31. « Je veux te voir »
Mon bus vient d'arriver à la gare routière de Metz, après plusieurs heures de route, suite à ma correspondance depuis le train.
Les vacances de la Toussaint sont enfin arrivées et me voilà à nouveau dans ma région natale, le cœur à la fois rempli de revoir ma famille et mes amis, mais vide de laisser Emma, avec qui je me suis réconciliée tout doucement ces trois dernières semaines. Trois semaines où les vérités ont éclaté, où l'on s'est torturé en essayant de se comprendre. Trois semaines où je me suis torturée à oublier cette histoire avec Olivio. La première semaine, il n'a cessé de frapper à ma porte, et de m'appeler, même lorsqu'il était en répétition pour la suite des dates de la Vie de Rêve. Les deux semaines suivantes, c'est moi qui ai regretté ses appels, ses messages sur ma boîte vocale. Je ne sais plus ce que je veux.
Je récupère ma petite valise dans la soute, et avance doucement vers le petit parking. Mes parents sont adossés à notre Citroën C4 rouge et Daphné est assise à l'intérieur, ses écouteurs vissés dans ses oreilles.
Mon père m'ouvre ses bras lorsque je l'atteints et je m'y glisse sans broncher. Viens le tour de ma mère que j'embrasse sur la tête, étant beaucoup plus grande qu'elle. Je frappe ensuite au carreau de la porte passagère, cherchant à interpeller ma petite soeur. Daphné fait mine de ne pas m'entendre, à moins que Jul ne crie trop fort dans ses oreilles. J'abandonne après quelques secondes, et me glisse à l'arrière de la voiture, laissant mon père ranger mes affaires dans le coffre.
Le trajet se fait sans trop de bruits. Ma mère semble avoir mille questions pour moi, mais mon père la prie d'attendre que nous soyons rentrés. Ma maison m'a beaucoup manqué, ma chambre et ses couleurs rassurantes, mon armoire noire et ses miroirs, mon grand lit et la vue sur les jardins voisins depuis ma fenêtre.
La voiture se gare dans la descente de garage, et déjà j'aperçois des têtes connues dans la partie jardin de devant. Ils sont presque tous là. Agathe, Alessa, ma grand-mère maternelle, ma tante qui est accessoirement ma marraine, son mari et mes deux cousines. Seule Elie n'a pas fait l'effort de se déplacer.
Je descends de voiture et cours vers tout ce beau monde. J'embrasse chacun, en terminant par mes deux amies, dont Alessa qui est venue depuis Nancy.
— Une revenante ! Qu'est-ce que ça fait de remettre les pieds en Lorraine ? plaisante Agathe en posant ses mains sur mes épaules.
— Un bien fou. L'atmosphère devenait pesante sur Toulouse.
Mes deux amies se lancent des regards interrogateurs.
— On en parlera plus tard, non ? je lance timidement.
— Ne te défile pas, Charline. Tu connais mon immense curiosité ? Parle, s'impatiente Agathe en me prenant à part.
Je n'ai pas d'autre choix que de suivre Agathe, Alessa sur mes talons. Elle me conduit sous l'abri-bois, et me pousse contre la pile de bois. Je suis piégée entre l'écorce et les regards curieux de mes amies.
— Me fais pas croire que c'est uniquement cette histoire avec Emma qui te rend si mal, intervient Alessa.
— Je vais bien les filles. Justement, on s'est même réconcilié avec Emma, je lâche pour qu'elles laissent tomber le sujet.
Et ça fonctionne. Aussitôt elles me demandent mille et une explications au sujet de notre réconciliation. Je n'omets rien. La soirée où Allie m'a appelé pour que je vienne parler à Alec, la surprise de Oli sur la façade de l'hôtel de ville. Enfin, je dissimule le plus important : mon baiser à sens unique avec Oli et le fait qu'on ne se parle plus depuis.
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Quelques heures plus tard, ma mère débute un petit apéritif pour fêter mon retour pour une semaine chez moi. Elle a demandé à tout le monde de rester dîner et j'ai droit à diverses questions sur le début de mes cours. Bien entendu, la fameuse question du célibat n'a pas été mise de côté et aussitôt, plusieurs paires d'yeux sont braquées sur moi, dont deux plus particulièrement pressantes.
— Rien de nouveau de ce côté-là, je réponds assez rapidement.
