9. magic shop

Hello les amis !!

Je suis très heureux de vous poster la suite de Poem (deux chapitres cette semaine eheh)

J'ai tout donné !

J'espère que vous allez aimer, j'ai adoooooré écrire ce chapitre !

Bonne lecture <3

PS : vous avez la ref du titre ? :p


***********༄***********


J'ai le cœur prêt à craquer.

Comme un vase rempli à ras bord dont une seule goutte suffirait à tout faire déborder.

Je dois m'éloigner. M'éloigner de Jungkook au plus vite. Chaque seconde qui passe me fait craindre qu'il va me suivre, comme dans le couloir tout à l'heure. Mais heureusement, cette fois, il ne le fait pas.

Je m'échappe. Je sais que je m'échappe. Que je le fuis avec une lâcheté désespérée. Parce que c'est la seule façon pour moi de ne plus subir la lourdeur de ses yeux noirs. Parce que c'est tout ce que j'ai trouvé pour ne plus me sentir prisonnier.

Pas de sa main autour de mon poignet, même si j'en sens encore la brûlure.

Mais de sa présence écrasante.

De l'effet qu'il a sur moi.

Jungkook est comme ça. Il apparaît, et instantanément, je perds mes repères. Je deviens ce pantin nerveux et maladroit, incapable d'articuler quelque chose de cohérent.

Personne, avant lui, ne m'avait mis dans cet état.

D'un simple regard, il provoque un tourbillon d'émotions contraires. Il brouille toutes mes fréquences. Fait dérailler mes pensées. À ses sourires narquois, je réponds par des sursauts d'hostilité mal contenue, mais la vérité, c'est que je brûle d'envie de percer ses mystères, de le dépouiller de ce masque qu'il porte.

Parce que je le sais. Je ne suis pas stupide. Comme nous tous, Jungkook porte un masque. Il se cache derrière ses airs assurés pour camoufler ce qu'il retient à l'intérieur.

Mais quoi ? Qu'est-ce qu'il retient ?

C'est un fait : Jungkook me déstabilise. Et je suis sûr qu'il le sait. Chaque mot, chaque geste, est une tentative pour me faire vaciller. Peut-être que ça l'amuse de me voir me débattre. Peut-être que ça l'occupe.

« C'est drôle de te voir essayer ».

C'est ça. Je suis un passe-temps pour lui. Une distraction.

Notre confrontation me laisse un goût amer, un mélange de colère et de confusion que je n'arrive pas à digérer.

« Qu'est-ce que tu attends de moi ? »

La vérité, c'est que je n'en ai pas la moindre idée. Parce que je veux tout et rien à la fois. Je veux qu'il se dévoile, et je veux qu'il se taise. Je veux qu'il me remarque, mais aussi qu'il m'ignore. Je veux comprendre, mais je veux m'épargner la douleur d'une vérité qui pourrait me consumer. Peut-être que les rumeurs à propos de lui sont vraies, peut-être pas, mais je dois l'entendre de sa bouche pour en être sûr.

Tout en lui me dérange et m'attire à la fois.

Bordel. Je suis si compliqué.

Je m'éloigne du hall d'entrée, une urgence grouillant dans mes veines. J'ai besoin de prendre l'air avant que tout n'explose à l'intérieur. En franchissant la porte du bâtiment, je tombe nez à nez avec Jimin. Il se tient là, l'air surpris.

— Oh, salut Taehyung... ça va ?

Je hoche la tête, le regard fuyant, et fais un vague geste de la main.

— Oui oui, ça va. On se parle plus tard, ok ?

Je mens, mais je n'ai pas le choix. Je mens parce que lui dire que je suis bouleversé ne servirait à rien.

Jimin ouvre la bouche, prêt à répliquer, mais je ne lui en laisse pas le temps. Je m'éloigne, mes pas résonnant sur le trottoir, tandis que je traverse l'université pour m'engouffrer dans le labyrinthe des rues agitées de Séoul. Les bruits, les lumières, tout semble trop fort. Trop bruyant. Trop éclatant. Je me noie dans cette foule, espérant qu'elle m'engloutisse et fasse taire la tempête qui fait rage en moi.

