8. qu'est ce que tu attends de moi

(¬‿¬)


***********༄***********


Je me demande souvent comment le temps peut être à la fois un allié et un ennemi.

Parfois, il file si vite que je n'ai pas l'occasion de m'ennuyer, et parfois il semble s'étirer, comme un élastique qu'on étend jusqu'à la rupture en espérant qu'il finisse par céder.

Assis sur le siège du métro, une impatience me serre la poitrine alors que les minutes semblent jouer avec mes nerfs. Parce qu'il me tarde de répondre à Noctem. Est-ce qu'il a remarqué mon silence ? Peut-être qu'il se demande pourquoi j'ai regardé son message sans rien dire. Après tout, je me pose bien la question quand il me laisse en "vu".

Ce n'est pas comme si ce jeu de messages suspendus était rare, mais d'habitude, c'est lui qui laisse planer le mystère. Pas moi.

J'ai hâte. Hâte de rentrer au plus vite, de retirer mes chaussures, mon manteau, et de filer m'enfermer dans ma chambre pour lui dire tout le bien que je pense de son poème. Pour lui dire à quel point ses mots m'ont retourné et combien mon cœur est en bordel.

Les néons défilent à travers les vitres sales, et des éclats de lumière jettent des reflets sur les visages fatigués des passagers. Mon regard s'y perd, mais je ne les vois pas vraiment.

— T'es encore dans ton monde, hein ?

Je sursaute légèrement, ramené à la réalité par la voix de Yoongi, posé à mes côtés. Mes joues s'empourprent ; j'ai passé tout le trajet sans lui parler, et lorsque je m'en rends compte, je lâche un soupir.

— En ce moment, t'es beaucoup dans ton monde, je trouve.

Ce n'est pas un reproche, je le sais. Yoongi a cette capacité de me dire les choses sans m'attaquer, sans juger, mais son ton laisse supposer que ça le touche plus qu'il n'a envie de l'admettre.

— Pardon...

Je baisse les yeux. Ce n'est pas que je l'ignore. C'est juste que tout est devenu trop confus et bizarre ces derniers temps. Je voudrais lui expliquer que ma tête est pleine à craquer. Qu'il y a Noctem avec son écriture qui m'absorbe, et puis qu'il y a tout le reste, Kai, Jimin, Jungkook, Soojae, les cours... cette vie qui continue de s'étendre comme un fleuve que j'essaie de contenir, mais qui déborde sans cesse.

— Je... c'est pas contre toi, je commence maladroitement. Y a juste... trop de trucs.

— Trop de trucs ?

— Dans ma tête.

— Parfois ça fait du bien de les sortir.

— Parfois c'est trop dur.

Il inspire, puis relâche les épaules. Il s'attendait à autre chose.

— Alors te force pas. Mais si jamais tu veux parler, tu sais que je suis là. Pas pour juger, juste pour écouter.

— Merci...

Je lui lance un sourire timide tandis que le métro ralentit et que la voix robotique annonce notre station.

— Allez, viens, dit-il en se levant, comprenant que je ne répondrai rien de plus. On rentre.

Les portes s'ouvrent, et après avoir traversé quelques couloirs, nous sortons dans la fraîcheur de la nuit. Le trajet se déroule dans un silence étrange.

Dès que nous pénétrons dans l'appartement, un parfum de nourriture me parvient. Hayun est là, et elle nous accueille avec un sourire chaleureux.

— Ah ! Vous êtes rentrés ! lance-t-elle en s'approchant. J'ai préparé à manger, j'espère que ça vous plaira.

Je jette un coup d'œil vers Yoongi, qui semble enfin sortir de sa torpeur.

— Bien sûr que ça nous plaira, répond-il en ôtant son manteau. En plus, on crève la dalle, hein, Tae ?

Je hoche la tête, même si je n'ai pas vraiment d'appétit. Tout ce à quoi je pense, c'est à ce message qui attend ma réponse. Mes doigts se serrent autour de mon téléphone que je décide de ranger dans ma poche.

