42. « C'est toi qui es revenu dans ma vie »
Je suis assise en tailleur sur mon lit, terminant d'emballer les derniers paquets pour demain matin. Ma playlist tourne dans mes oreilles tandis que je chante à voix basse.
Au rez-de-chaussée, le monde semble tourner en mode accéléré. Ma mère court entre les différents mets, tandis que Daphné ronchonne car la mousse de la bûche n'a pas la texture souhaitée. Mon père, tout comme moi, a préféré s'isoler à l'étage afin d'échapper à l'apocalypse. Il est sûrement en train de faire des pronostics pour les prochains matchs de football.
Une fois le dernier ruban posé, je souffle et m'allonge sur le dos. L'étape de l'emballage des paquets est pour moi plus éprouvante que celle que de la recherche des cadeaux. Je regrette l'époque où je faisais emballer directement les cadeaux en magasin de jouets, quand ma soeur avait encore l'âge de recevoir des Playmobil. Maintenant, en plus d'être exigeante, rien ne l'intéresse sauf les vêtements de marque et les derniers téléphones sortis.
Je remets le papier cadeaux en place et récupère une veste dans ma penderie. J'ai besoin de sortir un peu aujourd'hui, et de me couper du monde. Je mets mon téléphone sur mode avion, histoire d'ignorer les appels incessants de Alec depuis que je suis rentrée. Il n'est pas décidé à lâcher l'affaire. J'en viens à croire qu'il s'accroche à moi autant que je l'ai fait par le passé. Seulement, je suis persuadée qu'il le fait car je suis son nouveau défi du moment. Il ne peut plus m'avoir et ça l'agace.
Je trottine dans les rues de ma petite ville, les yeux parcourant les maigres décorations de Noël fixées aux lampadaires et au sapin de la place de la mairie. Les rues ne sont pas bondées de monde, les gens étant probablement chez eux à préparer le repas du réveillon. Mes pieds traînent sur le sol quand j'arrive devant l'immeuble où vit la mère de Alec et son nouveau mari. Un homme qui m'a toujours terrifié et qui cognait sur tout ce qu'il trouvait quand ça n'allait pas comment il voulait. Bien souvent Alec ou son grand-frère étaient sous sa main et c'était plus simple de s'en prendre à eux. C'est à cause de lui que j'ai pardonné tant de choses à mon ex petit-ami. Je savais ce qu'il endurait en rentrant chez lui, alors je parvenais à comprendre son caractère.
Soudain, mon regard se fige sur la porte d'entrée de l'immeuble. Alec est là, debout et le regard triste. Je baisse la tête priant qu'il ne me voit pas mais c'est déjà trop tard.
Bordel, qu'est-ce qu'il fiche là ? Je croyais qu'il ne voulait plus jamais revoir sa mère suite aux derniers débordements, il y a trois ans.
Il s'avance rapidement vers moi et j'ai beau essayer de prendre mes jambes à mon cou, mon corps est bloqué. Qu'est-ce qui m'arrive ? Ne me dîtes pas que le coup du regard triste fonctionne encore sur moi.
— Charline...je suis content de te voir, dit-il en se postant devant moi.
Bah t'es bien le seul à penser ça.
J'aurais dû rester dans ma chambre et ne pas sortir. J'aurais évité cette situation des plus gênantes.
Il ne dit plus rien, voyant que je ne réponds pas et se contente de me regarder calmement, baissant les yeux de temps à autres. Il semble être en situation de faiblesse et se tient le bras droit comme s'il avait mal. Comme s'il était cassé.
Je remarque également du sang sur sa lèvre inférieure. Qu'est-ce qui a bien pu se passer à l'intérieur ? Je ne comprends pas pourquoi il est retourné là-bas après tout ce temps. Si je connais une personne pire que Alec, c'est bien son beau-père. Alors que lui est-il passé par la tête pour bien vouloir y retourner ?
— Qu'est-ce que tu fais dans le coin ? Je croyais que tu vivais à Albi, je souffle à la fois curieuse et inquiète par son état.
Il fronce les sourcils et regarde volontairement le sol. Cependant, je peux tout de même voir une larme perler le long de sa joue. C'est peu courant venant de Alec, et j'ai peur que tout ceci ne soit qu'un autre rôle qu'il joue pour m'amadouer. Mais si quelque chose s'était vraiment produit à l'intérieur ?