Je cherche un endroit où pleurer.

Je sens que ça déborde. Que ma défaite au club d'échecs, la pression que Jungkook m'a mise avec son décompte à la noix et notre confrontation dans le hall me rend nerveux. Et j'ai les larmes au bord des yeux.

Mais Tae, il ne faut pas pleurer pour si peu, me dirait Soojae.

Il faut ravaler tes larmes. Ou sourire. Oui, sourit Tae, tu es plus beau quand ton visage rayonne et non pas quand il est noyé par la tristesse. Souris, parce que moi j'aime le soleil, et pas la pluie.

J'essaie. Vraiment, j'essaie. De sourire. De tirer sur mes joues. Mais ce sont des larmes qui menacent de couler. Je suis hors service, incapable de fonctionner.

J'avance au hasard. Une frustration sourde m'enveloppe et me rend fébrile. Pourquoi est-ce si difficile entre Jungkook et moi ? Pourquoi ai-je l'impression de toujours perdre pied face à lui ?

Le temps se dilue alors que j'erre sans but. Les néons clignotent dans la nuit, et tout semble se confondre dans une danse sans fin. Je ne sais pas où je vais, mais je marche, jusqu'à ce que mes pas ralentissent et me guident malgré moi dans une ruelle mal éclairée. Là, je m'adosse contre un mur, le corps tendu, les poings serrés, et pendant un instant, tout s'arrête. Mon menton se relève et je ferme les yeux.

J'ai besoin de pleurer.

Besoin de laisser sortir toute cette frustration que Jungkook a générée. Alors c'est ce que je fais. En tentant de ne pas écouter la voix de Soojae dans ma tête qui me répète inlassablement que je dois sourire. Je pleure parce que je n'ai plus que ça pour me vider. Pour me débarrasser de ce qui me pèse et que je n'arrive pas à encaisser.

« Qu'est-ce que tu attends de moi ? »

Si seulement je le savais...

C'est idiot de pleurer, pas vrai ? Mais je crois qu'en réalité je pleure pour toutes ces fois où je me suis interdit de le faire. Pour toutes ces fois où Soojea m'a forcé à sourire. Pour toutes ces blessures que je garde enfouies et que Jungkook a rouvertes.

Je pleure pour ce doute qui grandit. Cette peur, aussi. Celle de ne pas comprendre ce qui m'arrive. Parce que c'est ça, au fond : j'ai peur. Peur de ce que je ressens. Peur de ce que je désire.

Je laisse les larmes s'échapper. Elles coulent sans un bruit. Un vide se creuse alors, et une sensation d'abandon me traverse. Mais c'est un abandon nécessaire, une purge que je ne peux plus différer. L'humidité de la ruelle pénètre ma peau, mais je m'en fiche. Rien n'a plus d'importance, si ce n'est ces larmes que je ne parviens pas à arrêter.

Je n'ai pas envie de les arrêter.

J'ai envie de les laisser faire leur travail, de vider tout ce qui est devenu trop lourd à porter. Je voudrais me débarrasser de tout ça, tout effacer, tout oublier. Mais rien ne disparaît. Tout reste. Ça brûle. Ça ronge.

Je renifle.

Après quelques minutes, les larmes s'arrêtent enfin. Il n'y a plus rien.

C'est étrange, la façon dont le corps se vide toujours avant la tête...

J'inspire, puis me remets en route. J'arrive face à un stand de street food et mon estomac gronde, me rappelant que je n'ai rien avalé depuis des heures. L'odeur des tteokbokki me parvient. Le vendeur est là, avec son tablier un peu trop grand et je décide de prendre une barquette, de payer ma commande, et de quitter l'endroit presque aussi vite que j'y suis venu. Je n'ai plus la force de sourire, ni même de parler.

Les rues de Séoul ne m'intéressent pas vraiment. Je les traverse sans les voir, jusqu'à ce que le garage du père de Yoongi apparaisse. Ses grandes portes ouvertes laissent échapper un rai de lumière et le bruit lointain d'une radio crache une vieille chanson. J'aperçois Yoongi, accroupi près d'une moto, une clé anglaise à la main. Il relève la tête en me voyant approcher.

