Chapitre Trente - Fin de la guerre

Un silence macabre régnait dans la Compagnie. Tous se terraient dans leur tanière, personne ne laissait échapper un mot. C'était comme si la Compagnie Miracle était morte ce jour-là, à la fin de la bataille. Ils avaient gagné mais le prix avait été trop fort. L'escouade de Grimpal avait été presque totalement décimée et ce n'était l'arrivée de la Compagnie Littorale qui allait le leur faire oublier. Une dizaine de pokémons avaient perdu la vie de leur côté. La guerre avait été cruelle. Mais ce n'était pourtant pas elle qui avait enlevé Massko. Non. Tout le monde pouvait parler des compagnons morts en héros mais pas de Massko. Personne ne pouvait prononcer son nom. Tous ressentaient une sorte de trahison. Massko fuyait. Il allait sûrement prendre des dizaines d'autres vies avant de trouver quelque chose pour le calme ou l'arrêter. Mais au final, c'était leur faute. Affronter des monstres sans cœur et des assassins, la Compagnie Miracle savait le faire. Mais devenir les méchants de leur propre histoire, c'était trop à supporter. Chacun remettait son rôle en question. Qu'avaient-ils fait de mal ? Auraient-ils pu l'éviter ? Auraient-ils dû se séparer de Massko plus tôt, le laissant vagabonder à la recherche d'une solution tandis qu'il n'était pas dangereux ? Qu'importe la réponse, les faits étaient là.
Les nouvelles à propos de Massko arrivèrent vite. Le soir de la fin du combat, un Békipan était arrivé avec de sinistres nouvelles. Mentali l'avait accueilli en sachant pertinemment que ça n'annonçait rien de bon. La lettre racontait que Massko se dirigeait vers le port Lokhlass comme il l'avait annoncé. Seulement, un village était sur son chemin. En tout cas, la lettre disait qu'il se trouvait là avant son passage. Par chance, Massko n'avait pas croisé Absol et les enfants sur le trajet, sinon la Compagnie se serait véritablement effondrée. Mais le pire dans l'histoire était Grimpal. Il était caché dans sa masure, n'avait rien dit depuis que le combat était terminé, n'avait pas repris le commandement. Il n'était plus que l'ombre de lui-même. Noctunoir essayait de motiver les troupes tant bien que mal pour panser leurs blessures mais rares étaient ceux qui acceptaient d'écouter le meneur remplaçant. Ils avaient besoin de Grimpal, de savoir qu'il allait bien. Mais ce n'était pas le cas. Grimpal était anéanti.

Vigaume entra doucement dans la masure. Il croisa le regard vitreux de son père et se mordit la lèvre inférieure en retenant ses larmes. Comment avons-nous pu tomber aussi bas en une seule journée ? se demanda-t-il. Vigaume se sentait comme au bord d'un gouffre immense. Comme si Grimpal avait déjà sauté. Vigaume ne se remettait pas de la mort de Vraal. Il avait besoin de quelqu'un. Mais Givrali n'arrivait à rien tant Grimpal l'inquiétait. Son père était trop mal pour faire quelque chose. Sonistrelle refusait de lui parler. Zoroark préférait rassurer Givrali plutôt que lui. Vigaume était seul, seul face à ce gouffre sans fond. Et finalement, son père leva la tête.
-Comment vas-tu, Vigaume ? demanda son père d'une voix involontairement basse.
-Je... je ne sais pas... bredouilla-t-il.
-Je sais ce que tu ressens... Perdre son partenaire, son meilleur ami. Nous avons tant partagé de choses ensemble et le voilà parti.
-Mais Vraal est morte ! Elle a sûrement été torturée ! Je ne sais même pas si elle a eu au moins la décence d'être enterrée...
-Parce que tu penses que voir Massko devenir un meurtrier est plus facile ?
demanda Grimpal en retenant sa colère. C'est grâce à lui que la Compagnie existe. C'est grâce à lui que j'ai rencontré ta mère. C'est grâce à lui que le monde a été sauvé. Durant toute mon existence sur cette planète, il a été histoire de Massko et Grimpal, jamais de Grimpal tout seul. Et aujourd'hui, alors que mon meilleur ami a besoin de moi, la meilleure chose que je puisse faire est le laisser partir...
