28. « Je vais devoir me trouver une autre fille. »

Je boutonne ma veste en jean, empêchant le vent de s'engouffrer une nouvelle fois dans chaque recoin de mon corps. La soirée s'est rafraîchie, et pourtant je ne demande qu'à être dehors en ce moment. Oli a une manière tellement à lui de me présenter sa ville. Même un guide touristique n'y mettrait pas autant son cœur.

Nous descendons les quelques marches qui nous séparent de la Garonne, au niveau de la place Saint-Pierre et je m'assieds sur le bord bétonné, plongeant mon regard dans l'eau où se reflètent les étoiles. J'en oublie presque que je suis en ville, et le pont routier qui conduit de l'autre côté du fleuve est le seul à me le rappeler.

Olivio s'assied à côté de moi et laisse pendre ses jambes dans le vide, juste au-dessus de l'eau. Il regarde au loin, ses yeux se perdant de l'autre côté de la rive. Ce soir, j'ai l'impression d'être avec un ami et j'en oublie ma solitude de la journée passée. Une solitude qui m'a révélé une certaine inquiétude de Oli à mon égard. De quoi me perturber.

Tu viens souvent ici ? je lui demande en balançant mes jambes dans le vide.

Le rappeur tourne les yeux vers moi, et j'ai l'impression d'y percevoir un voile de nostalgie.

Quand j'avais le temps, oui.

Il souffle légèrement, et je regrette aussitôt ma question. J'ai la vague impression que cet endroit lui est cher, mais dans ce cas, pourquoi m'y avoir amené ?

Je ferme les yeux, et tourne doucement la tête pour éviter son regard pesant sur moi. Je me sens gênée, et mes jouent prennent soudainement une couleur soutenue.

J'aurais dû dire « quand je prenais le temps », poursuit-il.

Je le perçois comme une confidence et j'en oublie rapidement ma gène. Est-ce que lui serait prêt à me parler de sa vie privée ? Parce que moi j'en suis incapable, et je me demande sincèrement si un jour je trouverais le courage.

Depuis que ça marche avec Flo, on a une vie à 200 à l'heure. Entre l'écriture, les tournées, les télés, les radios, Visionnaire et j'en passe, commence-t-il. C'est une vie que j'ai choisi, je l'ai voulu d'une telle puissance, et je ne m'en plains pas, au contraire. Je voudrais que ça ne s'arrête jamais, mais...

Il fait une pause, prenant une grande inspiration comme si ce qu'il allait dire le consumait de l'intérieur. Les mots qu'il veut exprimer lui brûlent les lèvres.

Mais j'ai délaissé des amis. Tu n'imagines pas le nombre d'anniversaires et de soirées que j'ai loupé avec notre carrière. Je me considère comme une personne mariée à son travail, et qui ne vivra rien d'autre.

Il s'arrête et soupire, sa tête entre ses mains.

Je ne sais pas comment réagir, les mots ne sortent pas et je me sens de trop. Il ne me jette pas un coup d'œil et c'est comme s'il s'était confié à la Garonne et pas à moi. Est-ce que moi aussi je dois lui faire une confidence pour lui montrer qu'il n'est pas seul ? Est-ce que je dois lui dire que la vraie vie n'est pas si bien que cela ou je dois appuyer ce qu'il dit ? Je ne me suis jamais posée autant de questions pour répondre à quelqu'un. Moi, qui d'ordinaire ne fais pas preuve de tact et réponds rapidement sans réfléchir.

Mais est-ce qu'au final, la musique n'est-elle pas ta femme la plus fidèle ? je murmure, priant pour que ma voix se perde dans la nuit.

Olivio se tourne soudainement vers moi, un sourire amusé sur les lèvres.

Je te rappelle que je travaille avec mon frère, dit-il amusé. Donc t'es en train de me dire d'épouser Flo ?

Quoi ? Mais il détourne clairement mes propos là. J'y crois pas. Moi qui pensais l'aider en lui disant ça et voilà qu'il arrive à se moquer de moi. Il n'est pas croyable !

Je suis pas sûre que ce soit légal.

— Donc je dois épouser la ou le premier fan que je croise ? poursuit-il avec toujours le but de se moquer de ce que je viens de dire.

Sûrement pas. En l'occurence, la première fan qu'il croise c'est moi et je ne me verrais absolument pas mariée à lui. Mon âme sœur se trouve en Lorraine, et sûrement pas à Toulouse. Je serais donc forcée de dire « non » à sa demande.