— Oh, bah qu'est-ce que tu fous là ?

Je hausse les épaules, incapable d'articuler une réponse convaincante.

— Toi, tu as la gueule des mauvais jours, lâche-t-il en me détaillant.

Je ne le prends pas mal. Je sais qu'il a raison.

— Longue journée...

C'est un mensonge, évidemment. Yoongi le sait, mais il ne creuse pas.

— Tu as bouffé quelque chose, au moins ?

Je secoue la tête.

— J'ai pris des tteokbokki en chemin...

Il attrape le sachet que je lui tends.

— Viens.

Je le suis comme un automate. Nous traversons le garage pour aller nous installer sur un vieux canapé défoncé dans le fond. Des odeurs d'huile et de métal brûlé flottent dans l'air, et c'est un parfum presque rassurant. J'ai passé de longues heures ici, quand j'étais petit. À regarder le père de mon meilleur ami réparer des voitures en tout genre et à rire lorsque nous faisions des bêtises.

Yoongi prend place à mes côtés, se saisit des baguettes et me les tend. Je refuse.

— T'as pas faim ?

L'appétit a disparu.

— J'ai acheté ça pour toi.

— Hm.

Il fronce les sourcils, mais je vois bien qu'il meurt d'envie de manger. Alors, après quelques secondes d'hésitation, il ouvre le couvercle et prend une bouchée. Mon silence l'interpelle. Il s'arrête, la joue pleine.

— Bon, qu'est-ce qui se passe ?

Je soupire, tandis que mes yeux se fixent sur une tache d'huile au sol.

— Rien, c'est... c'est juste que -

— Stop, me coupe-t-il. Ça fait des jours que tu fais genre que ça va, mais je vois bien que c'est pas le cas. Et je te connais, t'es pas venu ici juste pour me voir bosser. Alors quoi ? Il se passe quoi ?

C'est net, brutal. Je me raidis.

— Jungkook...

Voilà. C'est dit. Les mâchoires de Yoongi se contractent.

— Et il a fait quoi, cette fois, ce connard ?

— Rien... C'est juste moi. J'ai perdu ce soir, au club. J'ai foiré comme un novice. Et maintenant... je sais plus.

Yoongi ne répond pas tout de suite, et se contente de mâcher lentement, le regard ailleurs.

— Putain, il me casse vraiment les couilles. Je t'avais dit de pas le laisser t'approcher.

Je ne réponds pas.

Alors que Yoongi s'apprête à reprendre la parole, la porte du garage grince légèrement, me faisant sursauter, et avant que je n'aie le temps de réagir, Namjoon apparaît.

Il s'arrête un instant, puis s'approche de la moto garée dans un coin, posant d'abord ses yeux sur la machine, avant de les lever vers nous.

— Salut vous deux !

Yoongi hoche la tête, moi j'agite doucement la main.

— Je viens chercher la bête, prononce Namjoon d'un ton léger.

Il s'agenouille près de sa moto, ajuste la béquille et inspecte rapidement la roue avant. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose de presque solennel dans ce moment, dans cette scène où il manipule sa moto avec la même rigueur qu'un musicien avec son instrument.

Il jette un coup d'œil vers moi, puis vers Yoongi, comme s'il attendait qu'un de nous deux dise quelque chose. Mais Yoongi ne dit rien, et moi non plus. Il y a ce drôle de poids dans l'air, une sorte de tension que personne ne veut vraiment briser. Enfin, Namjoon se redresse lentement, et essuie ses mains sur son jean.

— Je te dois combien ?

— 450 000 wons. Je t'ai fait une révision complète, comme tu m'as demandé.

— Parfait.

Yoongi dépose les baguettes sur la barquette de tteokbokki et se lève. J'en profite pour faire de même. Je crois que je veux rentrer. Si je reste, Yoongi va pousser l'inquisition et je n'ai pas envie de parler. Je ne veux pas parler de Jungkook.

