Texte 6 : Je suis.
Je suis une menteuse. Les mots qui franchissent la barrière de mes lèvres sont aussi faux que ces sourires factices à la télé. Les vrais sont restés coincés. Tous amoncelés en moi, bloqués dans ma gorge, les phrases sont flammes et elles la dévorent. Mais je préfère, car si elles m'échappaient, si je ne parvenais plus à les tenir en cage, elles consumeraient bien davantage. Je n'ai que dix ans et je garde pour moi des secrets trop grands pour une enfant.
Je suis une menteuse. Les mots que j'extirpe avec difficulté, dénués de toute véracité, suffisent pourtant à tous les rassurer. Je vais plus mal que ce que j'affirme, mais ils n'iront pas s'en assurer. Je n'ai qu'à tirer sur mes manches, soutenir leurs regards et sourire, sourire, prétendre au bonheur, et ce sous mon propre toit. Je n'ai qu'à contempler ces marques sur moi, regretter leur présence, et leur inventer à toutes des genèses moins honteuses. Je n'ai que quinze ans, ma vie commence et j'essaie d'y mettre fin pourtant.
Je suis un mutisme. Mon visage est figé, mes émotions imperceptibles. Je me suis entraînée : ne rien laisser paraître pour qu'aucun ne puisse utiliser mon propre corps contre moi. Ils ne sauront rien de mes tourments, rien de mes sentiments. Mes yeux ne sont plus le reflet de mon âme, simplement une façade. C'est ce qui arrive lorsque l'âme se fait la malle, lassée de ne plus être entendue. Je n'ai que seize ans et j'ai appris à me protéger des autres, pourtant le danger vient d'ailleurs.
Je suis une manipulatrice. Mon silence m'a servit à tous les observer. Je sais ce qu'ils veulent entendre, tous ces menteurs, comment leur parler. Je sais que c'est la seule manière pour moi d'apprendre ce que le monde s'est efforcé de cacher. Je sais me montrer docile, je sais blesser. Je jongle tant entre mes personnalités que j'oublie qu'en moi existe une part de bonté. Mais elle ne m'a jamais aidée, autant l'abandonner. Je n'ai que dix-sept ans, je hais ceux qui m'entourent, tous ces gens.
Je suis amoureuse. Mes mots se sont sauvés, je n'ai plus pu les contrôler. J'ai entendu pour la première fois mon coeur, ses pulsations, comme si je reprenais vie après des années de cryogénisation. À trop avoir peur de me brûler, j'avais fini par me congeler. Je n'étais que froideur, j'avais perdu le nord. Et, heureux coup du sort, j'ai goûté aux lèvres d'un homme aux cheveux de feu. La glace a fondu, ma méfiance s'est tue. J'ai dix-neuf ans, et je réalise qu'avec les secrets, j'ai perdu assez de temps.
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