Juste un moment, je me dis.

Juste un moment avec mes amis.

Je mangerai vite, et après, je pourrai aller dans ma chambre. Hayun a fait l'effort de préparer le repas, je ne peux pas m'enfuir comme ça. Elle nous invite à table, d'ailleurs, et je prends place, posant mes mains sur mes genoux pour les empêcher d'aller récupérer mon téléphone.

Après nous avoir servis, elle prend la parole en voyant que ni Yoongi ni moi ne le faisons.

— J'ai deux choses à vous dire, les garçons.

Nous relevons les yeux pour l'observer. Elle semble enthousiaste.

— Premièrement, j'ai entendu dire qu'il y avait un petit tournoi d'échecs amateurs dimanche à 14h, au Chess Coffee à Gangnam. Si jamais ça vous intéresse.

Yoongi arque un sourcil, intrigué.

— Au Chess Coffee tu dis ? Comment t'as su ça ?

— Jin l'a dit aujourd'hui à une amie qui est au club d'échec avec vous.

Il se tourne vers moi.

— Tu veux y aller ?

Baguettes en main, je l'observe un instant puis acquiesce.

— Oui, pourquoi pas ?

— Cool, on ira ensemble.

Je le sais. Je le sais qu'il se demande si Jungkook y sera aussi. Si Hayun lui en parlé. Je le sais parce que ses sourcils sont légèrement froncés. Mais il ne dit rien, sentant probablement que partir sur ce terrain glissant avec notre amie serait une erreur. Et je dois bien avouer que je n'ai pas envie qu'ils se disputent à son sujet ce soir.

Parce que je ne sais même plus dans quel camp me ranger...

— C'était quoi le deuxième truc ? demande Yoongi en mastiquant son riz.

— Avec votre accord, j'aimerais organiser une soirée samedi soir, à l'appart.

Silence.

— Je dors chez mon père ce samedi, annonce Yoongi, alors je serai pas là. Tae ?

Silence.

Je déglutis. Et je crois que je laisse passer un peu trop de temps, puisque Hayun reprend :

— Je le prendrai pas mal si tu refuses, Taehyung. J'ai juste besoin de savoir, pour qu'on s'organise autrement avec les copains.

Je me sens mal de lui interdire ça. Alors, au lieu de lui avouer ce que j'aimerais vraiment - soit un samedi soir tranquille après une semaine chargée à la fac - je décide de prendre sur moi et de lui adresser un sourire qui se veut sincère.

— Non, non, tu peux. Je resterai dans ma chambre.

Hayun plisse les yeux, comme si elle cherchait à deviner si je dis la vérité ou si je cache quelque chose.

— Tu es sûr ? Tu peux participer si tu veux. Ça pourrait être sympa.

Je secoue la tête, un peu coupable de la décevoir.

— Je préfère pas, désolé...

— Comme tu veux.

Elle est peut-être déçue, mais elle n'en montre rien et se contente de se mettre à manger en haussant les épaules.

Le repas se poursuit en silence, mais je ne m'en formalise pas. Je pourrais remarquer qu'il y a une tension dans l'air, que Yoongi semble renfrogné et que Hayun est passablement distraite, mais je suis trop occupé à penser à Noctem. Quand je me lève de table, je me sens soulagé. Je débarrasse, puis, sans attendre, je prétexte avoir des devoirs pour filer me réfugier dans ma chambre.

J'entre, referme la porte, puis lâche un soupir satisfait.

Enfin.

Je m'assois sur mon lit et sors mon téléphone après avoir allumé la lampe de chevet. Rapidement, j'ouvre le dernier message de Noctem que je relis, avant d'y répondre.


De T_Darcy :

Pardon d'avoir mis tant de temps, je rentrais de la fac et ensuite j'ai mangé avec mes colocs.

J'ai lu ton poème et... que dire.

