43. « Est-ce que l'amour est une sensation logique ? »

La première semaine des vacances s'est déroulée à une vitesse fulgurante. Nous sommes déjà dimanche et mon estomac a encore du mal à se remettre du festin de Noël que déjà ma semaine de vacances à la montagne commence.

Je dépose mes valises sur le pallier du chalet, rapidement suivie par Agathe et Alessa.

Laquelle de vous a les clés ? je demande en me tournant vers mes deux amies.

Les deux filles se regardent, cherchant à accuser l'autre de les avoir oubliées. Puis soudain, j'éclate de rire sous le regard curieux des filles.

C'est moi qui les aie ! je m'exclame en les sortant de la poche de ma veste.

C'est le manque de Oli qui te donne cet humour à chier ? s'agace Alessa, épuisée par le voyage en voiture.

Je roule des yeux avant d'insérer la clé dans la serrure, puis je pousse la porte. Nous entrons dans le chalet, les yeux grands ouverts. Je savais que c'était beau sur les photos quand j'ai réservé mais pas à ce point. C'est même trop grand, alors que nous ne serons que six ici. Voire sept, si Elie se décide à venir un jour. Deux autres filles doivent nous rejoindre dans la soirée et Zac, le petit-ami de Alessa doit arriver demain.

Je marche jusqu'en bas des escaliers et pose mes deux énormes valises sur le tapis de l'entrée. On pourrait se demander pourquoi mes valises sont aussi grosses, mais l'une est intégralement remplie de gadgets pour le Nouvel An.

Agathe et Alessa entrent à leur tour, Agathe peinant à tirer sa très grosse valise. Je suis sûre qu'elle a amené la moitié de sa bibliothèque et son atelier de peinture. Je me demande encore comment ma voiture a pu supporter une charge aussi lourde.

On va vraiment vivre ici pendant une semaine ? s'exclame Agathe émerveillée, en regardant les peintures de la montée d'escaliers.

Sauf si j'ai oublié de faire le virement au propriétaire, je réponds nonchalamment.

Alessa me lance un regard noir, accentué par ses cernes qui touchent presque le sol. Je ne sais pas depuis combien de temps elle n'a pas dormi.

Vivement que Zac arrive, parce que si elle est comme ça tout le séjour..., je souffle à Amandine en haussant les sourcils.

Je t'entends, tu sais, grince Alessa en montant à l'étage.

Elle est comme ça depuis que je suis passée les chercher très tôt ce matin. J'ignore ce qui lui arrive, mais elle semble être exténuée et à fleur de peau.

Nous finissons par la suivre et nous installons chacune dans une chambre. Alessa va occuper la plus grande pièce du fait qu'elle la partage avec Zac. Agathe a choisi une chambre colorée en face des escaliers à cause de la vue sur un lac. Quant à moi, j'ai pris une chambre totalement blanche au fond du couloir, pour son isolement. Bien que nous soyons ici avec des amis, j'ai toujours besoin d'un peu de solitude. Il reste également deux autres pièces pour Victoire et Coline, qui arriveront dans la soirée. Du côté de Elie, nous n'avons aucune nouvelle et nous avons peu d'espoir de la voir cette semaine.

Je pousse la porte de ma chambre et y installe mes valises sous la fenêtre. Je déferais tout ça plus tard, une fois que je me serais remise de mes six heures de conduite et que j'aurais appelé Oli. En espérant qu'il ne soit pas trop occupé avec la tournée des zéniths qui va débuter.

Je déverrouille mon téléphone et cherche son prénom dans mes contacts. Je tombe sur son répondeur plusieurs fois, comme je m'y attendais. Je sais que la préparation des zéniths leur prend un temps fou et que la lune qu'ils veulent mettre en place dans chaque salle, lors de l'interprétation de "Sur la Lune" leur demande encore beaucoup de travail. Je finis par ranger mon téléphone dans ma poche en soufflant. Il me manque, c'est certain mais je savais déjà tout ça en me lançant dans cette relation. Je n'avais simplement pas imaginé que le manque serait aussi dur à supporter.

Je m'assieds dans le renfoncement, juste sous la fenêtre, qui dispose de coussins pour le rendre plus confortable et observe par la fenêtre. Des familles commencent elles aussi à arriver dans les chalets autour du nôtre. Des enfants courent dans la neige, se lançant dans une bataille de boules de neige, accompagnés de leur père. On dirait qu'ils n'ont pas vu de la neige depuis longtemps et les voir aussi heureux me fait également sourire. Je ne me souviens plus depuis quand je n'ai pas vécu un moment aussi naïf et figé dans le temps. Sûrement lors de la période du lycée. Déjà trois ans.

