37. « J'ai failli ne plus être là »

Nous marchons le long de la Garonne, qui dessine une image imparfaite de la Lune haute dans le ciel. Oli n'a pas encore daigné m'adresser un mot. Tout n'est que silence depuis que nous avons quitté mon appartement. Pourtant, je l'entends se poser mille et une questions. Sa tête fourmille d'idées plus tristes les unes que les autres. Il se demande si je ne joue pas avec lui depuis le début et que c'est pas finalement Alec qui m'intéresse. Il se demande s'il ne me plait pas et que c'est pour ça que j'ai peur d'aller plus loin. Il s'imagine même que je me force à rester avec lui, par pure pitié.

Il est si loin de ma vérité, de ce fardeau qui m'empêche d'avancer et ce depuis deux ans. En quittant Alec, je me suis délestée d'un poids mais j'ai accepté d'en porter un plus lourd sur les épaules. La solitude guidée par la peur.

Si je fais un parallèle entre mes deux histoires d'amour, à ce stade elles sont assez similaires. Un garçon que j'aime et qui me le rend. Mais l'une a basculé dans la soumission. Qu'en sera-t-il de l'autre ? Non pas que je pense qu'Olivio ait un caractère autoritaire, mais je le pensais aussi pour Alec. Il a commencé à se montrer rabaissant, faisant de moi un être docile, juste après que je me sois offerte à lui. D'où ma peur d'aller plus loin avec le rappeur. On pourrait dire comme ça que je n'ai pas confiance en Olivio, mais c'est plus subtil que ça. Je suis effrayée car j'ai trop confiance en lui.

Mon petit-ami s'arrête subitement devant moi, et je heurte sa poitrine.

Je...pardon, je balbutie en reculant.

Il se rapproche de moi et soulève mon menton de sa main droite. Il cale l'autre sur ma taille et me supplie du regard de lui expliquer ce qui se passe. Tout allait si bien avant que je ne discute avec Emma.

Les larmes me montent aux yeux, tout comme la nausée m'envahit. Je ne peux pas. Ce serait admettre que j'ai été le pantin de Alec pendant plus de deux ans.

Je recule à nouveau, me détachant de Oli, puis me tiens le poignet droit, encore fébrile bien que le temps soit passé par là. Les images de Alec m'attrapant par le poignet ressurgissent. Bien qu'il n'ait jamais été violent avec moi, je ne peux m'empêcher d'associer ce geste à un mouvement moment. Sûrement parce qu'il le faisait avant de me faire sentir comme une moins que rien.

Je sais bien que tu évites le sujet, mais je dois savoir ce qui se passe. Pourquoi tu sembles si dévastée depuis ta petite discussion avec Emma ? commence à s'énerver Olivio.

Je ne l'ai jamais vu comme ça. Est-ce qu'il est en colère contre moi ou contre ce qu'Alec aurait pu faire ?

Je commence à sangloter.

Tu ne comprendrais pas. Moi-même je ne saisis pas pourquoi j'ai fait ça.

Son visage transpercé par la colère change du tout au tout. Il est à présent accablé par la tristesse. Il a alors un mouvement de recul et il pose une main sur sa poitrine.

Je veux prendre la peine de comprendre, dit-il d'une petite voix.

Il se contient. Il empêche sa peine de sortir. Mais quelle peine ? Il ne sait encore rien.

Je te dégoûterais, je souffle en séchant mes larmes.

Il avance brusquement vers moi et plante son regard dans le mien.

Je peux tout, mais pas éprouver du dégoût pour toi. Quoique tu aies fait, je veux essayer de comprendre, commence-t-il. C'est Alec ?

J'acquiesce d'un signe de tête et j'aperçois des larmes lui monter aux yeux. Pourquoi ? Il ne sait rien, alors il ne peut pas déjà réagir comme ça. J'ai sûrement loupé quelque chose, une interprétation.

Quand est-ce que ça s'est passé ? me demande-t-il d'une voix douloureuse.

Il y a quatre ans...pendant deux ans à peu près, je réponds d'une voix très aiguë.

L'incompréhension se lie à présent sur son visage. À quoi pensait-il ? Il a l'air à moitié soulagé, mais je sens également une pointe de peur. Est-ce que je l'effraye ou a-t-il peur de ne pas pouvoir m'accepter avec mon passé ?

Je suis à deux doigts de tomber au sol, vidée de toute énergie. Aimer quelqu'un est-il obligatoirement douloureux ? Mes expériences m'ont montré que oui, mais mes deux histoires sont totalement différentes sur le sens de cette douleur. D'une part, j'ai souffert à cause du garçon que j'aimais. De l'autre, je souffre de le perdre.

