1. « T'accepterais de faire une photo avec moi ? »
Je suis assise sur le rebord de la fenêtre, mes écouteurs vissés dans mes oreilles et le regard perdu dans le vide.
Nous sommes arrivées hier soir, et j'ai déjà le mal du pays. Pourtant je sais que c'est mieux ainsi. Une nouvelle ville pour un nouveau départ. Seulement, une partie de mon coeur est restée là-bas avec lui.
— J'arrive toujours pas à croire que t'as fait ça, souffle une voix à côté de moi.
Emma est plantée, près du matelas, qui me sert pour le moment de lit. Elle m'adresse un léger sourire quand je me tourne vers elle. Elle est la seule personne qui m'a suivie jusqu'ici, et va même aller dans la même école que moi. Nous sommes soudées depuis que nous avons vécu ces deux horribles années de prépa.
— Tu parles de mes cheveux ? je lui demande un petit sourire amusé en coin.
— Ouais. T'avais les cheveux si longs, et tu les as réduit à un carré long.
— On arrêtera peut-être de penser que j'ai 16 ans alors que je vais en avoir 20... je réponds en descendant du bord de la fenêtre.
Emma lève les yeux au ciel. Elle sait que je ne suis pas d'humeur depuis qu'on est arrivées, et je suis vraiment contente qu'elle ne m'en veuille pas. Pourtant mon sale caractère des mauvais jours est difficile à supporter.
Je me laisse tomber comme une masse sur mon matelas, et tire la couette sur moi, sous les yeux ronds de ma colocataire et meilleure amie. Je sais déjà qu'elle va me reprocher de rester dans ma bulle de tristesse, mais je suis comme ça. Je déteste partager mes états avec les gens. Je suis bien trop timide pour ça, et ce que je hais le plus au monde ce sont les gens qui essaient d'être gentils quand ça ne va pas. On ne sait jamais si c'est une vraie inquiétude ou simplement des mots en l'air pour paraître sympa.
— On devait sortir, ma Charlie, souffle Emma. T'avais même dit qu'on visiterait la ville dès qu'on arrive...
Je préfère ne pas répondre, car je sens dans sa voix une pointe de déception. En ce moment je déçois trop les gens. J'ai même réussi à me décevoir moi-même. Et tandis que je culpabilise, je sens la couette s'échapper du haut de mon corps.
— Emma...pas maintenant.
— Tu diras pareil demain...D'ailleurs "Ca ira mieux demain..." chantonne-t-elle.
Je lâche un petit sourire. Emma a toujours su comment faire pour que j'aille mieux. En même temps, nous avons passé deux années difficiles pour en arriver où on en est aujourd'hui, et je pense que la difficulté rapproche les gens. Nous sommes comme des soldats qui partent en guerre et qui reviennent proches, car eux seuls peuvent comprendre ce qu'ils ont vécu. Notre guerre était simplement différente.
Je me redresse sur mon matelas, et penche la tête vers la gauche avec ce même sourire que j'affichais quand on s'est rencontrées.
— Quel est le programme ? je demande.
Emma fait à nouveau les gros yeux, mais cette fois c'est simplement qu'elle est surprise que j'ai changé d'avis.
— Pourquoi tu veux toujours tout programmer ? Je propose que nos jambes nous transportent où elles le souhaitent. On verra bien où ça nous mènera, répond simplement mon amie, en s'avançant vers moi et me dominant malgré son mètre cinquante-cinq.
Je lui fais signe de la tête que j'approuve, et me lève pour aller chercher ma veste en jean parmi le paquet de vêtements qui sont encore dans des sacs.
Je sens le regard insistant de la petite brune sur moi, et finis par me retourner.
— Quoi encore ? J'accepte de sortir et tu me regardes comme si j'avais commis un crime...
— Tu vas pas sortir comme ça...
Je regarde mes pieds et constate que j'ai une chaussette trouée, que je porte un bas de jogging et un t-shirt. Ceci explique la remarque d'Emma. Mais au fond, je m'en moque. Je suis à l'aise dans ces vêtements et ils s'accordent avec mon humeur du jour.