La façon dont tu parles de la solitude, de ce vide, de ce besoin de rêver sans pouvoir s'évader, ça me touche profondément. Parfois, je me sens comme un soldat fatigué, moi aussi, errant à la recherche de quelque chose que je ne peux pas vraiment nommer ni atteindre.

Ta capacité à décrire ce mélange de chagrin et de beauté est fascinante. Ça me rappelle que nous ne sommes pas seuls dans nos luttes.

Merci d'avoir partagé ça avec moi.

N'oublie pas que même dans les moments sombres, il y a toujours une lumière quelque part.


Oui, j'ai cité Dumbledore.

Mais je trouve cette phrase tellement vraie que je n'ai pas pu m'empêcher de la lui écrire, pour qu'il comprenne que, même s'il est entouré de ténèbres, le soleil revient toujours.

J'envoie puis m'allonge, le téléphone sur le ventre. Mon cœur bat fort derrière mes tempes, et j'espère qu'il répondra.

Il ne lui faut que quelques minutes.

Est-ce qu'il attendait ma réponse ? 


De Noctem :

Merci pour ton message.

J'avais besoin de lire quelque chose comme ça aujourd'hui.

Le "soldat fatigué" que tu mentionnes, je crois qu'on l'est tous à un moment donné. Ce sentiment d'errance, on l'expérimente forcément. Peut-être qu'on ne sait pas ce que l'on cherche, mais je suis convaincu qu'il y a du sens dans le simple fait de continuer à avancer, même dans le flou, même dans le noir.

Merci d'être là, vraiment. Pour me lire, pour comprendre ce qui se cache entre les lignes, et pour partager quelque chose d'aussi sincère avec moi. Tes mots, ce soir, m'apportent plus de force que tu ne peux l'imaginer.

Et sache que, même si ça peut sembler improbable, il y a quelqu'un de l'autre côté qui pense à toi.


Je ne me suis pas senti me redresser. Ni arpenter la pièce, comme si marcher pouvait m'aider à canaliser le flux d'émotions qui me traverse de tous les côtés. Les réponses de Noctem, aussi simples soient-elles, me réconfortent ce soir. Et ses derniers mots bien plus encore.

Parce qu'il pense à moi...

Il ne l'a pas dit pour faire joli. Je ne le connais pas, mais j'ai l'impression que c'était sa manière à lui de me dire merci.

Aussi, il semble aller moins mal que les autres fois. Alors, bêtement, je décide d'écrire un message un peu différent des autres. D'oser. Même si je me doute que je vais sûrement me prendre un mur.


De T_Darcy :

C'est peut-être bizarre, mais je me demande souvent qui tu es. Parfois, je m'imagine ce que tu pourrais aimer en dehors de l'écriture, ce que tu fais de tes journées, ce qui te passionne. Je ne veux pas être intrusif, mais si tu te sens à l'aise... tu pourrais m'en dire un peu plus sur toi ?

Rien que ce que tu as envie de partager, bien sûr.


Ok.

J'ai été audacieux.

Mais ça me dévore et j'ai besoin de savoir. Lorsque mon téléphone vibre dans ma paume, j'hésite à lire sa réponse. Mes dents se plantent dans ma lèvre et je plisse les paupières.

Finalement, après quelques secondes d'hésitation, je m'y risque.


De Noctem :

Je comprends ton envie d'en savoir plus, et crois-moi, je ressens la même chose de mon côté. Seulement, ce qui me fascine, c'est qu'on arrive à se comprendre sans forcément connaître tous les détails de nos vies.

Alors peut-être qu'un jour, je te dirai qui je suis, au-delà de l'écran, mais pour l'instant, j'aime ce mystère entre nous.

Chaque chose en son temps.


Au moins, j'aurais essayé...


De T_Darcy :

Tu as raison, ne précipitons rien.

En attendant, je me contenterai de ce que tu m'offres.