Vigaume pencha la tête. Son père semblait si ridicule, si pitoyable. Il n'avait plus rien du grand leader qui l'avait élevé. Il avait toujours fait en sorte d'éviter d'être fier que son père soit Grimpal mais à cet instant précis, il regretta l'identité de son père. Il s'avança alors, prêt à le frapper de toutes ses forces pour le réveiller. Mais Grimpal leva les yeux pour le dévisager alors. Il n'était pas sur la défensive, il n'était pas blessé. Il scrutait Vigaume comme s'il sondait son âme. "Viens là, Vigaume..." proposa alors Grimpal. Il s'approcha à son tour de lui et se pressa contre son épaule. Vigaume ne tint plus. Il laissa sa tête tomber contre le dos de son père. "Vraal... Vraal..." répétait-il dans le chagrin le plus profond et intense.

Sonistrelle, toujours sur la membrane d'Absol, regardait alors les membres de la Compagnie tour à tour. Tout le monde se réfugiait dans un coin, seul ou en petit groupe. Absol marchait à travers le camp sans non plus prononcer un mot. Il semblait terriblement affecté lui aussi. Par la mort de Feuforêve, le départ de Massko et l'état de Grimpal. Mais il continuait d'avancer, comme si ça le maintenait en vie. "C'est... Difficile à regarder..." souffla Sonistrelle. Pour la première fois, Absol entendait Sonistrelle manifestait ce qu'elle ressentait. Elle n'était pas blessée par les différentes pertes, ni par la mort de son amie Vraal, ni par celle de tous ces pokémons qui veillaient autrefois sur la Compagnie Miracle. Non, Sonistrelle était blessée par ce qu'il restait de la Compagnie. Elle ne regardait pas chaque personne en tant qu'être mais en tant qu'un tout. Et ce tout vacillait. "Je me demande si la Compagnie Miracle se remettra de ça un jour..." soupira Absol, la gorge serrée. Il sentit Sonistrelle secouer la tête. Ce n'était pas de la tristesse, ni quoique ce soit de négatif. La gamine venait de secouer la tête en guise de désapprobation. "Non, je ne laisserai pas la Compagnie Miracle terminer ainsi !" s'exclama-t-elle de toutes ses forces. La plupart des pokémons à l'extérieur se tournèrent vers elle par curiosité. Absol voulut demander à sa protégée ce qu'elle comptait faire pour changer les choses mais celle-ci s'était déjà envolée. Elle est... incroyable, pensa Absol. Il décida de ne pas la suivre et de partir à la recherche de Lougaroc, ignorant la pointe au cœur qui venait d'apparaitre.
Sonistrelle entra dans la masure de Grimpal. Le regard fâché de Vigaume lui signifia qu'elle n'était pas la bienvenue chez eux. Mais Sonistrelle ne se laissa pas démonter. "Vigaume, tu devrais rejoindre Givrali et Zoroark. Je pense qu'ils ont tous les deux besoin de toi." fit-elle d'un ton neutre et cassant malgré tout. Vigaume réfléchit un instant puis sécha ses larmes avant de saluer son père. Il sortit sans accorder un seul regard à la jeune femelle.
-J'ai l'impression qu'il m'en veux, dit Sonistrelle avec désintérêt.
-Il est malheureux.
-Comme vous tous.
-Exact. Que veux-tu Sonistrelle ? Pourquoi es-tu là ?
Sonistrelle grinça des dents. Elle se retint de cracher toute sa colère contre le meneur. Il n'a clairement pas besoin de ça. Quel imbécile ! pensa-t-elle alors. Elle voulait réveiller Grimpal de son cauchemar, trouver quelque chose. Mais il continuait de l'ignorer. Tout ce qu'elle lui disait, il l'ignorait. Cette histoire de rôle à jouer, de décompte temporel, il n'en avait rien à faire. Il ne pensait qu'à sa petite personne. La Compagnie et le monde des pokémons n'existaient donc plus à ses yeux ? Sonistrelle refusa d'y croire. Elle décida alors de laisser tomber son masque.
-Arrête de m'appeler Sonistrelle... grogna-t-elle. Tu sais très bien qui je suis.
-Pardonne-moi, je pensais que ça te tenait à cœur.
-Depuis quand tu as deviné ?
-Depuis notre combat. Je pensais que tu te cachais de quelqu'un donc je n'ai rien dit. Mais en réalité, je crois que ça n'a plus d'importance, pas vrai ?
-La faute à qui ? Ton boulot était de sauver le monde, encore une fois, et toi, tu te lamentes comme si tu étais aux portes de la mort !
-Tu ne ressens donc jamais rien, Mew ?