Non plus. Tu te marieras avec une fille que tu aimes et qui est passionnée par ce que tu fais. Elle devra comprendre tes déplacements, et peut importe la distance, elle te supportera, je réponds avec tout mon sérieux. Ou un mec. Ne te ferme aucune porte.

Oli papillonne des yeux, et m'envoie un léger coup de poing dans l'épaule. Je feins alors la douleur, et me laisse tomber sur le dos, me tordant de douleur.

Je ne sortirai avec un gars que si Emrata en devient un, plaisante-t-il en m'aidant à me relever.

Emily Ratajkowski. Une femme qui file des complexes à des millions de filles.

C'est beau de rêver, je ris en regardant à nouveau l'eau de la Garonne.

Je te rappelle qu'elle m'a follow sur Instagram, ajoute-t-il en se levant.

Il me tend la main et m'aide à me lever à mon tour. Je me demande bien où il va m'amener.

Je suppose que son mari n'est qu'un détail.

Il me regarde et je sens qu'il cherche quelque chose à me répondre. J'imagine que je peux m'attendre à une réponse sur l'existence d'une chose qu'on appelle le divorce.

Alors je vais devoir me trouver une autre fille.

Je fronce les sourcils, honnêtement très surprise par ce qu'il vient de dire. Olivio serait donc assez réaliste pour se rendre compte que cette femme n'est que son épouse au fin fond de ses rêves. Enfin, bien sûr qu'il le sait, mais à une époque j'aurais juré qu'il aurait poussé la conversation plus loin.

Oli commence à marcher le long d'un chemin, entre l'eau et les arbres, regardant bien devant lui. Je le suis sans parler, bien que j'ai envie de savoir où on va. Il est après tout plus d'une heure du matin, et j'aimerais ne pas trop tarder à rentrer, bien que je ne sois pas trop loin de l'appartement.

Après quelques minutes de marche, le rappeur s'arrête devant un parc et y pénètre, puis s'assied sur un banc. Il ne prononce aucun mot, et je le rejoins timidement. Je me pose à une extrémité du banc et tourne la tête vers la route. De l'autre côté, une aire de jeu vide semble réclamer des enfants. Si j'avais été plus jeune, j'aurais sûrement aimé y jouer avec d'autres enfants. Un endroit de bonheur près d'un parc et de l'eau. Cela me rappelle l'aire de jeu du parc de la Seille de Metz. Des arbres, de l'eau et des familles.

Tu as une attache avec cet endroit ? je finis par lui demander pour rompre le silence.

Oui. C'est ici que je voudrais amener mes enfants.

Je me demande à quoi pourrait ressembler ses enfants. Je suis persuadée qu'ils aimeraient autant la musique, et j'espère qu'ils seraient aussi doux que lui.

Tu vois que tu n'es pas marié à ton travail.

Oli fronce les sourcils.

Tu arrives à te projeter dans l'avenir, donc tu n'es pas marié à ton travail, je m'explique en souriant.

Oli sourit à son tour, avant de pivoter sur le banc et de me regarder droit dans les yeux. Une bourrasque de vent passe dans mes cheveux à ce moment, et je mets sur son compte mes frissons.

Et toi ? Quel endroit tu aimes à Metz ? Je ne connais pas la ville, mais tu pourrais me décrire des endroits où tu apprécies aller, me dit-il.

De quels endroits je pourrais lui parler ? Il y en a tant, à commencer par le parc de la Seille, le plan d'eau où j'ai passé des étés avec des amis, où je jouais étant petite. Il y a aussi le lycée dans lequel j'ai étudié deux ans pour ma prépa, l'appartement de ma grand-mère où je dormais lorsque les journées étaient trop longues.

Soudainement, un autre endroit me vient en tête. Un endroit dont je n'ai jamais parlé à personne, et qui était mon petit coin secret lorsque tout s'est fini avec Alec.

Mon endroit préféré est sans hésiter le M-Tiss. C'est un café littéraire dans lequel j'ai souvent été ces dernières années, je réponds, les yeux souriants.

Je repense à ma place favorite, juste à côté de la vitrine, depuis laquelle j'observais les passants dans la rue. J'avais l'impression d'être privilégiée et d'avoir ce pouvoir de déceler les émotions des Messins qui marchaient effrénés, regardant droit devant eux pour éviter toute bousculade. Dans ce café, je n'ai jamais donné mon prénom. J'étais juste la jeune femme aux yeux bleus qui venait chaque samedi à la même heure, même place. Je discutais rarement avec les habitués, toujours plongée dans un livre, et pour le peu de fois où j'ai dû parler avec Tony, un octogénaire italien et grand lecteur du café, je disais m'appeler Romane. J'ai toujours apprécié ma tranquillité là-bas et j'espère trouver un endroit comme celui-là, ici.