Prends soin de toi. Et merci, pour tout ça.


Je le comprends. Je comprends son envie de se protéger. Son besoin de ne pas se dévoiler. On ne se connait pas, et en fin de compte, il ne me doit rien.

J'attends. Longtemps. Je relis même mon message pour être sûr qu'il n'est pas trop abrupt. Mais après vingt minutes, je comprends que la conversation est terminée.

Et qu'il ne répondra plus.


***


Yoongi

Urgence au garage

Je peux pas venir au club ce soir.

Envoie-moi un message quand t'es rentré.


Assis dans mon amphi, le lendemain, je lis discrètement le message que vient de m'envoyer mon meilleur ami. Il est bientôt l'heure de partir au club d'échecs, et d'ordinaire il m'attend pour qu'on y aille ensemble. Mais je comprends que cette fois, il ne sera pas là. Ara me lance un regard interrogateur en voyant ma mine déçue, je réponds par un sourire que je tente de rendre rassurant.

Lorsque le cours se termine, je balance mes affaires dans mon sac. Après avoir salué mon amie, je file jusqu'au bureau du prof pour lui rendre le devoir qu'il nous a demandé de faire la semaine dernière, puis remonte les escaliers afin de me rendre dans le hall. Il est bondé de monde et je dois slalomer entre les corps pour parvenir à sortir.

Le froid du dehors me mord la peau tandis que je marche en direction du bâtiment E, et des pensées m'assaillent.

Yoongi ne sera pas là.

Au début, j'ai ressenti une pointe de déception à m'imaginer y aller sans lui, et puis je me suis dit que ce serait l'occasion parfaite d'affronter Jungkook sans devoir gérer la colère de mon meilleur ami. Finalement, ce n'est pas plus mal que ça se passe ainsi.

Je n'aime pas qu'on me défende. Je ne suis pas ce type vulnérable qu'on pourrait penser que je suis en me voyant. C'est vrai, je suis frêle et pas très grand. Mais je ne suis pas faible, et je sais me débrouiller seul.

Yoongi a passé sa vie entière à contrer les autres pour me protéger. Et je l'ai déjà remercié mille fois pour ça. Cependant, je crois qu'au fond, j'ai besoin de montrer qui je suis, au-delà de l'image que je renvoie.

Je suis Kim Taehyung, et ce soir, je vais prendre ma revanche.

Lorsque j'arrive devant le bâtiment E, je m'attends presque à croiser Jungkook sur sa moto en train de fumer une dernière cigarette. Mais il n'est pas là. La présence de sa moto, en revanche, me laisse supposer qu'il est déjà monté.

Je marque un temps, inspire profondément, puis j'entre.

Le silence m'accueille à mesure que je traverse le hall et que je monte les escaliers. Mais une fois dans le couloir du deuxième étage, des voix me parviennent.

— Tu as ce que je t'ai demandé ?

— Oui. Tiens.

Je vois mal, de si loin, mais je reconnais Jungkook et... Kai ? Immédiatement je me cache derrière une ligne de casiers, le cœur battant.

Merde.

Pourquoi j'agis comme quelqu'un de suspect ?

— Je te paye demain.

— Pas de souci, prends ton temps.

Il y a un silence que je tente de ne pas briser tant mon souffle est erratique, puis j'entends des pas.

Des pas qui se dirigent vers moi.

Mon dos se colle plus fort au mur et je crispe le visage. Est-ce que c'est Kai qui s'en va ? Il ne faut pas qu'il me voie... J'ai l'air coupable et il comprendra que je les ai entendus. Je ne sais pas ce qu'ils trafiquaient, mais ils se tenaient loin de la porte du club. Alors je me doute que ça devait rester privé.

Les pas ne s'arrêtent pas et se rapprochent inexorablement. Ils trouent le calme du couloir par leur régularité et je tente de me fondre contre le casier. Heureusement qu'il fait noir, j'ai une toute petite chance de passer inaperçu...