Sonistrelle utilisa Aéropiqué pour faire taire Grimpal. Il s'était laissé frapper. C'en était trop pour elle. La gamine abandonna sa fausse apparence pour reprendre sa forme originelle. Mew s'éveilla alors, toujours aussi furieux. Il commença à critiquer Grimpal sur sa façon de gérer la Compagnie Miracle mais celui-ci l'ignora en lançant : "Ta véritable voix est si... magnifique.". Mew ne dit mot. Il regarda Grimpal, d'abord avec colère, puis mépris. Mais il décida de relativiser. Grimpal était un humain, il pouvait être atteint, comme n'importe quel être vivant. Il n'était pas un être supérieur, Mew devait se faire à cette idée. Il se laissa tomber dans la paille du nid de Grimpal et commença à parler.
-Que comptes-tu faire maintenant ? demanda-t-il au meneur.
-Je ne sais pas. Parle-moi de toi d'abord, tu veux ?
-D'accord...
soupira Mew, clairement exaspéré.
-Pourquoi es-tu parmi nous ? Pourquoi la Compagnie Miracle ?
-Tu sais, je suis le créateur de toutes les espèces vivantes. Ce monde est un peu comme mon enfant que je regarde grandir. Et je me cache parmi les autres pour observer. Je suis curieux de voir comment le monde progresse. Mais les pokémons ont été si répétitifs... Sans l'initiative d'Arcéus de ramener des humains ici-bas, les pokémons n'auraient presque pas évolué. Le comble, pas vrai ?
-Tu l'as dit...
-A force d'observer les pokémons, je me suis lassé. Je me suis alors concentré sur les humains. Et pour cette époque, c'est toi que j'ai choisi. Grimpal, tu es la personne la plus incroyable qui me soit donné de voir. Tu t'es toujours battu pour autrui, comme si tu t'identifiais dans tous les autres êtres vivants. Tu tentes de sauver tout le monde. Et, même quand ce n'est pas ton objectif, tu le fais. Sans le vouloir, les pokémons te suivent, voient en toi un leader. Tu les guides, naturellement. Non pas parce que tu as sauvé le monde, non pas parce que tu le feras sûrement encore une fois mais parce que tu leur apportes ce que tout le monde recherche : la paix. Ça et la confiance, la sécurité et j'en passe.
-Et alors ? Que tu me gardes à l'œil n'implique pas que tu sois membre de la Compagnie Miracle.
-Non, c'est vrai. La Compagnie Miracle est simplement l'endroit où il fait le plus bon vivre de toute la planète. Pour la première fois depuis des siècles, j'ai pris plaisir à vivre une vie normale. Et j'ai prévu de continuer, de vivre en tant que Sonistrelle, puis Bruyverne et ce jusqu'à la mort de ce Bruyverne. Ensuite, je repartirai observer le reste du monde. Et ça, c'est grâce à toi, Grimpal. C'est ce que tu as créé qui me permet d'avoir une véritable vie. J'ai une dette éternelle envers toi, tout comme le monde entier.
-Ça me fait une belle jambe. C'est pas ça qui ramènera les autres d'entre les morts ou Massko.
-C'est vrai. Seulement, je suis heureux d'être parmi vous. Et je t'interdis de m'enlever ça en restant ici à foutre ta vie en l'air ainsi que la plus belle œuvre que ce monde ait pu voir, tu entends ?
-Oui...
finit Grimpal, la honte visible dans sa voix.
Il baissait la tête, regardant le sol d'un air piteux. Mew se demanda s'il n'avait pas été trop dur avec lui. Mew ne communiquait jamais avec le commun de mortel en temps normal. Il avait du mal à visualiser ce que les autres pouvaient ressentir. Mais il pouvait être sûr d'une chose : ses propres sentiments. Il décida alors de sourire à Grimpal. "Tu sais, je t'admire. Tout ce temps, tu ne t'es jamais laissé abattre alors que le monde s'est tourné contre toi plus d'une fois. Tu es incroyable. Je ne veux pas que tu abandonnes... Alors... Reprends-toi, d'accord ? Ne le fais pas pour moi, fais le pour tous ceux qui t'attendent dehors...". Mew reprit alors son apparence de Sonistrelle et s'envola. La femelle jeta alors un dernier regard à Grimpal, réellement peinée pour lui. Mais elle préféra ignorer cette sensation désagréable et rejoindre Vigaume pour s'excuser. Inconsciemment, cette discussion à sens unique avait provoqué un déclic chez Sonistrelle. C'était comme si elle commençait enfin à apprécier les êtres autour d'elle. La jeune femelle avait fini par réellement s'inquiéter pour Vigaume alors que, quelques minutes plus tôt, elle ne s'intéressait qu'à la Compagnie Miracle. Ce fut avec un sourire aux lèvres qu'elle rejoignit son ami, sourire qui fut remarqué par les autres pokémons, sourire qui illumina un peu la silencieuse Compagnie, sûrement le seul sourire de la journée.

