Chapitre Vingt-Six - Sacrifice

Grimpal ouvrit les yeux avec difficulté. Il pouvait sentir le vent s'écraser sur son visage de manière irrégulière. Il ne lui fallut pas longtemps avant de comprendre qu'il se trouvait sur le dos de Roucarnage. Le volatile le transportait loin du hameau en rasant le sol et à basse vitesse. A la façon dont il se déplaçait, Grimpal pouvait deviner que Roucarnage n'était pas au plus haut de sa forme.
-Hey... réussit-il à dire malgré la douleur aux muscles qui le paralysait.
-G-Grimpal ! s'écria Roucarnage.
Le volatile tenta de se poser mais il n'arriva pas à contrôler sa manœuvre. Le duo se retrouva le nez dans la poussière alors que les premiers rayons du soleil pointaient à travers les minces feuillages des arbres autour d'eux. Grimpal laissa échapper un rire nerveux comme pour détendre l'atmosphère. Il était sur le point de lancer une boutade amicale à son ami lorsque son odorat lui donna des précisions sur l'état de Roucarnage. Du sang ! pensa-t-il paniqué. Le crâne de Grimpal se décolla du sol et du liquide poisseux et malodorant avec précipitation. Il ordonna à Roucarnage de se mettre sur le dos. Son ami ne contesta pas et s'exécuta, laissant ses ailes côté plumes sur le sol. Le meneur découvrit avec horreur la profonde entaille dans le poitrail de Roucarnage.
-Je t'arrête tout de suite, Grimpal. Je vais bien, fit l'intéressé en essayant de le convaincre.
-Ne me prends pas pour un imbécile ! Que s'est-il passé ?! Où sont passés les autres ?!
-Tu n'as donc aucun souvenir de l'attaque de Munna ?
-Si, je me souviens m'être battu alors que vous aviez disparu. Mais Munna m'a arrêté et ensuite, plus rien.
-Il t'a capturé. Il t'a torturé. Enfin, ça n'a pas duré. D'un seul coup, tu n'étais plus toi-même. C'est sûrement pour ça que tu ne te souviens de rien.
-Gobou a pris ma place ?!
s'étrangla Grimpal.
-Je le pensais jusqu'au moment où je t'ai vu exploser la cage d'un simple Hydrocanon. Tu as massacré l'équipe de Munna en un rien de temps. Et ensuite... Tu t'es effondré devant moi. Je t'ai récupéré et t'ai emmené loin de là-bas.
-Ça ne répond pas à ma question ! Où sont les autres ?! Feuforêve, les frères Hélédelles et Zoroark !
Roucarnage commença à répondre sur le même ton que sa réplique précédente avant de se raviser. Il baissa la tête et frissonna. En son for intérieur, Grimpal aurait aimé que ce soit la douleur l'origine de cette pause. Mais il s'agissait d'un mauvais, très mauvais présage. "Les Hélédelles et Feuforêve n'ont pas survécu à l'attaque de Munna. Ils avaient l'intention de te capturer sans faire d'autre prisonnier... Je suis désolé...". La voix de Roucarnage commençait à se détraquer. C'était comme si un filtre s'était mis en travers de sa gorge. Et ce sang, tout ce sang. Grimpal avait beau faire tous les efforts du monde, il ne pouvait pas détacher les yeux du sang du volatile. Inconsciemment, il préférait s'inquiéter pour Roucarnage que de réaliser que trois de ses amis étaient morts durant l'expédition. "Zoroark nous couvre. Je l'ai croisé quand je suis parti. Il a dit qu'il restait derrière nous, pour enterrer nos amis et pour achever les potentiels survivants des mercenaires.". Roucarnage regardait à présent dans le vague. Qui sait si c'était dû à la fatigue morale ou physique. Des centaines de questions se bousculaient dans la tête de Grimpal. Comment ai-je pu vaincre ces monstres à moi seul ? Comment avons-nous pu tomber dans un piège aussi grotesque ? Roucarnage va-t-il s'en sortir ? Est-ce que les autres sont morts à cause de moi ? Grimpal commençait à ressentir le froid mortuaire du deuil. Ses sentiments lui faisaient l'effet d'une douloureuse morsure. Les pensées s'enchaînaient dans sa tête. Il réfléchissait à la cause de tout ça. Toutes ces morts, ces dangers depuis un an. Grimpal se lamentait intérieurement tandis que Roucarnage le dévisageait avec peine.
