46. « Elles valent la peine d'être vécues »

Presqu'un mois s'est écoulé depuis cette nuit de rêve, hors du temps, hors de tout. Mais la réalité et la vie d'Oli nous ont rapidement rattrapés. Les concerts s'enchaînent de son côté, tandis que le quotidien morose de la vie d'étudiante me lasse.

En ce dimanche soir de janvier, je suis assise dans mon éternel fauteuil, mon cahier de photographies sur les genoux et je me contente d'en tourner les pages d'un air ennuyé. De temps à autre, je le lève les yeux vers mon téléphone sur lequel je fais défiler les nombreuses vidéos prises lors du concert du soir, au Zénith de Nantes. Je me sens envieuse, plus que n'importe qui, des Visionnaires présents dans la salle. Mon envie ne se rapporte pas à ma tristesse de ne pas assister au concert, comme sûrement de nombreux fans derrière leur écran, comme moi. Je les envie seulement de pouvoir voir le sourire de Olivio en direct, un sourire que je n'ai pas vu depuis presque un mois.

Aux dernières vacances, il est parti très tôt le dimanche matin, si rapidement que je n'ai pas pu lui dire au revoir comme je l'aurais souhaité. Ensuite se sont enchaînées les dernières rectifications pour les concerts au sujet des décors, puis les répétitions sont rapidement arrivées, si bien que je n'ai l'ai vu que deux petites heures avant leur premier concert du 18 à Montpellier. Mais tout ça, je le savais avant d'en tomber amoureuse. Alors pourquoi c'est si dur ?

Je finis par quitter mon trône et déposer mon cahier sur la table basse, puis marche d'un pas lent vers la fenêtre que j'ouvre doucement, laissant la fraicheur de la soirée s'engouffrer dans l'appartement. Je passe ma tête vers l'extérieur et m'accoude au rebord de fenêtre.

Dehors, la nuit a pris place et semble couvrir la ville comme un voile, tandis que la Lune observe chaque personne dehors. Les quelques travailleurs du dimanche rentrent chez eux avec empressement, ravis de retrouver leur cocon. Des adolescents s'amusent en bande, insouciants de ce qui se passera demain, comme si leur vie était figée sur l'instant présent. Quelques couples marchent main dans la main, ne faisant pas attention à ce qui se passe autour car le monde leur appartient. Le monde appartient à ceux qui s'aiment, mais pas à moi.

Je sens un soufflement brusque et forcé dans mon dos, me sortant de ma bulle. Emma se tient debout dans le salon, les mains posées sur sa taille et le regard sévère. Je sais d'avance ce qu'elle va me dire, chose que je n'ai pas envie d'entendre car elle a raison.

Tu vas continuer à te trainer de cette manière, encore longtemps ? gronde-t-elle.

Emma...ça va, je te le jure, je gémis déjà fatiguée à l'idée de la discussion qui va suivre.

Elle lève les yeux au ciel, très peu convaincue par ce que je viens de dire.

Tu me sors cette phrase depuis quelques jours déjà. Chaque soir de concert en fait, s'agace-t-elle.

C'est juste le temps que je m'y fasse, d'accord ?

Je l'entends rire jaune.

Que tu t'y fasses ? Mais te faire à quoi ? Tu n'as pas à voir ça comme une punition. On dirait que tu subis cette relation depuis presque un mois.

C'est pas ça...c'est juste dur, OK ? Mais j'irai mieux quand il reviendra de la tournée des zéniths, je lui promets en refermant la fenêtre.

Oui, jusqu'aux prochains déplacements, aux tournées des festivals de cet été, dit-elle en soupirant. Tu ne peux pas continuer comme ça.

Et je sais qu'elle a raison sur ce point. Jamais je ne me serais imaginée que je vivrais aussi mal le rythme de vie de Olivio. Pourtant, je le comprends et je suis même la première à l'encourager dans tout ce qu'il fait. Je l'appelle après chaque concert pour le féliciter et lui parler des vidéos de fans que j'ai vu passer sur les réseaux. Seulement, une fissure vient d'apparaître me divisant doucement en deux. Je ne suis plus simplement Charline. Il y a la fan, celle qui est euphorique et l'autre, la petite-amie délaissée.

