49. « Je veux t'aider à te reconstuire »
— Tu veux pas arrêter de recharger la page ? Tu vas faire planter mon ordinateur, ronchonne Emma dans mon dos.
Je ne cesse d'appuyer sur la petite flèche du haut de l'écran depuis déjà cinq minutes. Visiblement YouTube est en retard, mais je n'ai pas le temps pour les retards. J'ai promis à Olivio que je lui donnerai rapidement mon avis à propos des deux freestyles qui sortent aujourd'hui. Il est plus de dix-huit heures et j'attends toujours, avachie sur ma chaise et les yeux rivés sur mon écran. Mais toujours rien en ligne.
Une personne normale attendrait patiemment que les vidéos soient disponibles, mais ce n'est pas mon cas. J'ai comme l'impression de faire une course contre les autres Visionnaires. Pourtant je ne considère pas qu'un fan est meilleur qu'un autre, loin de là. Je ne suis pas de ceux qui se pensent supérieurs parce qu'ils ont plus de merch que d'autres. Dans ce cas-là, je serais la grande gagnante car je connais plus que personnellement l'un des créateurs de la marque.
— Ha ! C'est pas trop tôt, je m'écrie lorsque les deux vidéos apparaissent sur mon écran.
Emma, qui est debout juste derrière moi se retient de rire. Elle supporte mon excitation depuis le début de la soirée et je dirais même depuis le début de la semaine. J'ai l'impression d'être sur un petit nuage depuis samedi soir. Pourtant j'ai dû quitter Olivio dimanche au petit matin afin qu'il parte pour son prochain concert.
— Attends. Mais ces paroles me disent un truc.
Ma meilleure amie, qui s'est assise à côté de moi hausse les épaules, ne comprenant probablement pas où je veux en venir.
— Si si. Mais ce n'est pas cette instrumentale. Je suis sûre que j'ai déjà entendu ces mots-là aussi, je poursuis en pointant du doigt mon écran.
Je me lève aussitôt de ma chaise, mon téléphone en main pour passer un coup de téléphone.
— Je peux savoir où tu vas comme ça ? Tu vas laisser la vidéo tourner dans le vide ? me crie la petite brune depuis le salon.
J'esquive ses questions et appuie directement sur le nom du contact dans mon téléphone puis cale le cellulaire contre mon oreille droite. Une sonnerie. Deux sonneries.
Décroche.
— Allô ?
— C'est le freestyle du jour où j'ai fait que de manger ! j'hurle dans mon micro.
J'entends une plainte à l'autre bout du combiné. J'ai dû lui exploser un tympan sans le vouloir.
— T'en as pensé quoi ? me demande Olivio d'une voix nerveuse.
Est-ce qu'il est vraiment stressé par le fait que je puisse ne pas aimer ? Ce n'est pas comme si j'étais productrice ou journaliste pour un grand magazine et que je pouvais descendre son travail.
A vrai dire je ne peux pas vraiment répondre à sa question. J'ai dû écouter un dixième du rap, tellement j'ai été obnubilée par l'endroit où j'avais entendu ces paroles. Je m'en sens même coupable. Il m'avait demandé son avis et moi j'ai fait l'enfant. Charline, quatre ans.
— J'ai pas encore terminé l'écoute, je commence mais je poursuis rapidement par peur de le décevoir. Mais ce que j'ai entendu m'a beaucoup plu. T'as dû passer beaucoup de temps sur le texte. Et je suis persuadée que celui de Florian sera aussi réussi.
Il semble sourire derrière son écran. Du moins, c'est ce que j'en devine en entendant un petit souffle dans mon oreille. Un souffle discret mais signe d'un soulagement immense.
— J'avais un peu peur que tu n'aimes pas à vrai dire, murmure-t-il dans son micro.
Son ton s'est fait plus bas, plus grave et sa voix s'est rapidement éteinte, dans un sentiment de honte de me l'avouer. Et pour être honnête, je ne comprends pas vraiment. Je n'ai aucune influence dans le monde de la musique et je ne suis pas la seule fan qu'il ait. Il y aura forcément des déçus, des personnes qui hésitaient à ne plus écouter les deux frères toulousains et dont les freestyles les auront convaincus de tout arrêter. Mais d'un autre côté, il y aura des personnes ravies, qui vont les écouter en boucle et peut-être même que des personnes tomberont par hasard sur ces deux vidéos et qu'elles se pencheront sur les autres chansons des garçons, devenant peu à peu des Visionnaires.