-Ça va aller ? demanda Roucarnage, la voix continuant de se dégrader.
-J-J'ai mené ces pokémons à leur mort. C'est ma faute ce qui vous arrive. Ils sont tous à ma recherche. Ils vous tueront tous, je le sais. Vous gravitez autour de moi, je n'aurais jamais dû vous réunir. La Compagnie Miracle était une erreur. J'aurais dû accepter mon sort et retourner dans mon monde. A cause de moi... Le sang coule, encore et encore.
Grimpal fut coupé par l'irruption d'Absol et Sonistrelle. Les deux arrivants virent leur visage s'illuminer en trouvant enfin les pokémons qu'ils étaient partis retrouver. Malgré le sang-froid naturel de Sonistrelle, elle se jeta au chevet de Roucarnage. Absol s'arrêta net devant Grimpal, comprenant peu à peu que rien ne s'était passé comme prévu. "Nous sommes tombés dans un piège... Zoroark n'est pas loin derrière mais... les autres...". Grimpal ne parvint pas à terminer sa phrase. Le visage d'Absol, dix secondes plutôt ravi, se décomposa en un instant. Feuforêve... Absol serra les dents. Il y avait plus important. Mais l'état des rescapés leur permettrait-il de rejoindre le combat ? Question idiote. Grimpal est notre leader. On a tous besoin de lui. Absol allait lui dire le fond de sa pensée quand Zoroark apparut aussi brusquement que les deux pokémons précédents étaient arrivés. "Pourquoi est-ce que vous vous êtes arrêtés ?" demanda-t-il avant de croiser le regard d'Absol. Il salua brièvement son ami avant de reprendre la parole : "Les villageois avaient été enfermés dans une bâtisse par Munna qui voulait les laisser à l'écart de notre conflit. Ils m'ont aidé à enterrer les nôtres. Quant à Munna et les autres, ils s'en occuperont sans moi. Et... Je suis désolé pour Feuforêve, Absol. Nous n'avons rien pu faire pour les sauver.". Zoroark avait beau paraître remis de ses émotions, sa fourrure ébouriffée traduisait facilement l'état dévasté du mental du pokémon. Il n'avait pas pris le temps de s'occuper de lui, de se remettre en état physiquement alors qu'il n'y avait plus aucun danger. Son esprit était encore embrouillé par ce qui s'était passé. Mais personne ne pouvait dire si c'était à cause de la mort de ses camarades ou à cause de ce qu'il avait vu.
-Peu importe maintenant. Cette histoire est terminée. C'est un ennemi de moins dans notre guerre. Qu'est-ce que vous faites là ? demanda Zoroark sèchement.
-Archéduc a pris d'assaut notre base. Il nous a attaqué il y a déjà quatre heures. Le bilan des pertes est déjà... Sablaireau, Scalproie, Funécire et Dimoret sont morts quand nous sommes partis et nous pouvons être sûrs que ce n'est pas fini. Il faut que tu rentres, Grimpal, et vite !
-D'accord...
fit Grimpal, toujours sous le choc. Quant à vous, occupez-vous de Roucarnage. Il peut encore être sauvé si les bons soins sont prodigués dans l'heure.
-Non !
contesta Roucarnage.
Les quatre pokémon se tournèrent vers lui armés d'un regard sceptique. Roucarnage, qui gisait dans une mare de sang quelques minutes plutôt, s'était relevé et avait déployé ses ailes. Ses plumes étaient poisseuses et désordonnées mais Roucarnage semblait encore pouvoir les manipuler.
-Grimpal, je t'en prie, laisse-moi t'emmener.