Pas avec lui.

J'avais juste besoin de le voir un peu, je crois. Mais c'est fait, et maintenant j'ai besoin d'être seul. Est-ce que c'est égoïste d'avoir fait tout ce trajet pour au final rester si peu ? Je triture mes doigts, observant Yoongi aller encaisser Namjoon. Lorsqu'ils reviennent, ce dernier se dirige vers sa moto, sort une clé de sa poche, chevauche sa bécane et démarre le moteur.

Yoongi ne bouge toujours pas. Il laisse Namjoon nous saluer, et s'en aller. J'attends un instant, puis je décide de filer à mon tour.

— Bon bah... à tout à l'heure, je lance.

Yoongi ne répond pas. Mais je sais qu'il se pose un tas de questions. Je sais que, tôt ou tard, il voudra des explications. Le cœur lourd, je m'éclipse sans un regard en arrière, franchissant la porte du garage avec précipitation, comme si le simple fait de m'éloigner pouvait effacer les interrogations muettes de Yoongi.

Je glisse mes mains dans les poches de ma veste, cherchant un peu de réconfort face au froid mordant, et je me dirige vers la station de métro la plus proche. Le flot de passagers m'aspire, et bientôt je me retrouve assis dans un wagon.

Je sors mon téléphone.

La solitude a cette manière insidieuse de ramener à la surface tout ce qu'on voudrait oublier.

Sans vraiment réfléchir, je décide d'envoyer un message à Kai.


Taehyung

Salut, toujours partant pour un café samedi ?


Il ne tarde pas à répondre, et quelque part, cette promptitude me fait du bien, comme une preuve tangible que je ne suis pas complètement invisible.


Kai

Bien sûr !

J'espérais que tu n'avais pas oublié.

Il y a un petit salon de thé que j'adore, le Magic Shop, près de Hongdae.

16h, ça te va ?


Je me cale contre la vitre du métro, fermant les yeux un instant. Le rendez-vous avec Kai m'offre une échappatoire. Une promesse de normalité, même si elle est fugace.


Taehyung

Ça me va, je serai là.

À samedi !


Samedi, je verrai Kai. Samedi, je m'offrirai une pause, un répit loin de Jungkook, loin des questions sans réponse, loin de cette spirale dans laquelle je m'enfonce chaque jour un peu plus.

Putain, je viens de repenser à un truc...

J'ai dit à Jungkook de venir dimanche. Ma paume frappe mon front, puis glisse sur mon visage jusqu'à se poser contre ma bouche.

Pourquoi j'ai fait ça ?

Peut-être parce que cette défaite, ce soir, m'a laissé un goût amer. Peut-être que dans le flot de paradoxes que fait jaillir Jungkook, il y a cette envie persistante de le revoir. De l'affronter. De lui prouver que je -

De... De le revoir... ?

Je secoue vivement la tête. Non. Ce n'est pas pour ça que je lui ai proposé de venir dimanche. C'est pour le battre.

Pour le battre.

Le métro s'arrête. Je me redresse et me dirige vers la sortie, mes pas résonnant contre le carrelage froid de la station. Dehors, la nuit me cueille avec une violence glaciale, mais je n'y prête plus attention. Tout ce que je veux, c'est marcher, encore un peu, juste un peu, pour ne pas penser.

Pour ne pas penser à lui.


***


Vendredi.

La journée s'étire en longueur. Les heures se succèdent et je suis là, assis dans cet amphithéâtre, à écouter d'une oreille distraite le professeur. Les étudiants autour de moi griffonnent des notes, concentrés, mais mon esprit est ailleurs.

Je pense à Yoongi.

Hier soir, lorsqu'il est rentré du garage, je l'ai évité. J'ai pris une douche brûlante et je suis parti rapidement me coucher, sans même manger, pour ne pas qu'il me pose de questions. Je sais qu'il a compris que quelque chose n'allait pas, et que c'était en lien avec Jungkook. Et maintenant j'ai peur. Peur qu'il aille le voir pour lui dire de me foutre la paix. Peur qu'il vienne me voir moi, pour m'en parler.