Lorsque je distingue la silhouette de Kai, je ferme instinctivement les yeux. J'entends ses foulées ralentir, et je cesse de respirer. Mais alors que je m'autorise à ouvrir un œil après quelques secondes de vide, je le vois de dos, cherchant quelque chose dans son sac.

— Allô ?

Ouf. Il descend les escaliers, portable collé à l'oreille. Je laisse s'échapper un souffle discret, avant de filer vers la salle 207 sans demander mon reste.

En pénétrant dans la pièce, le regard de Jungkook se pose sur moi. Il est debout dans un coin et boit dans sa bouteille d'eau. Sa pomme d'Adam glisse contre sa gorge et je ne peux m'empêcher de déglutir à mon tour.

Pourquoi est-ce qu'à chaque fois que je le croise, il me fait cet effet-là ?

— Bah alors, Yoongi n'est pas avec toi ?

Mes yeux se tournent vers Jin qui s'approche de moi...

— Il a eu un imprévu au garage, il...

... avant de recroiser ceux de Jungkook. Il entend tout. Je m'attendais à un rictus satisfait de sa part, mais rien. Rien qu'un air neutre, et une froideur que je n'arrive pas à décrypter.

— Il ne pourra pas venir, je termine.

— Oh, je comprends. Pas grave, je ne jouerai pas. Installe-toi.

Je m'exécute, restant le plus loin possible de Jungkook qui n'a toujours pas cessé de m'observer. J'ai l'impression qu'il me scanne, qu'il analyse chacun de mes mouvements. Ça me met mal à l'aise.

— Bon, on est tous là. Venez tirer au sort votre adversaire !

Mon adversaire...

Je sens mon cœur qui s'affole. Est-ce que Jungkook va dire à Jin qu'il doit m'affronter, ou attend-il que je le fasse ? Je pivote la tête vers lui et lorsque je remarque qu'il patiente sans bouger, je me décide à lever la main, un peu gêné.

— Oui ?

— Je... j'ai...

Jin m'observe, les sourcils froncés.

— Un souci Taehyung ?

— Non, non... juste que je ne peux pas tirer au sort tout de suite. Jungkook a accepté ma demande de revanche, alors...

Dire son prénom m'a fait bizarre. J'ai encore l'écho des syllabes qui traine sur ma langue. Jungkook détourne enfin son attention de moi et se lève calmement, avant de se diriger vers une table de jeu. J'ai l'impression que tout le monde à cessé de parler.

— Ah ? Très bien dans ce cas, annonce Jin en souriant. Que le meilleur gagne !

Je me lève à mon tour, chaque pas semble peser une tonne, et le trajet, aussi court soit-il, dure une éternité. J'essaye de ne pas faire attention aux yeux curieux qui sont posés sur moi, et lorsque je m'installe enfin face à Jungkook, je le vois me fixer sans retenue.

Nous y sommes.

Le moment où je vais enfin lui montrer de quel bois je me chauffe.

Les pièces sont déjà en place lorsqu'il m'adresse un sourire en coin.

— Je te laisse les blancs.

Je le fixe. Longuement.

— Non, c'est bon, je rétorque enfin. Vas-y, prends-les.

Je me demande si ce n'est pas un peu de fierté ou d'orgueil, qui me pousse à lui laisser cette position d'avantage. Je veux prouver que je peux tenir face à lui, même si je suis en défense. Il hausse les épaules, sans insister, puis bouge son premier pion.

C'est à cet instant que je comprends que je viens de me jeter dans la gueule du loup.

Parce qu'il commence avec une ouverture sicilienne. Un classique pour les joueurs agressifs, et qui annonce d'emblée qu'il n'a aucune intention de me ménager. Cette pensée m'électrise, et je prends une grande inspiration en observant l'échiquier.

Ok.

Ça va être intense.

