18. « On n'a plus rien à se dire. »

Le taxi se gare devant une bâtisse assez imposante, située en périphérie de la ville rose. Je ferme ma veste en jean, histoire de camoufler mon t-shirt licorne, puisque Florian ne m'a pas laissé le temps de me changer.

La musique résonne jusqu'à l'extérieur, des lumières dansent aux fenêtres, des rires planent dans l'air, et l'alcool semble faire sa loi dans les veines des étudiants. Tout ce que je déteste et tout ce que ma meilleure amie adore.

Florian me pousse vers l'entrée, me faisant retrouver mes esprits, et nous nous arrêtons devant la porte, comme si nous étions censés sonner. Je soupire puis ouvre, avant de me faire envahir par l'odeur qui règne ici. C'est un mélange d'alcool, de cigarettes, de transpirations. Je réprime une nausée, puis pénètre dans la pièce qui semble être un couloir en temps en normal, mais qui est devenu un coin de speed dating. Je me frets un passage parmi les potentiels couples et atterris enfin dans le salon, où la fête bat son plein.

C'est ça une soirée d'étudiants intellos ? lance Flo en posant ses yeux sur un petit groupe qui fait tourner une bouteille de vodka parmi les individus.

Je hausse les épaules, car après tout je suis loin d'être une experte en soirée étudiante, puis parcours la pièce du regard à la recherche d'Emma ou au moins d'une tête connue.

Allie est assise sur l'accoudoir d'un fauteuil, une bouteille de bière en main et la tête qui bouge constamment d'avant en arrière. J'ignore si elle danse ou si c'est simplement un autre effet de l'alcool. Je m'avance tant bien que mal jusqu'à elle, puis remarque du coin de l'œil que Florian et Nathan se sont arrêtés en chemin pour regarder je ne sais quel jeu qui se déroule sur la table basse. Ça valait vraiment la peine qu'ils viennent ces deux-là.

Si on m'avait dit que Charline viendrait ici, ricane Allie à mon attention.

Sûrement l'alcool qui lui monte à la tête.

Je suis pas vraiment là pour m'amuser. Je chercher juste Emma, je réponds en gardant mon calme.

Le petit groupe attroupé autour de la jolie blonde se met à chuchoter, puis Allie prend la parole faisant taire tout le monde. On dirait une secte dont Allie serait la patronne.

Tu viens quand même pas la chercher ? Il est qu'une heure du mat', ronchonne la fille.

J'assiste à une soirée d'étudiants ou à un goûter d'anniversaire ? Parce que le trois quarts des gens ici parlent comme s'ils avaient trois ans. L'alcool fait des ravages tout de même.

Je veux juste voir si elle va bien, Allie.

Elle cesse de râler, puis regarde un à un les membres de son assemblée avant de se tourner à nouveau vers moi.

Elle est à la contre-soirée.

Une contre-soirée. C'est quoi encore cette invention ? je questionne en croisant les bras.

Ça veut juste dire qu'elle est dans le jardin, lâche un garçon qui est assis aux pieds du fauteuil.

J'arque un sourcil et décide de quitter ce beau monde pour trouver le jardin. Avant d'aller à l'extérieur je cherche du regard les deux garçons qui devaient m'aider à ramener Emma.
Florian est passionné par le jeu de cartes de la table, et Nathan a le regard perdu. Super. Je vais devoir la convaincre seule de rentrer. Autant dire que c'est perdu d'avance.

Ma meilleure amie est assise sur le bar du jardin, un verre dans la main rempli de je ne sais quel alcool et sourit à pleines dents à un garçon qui est de dos. Et même si je ne vois pas son visage, je suis persuadée qu'il s'agit de l'homme que j'ai en tête. Je serre les poings et prends une grande inspiration avant de foncer droit sur eux. Emma pâlit en m'apercevant.

Charline, qu'est-ce que tu fais là ? me demande-t-elle en posant son verre sur le bar.

Je ne réponds pas et fixe le garçon qui est de dos, attendant qu'il se tourne, mais il semble vouloir m'ignorer. Comme si je n'allais pas le reconnaître...

Bonsoir Alec, je souffle en grinçant des dents.

Il finit par se retourner, en jetant un coup d'œil à ma meilleure amie qui semble inquiète.