Je soupire et lorsque la sonnerie retentit enfin, je sors de ma torpeur et me lève. Je range mes affaires, et quitte la salle après avoir salué Ara en lui souhaitant un bon week-end. Je me fraie un chemin à travers les couloirs bondés, esquivant les étudiants qui se pressent vers la sortie, avides de retrouver leur liberté du vendredi soir. Mais pour moi, le véritable soulagement n'arrivera que lorsque je serai loin de cette université.

Loin de Jungkook.

Et c'est justement ce dernier que je croise au détour d'un couloir. Il est avec Jimin et Hayun. Je passe rapidement devant eux en faisant mine de ne pas les avoir vus.

Mon cœur ne se remet à battre qu'une fois que je suis hors de portée. Dehors, Yoongi m'attend, adossé à sa voiture, une cigarette entre les lèvres. Il tire une dernière bouffée et laisse le mégot tomber au sol en l'écrasant de son talon.

— Et voilà le beau gosse !

J'esquisse un sourire amusé.

L'autre jour, Yoongi m'a proposé d'aller voir son frère, Donghae.

— Il va être foutrement content de te voir. Ça fait un bail !

Ça fait des mois que je ne l'ai pas vu. Depuis ce terrible accident en novembre dernier. Une fracture ouverte de la jambe, m'avait annoncé mon meilleur ami, comme une sentence irrévocable qui l'a cloué à un lit d'hôpital pendant des semaines. Depuis, il est en rééducation.

Je hoche la tête, et monte côté passager. La voiture démarre dans un rugissement, et nous filons à travers les rues de Séoul.

Nous arrivons rapidement chez Donghae. L'escalier de l'immeuble est étroit, et chaque marche grince sous nos pas. L'air est légèrement plus frais à l'étage, un mélange d'humidité et d'odeur de lessive. Yoongi frappe trois coups contre la porte, et sans attendre de réponse, il ouvre en souriant.

— Donghae, tu as de la visite, annonce-t-il d'une voix douce.

Je m'avance à sa suite, un nœud au ventre, sans vraiment savoir à quoi m'attendre. La dernière fois que j'ai vu Donghae, il était encore ce garçon rayonnant, le visage toujours illuminé par un sourire désarmant. Mais l'accident a tout changé.

Donghae est là, assis dans un fauteuil roulant, la jambe gauche toujours immobilisée par une attelle imposante. Pourtant, dès qu'il m'aperçoit, son visage s'éclaire d'un sourire large, comme si rien n'avait changé. Comme si les mois de douleur, de rééducation et d'immobilité forcée n'avaient été qu'un mauvais rêve.

— Taehyung ! s'exclame-t-il, les yeux pétillants. Mec ! Ça fait une éternité !

Je m'approche, un peu maladroit, puis je me penche pour lui faire une accolade. Son étreinte est ferme, presque désespérée, comme s'il craignait que je disparaisse.

— Oui... Désolé de ne pas être venu plus tôt, dis-je en me redressant, le regard fuyant. J'aurais dû...

— Arrête, me coupe-t-il avec un geste de la main. C'est déjà génial que tu sois là maintenant ! Ça me change de la tête de Yoongi et de mon vieux père.

Yoongi grogne, feignant d'être vexé, puis il se laisse tomber dans le vieux canapé, un sourire en coin. Il fouille dans son sac et en sort une bouteille de soju qu'il brandit comme un trophée.

— J'ai ramené de quoi trinquer, annonce-t-il.

Donghae éclate de rire. Pour un instant, c'est comme si tout allait bien, comme si le monde extérieur n'existait pas.

Nous nous installons autour de la petite table basse, où traînent des magazines écornés. Yoongi sert le soju dans de petits verres en céramique qu'il a été récupérer, puis il lève le sien en direction de Donghae.

— À ta guérison, articule-t-il simplement.

Je lève mon verre à mon tour, observant Donghae du coin de l'œil. Il a changé, c'est indéniable. Un éclat de maturité, peut-être une forme de résilience que je ne lui connaissais pas, se lit sur son visage. Pourtant, il reste ce soleil autour duquel Yoongi et moi gravitons, inévitablement attirés par sa lumière.