Je m'en tiens à ce que je connais, essayant de contrôler le centre, de ne pas laisser ses pièces pénétrer ma défense. Mais dès que je tente de le contrer, Jungkook réagit avec une fluidité impressionnante, comme s'il connaissait mes réponses avant même que je ne les fasse.

Je commence à me demander combien de coups il a déjà planifiés.

— Alors, tu comptes me faire passer un sale quart d'heure ?

Il me provoque.

Je fronce les sourcils, mais je ne réponds pas.

— Je me suis préparé, tu sais ?

Je me fige.

Il s'est... préparé ?

Pourtant, il a gagné la dernière fois. Pourquoi s'est-il...

— Là, tu fais mine de m'ignorer, mais je sais que tu te demandes pourquoi.

Bordel.

Il est fort. 

Sans me laisser démonter par l'assurance évidente dont il fait preuve, je serre les mâchoires et déploie mes pièces de façon à protéger mes flancs et à garder mes possibilités ouvertes.

Je dois rester concentré. 

Resté concentré.

— Je vais te dire pourquoi.

Mon attention sur le jeu se relâche et je l'observe enfin. Il s'arrête de jouer et en fait de même.

— J'aime les défis. Et je me doute que tu ne me laisseras pas gagner aussi facilement que la dernière fois. Je me trompe ?

Je déglutis.

— On va dire que... j'aimerais bien te montrer que je ne suis pas aussi mauvais que tu le penses...

— Qui a dit que je te trouvais mauvais ?

Mon cœur vient de se casser la gueule. C'est vrai. Il ne me l'a jamais dit. C'est moi qui me trouve mauvais face à lui.

Il se met à rire en silence, puis déplace son cavalier.

— Je te donne encore maximum quinze coups avant de gagner, m'annonce-t-il avec nonchalance.

Quinze ? Il essaye de me déstabiliser ?

Je dois rester concentré.

Rester concentré...

Mais à chacun de mes déplacements, Jungkook s'ajuste. Ses pièces se rapprochent de mon territoire, ses fous sont en embuscade sur leurs diagonales, et il avance avec un calme déconcertant. 

— Encore sept, articule-t-il.

Ma main gauche se crispe sur ma cuisse.

Si les premiers coups se sont enchainés avec rapidité, désormais, nous prenons plus de temps. Je le regarde se pencher en avant, les yeux plissés, étudiant mes mouvements. Il avance un pion pour m'obliger à réajuster ma position. Je bouge mon cavalier mais immédiatement, il déplace sa tour et menace mon centre de contrôle. La moindre faille dans ma défense devient une opportunité pour lui, et je sens mon cœur accélérer.

— Six.

Je tente de calculer mes futurs coups, mes yeux s'agitant dans tous les sens, mais je vois les pièges qui se referment autour de moi. Jungkook a bloqué mes déplacements principaux, et chaque possibilité de mouvement se heurte à sa stratégie. 

Comment fait-il pour être aussi bon ? 

Rapidement, il avance son cavalier, une pièce qu'il adore utiliser pour surprendre ; alors, je contre-attaque avec l'un de mes fous, prêt à protéger mes arrières si nécessaire.

— Cinq.

Putain.

Les choses s'intensifient. Jungkook avance un autre pion, et je tente de gêner son avancée. Il change alors de plan sans la moindre hésitation : il déplace sa dame, me signalant discrètement qu'il a l'intention de passer à l'offensive.

— Quatre.

Mes choix deviennent décisifs. Je place un pion mais il glisse alors sa dame dans une position que je n'avais pas anticipée. 

— Trois.

Finalement, après un dernier coup de ma part, il avance sa dernière pièce pour me donner le coup de grâce.

— Deux.

Je suis foutu.

Le silence pèse autour de nous, et je sais que c'est fini. Jungkook me regarde, calmement, et je tente de sourire pour masquer la déception qui m'envahit. Je me répète que ce n'est qu'un jeu, mais à l'intérieur, je sens quelque chose de bien plus profond. Une frustration, une amertume qui me reste en travers de la gorge. J'aurais voulu faire mieux, j'aurais voulu lui tenir tête, au moins jusqu'au bout...

