2. « T'attends quoi pour recupérer la photo ? »
Nous sommes rentrées à l'appartement il y a quelques minutes. Emma court déjà partout, à la recherche d'une casserole dans nos cartons. Elle a envie que le repas de ce soir soit parfait. Et je la comprends. Sa mère l'a toujours vu comme une fillette incapable de prendre son indépendance, et ce soir, c'est le moment pour lui montrer qu'elle est capable de gérer un repas pour six personnes à elle seule.
De mon côté je trie les photos que nous avons prises cet après-midi et je les annote avec un feutre Sharpie noir. J'ai vraiment envie que ce cahier ait de la gueule. Finalement, je me dis que cette ville n'est pas si mal en parcourant les clichés. J'aime particulièrement ceux où Emma fait la star devant des bâtiments qui ont l'air simples, comme des maisons. Mais Emma les rend uniques. Une fois chaque photo annotée, je les colle dans l'ordre de prise.
Quand tout est collé, je parcours les pages du début de notre aventure ici, et fais un constat. Je ne suis sur aucune photo. La seule photo que j'ai prise aujourd'hui, je ne l'ai pas en ma possession, étant donné qu'il l'a prise avec lui. D'ailleurs, que va-t-il en faire ? Sûrement la jeter à la poubelle. Il m'a demandé cette photo parce qu'il m'a entendu aboyer, et c'est tout. Maintenant je réalise que j'aurais dû la lui réclamer, mais c'est trop tard.
Je me dirige vers la cuisine le cahier sous le bras, afin de le montrer à ma colocataire.
Emma a dressé ses cheveux en un petit chignon sur sa tête. Elle a la tête dans un livre de cuisine, et elle panique en voyant la quantité de choses à faire. Elle a décidé de se lancer dans un repas complexe pour quelqu'un qui ne cuisine jamais. Comme Emma.
— J'y comprends rien. Pourquoi je dois mettre de la ficelle sur la viande ? s'énerve Emma les mains dans la viande.
— C'est le principe des paupiettes, Emma. Mais pourquoi on n'irait pas en acheter tout simplement, au lieu de les faire ? je lui réponds en poussant son livre de cuisine qui manquait de tomber.
— Pour que ma mère me prenne pour une incapable ? souffle-t-elle contrariée.
— On t'a demandé d'être indépendante, pas de devenir chef cuisinier en deux jours.
Ma meilleure amie se met à rire, quand elle comprend l'ampleur que les choses ont prises. Emma a toujours été comme ça. Elle amplifie toujours tout, même ses émotions. Tout mon contraire.
— Tu sais quoi ? Je vais m'occuper de ça, et toi tu vas aller préparer les couchettes pour cette nuit.
La petite brune acquiesce et se dirige vers sa chambre, où mes parents vont dormir ce soir. De mon côté je décide de recycler la viande d'Emma pour la mettre dans des lasagnes. Ma spécialité.
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— Je ne me rappelais plus que c'était aussi grand, dit ma mère en entrant dans l'appartement.
Je la prends dans mes bras et l'embrasse sur la tête. C'est fou comme elle m'a manqué depuis hier.
Mon père entre juste après elle, suivi par Daphné, qui fait déjà la tête. Je m'attends à voir Mona, la mère d'Emma mais personne n'arrive après ma soeur. Je fronce les sourcils et me tourne vers mon père.
— Mona n'est pas venue avec vous ? je chuchote pour qu'Emma ne m'entende pas.
— Si si. Elle a juste dit qu'elle devait passer faire une ou deux courses avant de venir.
Faire quelques courses. J'aurais dû prévenir mes parents que Mona ne faisait pas des courses pour acheter des légumes, mais plutôt pour remplir ses réserves d'alcool.
Je me dirige vers le salon, où seul notre canapé-lit et une table basse trônent. Mes parents s'installent, et Daphné fixe le mur en face du canapé.