— Comment ça va ? je demande, un peu hésitant, après une gorgée qui me brûle la gorge.

Il soupire, posant son verre vide sur la table.

— Ça va mieux. La rééducation est un enfer, mais bon... au moins, je ne suis plus à l'hôpital, dit-il en haussant les épaules. Tu sais, ça te fait revoir tes priorités, d'être coincé comme ça.

Il me fixe, et je sens une sorte de profondeur dans son regard, un poids qui n'était pas là avant.

— J'ai commencé à me lever un peu, à marcher avec des béquilles. C'est pas encore ça, mais tu me connais... je suis un dur à cuire. Dans quelques semaines, je serai debout à courir plus vite que vous deux réunis.

Nos rires résonnent, avant qu'il ne reprenne la parole.

— Et toi, mec ? Tout va bien ?

Je me mords la lèvre, cherchant une réponse. Mais la vérité, c'est que je n'en ai pas. Alors, je me contente de hausser les épaules en essayant de sourire.

— Comme d'habitude. Les cours, la vie... Tu sais comment c'est.

Il me jauge, comme s'il tentait de lire entre les lignes. C'est Yoongi qui reprend la parole.

— T'es sûr que tu te débrouilles bien ici, tout seul ? Le vieux devrait passer plus souvent, non ?

Donghae secoue la tête.

— Papa est toujours au garage, tu le sais. Et moi, je préfère être ici, tranquille, plutôt que d'avoir quelqu'un sur le dos en permanence. Vous savez comment je suis, j'aime ma liberté.

Yoongi acquiesce, mais je sens une ombre de tristesse dans son regard, une inquiétude qu'il cache mal. Il n'aime pas voir son frère ainsi, dépendant, même si Donghae prétend que tout va bien.

La conversation dérive sur des sujets plus légers : des anecdotes, des souvenirs d'enfance, des blagues qui nous font rire malgré tout. Donghae nous parle de ses séances de rééducation, de ses progrès lents, mais constants, et il parvient même à nous faire oublier, l'espace d'un instant, le poids de son immobilité.

Puis, le soir commence à tomber. La lumière change, devient plus douce et enveloppante. On reste encore un moment, le silence entrecoupé par nos rires, comme si le temps avait suspendu son vol, comme si ce petit appartement était un refuge hors du monde, un espace où rien de mal ne pouvait nous arriver.

Mais bientôt, il est temps de partir. Yoongi se lève et s'étire, tandis que Donghae nous regarde avec un sourire mélancolique.

— Revenez vite, d'accord ? Promettez-moi de ne pas attendre encore des mois avant de repasser.

Je promets.

On descend l'escalier en silence, Yoongi et moi.

— Merci d'être venu, murmure mon meilleur ami, comme une confidence. Ça lui a fait du bien de te voir.

Je ne réponds pas. Un nœud se forme dans ma gorge, mais je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être parce que je réalise à quel point la vie peut être fragile, à quel point tout peut basculer d'un instant à l'autre. Peut-être parce que Donghae, avec son sourire indéfectible, nous renvoie l'image de ce que nous pourrions être si nous avions seulement le courage de voir la lumière au milieu des ténèbres.

Ce soir, je ne me sens pas tout à fait vide. Un peu de la lumière de Donghae m'accompagne, et je me surprends à espérer que, peut-être, tout n'est pas encore perdu.


***


Samedi.

Il est 16h, et le soleil brille sur Séoul, répandant sa lumière dorée sur les façades des immeubles. Je marche d'un pas tranquille, les pensées vagabondes. Aujourd'hui, je me sens bien, l'air est léger, presque printanier. J'avance, les mains enfoncées dans les poches de mon manteau, me laissant porter par la douce indifférence de la ville.