Charline ? m'appelle Agathe depuis l'entrée de la chambre.

Je sursaute et me tourne vers elle, en tentant d'afficher mon sourire le plus vrai sur le visage.

Mais erreur. Agathe me connait depuis six ans alors lui mentir n'est plus vraiment possible.

Toi aussi tu tires une gueule d'enterrement ? Moi qui me faisais une joie de profiter de la montagne avec vous, se plaint-elle.

Non, ça va. Je suis juste un peu fatiguée du voyage et préoccupée par Alessa. Elle ne va pas bien, hein ? je lui demande en descendant du recoin.

Agathe se contente de hausser les épaules, n'en sachant sûrement pas plus que moi.

Nous descendons ensuite au rez-de-chaussée afin de nous approprier les lieux. Mon amie me montre sur son téléphone les activités qu'elle aimerait faire pendant notre séjour. Avec sa liste, on a de quoi être occupées pendant plus d'un mois. Je lui rappelle tout de même que pendant les six jours que nous passerons ici, chacun aura le choix des activités sur une journée.


Alessa finit par nous rejoindre au salon, quelques heures plus tard. Le Soleil s'est déjà couché et nous avons allumé un feu dans la cheminée. Elle semble avoir dormi, mais ses yeux montrent également des traces de larmes. Qu'est-ce qui se passe bon sang ? Elle a pleuré, mais à cause de quoi ou de qui ? J'espère que rien de grave ne s'est passé avec Zac.

Elle s'installe dans un fauteuil, et s'enroule dans un plaid posé sur l'accoudoir. Elle évite nos regards et fixe le mur face à elle, comme si c'était la chose la plus intéressante ici.

— Bon, ça suffit ! je lâche en colère et frustrée de ne rien pouvoir faire.

Mes deux amies sursautent et la petite blonde me supplie du regard de m'adoucir pour parler à Alessa.

Tu sais que si tu as des ennuis, tu peux nous en parler.

La brune me regarde, les yeux me racontant qu'elle veut parler, mais je sens que son coeur est plus ferme et a peur de souffrir.

Je m'apprête à poursuivre, mais mon téléphone vibre dans ma poche. C'est Oli qui essaye de me joindre. Je quitte précipitamment le salon, faisant signe aux deux filles que je reviens dans peu de temps et décroche tandis que je gravis les marches de l'escalier.

Bonsoir, je souffle tout doucement.

Comment a été le voyage, crevette ? me dit-il d'une voix enjouée.

Je lui raconte nos quelques péripéties du trajet, comme l'aire sur laquelle nous avons failli oublier Agathe, occupée à prendre des photos.

Tu as bien pensé à prendre mon cadeau ? me demande-t-il après de longues d'explications.

Oui, j'y ai pensé. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi je dois l'ouvrir le 31 décembre, qui  plus est à vingt-heures. Il n'y a aucune logique.

Est-ce que l'amour est une sensation logique ?

Tu marques un point, je m'exclame en riant à moitié.

Le silence s'installe tout doucement et je n'entends plus que sa respiration lente dans mon oreille. Mon coeur tente de s'y accorder, mais n'y parvient pas. C'est comme si Oli était à des années lumières de moi, alors que je l'ai vu il y a une semaine. Mais le manque s'est installé en moi trop rapidement, comme pour un drogué privé de sa dose. Je ressens des sensations similaires que je ne peux garder que pour moi. A qui pourrais-je les partager ? Olivio peut-être, mais la crainte qu'il pense différemment pèse au-dessus de ma tête. Elle est comme une pierre retenue par des cordes fines et prêtes à lâcher.

Comment c'était Noël chez toi ? finit-il par demander, me ramenant à la réalité.

Sa question, pourtant anodine, pèse un peu plus sur moi, me rappelant qu'on ne s'est pas parlé depuis quelques jours. Je vais pourtant devoir m'y habituer, car les zéniths arrivent dans peu de temps et je sais qu'il les attend avec impatience. Renouer avec son public avant une longue pause, il n'attend que ça.

Repas copieux, drames à cause de mon oncle un peu trop ivre et cadeaux. Un Noël classique chez moi, je réponds en souriant.