-Quoi ?!
s'étrangla le pokémon-poisson. Il en est hors de question ! Dans ton état, tout ce que tu vas obtenir, c'est la mort ! Si tu continues de voler, tu vas te vider de ton sang et, peu importe ce qu'on te donnera, tu vas mourir ! C'est ça, ce que tu veux !
-Laisse-moi m'expliquer... Et ne me coupe pas, c'est déjà assez difficile de parler comme ça... Regarde-moi deux secondes, ne vois-tu pas dans quel état je suis ? Je suis si blessé que... je ne pourrai plus jamais me battre, comme Absol. Mais lui a Lougaroc encore ! Et Ectoplasma ! Il n'est pas seul, il n'a jamais été seul. Moi, le secourisme est tout ce que j'ai... Je n'aurai plus rien. Je ne peux pas vivre comme ça.
-Et tu penses que perdre ta passion vaut ta vie ?!
répliqua le meneur pendant qu'Absol hochait la tête derrière lui.
-Ce n'est pas ça. Qui sait combien d'autres perdront la vie en attendant ton retour ? Je ne peux pas t'emmener toi et Zoroark. Mais si je peux te faire gagner deux ou trois heures sur ton trajet du retour, combien de vies seront sauvées ? Est-ce que une ou plusieurs vies valent la vie d'un pokémon handicapé et malheureux ? Je pense que oui.
-Ne dis pas ça Roucarnage... Je te l'interdis...
pleura Grimpal, revivant des scènes douloureuses dans sa tête. Tu ne peux pas partir, pas toi...
-Grimpal, je t'en supplie... C'est la dernière chose que je peux faire pour la Compagnie ! C'est la dernière chose que je peux faire pour vous tous...
Roucarnage regardait Grimpal avec des yeux remplis de larmes. Mais ce regard était un regard que Grimpal connaissait bien. C'était un regard de bienveillance et de loyauté. C'est ce qui animait Roucarnage depuis toujours : son altruisme. Roucarnage avait toujours été comme le grand frère de Grimpal et Massko, l'ange gardien de la Compagnie Miracle. Roucarnage allait accomplir son acte ultime, ce pourquoi il avait toujours vécu : se sacrifier pour ses amis, pour leur vie. "Roucarnage a raison. C'est son rôle, ce pourquoi il est fait. Roucarnage n'arrivera jamais à vivre avec l'idée que le choix de sa survie aurait peut-être condamné des pokémons de la Compagnie. Si Roucarnage devait repartir avec Absol et moi, Roucarnage ne s'en remettrait jamais. Grimpal, il faut que tu acceptes que Roucarnage arrive à la fin de ses jours.". Sonistrelle avait encore pris la parole pour s'adresser aux autres avec une extrême sagesse et une justesse divine. La bonté inondait la jeune femelle. Elle réfléchissait du point de vue de tout le monde et pouvait exposer un point de vue que tout le monde comprendrait. Grimpal n'avait plus qu'à accepter le choix du futur défunt. C'était la fin, sa fin. Mais sa fin allait sauver des vies et Grimpal se devait d'honorer son choix.
Zoroark, à l'écart depuis une minute au moins, s'approcha du volatile. Il s'arrêta à sa hauteur, Grimpal juste derrière lui au rang de spectateur, et toisa Roucarnage sans dire un mot. Il s'était placé de façon à ce que seul Roucarnage le voit de face. L'intéressé, en voyant l'expression sur son visage, comprit qu'il venait faire ses adieux. Il était resté de marbre jusque-là mais s'apprêtait littéralement à fondre sur Roucarnage, le cœur brisé par toutes ces pertes. Mais il se contenta de prendre délicatement le volatile dans ses bras, laissant le sang de son ami imbiber sa propre fourrure dérangée. Ce faisant, il donnait un sens à son état, à son combat. Désormais, il se battrait pour lui, pour ceux qui étaient morts cette nuit. Il finit enfin par le lâcher puis recula. Son expression redevint neutre lorsqu'il se retourna pour rejoindre les rangs.