Est-ce que je me mens à moi-même ? Sûrement, car il y a tellement de nouvelles choses à ce sujet. Certes, je suis bien seule, mais au fond je sens que tout est différent depuis mon arrivée sur Toulouse. Je pensais y aller uniquement dans le but d'obtenir mon diplôme, mais jamais on ne m'aurait laissé penser que je rencontrerais un garçon auquel je m'attacherais autant.
— Tu ne vas pas laisser Alec gâcher ta vie amoureuse, grommelle ma marraine.
Pour la première fois, je ne suis pas blessée par cette remarque, car elle est devenue fausse. Peut importe ce qu'Alec pourra bien faire pour se mêler de ma vie, je ne serais plus touchée par sa présence, car j'ai finalement compris qu'il a plus besoin de moi que je n'ai besoin de lui. En fait, il est devenu un simple grain de poussière qui s'accrocherait au tissu de ma veste.
— Elle n'a pas besoin d'un homme dans sa vie. Le travail avant tout.
Une phrase typique de ma grand-mère.
Et tandis que tout le monde tente d'imposer ses arguments pour la contrer, je m'éclipse tout doucement vers le jardin, ma veste d'automne sur le dos.
Je m'assieds sur une des chaises de notre salon de jardin et dégaine mon téléphone, après avoir passé ma capuche sur ma tête. Il fait légèrement froid, et malgré les picotements dans mes doigts, dus à la fraîcheur de cette fin de mois d'octobre, je parviens à accéder à mon compte Instagram. Oli a fait plusieurs stories, que j'ouvre. C'est enfin ce soir que les deux frères Toulousains se lancent dans le plus gros concert de leur carrière jusqu'à maintenant. Un show à l'U Arena.
Un petit pincement au coeur s'empare de moi. J'ai très envie de lui souhaiter bonne chance, mais je ne sais que je ne le ferais pas. Une amie nommée fierté me l'interdit.
Je soupire. Cette situation est pesante et je ne peux m'en prendre qu'à moi. J'ai été stupide de l'embrasser, mais aussi stupide de ne pas m'expliquer avec lui. Une excuse potable et bien brodée m'aurait suffi. J'aurais dû mettre ça sur le compte du stress suite à l'altercation avec Alec.
— Désolée du retard, Charline. Je bossais cet aprem, me souffle une voix venant du trottoir devant chez moi.
Elie est debout devant moi, ses cheveux coupés en un carré et du crayon en ras de cil inférieur. Elle a beaucoup changé depuis la dernière fois qu'on s'est vu.
Je pose mon téléphone sur le côté, surprise par sa présence. J'ignorais que ma mère l'avait invité, étant donné qu'elle ne donnait pas de signe de vie depuis longtemps.
— T'as l'air vraiment heureuse de me voir, pouffe-t-elle en s'avançant vers moi.
Elle me tend la main, sa manière à elle de saluer ses amis, puis s'assied sur la chaise voisine.
— Qu'est-ce qui te tracasse Rouxy ?
Quel fabuleux souvenir ! Une histoire qui date de la période où je m'étais teint les cheveux en roux avant de me rendre compte que ce maudit soleil ne fasse réapparaître le blond de mes longueurs. Un blond contre lequel je me bats depuis des années, car j'ai l'impression d'avoir un tie and dye.
— Pourquoi veux-tu que quelque chose n'aille pas ? je demande niaisement.
— Parce que d'ordinaire tu aurais rétorqué à ma petite pique.
Elie n'a absolument pas tord. On se connaît depuis l'école maternelle et chacune a appris à prévoir les réactions de l'autre. Chose qui est parfois agaçante, comme dans le cas présent.
Le problème est que je n'ai jamais abordé les sujets de cœur avec Elie. Ça a toujours été notre sujet tabou, elle n'ayant pas d'expérience et moi, ayant peur d'être incomprise. A l'époque, j'avais totalement étouffé l'affaire Alec et encore aujourd'hui, elle en sait très peu.
— Imaginons que tu te sois disputée avec une personne que tu apprécies, et que votre relation soit tendue, je commence péniblement.
Elie plonge son regard dans le mien, dubitative.
— On parle d'un garçon là ? dit-elle gênée.
— Non non. D'une amie, je mens.
Son regard s'apaise, signe que j'ai le feu vert pour poursuivre.
— Et j'ai envie de féliciter cette amie malgré la situation. Est-ce que je le fais ou est-ce que c'est déplacé ?
