Chapitre Vingt-Deux - Héros
Sonistrelle regarda l'escouade arriver à son niveau avec un sourire lourd de sens. Elle dévisagea Grimpal avec insistance. Celui-ci hocha la tête en soupirant. "Partez devant, je vous rejoins." demanda-t-il aux autres. Les compagnons de Grimpal se fondirent alors dans la nuit noire, ignorant l'entraînement de Lougaroc et Massko au centre de la plaine. Sonistrelle se sentait transcendée, comme si elle pouvait voir au travers du temps et de l'esprit. Comme si elle savait que ce départ signifiait la fin de quelque chose. Mais elle se contenta de sourire, ignorant son intuition. Il allait arriver un malheur. Cette pensée ne la dérangeait pas, au contraire. Les choses suivaient leur cours et personne ne semblait bloquer le déroulement de l'histoire. Alors elle souriait au meneur qui ne pouvait pas voir ce qu'elle voyait. Elle souriait parce qu'elle avait fait la paix avec les événements, parce qu'elle était heureuse d'avoir pu vivre toutes ces aventures aux côtés de Grimpal. Elle l'avait suivi depuis si longtemps, elle savait tout de lui, elle savait comment il allait finir. Elle savait si tout allait bien se finir. Elle savait si tout allait effectivement se finir. Une fin, c'est ça dont nous avons besoin ici-bas.
-Que veux-tu, Sonistrelle ? demanda le meneur à l'enfant.
-Peux-tu t'asseoir avec moi, Grimpal ?
Grimpal sentit une larme lui piquer les yeux sans raison apparente. C'était comme si quelque chose venait de le frapper en plein cœur, ou plutôt, en plein thorax. Sonistrelle semblait si sage. C'était comme s'il s'adressait à une adulte. Non, comme s'il s'adressait à un oracle. Ou comme à un Dieu... L'aura de Sonistrelle s'échappait à un rythme absolument parfait, comme si elle ne ressentait rien. Comme si quelqu'un d'autre parlait à sa place. Alors Grimpal s'assit, sans dire un mot, sans savoir s'il pouvait adresser la parole à cette personne si extraordinaire.
-Tu sais, Grimpal, je ne t'ai jamais remercié pour ce que tu as fait.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Grimpal dont chaque mot nécessité une montagne de concentration.
-Tu m'as offert un foyer alors que je ne savais plus quoi faire. Regarde autour de toi enfin ! Tu as toujours été si égocentrique pour un héros. Je ne sais même plus dans quel ordre dire tout ce que j'ai à te dire...
-Prend ton temps... commença Grimpal avant de se rendre compte avec effroi qu'il avait été condescendant.
-De toutes les personnes que j'ai pu croisées, tu es la personne qui me fascine le plus. Tu es incroyable, sous toutes les coutures. Tu attires la sympathie immédiate de tout le monde, tu arrives à faire en sorte que les gens te suivent, tu prends des décisions toujours parfaites, tu offres aux gens la possibilité de vivre, de sortir de leurs mauvaises passes. Grimpal, de combien de personnes as-tu sauvé la vie ?
-Je n'en sais rien... répondit Grimpal qui voyait bien que la femelle attendait une réponse.
-Je ne parle pas de personnes que tu as sauvées de la mort mais des personnes que tu as mises à portée du bonheur. Tu as tant fait pour ce monde qui n'était pourtant pas le tien. Mais tu es là et tu fais ta vie. Tu prends le malheur du monde sur tes épaules sans te rendre compte que les gens essaient de te rendre la pareille. Pourquoi vas-tu encore sauver des vies au lieu de te préoccuper de la tienne ?! C'est injuste !
Sonistrelle avait hurlé les deux dernières phrases à pleins poumons. Ses idées étaient claires mais elles se bousculaient dans sa tête. Grimpal, l'homme face à elle, était un saint, littéralement. Comment Arcéus avait pu débusquer un énergumène pareil ? Il était si parfait qu'il en oubliait les autres et cela énervait Sonistrelle à un point incommensurable.
-Grimpal, regarde autour de toi enfin ! Tu offres le bonheur à tous mais les gens n'attendent qu'une chose : te rendre la pareille ! Pourquoi diable continues-tu de te sacrifier ?! Tu sais que tu finiras par te planter, atteindre tes limites. Tu n'es pas infaillible ! Tu penses que ce qui est arrivé à Absol est ta faute ? Pourquoi ? Et à quel moment penses-tu que c'est une mauvaise chose ? Je veux dire, il s'est blessé, et alors ? Il a peut-être trouvé le bonheur ? Sa place est peut-être au camp, loin des combats ! Mais toi, tu n'en as rien à faire. Tu cherches à sauver des vies sans réfléchir et ça me met hors de moi ! Ne veux-tu pas... laisser tomber, pour une fois dans ta vie ? Grimpal, nous n'avons pas besoin d'un héros aujourd'hui, nous avons besoin d'un meneur.
-J-Je... tentait d'articuler Grimpal, la mâchoire tremblante.