Au départ, lors de ses premiers concerts à l'étranger, ça allait, parce que je comprenais pourquoi on ne pouvait pas se voir, mais en France, il est si proche et si loin à la fois. Et ça en devient plus difficile au fur et à mesure que ce je ressens prend de l'ampleur. Jusqu'au jour où je me serais faite à sa vie et je deviendrais la petite-amie, fan et comblée. Du moins, j'ose espérer que cette personne existe.

Tu n'étais pas comme ça avant Noël. Qu'est-ce qui s'est passé pendant ces vacances ? Tu ne m'as rien dit, poursuit ma meilleure amie en s'installant debout contre la fenêtre.

Mon visage vire subitement au rouge, ma mémoire me ramenant aux instants de cette nuit dont je n'ai rien dit à Emma.

C'est quoi cette tête que tu me fais ? me demande Emma. Oh non, j'ai compris ! T'es passée dans la haute catégorie ! s'écrie-t-elle en tapant dans ses mains.

La haute catégorie ? je répète en fronçant les sourcils.

Mais oui, tu sais bien !

Non, je ne vois pas. Quand tu vois ma tête, tu dois t'en douter, non ?

Hum non...

Bon, je t'explique. T'as la petite catégorie. T'y entres quand tu couches avec un mec passable. Ensuite t'as la moyenne, quand le mec est plutôt beau. Après, c'est la grande catégorie si le gars est connu mais physiquement y'a mieux. Et toi, t'es dans la haute, avec mec BG supplément famous, déclare-t-elle très sûre de son discours.

C'est pas un peu subjectif ton truc ? Si tu prends Esteban, de prépa. Moi je le trouvais bof, alors que toi t'étais carrément accro à lui. Pourtant c'est la même personne mais il semble rentrer dans deux de tes catégories.

Je te félicite d'être passée direct de la petite à la haute et c'est comme ça que tu me remercies ? En me parlant du râteau le plus violent de l'histoire ? fait-elle mine de se vexer.

Je ris quelques secondes avant de tilter.

Comment ça de la petite à la haute ? Alec était peut-être un vrai connard, mais il était loin d'être horrible. Et t'es sortie avec je te rappelle.

Touchée.

Me rappelle pas ça non plus, OK ? Je me sens suffisamment conne de m'être laissée berner par sa gueule d'ange, souffle-t-elle la mine triste.

On va ajouter un autre catégorie à ton système alors.

Emma arque un sourcil.

La catégorie pourrie, je dis en mimant une nausée.

Alec en est le roi, je suppose ?

Je réponds affirmativement d'un signe de tête.

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Je suis assise sur mon lit, pas encore défait. Je suis censée me lever dans moins de cinq heures, mais je ne parviens pas à trouver le sommeil. La discussion que j'ai eu avec Emma il y a quelques heures ne cesse de tourner dans ma tête. Plus j'y songe, plus je me dis qu'elle a raison. Broyer du noir constamment n'est pas une vie, et je vais devoir passer ce cap sinon je n'irai jamais mieux. Mais quelle option ai-je pour sortir de cette phase ? Une solution dont je ne trouve pas l'entrée, qui serait de surmonter ça et une plus nette dans mon esprit mais à laquelle je ne veux pas penser. Arrêter les frais maintenant.

Je soupire, en me posant cette même question pour la trentième fois. J'ai le sentiment d'être dans une impasse dont la seule sortie se refermerait peu à peu sur moi. Je n'ai presque plus la possibilité de faire demi-tour.

Argh, je grogne en enfonçant ma tête dans mon coussin.

Je me sens stupide, incapable de trouver une foutue solution. Je suis capable de résoudre des problèmes mathématiques tordus, mais je bute devant un problème de vie.

Soudainement, mon téléphone vibre, me tirant de mon état d'agacement.

C'est Oli, qui vient sûrement de finir son tour tardif avec les fans.

Je décroche assez rapidement et son visage apparaît sur mon écran. Il semble fatigué mais très heureux. Juste derrière lui j'aperçois Flo qui discute avec Chloé.

J'étais sûr que tu ne dormirais pas, dit Olivio un petit sourire sur les lèvres.

T'as installé des caméras chez moi ? je demande d'une voix fatiguée.

Qui sait ?

Je me retiens de rire à sa remarque, par peur de réveiller Emma.

Alors, comme c'était le concert ?

Un enchaînement de bonheur, de palpitations au cœur et d'amour, dit-il sur un petit nuage.