C'est dingue quand même, parce que j'aurais juré que vous ne vous aimiez pas.

Alec et Emma se regardent, avant que ma meilleure amie ne tende une main vers moi. Je recule brusquement pour éviter qu'elle ne me touche.

Epargne-moi tes explications. Je sais déjà tout et tu peux remercier Alec, je rage en gesticulant.

Emma ne semble pas comprendre où je veux en venir et lance un regard surpris à mon ex. Je vois les larmes qui lui montent aux yeux, mais étrangement je ne suis pas attendrie. C'est la colère qui me domine.

Je t'ai laissé une semaine pour m'en parler. J'ai espéré que ce ne soit qu'une erreur, mais je te trouve ce soir avec lui...je dis tout en essayant de contrôler ma voix qui est en train de céder.

Les gens changent. Arrête de vivre dans le passé, OK ? me lance-t-elle en colère.

Je suis abasourdie par son réponse. Co-Comment peut-elle penser ça ? On parle d'Alec, pas d'un petit garçon qui aurait fait une bêtise. Mes poings se serrent de plus en plus et cette fois, c'est moi qui suis au bord des larmes. Je m'apprête à lui répondre violemment mais une main se pose sur mon épaule droite et j'en déduis au regard de ma meilleure amie que ça ne peut être que Nathan. Merde...il pouvait pas attendre à l'intérieur avec Florian ? J'aurais jamais dû débarquer ici avec eux deux.

Tu me fais la morale parce que c'est ton ex, non ? bougonne Emma. Mais tu débarques avec Nathan. Tu vois pas un problème ?

Tu penses quand même pas que je couche avec Nathan ?! je vocifère.

Ma voix s'étrangle, et je m'approche dangereusement de ma meilleure amie pour lui faire face. Elle plonge son regard empli de colère dans le mien.

On n'a plus rien à se dire toi et moi. Je suis sûre qu'Allie m'accueillera chez elle, me lance-t-elle en me poussant pour passer.

Je la regarde partir sans comprendre ce qui vient vraiment de se passer. Ma colère retombe et laisse place à un énorme vide. Comment j'ai pu perdre Emma en seulement trois semaines dans la ville rose ?

Toujours aussi impulsive.

Alec est debout face à moi, un sourire satisfait sur le visage. J'ai envie de lui coller mon poing en plein visage, mais je me refuse de lui donner ce qu'il veut. Ma colère. Je le laisse passer, tout en essayant de contenir mes larmes. Cependant je suis faible, beaucoup trop faible. Je cours vers la sortie de la maison, feignant de ne pas entendre les appels des garçons et une fois arrivée dans la rue, j'éclate en sanglots. Je me fiche que les gens me voient. Je suis simplement dévastée.

*************

J'erre dans les rues depuis une heure, me laissant porter par mes jambes. La nuit n'est pas glaciale mais le froid fouette mon visage. J'ai reçu quelques messages de Nathan, mais je n'ai pas envie de répondre. J'ai juste besoin d'être seule ou de parler à quelqu'un à qui je fais confiance. Je cherche dans mon téléphone le numéro d'Oli et l'appelle.

Charline ? dit-il à moitié endormi.

Mince. Il dormait. J'ai envie de raccrocher, mais il poursuit.

Tu me déranges pas, hein. Ça va ? dit-il comme si il lisait dans mes pensées.

Pas vraiment, je réponds en retenant mes larmes.

Dis moi où tu es et ne bouge pas. J'arrive.

Une trentaine de minutes plus tard, un taxi arrive dans ma direction. Oli en sort, et trottine vers moi. Il a des cernes sous les yeux et je vois bien que je l'ai réveillé.

Qu'est-ce que tu fais ici en pleine nuit ?

Je lui explique rapidement la situation, de l'arrivée de son frère chez moi à ma dispute avec Emma. Pendant tout mon discours l'expression de son visage change, passant de l'étonnement à la compassion.

Mon frère est vraiment venu te demander un conseil ? rit-il une fois que j'ai fini de parler.

J'écarquille les yeux, à moitié énervée et surprise. La venue de son frère est la seule chose qui l'interpelle dans ce que j'ai dit ? Je tapote du pied nerveusement, puis tourne le dos à Oli.