-Givrali t'attend, ton fils aussi. Et toi, tu repars à l'aventure en pensant sauver des vies. Tu es si égocentrique que tu en oublies que d'autres en sont capable. Tu es si égocentrique que tu en oublies que tu es plus utile au sein de ta famille, de tes amis. Comment quelqu'un admiré de tous et ayant sauvé le monde deux fois peut être aussi aveugle ? Tu sais ce que je pense, que tu es accro. Tu es accro à la bravoure, au fait de sauver des vies. Seras-tu un jour heureux avec Givrali ? Avec Massko et tous les autres ?
-Je ne sais pas... finit enfin par avouer lourdement Grimpal.
-Alors tâche de revenir en vie, Grimpal. Tu entends ?! Car si tu ne reviens pas vivant, beaucoup de vies vont arriver à leur terme. Encore une fois, je ne parle pas de mort, mais de bonheur. Tu as été trop égocentrique. Aujourd'hui, tout tourne autour de toi, tout dépend de toi. Tu as été un héros, il est temps d'en assumer les conséquences. C'est ça qui me fascine chez toi, Grimpal. Même en étant parfait, il y a des choses auxquelles tu n'échappes pas. Reviens vivant, t'entends ? Il n'y a pas que moi qui serais brisée de ne pas te voir revenir.
Grimpal était complètement subjugué par le discours de Sonistrelle. Son aura n'était clairement pas la seule chose qui était étrange chez elle. Sa drôle aptitude n'était visiblement pas son seul secret. Elle imposait à Grimpal de revenir. Il devait le faire, c'était devenu un devoir. Grâce à elle, il se rendait enfin compte de l'essentiel : il ne devait plus construire de nouvelles choses mais protéger ce qu'il avait déjà fait. Ici, il s'agissait de la Compagnie, des trois équipes qui la composaient. Voir Sonistrelle dans cet état le laissait imaginer sans soucis l'état du reste de ses camarades s'il ne revenait pas. Il ne la connaissait pas depuis longtemps mais c'était pourtant elle qui avait le plus d'impact sur lui. Elle savait trouver les mots justes, elle savait percevoir ce que lui ne voyait pas. Mais qui est Sonistrelle ? Grimpal ne chercha pas la réponse à cette question. Ce n'était pas son devoir. Son devoir était de revenir sain et sauf. Il remercia Sonistrelle d'un mouvement de tête bancal avant de se retourner en essuyant une larme. Il se remit en route vers l'endroit où étaient partis ses amis. Son esprit était déchargé de pression. Massko, la guerre, tout cela n'avait aucune importance. Bonne nouvelle, malheur, peu importe, ce qui comptait était la Compagnie. Afin de partir l'esprit tranquille, il se rappela l'émotion la plus agréable qu'il avait ressenti jusqu'à ce jour et s'en laissa submerger jusqu'à ce qu'il ne pense plus rien : son amour absolu pour Givrali.
Feuforêve se tenait aux côtés d'Ectoplasma pour la première fois depuis longtemps. Il ne fallait pas confondre avec les dernière fois où Absol avait trainé Ectoplasma jusqu'aux côtés de Feuforêve. Non, cette fois-là, c'était eux deux, rien qu'eux deux. Feuforêve avait expliqué à Luxray qu'elle avait quelque chose d'important à faire, mais au fond d'elle, elle ne savait pas encore exactement quoi. Etait-elle là pour discuter avec Ectoplasma ou pour observer Absol s'entraîner avec Lougaroc ? Elle ne savait pas quel sentiment l'avait poussé à quitter son amant : l'envie de savoir comment son ami façonnait sa nouvelle vie ou en apprendre plus sur l'étrange meneur de son équipe. Ce fut en formulant cette question qu'elle comprit pourquoi elle était là. Ectoplasma se tenait droit sans dire un mot, il attendait patiemment que Feuforêve se lance. Feuforêve se surprit en train de rire doucement de nervosité.
-Ectoplasma...
-Qu'y a-t-il ? lâcha-t-il comme si ça le démangeait depuis un bout de temps.
-Je regarde Absol et voir quelqu'un qui reconstruit sa vie. Je regarde autour de moi dans la Compagnie Miracle et ne voit que des pokémons heureux d'être là. Mais pas toi.
-Tu insinues que je ne suis pas heureux ?
-Non ! Non, je suis sûre que tu l'es. Mais tu ne fais aucun effort pour l'être.
-Pourquoi devrais-je essayer d'être heureux si je le suis déjà ?
-Oh, arrête, grommela Feuforêve. Tu sais parfaitement ce que je veux dire. Chacun des pokémons entretient son bonheur, moi la première. Mais pas toi. Pourquoi ?
-Sois plus précise et je t'expliquerai.
-D'accord. Je suis en couple avec Luxray, je l'aime. Je fais tout pour passer le plus de temps avec lui. Comme tout le monde, nous cherchons tous à exploiter ce qui nous rend heureux. Mais moi je te regarde et je ne vois pas quelqu'un qui a trouvé son bonheur. Tu n'as pas de vie amoureuse, tu sembles avoir du mal à considérer les autres comme tes amis alors que tu es proche de Massko et encore plus d'Absol et moi. Pourquoi ? J'ai ma petite théorie.