Le métro était bondé comme toujours, un condensé d'humanité dans ces wagons pressurisés, mais je m'en suis extirpé sans vraiment y penser. Les rues de Hongdae s'ouvrent devant moi, bruyantes, vibrantes, un chaos organisé de musique, d'odeurs de street food et de rires. C'est samedi après-midi, l'heure où les jeunes envahissent le quartier à la recherche de divertissement.

Je me faufile parmi eux, suivant les ruelles animées, et enfin, j'aperçois l'enseigne du Magic Shop. Le salon de thé se cache entre un bar à bières artisanales et une petite librairie indépendante, un endroit discret, presque caché, connu uniquement par les initiés. Les grandes baies vitrées laissent entrevoir un intérieur cosy, et je sais d'avance que je vais adorer.

En entrant, une petite clochette tinte au-dessus de ma tête et je suis aussitôt enveloppé par l'odeur du café fraîchement moulu et des pâtisseries. L'intérieur est chaleureux, un mélange de bois vieilli et de plantes suspendues. Les conversations y sont feutrées, les rires discrets.

Je le repère tout de suite. 

Kai est assis dans un coin, un livre ouvert devant lui, une tasse de café fumante à portée de main. Quand il me voit, son visage s'éclaire d'un sourire sincère, presque trop sincère pour ce monde saturé de faux-semblants. Il se lève légèrement, et me fait signe.

— Taehyung ! prononce-t-il dans un sourire qui trahit une pointe de soulagement. Tu as trouvé facilement ?

— Oui, oui, ça va, j'espère que je ne t'ai pas fait attendre, je réponds en retirant mon manteau et en prenant place en face de lui.

Il secoue la tête, rejetant la question d'un geste de la main.

— Pas du tout. En fait, je suis arrivé en avance, j'avais envie de profiter du calme. J'ai déjà commandé un expresso pour moi, mais je ne t'ai rien pris, je ne sais pas ce que tu préfères.

Il a l'air presque gêné, et ça me fait sourire malgré moi.

— Je vais prendre un latte.

Il hoche la tête et se lève pour passer la commande. Profitant de ce court instant de solitude, je balaie la pièce du regard. Le Magic Shop est exactement comme je l'imaginais : un refuge urbain, où les gens viennent s'oublier dans la chaleur du café et le confort d'un fauteuil en cuir.

Kai revient rapidement avec ma tasse. Je prends une gorgée de mon latte, savourant la chaleur qui se répand dans ma poitrine. Sur la table, je remarque un livre à la couverture usée. Kai suit la trajectoire de mon regard et me le tend fièrement.

— C'est ce que je lis en ce moment, Kim Ji-young : Born 1982 de Cho Namjoo. Tu l'as lu ?

— Oui, il y a quelque temps, dis-je en feuilletant distraitement les pages. C'est un livre puissant, il met vraiment le doigt sur des trucs qu'on préfère ignorer.

Kai acquiesce.

— C'est vrai. Chaque chapitre me donne une claque. Je me rends compte à quel point la société est injuste, comment elle enferme chacun de nous dans des rôles. Ça me fait réfléchir, tu vois ?

Je hoche la tête.

— Et toi, tu lis quoi en ce moment ?

J'ouvre mon sac et en sors La cloche de détresse, de Sylvia Plath, un roman qui, malgré son apparente simplicité, résonne profondément en moi. 

— C'est très sombre, j'avoue en le posant sur la table. Mais j'aime cette manière qu'a Plath de disséquer les pensées les plus noires avec une telle clarté. 

— Ça ne m'étonne pas de toi, Taehyung. 

Il dit ça d'un ton léger, mais je capte l'hésitation derrière ses mots, comme s'il craignait d'en dire trop. Un silence s'installe. 

Kai se penche un peu plus vers moi, son bras frôlant presque le mien.

— Tu sais, j'ai toujours voulu avoir une discussion comme ça, juste toi et moi. On s'est rencontrés en soirée, puis on s'est revu au club de littérature, mais c'est cool d'être juste tous les deux, non ?

Je le regarde, intrigué par cette confession impromptue.

— Ça l'est, oui.

— C'est facile de parler avec toi, dit-il, en jouant distraitement avec le bord de sa tasse.