— Même pas une télé dans ce bled ?
Je lève les yeux au ciel. Elle n'a sûrement pas aidé mes parents à charger nos affaires, étant donné que ce sont eux qui m'amènent la télé.
Sentant la tension monter, ma mère décide d'intervenir.
— Vous avez déjà visité la ville ? demande-t-elle.
— Oui, cet après-midi. Charline a même pris des photos, dit Emma en entrant dans le salon tout sourire.
— Fais voir, dit mon père en me réclamant mon téléphone.
Je fonce à la chambre, et reviens avec le cahier dans les bras, puis lui tends. Il semble surpris du format des photos et commence à tourner les pages de mon recueil de souvenirs.
Je les regarde s'exclamer devant les paysages, puis m'éloigne doucement pour rejoindre Emma qui s'est isolée dans un coin du salon. Je sais ce qui la tracasse. Sa mère n'est pas là.
— Elle n'a même pas eu le courage de venir ? me demande-t-elle le regard perdu dans le vide.
— Elle est venue...elle est juste allée faire quelques courses...je murmure en sachant déjà quelle va être sa réaction.
Emma souffle. Elle est visiblement déçue par l'attitude de Mona. Et je la comprends. Sa mère lui a toujours reproché de ne pas être assez indépendante, mais au fond, Mona est aussi dépendante. Dépendante de l'alcool.
— Charline, pourquoi tu n'es sur aucune photo ? demande ma mère, rompant le silence dans la pièce.
Je m'apprête à répondre, mais Emma s'en charge. Elle a visiblement besoin de penser à autre chose et je la comprends, alors je la laisse faire. Elle s'avance avec un grand sourire jusqu'au canapé, prête à délivrer notre petite aventure de l'après-midi. Emma adore les ragots alors je sens qu'elle va prendre un certain plaisir à conter ma stupidité.
— A vrai dire, Charlie a fait une photo cet après-midi mais elle ne l'a pas récupéré...commence ma meilleure amie.
Mes parents froncent les sourcils et même ma petite-soeur semble intriguée par l'histoire.
— Vous connaissez Bigflo & Oli ? poursuit ma meilleure amie en me regardant en coin.
— Bah oui, quelle question ! répond ma soeur, qui vient de retirer ses écouteurs.
— Et bien, Olivio lui a demandé une photo et il est reparti avec...conclue Emma un grand sourire affiché sur les lèvres.
— Moi aussi je veux vivre à Toulouse ! s'écrie ma soeur qui vient de faire un bond.
Mes parents se mettent à rire de bon coeur, sûrement en repensant au fait que Daphné m'avait dit la veille que Toulouse était une ville merdique.
— Mais pourquoi est-ce que c'est lui qui a pris cette photo ? me questionne alors mon père, qui n'a pas encore compris que sa fille est stupide quand elle est nerveuse.
— J'sais pas...je crois que j'étais gênée par la situation et...j'ai pas vraiment réalisé.
Je commence à devenir rouge écrevisse mais heureusement pour moi, une entrée dans la pièce me sauve de la suite du questionnaire. Par contre le moment qui va suivre risque d'être plus angoissant pour Emma.
Mona vient de fermer la porte, un sac de courses sur l'épaule gauche et des poches sous les yeux.
Je fixe ma meilleure amie qui commence à se décomposer. Ni elle ni Mona ne sait comment réagir et je repense à toutes ces fois où Emma m'a sauvé de situations embarrassantes. Je décide alors de l'aider en avançant vers Mona pour prendre sa veste. Heureusement, elle ne sent pas l'alcool.
— Bonsoir Mona, je dis en lui faisant la bise.
Madame Subtil me répond par un léger sourire mais je sens que son regard est tourné vers sa fille qu'elle a quitté en froid hier matin. Cette situation est également devenue embarrassante pour moi, mais alors que je crois que ma mère va devoir venir à ma rescousse, Emma s'approche de nous et prend sa mère dans ses bras. Je soupire, soulagée. Moi qui avais peur que ça se passe mal, je vois que ma meilleure amie a réussi à prendre sur elle.