Je vois à sa manière de le dire et aux étincelles dans ses yeux qu'il est pleinement comblé par sa vie, par les concerts et le voir dans cet état me rend heureuse.

Il te manque pas trop ? crie Flo de loin.

Pas autant que toi, je plaisante.

La fatigue doit me rendre dingue. Je ne suis absolument pas proche de Florian, pour le peu de fois où nous nous sommes vus et je me permets de lui dire une chose pareille. Et dire que j'ai failli y ajouter un clin d'oeil.

Le rouge me monte jusqu'aux oreilles, mais je me calme rapidement en voyant la mine renfrognée de Oli, qui fait semblant d'être vexé par ce que je viens de dire.

Je te demande pardon ?

Pardon à quel sujet ?

C'est ça, fais moi croire que tu ne comprends pas, me dit-il d'un air taquin.

Entre nous, je ne voulais juste pas le vexer, je chuchote dans mon micro.

Mais tu es pleine de bonté, dis-moi, ajoute-t-il en levant les yeux au ciel.

Tu en doutais encore ? Une vraie bonne sœur.

Pas sûr pour le coup de la bonne sœur, dit-il assez bas pour que personne autour de lui n'entende.

Mon visage vire subitement au rouge. Je ne m'attendais pas à une telle attaque de sa part, preuve qu'il devient de plus en plus à l'aise avec moi.

Il se met aussitôt à rire, fier du résultat sur mon visage et je ne peux m'empêcher de le trouver magnifique à rire de cette manière.

T'es content, n'est-ce pas ?

Fallait pas me tendre une perche, dit-il en me faisant un clin d'œil.

Attends de voir quand...

Oli, tu viens ?! j'entends hurler derrière lui, me coupant dans ma phrase.

Aussitôt il me lance un faible sourire ressemblant plus à une grimace. Les traits sur son visage en disent longs. Il est épuisé, et veut s'excuser de devoir me laisser.

Repose-toi bien, je lui dis en me forçant à avoir l'air heureuse.

Non, attends. Et ce que tu voulais me dire ?

Je te le dirais plus tard, ce n'est pas grave.

Il soupire, comme s'il était déçu par ma réponse.

Tu devrais pas devoir tout remettre à plus tard, poursuit-il en faisant une moue adorable.

Je ne remets rien...

Arrête de vouloir toujours être heureuse. Je l'entends rien qu'au ton de ta voix, souffle-t-il en baissant les yeux.

Alors il m'a cerné et je suis une piètre actrice. Je me mets à mon tour à grimacer, prise sur le fait. L'atmosphère en devient aussitôt pesante. Je ne voulais pas lui infliger mes états d'âme alors qu'il a déjà assez à faire avec sa carrière qui lui demande du temps. Je ne veux pas non plus lui laisser croire qu'il a un choix à faire entre sa vie et moi. Car si un jour il devait s'y confronter, je voudrais qu'il choisisse sa carrière et les Visionnaires.

Je vais devoir y aller, mais on va en reparler, tu le sais ?

Ce n'est pas...

Aucune excuse. Tu crois quoi ? Savoir que tu ne vas pas bien m'impacte aussi.

J'ai un pincement au cœur en l'entendant parler. Le rendre triste est la dernière chose au monde que je souhaite.

Je ne m'engage dans des relations que lorsqu'elles valent la peine d'être vécues. Et quand c'est le cas je ne veux pas les entacher par des passes moroses. Je veux simplement te voir sourire. Sourire tellement que tu en auras mal aux joues, dit-il d'une mine très sérieuse.

J'esquisse un léger sourire.

Voilà, juste comme ça !

Nous coupons l'appel vidéo juste après.

Et je sens que mon être entier s'est réchauffé au fur et à mesure que ma fréquence cardiaque accélérait. Peut-être que finalement ça ne sera pas si dur que ça de le laisser partir pour ses concerts.

Car notre relation vaut la peine d'être vécue.





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Vous pouvez m'insulter. Allez-y déchainez-vous parce que j'ai fauté. Pas de chapitre pendant un mois. Aïe. Même moi ça m'a fait mal. Mais j'avais besoin d'un petit peu de temps pour moi et remettre un peu d'ordre dans mes petites affaires. Normalement tout est OK, alors je devrais reprendre le même rythme qu'avant.

Et puis de toute façon, écrire c'est ranger le bordel qu'on a dans la tête non ?

On se retrouve au prochain chapitre.

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