Je sens qu'il y a plus derrière ces mots, un intérêt qu'il essaie de cacher sous des banalités. Il me regarde, attendant une réaction, mais je me contente de hocher la tête, comme si je n'avais rien remarqué.

Le temps s'étire, les clients défilent autour de nous, mais nous restons dans notre bulle. On parle de nos lectures, de nos journées respectives. Ça me fait un bien fou. Pendant un instant, je me surprends à apprécier la compagnie de Kai, sans me demander ce que ça signifie, sans chercher à deviner ce qu'il veut vraiment.

— On pourrait se refaire ça, un de ces jours, propose-t-il, un éclat d'espoir dans la voix.

— Oui, pourquoi pas.

Et puis, soudain, la clochette de la porte attire mon attention. Mon cœur rate un battement. Je lève les yeux, et c'est là que je le vois. 

Jungkook. 

Qu'est-ce qu'il fiche ici ?! 

Il vient d'entrer, accompagné d'une fille que je ne reconnais pas. Ses cheveux sombres tombent sur ses épaules, et elle rit aux éclats à quelque chose qu'il vient de murmurer à son oreille.

Ils avancent dans la salle, et mon regard ne les quitte pas. Comme s'il avait senti ma présence, Jungkook tourne la tête et nos yeux se croisent. Mon cœur rate un battement. Il traîne la fille jusqu'à une table derrière Kai. 

Parfaitement positionnés pour que je puisse tout voir, mais que Kai ne puisse rien deviner.

Je tente de reporter mon attention sur Kai, sur son sourire, sur les mots qui sortent de sa bouche, mais mon esprit vacille. Je vois trouble. Jungkook s'assoit, discute, ses doigts tatoués frôlant la nuque de la fille avec une familiarité insolente. 

Et puis, il se penche. 

Ses lèvres effleurent sa mâchoire fine, et il esquisse un sourire arrogant. Elle glousse, puis tourne la tête pour que leurs lèvres se touchent. D'abord lentement, comme une caresse, puis plus fort.

Il l'embrasse elle...

... mais il me regarde moi.

C'est presque obscène, la façon dont il la dévore tout en gardant ses yeux rivés aux miens. Comme un défi silencieux, une provocation qu'il sait que je ne peux pas ignorer. Kai parle toujours, mais sa voix est un murmure indistinct, étouffé par le martèlement de mon cœur.

Je me fige, mes mains tremblent légèrement autour de ma tasse, et je fais de mon mieux pour garder contenance. 

Jungkook, lui, ne lâche rien

Il me fixe encore et encore, ses lèvres s'étirant dans un sourire qui n'a rien d'innocent.

— Taehyung ? Tout va bien ?

La voix de Kai me ramène brutalement à la réalité. Je papillonne des yeux. Il a remarqué mon trouble. Mais comment lui expliquer ce qui se passe sans révéler tout le chaos que Jungkook provoque en moi ?

— Oui, tout va bien, je murmure, un sourire forcé aux lèvres. Désolé, j'étais... ailleurs.

Mais je ne peux plus me concentrer. Le baiser de Jungkook avec cette fille semble interminable, chaque seconde s'égrène comme une éternité. Une rage sourde monte en moi, mêlée d'un trouble que je préfère ne pas analyser.

Kai fronce les sourcils, prêt à poser une autre question, mais à cet instant, Jungkook rompt le baiser. Il se redresse, essuie négligemment le coin de sa lèvre, et me lance un dernier regard, lourd de sens. Comme pour dire, regarde ce que tu manques.

C'est en tout cas comme ça que je l'interprête...

Je me lève brusquement, renversant presque ma chaise. Kai sursaute, les yeux ronds, surpris par mon mouvement soudain.

— Excuse-moi, il faut que je sorte... juste une seconde.

Je me faufile hors du café sans attendre sa réponse, le souffle court, comme si je venais de fuir un incendie. 

Derrière moi, le rire de Jungkook résonne.

Et je comprends, à cet instant précis, que ce jeu entre nous est loin...

...très loin d'être terminé...


***********༄***********


Je - 

(๑•_•๑)

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