— Qu'est-ce que ça aurait changé ?
— Beaucoup de choses, soupire-t-il.
— Beaucoup de choses ? je répète. Je n'en suis pas aussi convaincue que toi.
— Tu sais, quand tu entretiens une relation avec quelqu'un, sa place dans ta vie devient aussitôt plus grande que celle de quelqu'un d'autre, essaie-t-il de m'expliquer. Alors forcément, son avis compte également plus que celui d'une personne lambda. Tu étais un peu comme le producteur à impressionner.
Mes yeux commencent à faire des mouvements de droite à gauche, comme si ça allait accélérer ma compréhension. Peut-être que je suis trop bête pour comprendre, ou qu'une part de moi ne veut tout simplement pas assimiler ses mots.
— Tu n'es pas d'accord avec moi ? hésite-t-il.
— Je suppose que si.
Cette discussion n'a décidemment pas pris le tournant que j'imaginais. Je devais discuter avec lui du fameux jour où ce texte a été écrit, nous rappeler un souvenir où cette relation était encore derrière nous et nous en amuser.
Cependant, j'ai comme l'impression qu'Olivio tient à soulever un point problématique.
— Tu devrais en être sûre.
— Si je te crois. Ton avis est très important à mes yeux, mais le mien est...
— L'est tout autant, finit-il.
— Je ne suis pas du milieu de la musique, tu en as conscience ?
— Et toi, tu ne t'estimes pas assez, tu en as conscience ?
Sa réponse me laisse sans voix.
L'estime que j'ai de moi-même ? Je n'y ai jamais vraiment songé. Mais est-ce qu'il essaie de me dire que j'aurais dû ?
— Ce n'est pas si important tu...
— Bien-sûr que si. Comment tu peux dire un truc pareil, hein ? me coupe-t-il en haussant le ton.
Je me tasse un peu sur moi-même, peu fière par la tournure que prend cette conversation.
— Tu es comme ça depuis toujours ? Parce que tu l'étais déjà quand on s'est rencontré et ça me...
— Te dérange. Alors pourquoi tu perds ton temps avec moi ? je m'énerve légèrement.
Il a touché une corde sensible. La confiance en moi. Depuis quand est-ce que je n'en ai plus ? Une mauvaise relation peut faire plus de dégâts que prévus. Le coeur brisé n'est que la surface, car il y a tant de dommages collatéraux. A commencer par l'estime de moi.
— J'allais dire que ça m'attristait, mais tu sembles vouloir trouver une raison de m'en vouloir. Parce que j'ai raison, n'est-ce pas ? poursuit-il d'une voix plus nerveuse.
Je ne réponds pas, préférant rester dans un silence total. Ma gorge est serrée, mon estomac noué et je n'ai aucune envie d'évoquer ce sujet maintenant. Je n'ai pas envie de l'évoquer peut importe le moment en fait. Mais Olivio n'est pas mon ennemi, alors je ne dois pas le voir comme une personne à affronter mais comme une main tendue.
— Mais tu sais aussi que je ne vais pas te laisser tranquille avec ça. Je veux t'aider, tu sais, se confie-t-il d'une petite voix. En fait, j'en ai eu toujours envie. C'est une des raisons qui m'ont poussé à te parler au-delà d'une simple photographie à te rendre.
Je fronce les sourcils et le laisse poursuivre. Je veux savoir où il veut en venir.
— Je veux t'aider à te reconstruire, je veux être la personne qui cimentera chacune des briques entre elles. Je peux même faire du crépis si tu veux.
Je me mets doucement à rire face à sa métaphore. Où est-ce qu'il va chercher tout ça ?
— Tu es artisan dans le bâtiment ? je lui demande amusée.
— Raahh...ne fais pas semblant de ne pas comprendre.
D'où je suis, je l'imagine très bien lever les yeux au ciel.
— OK. OK. J'ai compris. Mais pourquoi est-ce que tu veux m'aider ? Je ne suis pas une princesse en détresse.