Elie se met à rire très franchement, comme pour se moquer de moi.
— Est-ce qu'il t'arrive de réfléchir parfois ?
Qu'est-ce que je suis censée comprendre ?
— Tu veux que cette amie t'en veuille encore plus ou quoi ? Bien sûr que tu lui dis ! s'énerve-t-elle en se levant.
Au moins ça a le mérite d'être clair.
— Je te laisse féliciter cette amie. Moi je vais à l'intérieur.
Je regarde Elie ouvrir ma porte d'entrée, avant de la couper dans son élan.
— Attends Elie.
Elle me regarde tout en arquant un sourcil.
— Tu m'as vraiment manqué.
Elle me répond d'un petit sourire avant de s'enfoncer à l'intérieur de ma maison. J'entends simplement Agathe et Alessa sauter de joie, avant que la porte ne se referme.
De mon côté, je tiens fébrilement mon téléphone, le coeur battant tellement fort qu'il pourrait détruire ma cage thoracique. Je n'ai pas d'autre choix que de faire face à ma fierté et parler à Oli.
Je vais dans ma liste de contacts et appuie sur son prénom, les mains tremblantes. Est-ce l'effet de la peur d'être rejetée ? Mon index tremble, semblant hésiter entre un message ou un appel. Mon cerveau me dit que le message est moins risqué, plus rassurant. Mais mon coeur me jure que si je l'appelle, il comprendra que je souhaite vraiment être avec lui ce soir, cachée dans un recoin de son esprit.
Je ferme les yeux, décidée à laisser le hasard choisir pour moi. Mon doigt se pose aléatoirement sur l'écran de mon téléphone. J'entends une sonnerie. Et merde, l'appel téléphonique a gagné.
Trois sonneries et toujours aucune réponse. Au moins, je suis assurée qu'il ne veut pas me parler, mais qu'il saura que moi j'en ai eu envie. Il sera responsable de la non avancée de notre amitié. Du moins, pour ce soir.
— Charline...? souffle Oli à l'autre bout du téléphone.
Oh bordel de merde. Où est-ce qu'on signe pour disparaître ?
— Raccroche frère. On monte dans trente minutes ! un homme crie à Oli.
Vas-y, écoute le.
En fait non. J'ai besoin de te parler.
— Tu as sûrement fait une fausse manip'. Au re...
— Non, attends ! je crie d'une voix fluette.
— Charline ? T'es bien là ?
— Oui, je...
— Si tu savais comme j'ai attendu que tu m'appelles. J'ai cru que tu ne voudrais jamais me revoir, s'exclame Olivio apparemment heureux.
Je suis comme figée par ce qu'il vient de dire. Alors moi aussi je lui manque ? Sûrement d'une manière différente, mais c'est déjà un début. Non pas que je sois amoureuse, parce que c'est faux, mais c'est assez différent pour que j'ai envie de l'embrasser à nouveau.
— Oui, je voulais te souhaiter un bon concert, je réponds timidement.
— Oh...
Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?
— Je croyais que...
— Tu croyais que quoi ? je répète.
— Que tu voulais me revoir.
— Oh, il y a de ça aussi. Bien-sûr que je veux te voir, Olivio. J'en ai envie depuis trois semaines, mais...je m'empresse de dire.
Je crois que j'ai été trop rapide dans mes propos. On dirait une folle furieuse.
— Mais tu regrettes de m'avoir embrassé et maintenant tu flippes.
Quoi ? Mais non.
Mais si ce n'est pas le problème, pourquoi est-ce que je l'évite depuis trois semaines ? Je n'ai vraiment aucune raison ? Je suis totalement illogique.
— Je ne regrette pas Olivio, j'explique calmement.
— C'était si bien que ça ? rit-il doucement.
Ce mec est totalement taré. On ne s'est pas parlé depuis trois semaines et il ose déjà des blagues sur un événement que je veux oublier.
— Je ne veux plus en parler, et tu le sais, je soupire.
— Oli, magne-toi. Tu parleras à ta petite Charline plus tard ! appelle un garçon derrière Oli.
— Tu dois y aller. Des milliers de parisiens t'attendent, je murmure.
— Oui, à plus petite crevette.
Il raccroche, me laissant seule dans le froid, mais avec un merveilleux sourire sur le visage.
Je n'ai pas souri comme ça depuis des années, depuis que j'ai appris à aimer.
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