Grimpal appela alors tout le monde à rejoindre le promontoire. Son appel en surprit plus d'un. Personne ne s'attendait à le voir sortir de chez lui aussi tôt. Grimpal regardait ses nombreux amis, ses nombreux compagnons d'armes, ses nombreux partenaires. Ils avaient une lueur d'espoir qui illuminait uniformément leur visage à tous. Le meneur ferma les yeux, se réattribuant le personnage de fier meneur. Ce n'était pas qu'un rôle mais un devoir, une responsabilité. "Bonjour à tous... Je suis heureux de voir que vous êtes tous réunis. Comme vous le savez, le combat a été dur. De ce fait, je tiens à vous accorder à tous trois jours de congés. Vous êtes libres de rester ici pour reposer ou de partir voir des amis à l'extérieur. Vous avez tous besoin de vous remettre de cette guerre. Mais avant toute chose, je tiens à éclaircir quelques points. Certains d'entre vous ne le savent peut-être pas mais nous avons gagné note guerre. En effet, sur les Terres de Brume, les seuls opposants étaient Raikou et Archéduc. Leurs deux armées ont été vaincues. De plus, Munna est tombé hier et Tengalice se terre dans la Forêt Initiale. Après l'hécatombe dans lequel il a amené son armée, plus personne n'acceptera de lui suivre. Nous sommes désormais en sécurité. Par ailleurs, l'attaque d'Alakazam contre Artikodin et Sulfura aura lieu dans deux jours. Par conséquent, je vous supplie de ne pas rejoindre les Terres des Plantes. J'ai besoin de vous tous, comme vous avez besoin de moi. Nous avons gagné la guerre, c'est vrai, mais il faut que nous récupérions notre routine, celle pour laquelle nous nous sommes battus. Dans trois jours, nous reprendrons comme nous l'avons toujours fait. Chaque équipe pourra alors faire ce pourquoi elle a été créée tandis que les habitants répareront les dégâts de la guerre. Sur ce, je vous libère. Profitez de ces trois jours de répit pour pleurer vos pertes. C'est ensemble que nous surmonterons ça, ne l'oubliez pas."

Massko monta sur le dos de Lokhlass. Malgré la demande de celui-ci, il avait ordonné au pokémon marin de le transporter sur les Terres des Plantes de nuit. Lokhlass avait alors pensé qu'il devait y avoir une urgence, ce qui n'était pas totalement faux du point de vue de Massko. Il devait trouver comment se débarrasser de cette malédiction.
-Alors comme ça, tu quittes la Compagnie ? Tu quittes Grimpal ? demanda le chauffeur.
-Je n'ai pas le choix. Mais même une fois guéri, je ne sais pas si je reviendrais.
-Tu es malade ?
fit Lokhlass, surpris.
-C'est compliqué... soupira Massko.
Les vagues berçaient doucement Massko. Il était fatigué. Cette journée avait été une mauvaise journée. Il avait tué plus de cinquante pokémons depuis minuit. D'abord durant le combat puis en venant ici. Il essaya en vain de ne pas penser à ces familles qu'il avait éliminées. Le problème n'était pas qu'il pensait à l'atrocité qu'il avait commis, mais plutôt qu'il en était content. Ça avait été rapide et satisfaisant. Il se dit alors avec horreur qu'il commençait à devenir comme ses parents. Il ne se souvenait pas vraiment d'eux, seulement qu'ils avaient vécu en tant qu'assassin. Ils avaient éliminé des centaines de pokémons et cela les rendait heureux. Ils trouvaient leur bonheur en massacrant en couple des populations entières. Et s'ils ne tuaient pas par plaisir mais par contrainte ? Comme je le ressens aujourd'hui... Massko détestait ses parents. Il se demandait si le mal qui le rongeait n'était pas une maladie mais plutôt une défaillance génétique. Si c'était le cas, quel malheur qu'il soit aussi fort. Personne n'arriverait à l'arrêter. Ce fut en réalisant ça que Massko se posa une terrible question : dois-je vivre comme eux l'ont fait ?

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