**************
— Bon, il se fait tard. On va aller se coucher, me dit mon père en m'embrassant sur la joue droite avant de tenter de m'embrasser la joue gauche.
— On s'était mis d'accord. Juste une joue, je dis en reculant et souriant.
Il me répond par un sourire et entre dans la chambre d'Emma où ma mère s'est déjà assoupie.
De mon côté je me dirige vers ma chambre, où j'y trouve Emma assise sur le matelas qu'on va partager cette nuit et Daphné qui va dormir sur un matelas gonflable. Je ferme la porte derrière moi, puis je ris face aux quatre yeux qui me scrutent.
— C'est l'heure de mon jugement ou quoi ?
Emma rit face à ma question, mais Daphné affiche toujours une mine sérieuse. On dirait qu'elle va me poser une question dont ma réponse va changer ma vie.
— T'attends quoi pour récupérer cette photo ? lâche-t-elle après quelques secondes de silence.
Je regarde Emma pour savoir si elle est dans la combine avant de répondre. Mais elle hausse les épaules, alors elle doit être aussi surprise que moi par la question.
— Je n'attends rien. Cette photo est perdue, et ça s'arrête là.
— Si tout le monde baissait les bras comme toi, la planète serait perdue, lance ma soeur visiblement froissée par ma réponse.
— Tu veux que je fasse quoi ? Que je lui envoie un message en disant "coucou, c'est la fille avec qui t'a pris une putain de photo, alors rends la moi !", je m'énerve.
— Un truc dans ce genre là mais sans le "putain" et le "rends la moi", acquiesce ma petite soeur en se redressant sur son matelas.
Je lève brusquement mes bras en l'air. N'importe quoi. Je ne comprends pas pourquoi elle insiste pour cette photo. C'est juste une photo, alors on ne va pas en faire un foin.
— Tu réalises qu'il reçoit des messages de fans en délire tous les jours ? je m'exclame en tournant le dos à ma soeur.
— Et donc t'as même pas envie de tenter ta chance ? Peut-être qu'il le verra.
— Laisse tomber...Emma aide-moi, je supplie.
Ma meilleure amie se lève, mais regarde ma petite soeur. D'accord, donc elle approuve ce que dit ma soeur. Mais je vais rester sur mes positions. Je ne lui enverrai pas de message. J'ai pas envie de faire partie de la liste des filles qui envoient des messages et qui pleurent parce qu'on ne leur répond pas.
— J'ai dit non, OK ?
— T'es vraiment défaitiste Charlie...grommelle Emma.
— Défaitiste non. Réaliste oui, je proteste.
J'entends ma meilleure amie et ma petite soeur souffler. Elles comprennent qu'elles ont perdu le combat face à moi. Je suis un soldat plus vaillant et résistant qu'elles.
J'enjambe Emma et m'allonge dos à elle, la tête tournée vers le mur. Les bras de Morphée m'accueillent.
**************
Je regarde mon téléphone. Il est 2h03. Tout le monde dort dans la chambre. Je fixe la fissure dans mon plafond.
J'essaie de me rendormir mais je n'y arrive pas...Puis je repense à une phrase assez connue de "Dommage".
— Vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets...je souffle pour moi-même.
J'ouvre Instagram et vais sur la page d'Olivio puis clique sur "écrire".
Après quelques minutes de réflexion, sans rien écrire, je décide de me jeter du haut de la falaise. Mon doigt se pose sur la première lettre puis les mots défilent. Je me relis puis finis par appuyer sur "envoyer".
Mon estomac se noue en voyant que je viens de le faire. Un instant, j'hésite à effacer le message, mais je me désiste.
Je verrouille mon téléphone et étrangement je m'endors rapidement.
Voilà. C'est fait.
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