— Mes vêtements sont propres, alors je ne vois pas le problème, je dis en enfilant ma veste.
Emma ricane en mettant la tête en arrière.
— T'imagines si tu croises l'homme de ta vie en sortant et qu'il te voit comme ça...T'es prête pour finir seule avec tes chats, poulette.
— L'homme de ma vie n'est pas Toulousain. Sois en sûre. Les relations à distance, c'est très peu pour moi. Et je ne compte pas rester dans cette ville jusqu'à la fin de mes jours.
— Tu déconnes ? Cette ville est magnifique. Metz à côté c'est un bidonville...
Je ronchonne. Je déteste que les gens aient des mots aussi bruts quand ils parlent de la ville où je suis née. Metz m'a portée chaque seconde et c'est la seule "grande" ville que j'ai fréquentée.
Je dégage mes cheveux châtains de ma veste et enfile ma paire de Converse, sous le regard moqueur d'Emma, qui a le look d'une touriste venue en vacances. Au fond, elle est tellement faite pour ce genre de vie, dans une grande ville, à la découverte de paysages, de lieux atypiques. Moi je suis et je resterai toujours la petite Messine attachée à ses racines et qui n'a qu'une hâte. Que les trois ans qu'elle doit passer à Toulouse filent rapidement et qu'elle puisse rentrer sur sa terre natale.
Je vérifie que mon visage ne fait pas trop peur dans mon reflet sur mon smartphone et m'apprête à quitter la chambre quand Emma m'interpelle.
— Oui ? je me contente de dire.
— Tu ne prends pas ton Polaroid ? dit-elle en me désignant d'un signe de tête l'appareil posé sur le haut de mes cartons.
— Pour quoi faire ?
— Tu as abandonné l'idée de faire ce cahier de souvenirs ?
C'est vrai que j'avais promis à Emma de nous créer un cahier qui regrouperait nos meilleurs moments dans la ville, ainsi que les pires. Ce serait un moyen pour nous d'être liées à jamais, ensemble, au travers de photos captant nos expressions et nos sentiments.
Je réponds par un sourire et attrape le Polaroid dont je passe la lanière autour du coup. On n'est jamais trop prudent quand on est aussi maladroite que moi.
Quand nous quittons notre appartement, il est presque midi. Nous mangerons plus tard, probablement dans un petit café histoire de nous caler un peu avant le grand repas qui nous attend ce soir avec nos parents qui viennent nous rendre visite et nous ramener d'autres affaires. J'ai hâte qu'ils soient là. Je ne les ai pas vus depuis hier matin, mais ma mère me manque tant, elle qui a toujours su me conseiller dans les étapes importantes de ma vie. La seule qui me manque un peu moins, c'est ma petite soeur, Daphné. Je l'adore mais depuis qu'elle est entrée dans l'adolescence, elle est insupportable.
Emma me conduit au Capitole, et après une quinzaine minutes de marche, nous arrivons. Elle a le sourire au visage et me supplie de la prendre en photo.
— N'oublie pas qu'avec ce genre d'appareil c'est une photo. Les pellicules me coûtent trop cher pour que je me permette d'en gâcher, je souffle face à Emma qui change de pose toutes les trois secondes.
— Ouais, ouais. Mais ne la rate pas. Je veux être au top dans ton carnet de souvenirs !
La photo sort de l'appareil et Emma court pour la voir, puis la secoue pour que l'image apparaisse. Elle se met alors à sourire à pleines dents.
— Je suis canon, non ? rit-elle en balayant d'un coup de mains ses cheveux vers l'arrière.
Je ris à mon tour et range le cliché dans une pochette de mon sac.
Après une autre série de photos d'Emma, nos ventres commencent à réclamer un repas. Emma repère un petit café non loin de nous et nous commandons un sandwich. Je sors mon porte-monnaie et paye pour nous deux.
Nous nous installons ensuite à une petite table et Emma croque à peines dents dans la mie du pain en levant les yeux au ciel. Elle les lève assez souvent, et surtout quand elle trouve que ce qu'elle mange est bon.