-Oh, je suis curieux de l'entendre ! fit enfin Ectoplasma avec sa malice habituelle.
-D'accord. Tu es quelqu'un qui n'a vécu que par les autres. Je ne sais pas ce que tu cherches. Tu es quelqu'un qui a toujours voulu passer pour le méchant de l'histoire mais je sais que ce n'est pas le cas. Tu n'as jamais appartenu à aucun camp. En réalité, tu es un mercenaire. Tu ne te ranges que du côté des gagnants. Tu as été puni pour ça, d'ailleurs. C'est pour ça qu'Arcéus t'a choisi pour porter Fangar, il voulait que tu apprennes à faire des choix. Tu as donc tenté de sauver le monde. Mais en voyant que Grimpal était là pour te remplacer, ton orgueil a éclaté. Tu as tenté de l'écarter pour sauver le monde toi-même, quitte à le tuer. Ensuite, à la fin de cette histoire, tu as été libéré de l'emprise de l'humain, tu as donc recommencé à chercher le camp des gagnants. Tu es retourné voir Alakazam car il est le plus fort. Tu t'es entraîné à ses côtés pour pouvoir l'être encore plus. Mais voilà, un Ectoplasma du futur est arrivé et t'a ordonné de rejoindre Grimpal pour vivre ta nouvelle vie. Cet Ectoplasma même qui aura rejoint le camp de Dialga avant de rejoindre Grimpal dans le futur.
-Et où veux-tu en venir ?
-Que tu n'es pas celui que tu montres aux autres. J'ai approfondi cette histoire d'Ectoplasma du futur. Et j'ai ma théorie. Ectoplasma menait un double-jeu. Tu disais aux deux camps que tu espionnais pour eux tout en choisissant celui que tu soutiendrais au final. Il s'est avéré que le camp de Noctunoir était gagnant, après tout, ils avaient éradiqué les pokémons. Mais voilà, en voyant que dans leurs locaux, ils tenaient captifs une dizaine de pokémons et les torturaient, tu les as libérés et es retourné voir Grimpal comme si tu planifiais ça depuis le début.
-On parle d'un autre Ectoplasma, pas de moi.
-Foutaises ! Ce type, c'était toi ! Mais laisse-moi finir. La raison pour laquelle tu as rejoint Grimpal n'est pas parce qu'il avait une chance de l'emporter mais parce qu'il luttait contre le mal. Tu ne l'avoueras jamais mais je suis sûre que l'expérience du bien, du véritable bien, t'a montré la voie qui t'est destinée.
-Encore une fois, il s'agit de mon moi qui n'est pas moi. As-tu la moindre preuve qu'il en va de même pour moi, le vrai ?
-J'ai quelques arguments, en effet. Tu es venu ici car tu t'es fait confiance. Et tu n'es jamais parti. Tu es resté ici pendant cinq ans. Pourquoi ? Pourquoi es-tu resté ? Il n'y a aucun camp, aucun combat. Tu es resté de ton propre gré alors pourquoi ? Mais parce que tu te plais ici ! Et ça t'arracherait la gorge de l'accepter. Mais moi, je sais, je le vois. Tu es ici parce que tu as trouvé quelque chose à laquelle tu tiens : une équipe qui a confiance en toi.
-Partons du principe que tu as raison, pourquoi me racontes-tu tout ça ?
-Parce que je veux que toi aussi tu sois heureux. Comme Absol, comme moi. Et ton bonheur, tu le trouveras avec nous, ton équipe. Nous te suivrons partout. Et toi, pour être heureux, il faut que tu acceptes le fait que ce soit ça, la source de ton bonheur.
Ectoplasma ne répondit pas cette fois-ci. Il réfléchissait. Feuforêve savait qu'elle avait gagné. Elle observait au loin Absol qui luttait contre sa patte et l'étonnement douce Lougaroc, innocente. Ectoplasma ne répondait pas car il savait qu'elle avait raison. Elle avait raison sur toute la ligne. Il lui avait fallu trois ans mais elle avait enfin cerné le mystérieux Ectoplasma. Cependant, jamais il n'allait concéder qu'elle avait raison, c'était contre ses principes. Alors elle se tut et observa le combat amical de son ami sans un mot. "Je t'adore, tu sais." Lâcha subitement Ectoplasma d'un ton neutre. Feuforêve écarquilla les yeux. Ectoplasma venait d'avouer un sentiment d'affection. C'était une première mondiale. Mais Feuforêve ne se laissa pas déstabiliser. Elle se recentra sur elle-même et se contenta de sourire en pensant : j'ai réussi ! Et les deux amis continuèrent de regarder le troisième membre de leur trio dans le noir sans dire un mot.
Encore un chapitre dialogue parce que je sais que vous aimez ça. Il serait dommage que le récit se précipite vers sa fin. Vous tous comme moi avons envie d'en savoir plus sur nos personnages. Mais il ne faut pas traîner non plus, après tout, il ne reste que onze jours.
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