai en vitesse et attrapai son épée en le pointant de la même manière qu'il l'avait fait avec moi.
- Perdu ! lançai-je au bout de trois secondes.
Je reposai pour de bon le jouet et m'assis à ses côtés. C'était notre passe-temps du moment. Se cacher, puis attaquer. Avant ça il y avait eu la période des batailles de chaussettes. Une fois mises en boule, ces vêtements s'avéraient être de vraies balles. On se les jetait dessus, esquivait, rechargeait notre réserve et réattaquait. X aimait ça, les jeux. Doté du même esprit logique que notre père, il savait vite repérer les points faibles de ses adversaires ou encore jauger une personne à première vue ou. Ezra, étant fils unique, adorait jouer avec lui, avec nous. Il nous couvrait de cadeaux mais le plus mémorable restaient les pions et le plateau d'échecs qu'il avait taillés dans une pierre scintillante. Jeu soigneusement rangé dans une housse faite à partir d'une étoffe de la cape d'une des Elites. Un tissu d'une valeur inestimable si vous voulez tout savoir. Papa passa la tête par la porte entrouverte.
- A table !
On descendit et on s'installa devant un bol de soupe. Affamés, on mangea tout le contenu en moins de deux minutes, ainsi que le bout de pain qui l'accompagnait. Nos repas étaient assez maigres mais je ne pouvais que plaindre certains habitants du village qui ne pouvaient pas s'offrir ce « luxe ».
- Et grâce à Polly, nous avons un dessert ! s'exclama papa en me gratifiant d'un sourire éclatant.
Les pâtisseries posées devant nous faisaient saliver Dexter. Nous nous servîmes et savourâmes cette rare douceur. J'observais mon petit frère et mon père, installés côte à côte. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Mis à part que papa portait des lunettes et qu'ils n'ont pas la même coiffure, ils ont les mêmes yeux gris et les mêmes cheveux aussi noir que l'encre. Moi, je ressemblais plutôt à maman mais je la voyais rarement. Pirate dans l'âme, elle découvrait de nouvelles terres et traquait des braconniers avec son équipage. Elle venait nous voir quand elle le pouvait mais nous recevions de temps en temps des cartes postales. Cela faisait un an que je ne l'avais pas vue. Dans sa dernière lettre, elle disait être sur la piste d'un énorme trésor. Elle nous en offrait toujours une partie. J'avais eu ce collier en forme d'étoile, taillé dans du bronze et des perles précieuses que je gardais dans un coffret sous mon lit. Une fois la table débarrassée, la douche gelée prise, faute de chaufferie inexistante dans notre village, le pyjama enfilé et les cheveux démêlés, je me glissai sous l'édredon. Mon petit frère était déjà couché. Il me laissait toujours beaucoup de place dans le lit. Une manière de s'excuser de ses ronflements. Papa alluma la cheminé dans notre chambre d'une petite bûche et nous embrassa. Je regardai la petite flamme orangée danser dans la pénombre. Et ce fut comme cela que je m'endormis, comme tous les soirs.
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