Il me parle alors du sien, sans entrer trop dans les détails, puis il bifurque en me racontant ses journées de répétition très longues, ainsi que le tournage d'un projet qui devrait sortir d'ici la fin du mois de janvier. Il a l'air très heureux et c'est tout ce qui compte pour moi.

Tu sais quand on va se revoir ? je le questionne après une dizaine de minutes à l'avoir écouté.

Oh, je sais pas trop. Faut que je case ça dans mon agenda, dit-il d'un ton détaché.

Il faut qu'il me case dans son agenda. Sérieusement. Je suis quoi, un rendez-vous chez le dentiste ? Il veut pas non plus me proposer un créneau horaire ?

Je souffle, vexée par ce qu'il vient de dire.

Fais donc ça, je ramage.

Tu vas bien ? Tu es distante soudainement, remarque-t-il.

Non, tu crois ?

Oui, je crois juste que nos prochains arrivants viennent d'arriver, je déclare rapidement.

Je croyais que tu ne partais qu'avec tes deux amies.

Non, Coline et Vic' se sont rajoutées.

Vic' ?

Oui. Victor, je balance en espérant l'énerver un peu.

Oui, je suis puérile. Mais c'est injuste que je sois la seule à faire la tête.

Je raccroche juste après et redescends au salon, où Agathe et Alessa ne pipent pas mots. L'ambiance est glaciale et je me rappelle soudainement que nous avons une discussion à terminer.

J'avance vers Alessa et m'agenouille devant elle puis prends sa tête entre mes mains afin de la contraindre à me regarder. Je lis du doute, de l'angoisse et de la tristesse dans ses yeux. Qu'est-ce qui se passe bon sang ?

Elle se redresse soudainement et descend du fauteuil sur lequel elle était assise. Je la suis du regard et elle revient avec une boite rectangulaire dans les mains qu'elle me tend. Elle retourne alors s'installer dans le fauteuil, attendant que Agathe et moi regardions le contenu de la boite.

Mon amie blonde s'installe à côté de moi et à deux nous soulevons le couvercle, puis nous nous regardons avec de grands yeux.

Un test de grossesse. Positif. Oh merde.

Il le sait ? questionne Agathe.

Alessa nous dit que non d'un signe de tête et elle se met à pleurer. Agathe s'installe à côté de la brune en essayant de la réconforter.

De mon côté, mon cerveau tourne comme un fou. Que suis-je censée dire dans un moment pareil ? Je doute que Zac soit ravi, alors lui mentir serait idiot. Mais je sais aussi qu'il ne va pas la quitter pas pour ça. Peut-être même qu'il accepterait cet enfant et serait heureux au final. Mais je ne peux pas me mettre à sa place, à leur place. J'imagine seulement qu'une nouvelle pareille ne doit pas être facile à assimiler quand on est jeune et que notre vie ne fait que commencer.

Tu as fait combien de tests ? je demande à Alessa.

Bah un, pourquoi ? renifle-t-elle entre deux sanglots.

Sa réponse tourne en boucle dans ma tête. Mais un, ça ne veut rien dire. Les faux positifs ça existe bien. Cependant, je n'ai pas le temps de lui dire car on frappe à la porte. Super timing les filles.

Je m'élance vers la porte d'entrée et ouvre rapidement avec un grand sourire puis les fais entrer en essayant de dissimuler l'entrée du salon avec de grands gestes. J'ai l'air ridicule.

Coline ! Victor ! Trop heureuse de vous voir ! je crie pour cacher les sanglots de Alessa, en faisant de grands gestes des bras.

Victor ? répète Victoire en fronçant les sourcils.

Tu comprendras plus tard.

Je prends alors les mains de Coline pour l'inciter à sauter avec moi, ce qu'elle s'empresse de faire. Heureusement qu'elle a toujours été un peu fofolle parce que je me serais sentie vraiment idiote à sauter toute seule dans l'entrée.

Je les fais ensuite monter à l'étage, en priant que je laisse assez de temps à Agathe pour calmer Alessa et qu'on puisse reparler de tout ça au calme, plus tard. Elle n'a sûrement pas envie de mettre au courant nos amies du collège, que nous n'avions pas vu depuis longtemps. Et dire que Zac arrive demain. Si ce n'est pas réglé d'ici là, on va être dans un sacré pétrin.

La soirée promet d'être longue. Je n'aurais même pas une seconde pour pleurer l'absence de Oli. Mais je sais que le manque ne va pas tarder à revenir au galop. Il revient toujours.

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