IL FAUT QUE ÇA SORTE.

Je prends une profonde inspiration, entrouvre la bouche et pousse un cri de douleur. Heureusement que cette rive de la Garonne est particulièrement calme ce soir.

Olivio se jette sur moi et me serre contre lui. Ce geste si anodin est mon signe de départ. Le feu tricolore est passé au vert.

J'ai failli ne plus être là, je dis à demi-voix.

L'étreinte de Oli se resserre mais il ne pipe pas mots. Il veut me laisser faire à mon rythme.

Un soir je me suis sentie si inutile, je poursuis les larmes perlant sur mes joues. J'ai cru tout ce qu'il me disait, et j'ai trouvé du réconfort au contact froid d'une autre vie.

J'ai voulu en finir. Mais c'est trop dur à dire à haute voix. Alec rejetait son mal être sur ma peau et inoffensive, je n'y ai vu que du feu durant deux ans. Je croyais que c'était sa façon de m'aimer, mais c'était sa manière de ne pas sombrer. J'étais la pantin et lui, le marionnettiste.

Je ne parviens pas à en dire plus et sombre à mon tour dans le silence, délestée d'une partie de noirceur qui s'évapore peu à peu dans l'air.

Les bras qui m'entouraient disparaissent et ses lèvres viennent s'écraser sur les miennes. Ce baiser est tellement différent, chargé de rage, de tristesse, de passion, le tout soudé par mes larmes. C'est comme si ce que je venais de dire s'envolait.

Ce soir, tu ne restes pas seule, dit-il tout contre mes lèvres.

Mes lèvres frémissent.

Il ne se passera rien. On a juste besoin l'un de l'autre.

Je colle ma lèvre supérieure à ses lèvres pour acquiescer.

Je ne te laisserai pas quitter cette vie, poursuit-il avant de me prendre par la main.

Une demie-heure plus tard, je suis assise sur le canapé de Olivio, gênée et enveloppée dans une couverture. Je suis gelée, bien qu'il ait allumé tous les radiateurs. La peur me donne froid. On pourrait se demander pourquoi j'ai peur, mais en réalité c'est simple. Je viens de me déshabiller en partie devant lui et quel sera l'impact lorsque je dévoilerais la pire ? Je suis restée vague ce soir et sans doute n'aura-t-il jamais besoin de comprendre comment j'en suis arrivée là. Du moins je l'espère. J'ai peur de sa réaction et instinctivement, bien que je ne le devrais pas, j'ai envie de laisser Alec en dehors de cela. Je veux lui éviter le moindre ennui. Il a été mon premier amour et ça, rien ne pourra y changer.

Tu es encore gelée, remarque Olivio en posant une main sur ma jambe.

Je frémis au contact de sa paume chaude, et cache mon visage qui s'empourpre, sous la couverture. Je feins d'avoir froid aux joues, alors qu'elles sont brûlantes. Mon corps est une contradiction à lui seul. Il refuse le contact mais le désire ardemment.

Tu ne vas quand même pas rester ici ? poursuit-il en désignant le canapé.

Je ne vais quand même pas dormir dans son lit...avec lui.

C'est prévu, je murmure en laissant mes yeux sortir de sous la couverture.

Le rappeur répond rapidement négativement de la tête et attrape ma main droite, puis la porte à sa bouche. Il souffle alors sur ma paume afin de la réchauffer.

Je serais très bien ici, j'insiste.

Ni une ni deux, je n'ai pas le temps de répondre et me trouve sur son épaule, portée comme un vulgaire sac de pommes de terre.

J'essaie de protester en me débattant, mais rien n'y fait.

Arrête. Tu vas te blesser. Dois-je te rappeler que je ne suis pas un poids-plume ? je grommelle en regardant mes formes développées.

Il ne répond pas et peine à m'amener jusqu'à sa chambre où il essaie de me déposer délicatement sur son lit. Réalité, je tombe brusquement, ses bras lâchant.

Ça va ? s'inquiète-t-il.

Je te retourne la question, je ris en le regardant se frotter l'épaule. J'avais prévenu.

Il me rejoint alors sur son lit et saisit mon visage pour m'embrasser. J'y réponds instinctivement, guidée par mon corps en demande. Mes doigts se glissent dans sa nuque et sentent rapidement les frissons. J'ai oublié que j'avais les mains glacées. Ses doigts viennent attraper mes cheveux, tandis que ses lèvres descendent doucement dans mon cou et je frémis à leur contact. Puis soudainement, il s'arrête et me regarde.