— Belle partie, je murmure, en évitant son regard tout en couchant mon roi avant même qu'il n'ait le temps de dire "échec et mat".

Je fixe l'échiquier.

Un jour, je lui rendrai cette partie, coup pour coup.

— Tu n'avais vraiment pas l'intention de me laisser une chance, hein ? je demande finalement en soupirant.

— Je ne laisse une chance qu'à ceux qui sont réellement prêts à me battre.

Ses mots piquent mon orgueil. Une part de moi sait qu'il a raison. Jungkook n'est pas du genre à ménager qui que ce soit, encore moins moi. Avec lui, chaque partie est un rappel brutal : soit je m'élève à son niveau, soit je suis condamné à le regarder jouer au-dessus de moi, inatteignable.

Je respire lentement, mais mes doigts me trahissent et serrent le bord de l'échiquier.

— Un jour, je te surprendrai. Je finirai par trouver une faille.

Il esquisse un sourire en coin, comme s'il attendait précisément cette réponse de ma part. 

— J'attends de voir ça, rétorque-t-il en croisant les bras, ses yeux toujours rivés sur moi. Mais jusqu'à ce jour, prépare-toi. Je ne vais pas te rendre les choses faciles.

Il sait que je ne suis pas encore à sa hauteur, mais il sait aussi que je ne lâcherai pas. C'est comme un pacte silencieux entre nous : peu importe combien de défaites il m'infligera, je continuerai de revenir. 

Parce que je sais que cette adversité me pousse à devenir meilleur.

Je commence à rassembler mes pièces en silence, mais une question me brûle les lèvres.

— Pourquoi tu te donnes autant de mal ? Tu aurais pu... je sais pas, me refuser la revanche.

Il rit doucement.

— C'est drôle de te voir essayer. Et puis... 

Il se penche vers moi.

— ... Quand quelqu'un veut vraiment gagner, il est prêt à affronter toutes les défaites nécessaires pour y arriver. Si tu te décourages maintenant, c'est que tu n'es pas prêt pour ça.

Je reste silencieux, sa réponse résonnant dans mon esprit bien après qu'il ait rangé ses propres pièces. Jungkook a cette manière étrange de motiver et de mettre au défi, tout en offrant une forme de respect implicite. 

Il croit que je peux faire mieux.


***


— Salut Tae ! À dimanche !

Je récupère mon sac et le lance sur mon épaule en saluant Jin. Avant de partir, il m'a demandé si je viendrai à Gangnam, et j'ai répondu que oui, sans entrer dans les détails. 

J'avance désormais seul dans ce dédale de couloirs déserts. À cette heure tardive, tout est silencieux, presque oppressant. Chaque pas résonne et se mêle aux battements de mon cœur. Il y a quelque chose d'étrange dans l'air, une tension sourde. 

Je me sens épié. 

Et puis, je les entends. 

Des pas derrière moi.

Je me retourne, mais ne vois rien d'autre que l'obscurité mouvante du couloir. Pourtant, ces pas persistent, s'approchant à chaque seconde. Je déglutis, accélère mon allure, et cette présence derrière moi en fait de même. Un frisson me parcourt l'échine. C'est irrationnel, mais une peur sourde me prend, une sorte de mélange de nervosité et de curiosité. Les pas se rapprochent et je devine, sans même le voir, que c'est Jungkook.

Mes chaussures martelent le sol alors que je descends les escaliers en essayant de ne pas me retourner. Et puis, soudain, alors que je pose le pied sur la dernière marche, une main ferme s'enroule autour de mon poignet. Avant que je puisse protester, Jungkook me tire vers lui et me plaque doucement mais fermement contre le mur. Mon dos heurte la surface froide, et je sens mon souffle se couper. Juste devant moi, son visage, baigné de pénombre, est si proche...