— J'avais quelques affaires à régler ici. Avant de tirer une croix sur cette ville, dit-il d'une voix dure et sombre.
— Des affaires à régler...? je répète sentant que tout ça n'annonce rien de bon.
Il ne donne plus de réponse et se dégage de mon passage pour me contourner et partir.
Sûrement pas. Je dois savoir ce qui s'est passé. C'est sûrement stupide de ma part de me préoccuper de lui, mais ce n'est pas parce que j'ai été blessée par le passé qu'il n'a rien été pour moi. J'ai tourné la page, alors inutile de l'ignorer, surtout si ça ne va pas.
Je le retiens en saisissant son bras gauche. Il s'arrête net sous mon geste et me fixe, le regard plein d'incompréhension. Même moi je ne comprends pas ce que je fais.
— Tu veux bien me dire pourquoi tu es dans cet état ?
Il s'agite nerveusement et essaie de se dégager de mon emprise, mais je tiens bon, le forçant à affronter mes yeux.
— T'as aucunement besoin d'être mêlée à ça, crache-t-il.
— C'est toi qui es revenu dans ma vie sans prévenir. Tu me harcèles d'appels tous les jours et tu voudrais que je ne sois pas mêlée à ce qui t'arrive. Que tu le veuilles ou non, je fais partie des rares personnes qui savent ce que tu as vécu ici, je m'explique en soutenant son regard.
Il souffle et s'assied sur le bord du trottoir, tout en continuant de tenir son bras droit.
Je m'assieds à côté de lui et pose le bout des doigts sur son coude, mais les retire immédiatement quand je le vois grimacer. Il doit aller voir un médecin, mais je sais qu'il ne voudra pas. Alec a toujours été dur avec son corps, supportant tout ce qu'on lui infligeait. Le jour où sa jambe a traversé une porte en verre, il n'a rien voulu savoir et a préféré se soigner seul.
— Pourquoi est-ce que tu es revenu chez eux ? Je croyais que tu en avais fini avec tout ça.
Il soupire avant de regarder droit devant lui et de s'expliquer.
— Elle m'a appelé il y a deux mois, en pleurs. Rien n'allait et même si à l'époque, elle le laissait faire, elle reste ma mère. Je ne pouvais pas la laisser sans aide.
Il marque une pause avant de reprendre en mordant sa lèvre inférieure, ouvrant un peu plus sa coupure.
— Je suis revenu en octobre. J'ai squatté chez quelques potes du coin en le surveillant de loin. Chaque geste, chaque sortie. Je devais savoir ce qu'il faisait. Bien-sûr il continue de boire, d'aller dans cet endroit où on sait tout les deux ce qui s'y passe, et le soir il rentre comme si de rien n'était.
J'essaie d'assimiler tout ce qu'il est en train de me dire, me rappelant de cette horrible endroit où Alec a dû aller le chercher un soir parce qu'il n'avait plus de quoi payer.
— Un soir, j'ai surpris une violente dispute par la fenêtre. Il la frappe. Je ne suis plus là pour prendre les coups alors il s'en prend à elle. Toutes les conneries qu'il a dit le jour de leur mariage, ce n'étaient que des mensonges. Il fait du mal à ma mère ! crie-t-il les larmes aux yeux.
Je sursaute en l'entendant hausser le ton. Puis je commence à mettre en ordre toutes les pièces du puzzle. J'assemble les coins cherchant à comprendre ce qui s'est passé. Il est blessé. A-t-il voulu s'interposer entre lui et sa mère ?
— Qu'est-ce qui s'est passé Alec ?
— Ce soir, je devais les rejoindre pour un simple repas de Noël, mais j'ai pas pu attendre. J'y suis allé plus tôt, et il était là, à encore la frapper et elle, elle ne disait rien, sûrement par habitude. J'ai voulu lui sauter dessus, mais elle m'en a empêché. Pourquoi m'appeler si elle ne veut pas que je fasse quelque chose ? Elle a attendu que ce connard me pète le bras pour me demander de déguerpir. Elle y est encore, et je suis sûr qu'il continue, dit-il en sanglotant et en prenant appui sur mon épaule.
