6. un mot peut tout faire exploser

Hello tout le monde !  

J'espère que vous allez bien 

Merci pour votre patience. Comme je vous l'avais dit, je bossais sur les corrections éditoriales des 24 premiers chapitres de Paper heart, alors j'ai eu très peu de temps pour moi la semaine dernière.

J'ai tellement hâte que vous l'ayez entre vos mains !

Mais chose promise chose due, voilà la suite de Poem. 

Belle lecture  


***********༄***********


J'envoie le message, et un poids s'enlève de mes épaules. Mais presque immédiatement, quelque chose d'autre le remplace : l'angoisse. Elle s'insinue sans prévenir, comme une ombre qui s'étend, tapie sous la surface. Elle naît quelque part au creux de mon ventre, s'enroule autour de mes poumons et finit par encercler ma gorge.

Je lâche un souffle épais.

C'est ridicule, je le sais bien. Ridicule de s'attacher autant à quelques messages échangés avec un parfait inconnu au travers d'un écran. Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si ce que j'ai écrit sera suffisant. Si mes mots, bien que sincères, pourront réellement toucher Noctem là où il se trouve. Là où il se cache.

Il y a cette crainte, sourde et persistante, que ce que je lui ai répondu ne soit qu'un murmure étouffé par le vacarme qu'il y a dans sa tête. Qu'un souffle perdu au milieu de la tempête.

Ça hurle fort, le monde, quand on a des choses importantes à dire.

Ça hurle fort et ça camoufle tout le reste. Et je crois que son monde à lui fait tant de bruit qu'il ne percevra jamais la main que je lui tends.

Qu'il n'entendra pas mes chuchotements.

Pourtant, je suis là. À m'inquiéter et à attendre. À espérer qu'il trouvera dans mes mots quelque chose à quoi se raccrocher. 

L'angoisse que je ressentais se transforme alors en peur.

Oui, j'ai peur. Peur qu'il disparaisse. Je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi, mais c'est l'impression qu'il me donne. Que tout est trop lourd à porter. Que, du jour au lendemain, il peut baisser les bras et abandonner. Pas seulement notre conversation, je veux dire.

Et c'est effrayant de penser que mes mots puissent ne jamais être assez.

Je reste immobile, le téléphone dans la main, les yeux fixés sur l'écran en attente d'une réponse. Mais rien ne vient.

Noctem m'échappe, encore une fois. Il m'échappe tout le temps, à vrai dire. C'est lui qui décide de la tournure des choses. Lui qui fixe le rythme de nos échanges, et moi, je ne fais que suivre, patient et impuissant.

— Mon chéri ?

C'est frustrant, mais je me suis habitué à cette distance imposée. Comme s'il avait érigé une barrière invisible. Il disparaît à moitié, mais jamais totalement. Jamais suffisamment pour que je me lasse de ses silences prolongés.

Et je reste là, à espérer qu'un jour, il me laissera l'atteindre.

C'est stupide. Vraiment Stupide.

— Oui ?

Je me retourne. Ma mère se trouve devant moi, une main sur la poignée de la porte-fenêtre qu'elle vient d'ouvrir. Elle n'ose pas me questionner, mais je sais qu'elle s'inquiète. Parce que mon père lui a sûrement dit qu'il avait mentionné Soojae, tout à l'heure, et qu'elle est au courant que je n'aime pas aborder le sujet.

Elle est bien loin de comprendre que Soojae n'est pas le centre de mes préoccupations, actuellement.

— J'ai préparé un gâteau au chocolat pour le dessert, tu en veux ?

J'esquisse un sourire qui se veut enthousiaste et hoche la tête. Mais au fond, mes pensées ne sont tournées que vers Noctem.

— J'arrive dans une minute, je réponds, avant de la laisser regagner le salon.

Puis, soudain, une vibration. Mon cœur s'accélère.

C'est lui.

Je déverrouille mon téléphone et parcours rapidement son message.


De Noctem :

Je ne sais pas trop quoi te dire. Je ne suis peut-être pas encore prêt à croire que moi, ou ce que j'écris, compte vraiment.

Il y a des jours où je me demande si c'est moi qui disparaît, ou si c'est juste le monde qui ne me voit pas.

Désolé, ça n'a aucun sens ce que je raconte...


Je reste un moment figé devant l'écran, déstabilisé par ce qu'il m'a écrit. Ce n'est pas vraiment ce à quoi je m'attendais, mais en même temps, je ne sais pas ce que j'espérais. Noctem ne me facilite jamais les choses. Jamais. Chaque mot qu'il m'envoie est une énigme. Une incitation à creuser plus loin encore.

Je me mords la lèvre, réfléchissant à la façon dont je pourrais tourner ma réponse. Est-ce que je dois insister ? Chercher à lui tendre encore la main, quitte à ce qu'il la refuse ? Ou bien dois-je simplement accepter que certains silences ne sont pas faits pour être rompus ?

Les silences.