Trop proche.

Derrière lui, Jimin est là, dehors, à quelques mètres de nous. Il l'attend. Mais Jungkook me retient, me cachant derrière la structure de l'escalier et nous mettant à l'abri de tout regard.

— Tu n'as pas répondu à ma question, prononce-t-il, le ton bas et vibrant.

Je sens mon cœur s'emballer. Les mots se coincent dans ma gorge, et je réussis à peine à balbutier :

— Q... quelle question ?

Ses yeux cherchent quelque chose en moi, quelque chose que je ne suis pas certain de comprendre. Il se rapproche un peu plus, réduisant l'espace entre nous jusqu'à ce que je ne voie plus que lui et son expression indéchiffrable.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ? 

Je déglutis, sentant mes joues chauffer. Ses mots éveillent en moi quelque chose que je tente d'ignorer. Qu'est-ce que j'attends de lui, c'est vrai ? Je veux protester, dire que je n'attends rien, mais c'est faux. Il y a quelque chose, un désir d'attention. 

Cependant, l'avouer est trop difficile.

— R... rien, je n'attends rien, je murmure, les yeux fuyant les siens, tentant de m'échapper de sa prise.

Il lâche un soupir.

— Arrête de mentir, Taehyung, souffle-t-il. Je te le demande une dernière fois. Qu'est-ce que tu attends de moi ?

Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va éclater. Les mots me manquent, et pourtant ils sont là, au bord de mes lèvres, prêts à sortir. Mais je n'arrive pas à les formuler, parce que je ne comprends pas vraiment ce que je ressens. C'est flou, inexplicable.

— Je... je sais pas.

C'est la vérité. Et pourtant, cette réponse me laisse un goût amer. Parce que même si je ne sais pas exactement ce que je veux, je sais que je ressens quelque chose de fort, d'indéfinissable, et que Jungkook en est la cause.

— Tu es... insupportable.

C'est moi qui ai dit ça. 

— C'est ce que tout le monde dit, oui, répond-il doucement, ses doigts relâchant lentement mon poignet. 

Pourtant, je ne bouge pas.

Pourquoi est-ce que je ne bouge pas ?

Un silence se glisse entre nous, lourd, plein de non dits. Il semble hésiter, comme s'il avait encore des choses à me dire, mais il se contente de me jeter un dernier regard, un regard que je n'arrive pas à déchiffrer. Puis, sans un mot de plus, il recule d'un pas.

— Ça t'avancerait à quoi de... de savoir... je bafouille, presque en colère, parce que c'est plus facile de masquer mon trouble derrière une barrière d'agressivité.

Il ne répond rien.

— Tu m'agaces...

Ma voix. 

Je ne la reconnais pas.

— Je sais. Mais tu es toujours là.

Il reste immobile, et son regard me défie. Je me sens pris dans un jeu dangereux où je ne sais plus si je suis en train de fuir ou de me rapprocher de lui.

— Dimanche. 

Il arque un sourcil, surpris.

— Quoi dimanche ?

— Chess Coffee. À Gangnam. Viens.

Juste ça. Juste ça avant que je ne m'échappe en courant, et que je m'éloigne de lui. Juste ça, comme une promesse. 

Juste ça...

... comme un défi.


***********༄***********


Coucou tout le monde !!

J'espère que vous avez passé une belle semaine <3

Vous avez aimé ce chapitre ? Personnellement, j'ai adoré l'écrire !

Rappellez-vous que nous n'en sommes qu'au début alors forcément, les moments Taekook vont être plus nombreux par la suite. Chaque chose en son temps héhé

J'ai hâte d'avoir vos retours. La partie d'échecs... et puis la fin.

J'en connais un qui va pas être content dimanche. Guess who XD

Je vais tenter de vous poster le 9 samedi, pour rattraper mon retard <3

En attendant, couvrez-vous bien, il commence à faire froid dehors, et prenez soin de vous !


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