Le prends pas comme ça, d'accord ? C'est juste que je ne suis jamais mêlé à ce genre d'histoires. Je suis le type réservé qui s'occupe de sa propre vie, qui n'interfère pas dans celle des autres, souffle-t-il en posant une main sur mon épaule droite.

J'esquisse un sourire très léger, qu'Olivio ne doit pas voir puisque je suis de dos, mais il est si intense que s'il pouvait briller, il éclairerait toute la rue. Je me tourne à nouveau vers lui pour lui montrer que je ne lui en veux pas, et contre toute attente, il me serre dans ses bras. Initialement, je me sens gênée, j'ai envie de me débattre pour me défaire de son emprise, mon cœur ne maîtrise pas cette accolade. Mais peu à peu je me détends, et mes bras qui étaient tendus le long de mon corps, viennent entourer le rappeur.

Merci, je souffle entre deux battements de cœur.

Olivio cesse de me serrer contre lui et me fixe en fronçant les sourcils.

Merci pour quoi ?

Pour ça, je réponds en pointant du doigt mon sourire.

Ma réponse semble le satisfaire parce qu'il me rend mon sourire. Il pose ensuite ses mains sur mes épaules puis commence doucement à retirer les bretelles de mon sac que je prends toujours avec moi. Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il ouvre mon sac et en sort mon appareil. Je comprends mieux. Il me colle alors à lui et lève l'appareil devant nous.

Fais un sourire, dit-il avant de prendre la photo.

Un cliché sort de l'appareil. Il n'est pas trop mal, mais je n'ai pas vraiment pas le temps de le regarder car Olivio le récupère et le glisse dans la poche de sa veste.

J'ai même pas le droit de voir ? je râle en croisant les bras.

Seulement quand tu seras chez toi. D'ailleurs, je te ramène.

T'as le permis, maintenant ? je demande, alors que j'étais persuadée qu'il ne l'avait pas.

Hein ? Non, répondit-il honteux. Mon taxi a accepté de nous attendre.

Je tourne la tête vers le bas de la rue et remarque que la voiture est toujours garée sur le côté de la route. Nous marchons jusqu'au taxi, puis Oli indique quelque chose au chauffeur que je n'arrive pas à attendre. Probablement mon adresse.

Le trajet se fait dans le silence le plus complet. Oli ne me jette aucun coup d'œil et est tourné vers sa fenêtre, occupé à bricoler quelque chose. Plusieurs fois j'essaie de voir au-dessus de son épaule mais il est trop grand et je ne vois rien.

Le taxi s'arrête devant mon immeuble. Oli demande à nouveau au chauffeur d'attendre puis il descend avec moi. Il me raccompagne jusqu'à ma porte d'entrée.

Bonne nuit, je chuchote gênée.

Bonne nuit, jeune fille, répond-il en faisant une révérence.

Il me tend ensuite la photo puis il se retourne et rejoint la cage d'escalier. Je reste sur le pallier à le regarder jusqu'à ce qu'il disparaisse de mon champ de vison. J'entre ensuite dans l'appartement qui me semble horriblement vide sans Emma. La table basse est toujours couverte par les restes de nourriture et le plateau de jeu. Je récupère l'apéritif que je mets au frigo puis range le jeu avant d'aller dans la salle de bain pour me débarbouiller et me laver les dents. Je me dirige ensuite vers ma chambre et pose mes yeux sur la porte d'Emma qui ne sera poussée ni ce soir ni demain matin. Je soupire puis rejoins mon lit et me glisse dans mes draps, le cliché toujours en main. Je l'observe de longues minutes avant de voir que j'ai de l'encre sur le bout des doigts. Je tourne la photo et y vois des mots. L'encre a coulé mais c'est toujours lisible.

Chaque fois que la vie te sera trop pénible, chaque instant où tu seras triste, chaque moment où tes larmes couleront, regarde cette photo. Elle te rappellera qu'un soir, alors que tu étais triste, une personne t'a redonné le sourire. Il suffit juste de trouver la bonne. Oli. 💙

Je souris devant ses mots. Ils sont tellement vrais et beaux. Mon cœur s'emballe lorsque je les relis. Parce que ce soir, ma bonne personne c'était Oli.

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J'espère que le chapitre vous plaît. De mon côté, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire. 💙

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