Puis soudainement, elle s'arrête et pose son sandwich sur la table, la bouche grande ouverte, sans aucun son qui en sort.
— Quoi ? je dis. T'as vu un fantôme ?
— Pince-moi.
— Pardon ? je lâche en faisant les gros yeux. Qu'est-ce qu'il se passe ? T'es figée.
— C'est pas les deux gars que t'écoutes ? dit Emma en pointant son doigt derrière moi.
— Quels deux types...? je commence à dire avant de me retourner.
Juste derrière moi, Oli et Flo commandent quelque chose à emporter. Mon estomac se noue et je comprends alors la réaction de ma meilleure amie. Je devrais leur demander une photo, mais me rappelle qu'à leur place, je n'aimerais pas être dérangée par une fan surexcitée qui veut un souvenir. Je préfère donc rester assise.
— Qu'est-ce que tu fous ? lâche alors Emma.
— Je mange un sandwich œuf, thon et salade...je me contente de dire tout en sachant parfaitement où elle veut en venir.
— Déconne pas, Charline. Les deux gars qui t'ont donné le sourire quand ça n'allait pas, sont derrière toi et tu te comportes comme si t'en avais rien à faire ! s'énerve Emma.
— C'est pas ça, mais je veux pas les déranger...
— Ils ont l'habitude, tu crois pas ? souffle ma meilleure amie, agacée par mon comportement.
— C'est pas parce qu'un tas de fans ne respecte pas leur vie que je dois faire pareil et leur sauter dessus pour avoir une photo ! je crie, un peu trop fort.
Emma écarquille les yeux quand elle m'entend crier. Je pense même avoir attiré l'attention de nombreuses personnes et je me sens alors gênée. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que ça dérape avec moi ? Mais je n'ai pas le temps de m'excuser auprès de mon amie. Elle fait encore une tête super bizarre.
— Quoi encore ?
Elle essaye de s'exprimer, mais une main me tapote sur l'épaule. Sûrement un type qui veut me demander de parler moins fort. Je me retourne pour lui faire savoir le fond de ma pensée.
— Ouais, j'ai parlé un peu fort mais...je parviens à dire avant de me rendre compte que le garçon qui m'a interpellé n'est pas n'importe qui.
— Désolé de te déranger, mais t'accepterais de faire une photo avec moi ? me demande le rappeur.
J'étais choquée de sa présence, mais sa question est encore plus étrange. Je ne sais absolument pas quoi dire. Même Emma semble surprise dans mon dos. Je le sais parce que d'habitude, elle en place toujours une, mais là, je n'entends que le silence qui commence à être pesant.
— Tu veux pas, c'est ça ? insiste-t-il.
— Si, elle veut ! répond Emma à ma place.
Il commence à sortir son smartphone de sa poche, mais Emma le coupe dans son geste avant de lui montrer le Polaroid.
— C'est plus authentique avec ça, dit-elle en retirant l'appareil d'autour de mon cou.
Je reste figée devant tout ce qui se passe, ne sachant pas quoi en penser. Ma meilleure amie est-elle vraiment en train d'insister pour que je prenne une photo avec lui ? En sachant que c'est lui qui me l'a demandé. Je suis perdue, dans le brouillard et je crains que ma tête sur cette photo ne reflète que ma panique.
— Tu viens ?, me dit-il
Je me lève, hésitante, puis il passe son bras à ma taille, le temps de la photo.
Emma récupère la feuille qui sort de mon appareil et la regarde, un grand sourire aux lèvres.
— Je peux l'avoir ? demande le rappeur.
Emma lui tend la photo et l'instant d'après, il est parti, rejoignant son frère qui l'attendait avec les sandwichs. Ma meilleure amie me regarde avec un grand sourire, mais moi je ne réalise pas. Je suis toujours aussi perdue, et j'ai le sentiment que rien ne s'est passé. Jusqu'à ce qu'Emma en parle.
— Tu viens de prendre une photo avec Oli...
Je souris, tout en clignant des yeux. Oui, c'est vrai. On a pris une photo.
— ...habillée comme ça, finit-elle.
Je fixe mon bas de jogging. Et merde...
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