Absol s'avança à son tour. Son sourire difforme traduisait son émotion. Roucarnage et lui avaient été les aînés de l'équipe de secours de Grimpal. Dans un sens, même dans des équipes différentes de la Compagnie, ils avaient gardé ce statut ensemble. Et ce jour-là, ils avaient tous les deux laissé la place aux autres pour la première fois de leur vie. Pour Absol, c'était la retraite. Pour Roucarnage, c'était la mort. Il n'y avait pas de justice dans ces cas-là, juste un héritage qu'ils laissaient à la génération suivante. Et c'était ce sentiment qu'Absol tentait de transmettre de ses yeux. Nous avons tout donné sans jamais renoncer. Nous avons fait notre part du travail et nous nous retirons. Roucarnage... tu fais le bon choix. Absol posa son crâne sur le bec de Roucarnage avec douceur et lui souhaita bonne chance pour la suite.
Roucarnage bouscula gentiment Grimpal en lui demandant de monter sur son dos. Voyant que celui-ci gardait la tête baissé, il le saisit de son bec et le propulsa sur son dos. "Allons-y Grimpal. Ne perdons pas plus de temps.". Roucarnage commença à battre des ailes malgré la douleur qui irradiait son corps. En réalité, le volatile ressentait la douleur avec une certaine fascination. Il ne la vivait plus comme un danger mais une réelle sensation. Il pouvait l'étudier, la laisser l'envahir sans avoir peur des conséquences. Tandis que le duo décollait, Zoroark leur lança qu'il courrait derrière eux dans le but de rejoindre le camp le plus vite possible lui aussi. Absol rajouta que lui et Sonistrelle comptaient se diriger vers le port Lokhlass pour retrouver les autres enfants ainsi que Célébi. Le groupe se sépara enfin sur cette note tragique, laissant derrière lui une prairie baignée de sang.

Absol laissa un sourire se dessiner sur son visage malgré la scène qu'il venait de vivre en sentant Sonistrelle se poser sur la membrane de son crâne. Il visualisait en boucle malgré lui les paroles de Roucarnage et s'imaginait comment était morte Feuforêve. Mais son esprit s'apaisait un peu en se rappelant qu'elle était enterrée, sûrement en paix. Mais quelque chose ne collait pas dans la suite d'événements. Et il en connaissait la source.
-Sonistrelle, j'ai besoin de savoir... commença Absol, pensif.
-Qu'y a-t-il ?
-Qu'est-ce que tu as dit à Roucarnage quand nous les avons trouvés ?
-Quoi ? Rien de spécial. Enfin, je ne crois pas.
-Je veux dire... Il était quasiment mort quand nous les avons abordés et tu t'es précipitée sur lui. Quand tu t'es écartée, il s'est levé comme s'il renaissait de ses cendres et a exposé son plan. Comment est-ce possible ?
-Ah, je vois. Je lui ai donné le remède que j'ai préparé sur le chemin.
-Tu savais qu'on allait les retrouver blessés, pas vrai ?
-Pas exactement. J'avais un mauvais pressentiment à partir du moment où ils ont parlé du village pris en otage. Je me suis dit qu'un remède allait forcément être utile. Mais je pensais que Grimpal en aurait eu besoin. Et qu'il n'y aurait pas eu autant de pertes...
-T'es incroyable... Comment tu fais pour tout prévoir comme ça ?
-Il n'y a pas vraiment d'explication. Je suis comme ça, c'est tout. Mais sache que si tu restes gentil avec moi comme tu l'es depuis qu'on se connait, je continuerai de te donner mes conseils. Et je sais à quel point tu en auras besoin à l'avenir.
-D-D'accord... Si tu le dis. Je te fais confiance.
Absol, malgré son ton troublé, ne s'était jamais autant senti en sécurité. Cette présence au-dessus de lui le rassurait véritablement. C'était comme s'il était hors d'atteinte de tous les problèmes du monde. Malgré tous les efforts qu'il pouvait déployer, il ne put ôter ce stupide sourire de son visage.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top