Ils sont un champ de mines où chaque mot peut tout faire exploser.

C'est pourquoi je prends mon temps avant de lui envoyer les miens. Il ne faut pas que je le brusque, sans quoi il pourrait couper l'échange à tout moment.


De T_Darcy :

Ce que tu dis, ce que tu écris, ça me touche plus que tu ne le crois. 

Et si c'est vrai pour moi, ça le sera aussi pour d'autres. 

Tu n'es pas invisible. Tu n'es pas destiné à t'effacer. Même si le monde autour de toi s'efforce de te prouver le contraire, moi, je suis là, et je te vois.


Pourquoi est-ce que j'ai le sentiment que tout ça est aussi important ? Pourquoi est-ce que ce lien virtuel prend une place si grande dans ma vie ces derniers jours ? C'est idiot. Parce que je ne le connais pas. Parce que je ne connais ni son visage, ni le son de sa voix.

Pourtant, bizarrement, je me suis attaché à ses mots. J'ai pris sa détresse à bout de bras, et je tente du mieux que je peux de le maintenir en dehors des vagues qui semblent le submerger.

Quand j'allais mal, j'aurais aimé que quelqu'un soit prêt à m'écouter.

Pas un proche, pas un ami, mais quelqu'un d'extérieur à tout ça qui aurait su trouver les mots pour me rassurer et me faire comprendre que je n'étais pas seul.

Peut-être que Noctem attend ça, finalement. Une présence. Et pas une réponse qui prétendrait lui offrir des solutions bidons. Savoir que quelqu'un, quelque part, est prêt à écouter, même quand lui-même ne parvient plus à se comprendre.

Je m'arrête. Relis. Puis j'ajoute :

Qu'est-ce que tu ressens en ce moment ?

Je reste un instant à regarder cette question, me demandant si elle n'est pas trop intrusive. Mais je sens qu'il a besoin de la voir, même s'il ne veut pas y répondre. Alors, j'appuie sur "envoyer" et je relâche un souffle que je n'avais pas réalisé retenir.

Lorsque mon téléphone vibre à peine quelques secondes plus tard, je sursaute.


De Noctem :

Je ressens trop de choses à la fois. Et rien, en même temps.


Je m'appuie contre la rambarde du balcon, le vent jouant doucement avec les mèches de mes cheveux. Un soleil timide tente de percer à travers les nuages et ses rayons effleurent ma peau, mais tout ce que je ressens, c'est le froid du doute. Ce doute qui ne me quitte pas depuis que j'ai entamé cette correspondance avec Noctem, et qui semble avoir pris racine au plus profond de moi.

Le bruit des voitures en contrebas me ramène brièvement à la réalité, mais mes pensées reviennent aussitôt à lui. À cette tristesse latente qui imprègne chacun de ses messages. À ce besoin d'exister qui est évident. À cette lutte qu'il semble mener. J'ai l'impression qu'il se trouve sur une falaise, au bord du vide, et que je suis là, tendant une main qu'il refuse d'attraper.

Et peut-être qu'il ne le pourra jamais.

J'essaie de me convaincre que ce n'est qu'un échange virtuel, que ça ne devrait pas me toucher à ce point. Mais c'est trop tard. Je suis pris dans la spirale. Dans ce besoin de l'aider, de le comprendre, de le rassurer, même si je ne suis qu'un étranger à ses yeux.

Un léger soupir s'échappe de mes lèvres. Tout ça n'a sûrement aucun sens. Je me leurre en pensant que mes mots peuvent faire une différence dans sa vie, mais peu importe. Maintenant que je suis impliqué, je ne peux pas me défiler sous prétexte que j'ai peur de fauter.

Je décide de répondre.


De T_Darcy :

Je comprends ce que tu veux dire. Cette impression de flotter dans un espace où tout se mélange, où les émotions deviennent floues, comme si elles n'avaient plus vraiment de sens. Et parfois, ça devient si intense qu'on finit par ne plus rien ressentir du tout.

Je pense que c'est normal, tu sais. On est humains. Tu as le droit de ressentir ce que tu ressens. En attendant que l'orage passe... je suis là. 

Si ça t'aide de parler, ou juste de savoir que quelqu'un écoute, sache que je suis là.


J'envoie.

Mes doigts se serrent autour de mon téléphone, le tenant comme une bouée.

Je reste encore quelques minutes à attendre, avant de revenir au salon.

Mon téléphone ne vibrera plus de la journée.


***


Quand je pousse la porte de l'appartement quelques heures plus tard, c'est le silence qui m'accueille. Pas un son, pas un murmure, juste l'écho assourdissant de l'absence.

Je referme discrètement derrière moi, laissant le claquement de la porte se perdre dans l'air. Mon sac glisse de mon épaule et tombe sur le sol de l'entrée dans un bruit sourd. L'après-midi est déjà bien entamé, et il n'y a personne ici. La télé n'est pas allumée, et je n'entends aucun bruit.