Tu lis des livres d'amour, je parie.

Il a fallu qu'il casse mon merveilleux souvenir...

J'arque le sourcil droit et grogne dans ma barbe.

T'as tout faux. J'en n'ai pas lu depuis une éternité. Le dernier en date c'était Twilight tome 4, à l'époque du lycée.

Oli se rapproche de moi sur le banc et son sourire est tellement grand, que je le sens sans même vraiment le regarder.

Qu'est ce qui te fait sourire bêtement, comme ça ? je lui demande amusée.

Toi.

Moi ?

Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Tu ressembles à une fille romantique qui nage dans les livres à l'eau de rose, et j'apprends que tu n'as pas lu une romance depuis des années. Tu es une réel mystère, Charline, déclare-t-il en s'approchant tellement de mon visage, que nos nez se touchent presque.

Je recule tout doucement, manquant de tomber du banc et décide de répondre en tournant la tête vers les arbres du parc. Moi, un mystère ? S'est-il déjà vraiment regardé dans un miroir ? Ce garçon cache tellement de choses que j'ai besoin de découvrir, et c'est moi qui cache des secrets. Il apprendra bien assez vite que je suis tellement prévisible, que parfois, personne n'ose se dire que je vais faire ou dire quelque chose, tellement c'est évident.

Et les mystères ne sont pas tous bons à découvrir, tu sais, je lui réponds sans arrière pensée.

Il se gratte l'arrière de la nuque avant de poursuivre notre conversation.

Il y a des choses sur toi que je ne dois jamais savoir ? me questionne-t-il en cherchant mes yeux du regard.

Oh que oui. Des choses que j'ai moi-même du mal à m'avouer et qui sont mieux enterrées à des kilomètres sous nos pieds. Des choses dont j'ai honte, qui révèlent mes faiblesses et qui transformeraient mes imperfections en horreurs pour qui les regarderaient.

Pas spécialement. Je n'ai pas une vie trépidante.

Oli n'a pas le temps de me répondre. Il est rapidement coupé par mon téléphone qui vibre dans la petite poche avant de mon sac à dos.

Je le sors et y découvre un numéro que je ne connais apparaître sur mon écran. Il disparaît pour réapparaître lorsque mon correspondant tente de me joindre à nouveau. Ceci dure encore plusieurs fois avant que je ne daigne enfin répondre. J'espère vraiment que c'est important.

Enfin. Ne me dis pas que tu dors déjà !

— Allie ? je questionne en pensant reconnaître la voix de mon interlocutrice.

Il faut que tu rappliques illico chez Bastien, s'énerve-t-elle à l'autre bout du fil.

Je me tourne rapidement vers Olivio qui me fixe inquiet.

Je peux savoir pourquoi ?

— C'est ce type que Emma fréquente. Il a pété les plombs, et il dit qu'il ne veut parler qu'à toi.

Alec...qu'est-ce qui se passe encore avec lui ? Il ne sait toujours pas se tenir à carreaux.

Par téléphone, ça lui irait ? je demande timidement.

Non ça ne va pas. Viens, princesse.

Je reconnaîtrais cette voix entre mille, bien qu'elle soit différente. Combien de verres est-ce qu'il a bien pu boire ?

Je serais tentée de dire non à sa requête, mais je sais que Emma est là-bas, et j'ai bien trop peur qu'il s'en prenne à elle si je refuse.

Olivio s'agite à côté de moi, me toisant du regard.

Qu'est-ce qui se passe ? me demande-t-il d'une petite voix.

Je mets ma main sur le micro de mon téléphone.

Un ennui à une fête. On a besoin de moi. Tu veux bien m'accompagner ?

Il me répond positivement d'un signe de tête, et je redonne mon attention à Alec, qui s'énerve au téléphone.

Très bien, j'arrive. Mais je t'en prie. Reste calme.

Je raccroche et soupire. Moi qui voulais dormir, la nuit va encore être longue.

_______________________

Je sais, je n'ai pas posté pendant une semaine. Mais avec le boulot pour les concours j'ai pas vraiment le temps. Le temps entre chaque chapitre sera donc plus long, mais dans 4 semaines, plus de concours et vacances alors je n'aurais plus d'excuses.

Sinon, merci beaucoup ! On a passé les 3k de lectures et on arrive aux 400 votes. 😘.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top