Désolé, s'excuse-t-il.

Quoi ? Pourquoi ?

Je t'avais promis que je ne ferais rien et je...j'ai joué au mec.

Je lui souris, puis prends sa main droite dans la mienne avant de poser sa paume sur ma poitrine.

Tu le sens ? Certes, c'est un peu tôt, mais si tu avais agi contre ma volonté, il ne battrait pas comme ça, je lui explique en pressant sa paume contre mon cœur.

Il me rend alors mon sourire, puis embrasse mon front délicatement. Il se lève et quitte la chambre, pour aller à la cuisine. Apparement je dois manger.

Toujours assise sur son lit, enroulée dans une couverture, je regarde tout autour de moi, le cœur battant à tout rompre. Sa chambre est neutre, sans chichi. Je n'ai même pas l'impression d'être dans sa chambre.

En balayant la pièce, je suis interpelée par une photo posée sur sa table de chevet. C'est son exemplaire de notre photo, avec une inscription au dos.

« La page est trop mouillée, donc tourne-la. » Je l'ai tournée.

Je ne sais pas quoi penser de ce que je viens de lire. Je devrais certainement me réjouir de savoir qu'il me prend au sérieux, au point d'écrire une nouvelle page du roman de sa vie avec moi, mais ça me rappelle aussi qu'il a souffert de sa précédente relation. Il m'en a parlé une seule fois. Devant la maison. Estelle, un prénom qui ne veut rien dire pour moi, mais qui signifie énormément pour lui.

Je repose la photo à sa place en l'entendant revenir dans la chambre, et m'assieds à nouveau sur le lit.

Tu as déjà fini ? je demande nerveusement, les mots du cliché toujours en tête.

J'ai commandé, oui. La cuisine et moi ça fait deux.

Je détourne le regard, sans répondre.

Ça va ?

— Oui, pourquoi ça n'irait pas ? je me précipite de répondre.

Avec ce que tu m'as confié tout à l'heure, peut-être que ça ne..., commence-t-il. Tu sais que tu comptes pour moi ?

Il me rejoint sur le lit et me prend les mains, avant d'en caresser les paumes de ses pouces.

La photo sort subitement de ma tête, me permettant de me concentrer sur ce qu'il vient de dire. Je le savais plus ou moins mais l'entendre de sa bouche est extrêmement bizarre.

Tu sais, ce soir tu t'es confiée, alors j'aimerais moi aussi t'avouer quelque chose.

J'ai peur. Je deviens rapidement nerveuse.

Quand on a pris cette photo, je l'ai volontairement gardé.

Je fronce les sourcils.

Quand tu t'es retournée pour qu'on prenne la photo, j'ai senti quelque chose de spécial. Il fallait qu'on apprenne à se connaître. Mais jamais je n'aurais imaginé que ça aille aussi loin.

— Tu...tu regrettes ?

— Bien-sûr que non. Je pensais simplement qu'on serait juste des amis. Et tu m'as embrassé, dit-il en riant.

Je fais la moue. Donc c'est de ma faute s'il est piégé avec moi.

Une des meilleures choses que tu aies faites.

— Merci pour l'estime que tu as à mon sujet. Ma plus belle action est d'avoir embrassé quelqu'un, je ramage dans ma barbe.

C'était maladroit, poursuit-il en grimaçant.

Il ne me laisse pas le temps de me moquer de lui et se jette sur mes lèvres.

Mais je comprends tout à fait ce qu'il a voulu dire. Nous représentons tous les deux la bouée de sauvetage qui a aussi l'autre de la noyade. Chacun a permis à l'autre de garder la tête hors de l'eau, et c'est sûrement pour cette raison que nous allons encore parcourir un bout de chemin ensemble. Jusqu'à ce que l'un de nous aille mieux.

Ou que nous devenions indispensables l'un à l'autre, empruntant alors notre chemin.

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On peut dire que j'ai été beaucoup plus rapide pour écrire cette fois. Je promets de poster un chapitre par semaine à partir de maintenant (au moins)

NB : Je sais bien que l'ex petite amie de Oli ne s'appelle pas Lise, mais je trouvais juste de ne pas utiliser son vrai prénom : déjà parce que je ne la connais pas et ne peux pas lui dessiner un personnage fidèle et aussi parce que je trouve bien de laisser hors de tout ça. Les personnages de Lise et de sa véritable ex n'ont rien à voir.

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