Je passe ma main dans ses cheveux, par pur réflexe, tandis que mon autre main se calle sur son dos. Je me sens mal en le voyant comme ça, mais c'est différent de l'époque. Avant je l'aurais laissé faire ce qu'il voulait par amour, et aujourd'hui je veux juste l'épauler un peu, comme une amie.
Il relève la tête et soudainement, je sens ses lèvres se presser contre les miennes. Je recule subitement, lui donnant une gifle et m'essuyant la bouche d'un revers de manche. Il a encore cherché à profiter de ma gentillesse.
— Je suis désolé. Je sais pas ce qui m'a pris, dit-il en se massant la joue.
Je ne veux pas entendre ses excuses. Je ne veux plus rien savoir à son sujet. Il va falloir que ça rentre dans ma tête et que ça n'en sorte jamais. Je suis faible avec Alec, je reviens à chaque fois mais là ça devient trop lourd. Il sait que je ne l'aime plus, mais que je veux son bonheur alors il en profite.
— Il va falloir que tu passes toi aussi à autre chose, je lui lance en m'éloignant de lui de quelques mètres.
— J'ai essayé, mais j'y arrive pas. Quand je te vois avec ce type, ça me rend malade, pleurniche-t-il les poings serrés.
— La faute à qui, hein ? Regarde-toi deux secondes dans un miroir et pose toi cette foutue question, je lâche, laissant les derniers morceaux de haine que j'ai envers lui, sortir.
Il me regarde en écarquillant les yeux, ne s'attendant pas à ce que je sois aussi directe et froide avec lui.
— Vous sortez ensemble, n'est-ce pas ?
— Absolument pas, je mens pour me protéger.
— Je sens qu'il se passe quelque chose. Il t'a toujours regardé avec cet éclat stupide dans les yeux. Mais il n'est pas pour toi. La médiatisation, l'hystérie des fans. C'est pas toi, dit-il pour me faire réagir.
Au fond, je sais qu'il a raison et que je me suis lancée dans un pari compliqué. Mais il n'a pas le droit de tout remettre en question, tout simplement parce que je ne veux pas de lui.
— Comment tu peux savoir ce qui est bon pour moi, hein ? Tu as tout détruit sur ton passage, alors rien ne peut être pire que toi, je m'énerve en faisant des gestes avec les bras.
Je ne le laisse même pas me répondre et m'enfuis en courant. Plus vite je serais rentrée chez moi, mieux ça ira.
J'arrive devant ma maison, le visage dégoulinant de sueur et le coeur battant à mille à l'heure. Je suis essoufflée, mais également à moitié vide et perdue. Alec m'a retiré une partie de mon bonheur en une fraction de secondes. Bien-sûr, j'aime Olivio, mais est-ce que je ne me convaincs pas d'aimer tout ce qui vient avec lui ? Je suis terrifiée par les dégâts causés par les médias, les fans toxiques et les rumeurs. Nombreux sont les couples qui explosent à cause de tout ça, et j'ai peur qu'un jour ça se sache ou que j'implose de l'intérieur car j'en aurais assez de tout garder pour moi. J'en aurais probablement un jour assez de ne pas pouvoir vivre une vie de couple classique.
Je m'assieds contre ma murette, la tête entre mes mains. C'est le premier réveillon où je me sens si étrange, si perdue, mais si amoureuse. J'aurais aimé que Olivio soit là, ou au moins pouvoir lui parler de mes craintes. Mais je ne veux pas l'effrayer et peut-être que tout ça me passera quand j'aurais pleinement confiance en notre histoire, une histoire qui j'espère va durer encore pour quelques chapitres, voire quelques tomes. Tout ce que je sais, c'est qu'il aura laissé une trace indélébile dans mes veines.
Nos sentiments, nos douleurs, notre passions couleront dans mes veines à jamais.
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Chapitre qui change d'habitude aujourd'hui. J'ai eu envie de vous faire découvrir un peu plus le personnage de Alec, car oui il n'est pas juste un connard fini. Je pense que chaque personne sur cette planète n'est pas ce qu'elle est de naissance et est forcément marquée par quelque chose dans son passé. Alors autant que les personnages de roman collent à cette réalité.
Mais promis, le chapitre suivant risque d'être beaucoup plus intéressant....Je dis ça je dis rien.
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