— Le but d'une relation, quelle qu'elle soit, ce n'est simplement de partager des bons moments. C'est aussi servir de pilier à l'autre quand il menace de s'effondrer. Et je refuse d'assister à ta chute. Alors je vais te soutenir tant que tu en ressentiras le besoin.
Il marque une pause.
— A moins que tu n'aies pas cette vision d'une relation et dans ce cas je fais fausse route, souffle-t-il.
Quelle est ma vision d'une relation au juste ? Je ne me suis jamais interrogée sur la question. Je pense que je me suis toujours laissée vivre et aie ressenti le besoin d'établir une relation plus qu'amicale avec des personnes quand mon coeur me le demandait. Mais sans jamais réaliser ce que ça impliquait vraiment. Cependant, Olivio a probablement raison. C'est pourquoi certains mariages arrangés fonctionnent plus certains unions d'amour. L'amour ne fait pas tout. Il est la base, la fondation, mais une maison ne se résume pas à un sol et quelques poutres. Il lui faut des murs, un toit, des fenêtre et tant encore.
— La seule vision que j'ai eu jusque là c'est celle qu'Alec a bien voulu me montrer, je soupire en baissant les yeux alors qu'il ne me voit même pas.
Je me mords la lèvre en repensant au message qu'il m'a envoyé récemment mais que je n'ai jamais lu et supprimé. Il va continuellement vouloir m'imposer sa manière de voir les choses.
— Et tu n'en as pas encore eu les bribes d'une autre avec moi ?
— On a une relation quelque peu compliquée. Tu n'es pas très souvent là, j'avoue.
J'entends un long soupir venir de son micro.
Pourquoi est-ce que j'ai dit ça ? Il va penser que j'estime que cette situation est entièrement de sa faute.
— J'ai une vie remplie, mais je t'y fais doucement de la place. Tu vois ?
— Bien-sûr que je le vois. Je sais que ça nous prendre du temps, mais j'apprécie cet espace que tu m'offres.
— Et hum...c'est une idée comme ça, mais peut-être que, enfin seulement si ça te dit, tu pourrais occuper une plus grande place cet été, lâche-t-il peu sûr de lui.
Qu-Quoi ? Comment ça "une place plus grande cet été" ? J'ai dû mal comprendre ou mon cerveau se joue des films. J'en manque même de m'étouffer.
— Merde. Dis comme ça on dirait que je parle de mariage, ricane-t-il mal à l'aise.
Je ne te le fais pas dire.
— En fait je me disais que tu pourrais m'accompagner cet été pour la tournée des festivals.
Oh. HO ! Mon coeur tambourine dans ma cage thoracique, excité par la nouvelle.
— Comme membre du staff ? je le questionne.
— Entre autre. Mais un membre particulier, m'explique-t-il.
J'ai la sensation d'imploser de joie.
— Tu vas y réfléchir ?
— Pourquoi juste y réfléchir quand je peux dire oui ?
J'entends son téléphone être posé puis le micro couvert, probablement par ses doigts. Puis soudainement un cri de joie camouflé.
J'en ris doucement de mon côté.
— Donc tu veux bien venir ? m'interroge Oli.
— En plus de bien vouloir, je serais là avec joie. Je vais pouvoir faire plus ample connaissance avec toute ton équipe, je dévoile un sourire mesquin sur les lèvres.
Outré. C'est comme ça que je l'imagine à ce moment précis.
— Et moi je suis juste une option ?
— Option que j'ai pris soin de cocher, je te rassure, je plaisante.
Quelques minutes après, nous finissons par raccrocher. Chacun avec un immense sourire sur le visage. Je ne saurais même pas dire qui de nous est le plus heureux. Sans doute le sommes nous tout autant.
Un été entier avec Olivio sur les routes. Jamais je n'aurais pris le risque d'imaginer quelque chose d'aussi beau.
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Et oui, comme promis on va se retrouver tous les samedis. En ce qui concerne l'heure je ne vais pas m'en imposer. C'est déjà assez dur de me tenir au jour précis. Mais je vous ai faits une promesse et je compte la tenir tout l'été.
Je vous laisse avec ce chapitre assez soft. Mais vous commencez à me connaître, non ? Et ce qui est soft un instant ne présage que des péripéties pour la suite. Sinon ce n'est pas drôle. ;)
Bonne soirée à tous.
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