— Je suis rentré, j'annonce tout de même à haute voix.

Le vide me répond.

Après avoir retiré mon manteau et mes chaussures, je me dirige vers la cuisine, plus par habitude que par besoin. En passant devant le frigo, mon regard se pose machinalement sur l'emploi du temps que nous avons, Hayun, Yoongi et moi, pris l'habitude de remplir. Nos horaires s'y entrecroisent. Et là, en plein milieu, l'écriture familière de mon meilleur ami, attire mon attention :

« Travail au garage – Pas là pour le dîner. »

Je reste immobile un moment, les yeux fixés sur ces quelques mots qui résument tellement de choses. Yoongi, toujours fidèle à lui-même. Il est là sans vraiment l'être, perdu quelque part entre le garage et nous, entre ses responsabilités et les moments volés de notre vie commune.

Hayun, elle, doit traîner dehors. Je pourrais l'appeler, lui demander où elle est et si elle compter rentrer pour manger, mais elle vit sa vie comme un tourbillon et je n'ai pas envie de la déranger.

Le pas lent, je me dirige vers ma chambre, l'esprit encore embrouillé par mes échanges avec Noctem. Mais quelque chose d'autre me tracasse : 

... Soojae

Sans réfléchir, je m'assoie sur le lit et ouvre Discord, comme si je m'attendais à y découvrir un message de sa part. Vieux réflexe.

Mais on ne se parle plus. Depuis des mois.

Quand nous avons rompu, tous les deux, je ne l'ai pas bloqué. Je l'ai simplement retiré de mes amis, comme on se dirait adieu sans le vouloir réellement, espérant malgré moi qu'il m'ajoute un jour, à nouveau, pour discuter.

Parfois, il me manque, quand bien même notre relation était compliquée. Quand bien même je n'ai jamais réussi à lui offrir l'amour qu'il espérait.

Avoir entendu mon père mentionner Soojae a fait renaître en moi ce creux immense qu'il a laissé derrière lui. Et je déteste ça. Mon doigt glisse sur l'écran et j'ouvre notre dernière discussion. 

Mauvaise idée...

Alors, pour me distraire l'esprit et ne plus penser à lui, j'occupe le reste de mon après-midi en révisant mes cours.

Le temps passe sans que je m'en rende vraiment compte, et le soleil a déjà commencé à disparaître derrière les immeubles lorsque mon estomac me rappelle à l'ordre. Je souffle, ferme mes livres et sors mon téléphone. J'ai besoin de compagnie.

Je décide d'envoyer un message à Hoseok.


Taehyung

T'es dispo ? 

On mange ensemble en visio ?


La réponse arrive presque instantanément, pleine d'enthousiasme.


Hoseok

Carrément !

J'arrive dans 15 minutes !


Je prépare rapidement quelque chose à grignoter, et avant même de m'asseoir, Hoseok m'appelle. On se salue, puis je me cale sur le tapis du salon, en tailleur devant la table basse avec mon repas improvisé. Je mets mon téléphone en équilibre contre une grosse bougie pour que mon ami puisse bien me voir, et me saisis de mes baguettes.

— Alors dis-moi, t'as fait quoi de beau aujourd'hui ? me demande-t-il, la caméra tremblotante avant qu'il ne la pose enfin quelque part pour la stabiliser.

Je hausse les épaules en prenant une bouchée.

— Rien de spécial. Visite chez mes parents, révisions... et là je suis tout seul, Yoongi bosse, et Hayun est dehors.

— Ah ouais, bah tu as bien fait de m'appeler alors, je suis tout seul aussi. Ma mère est au taff, réplique Hoseok en souriant légèrement.

Face à mon absence de réaction, il s'approche un peu de la caméra et fronce les sourcils.

— T'as l'air pensif, tout va bien ?

Je hoche la tête, avant de lui raconter vaguement la soirée chez Jin. Je mentionne Kai, sans trop entrer dans les détails, et comme l'autre jour par message, j'omets volontairement de parler de Jungkook.

— Et Noctem ? ajoute-t-il finalement. T'as des nouvelles de lui ?

Je m'arrête de manger, les baguettes en l'air. Noctem. J'ai tout raconté à Hoseok à son propos. Dès que j'ai commencé à correspondre avec lui, en vérité. Et il n'a pas eu l'air de trouver ça bizarre.

Après tout, c'est aussi de cette manière que nous nous sommes rencontrés, lui et moi.

— Pas vraiment... Enfin, si. Mais ça m'inquiète un peu. Il... je sais pas, j'ai l'impression qu'il va mal.

— C'est-à-dire ?

— Ses messages sont tristes.

— Tu ne peux pas sauver le monde entier Tae, tranche Hoseok en mâchant son riz.

Je pousse un soupir. Il a raison.

— Je sais... Mais il y a quelque chose qui cloche vraiment. Ça m'inquiète beaucoup.

— Je comprends, mais tu devrais pas te prendre la tête, tu ne le connais pas après tout.

C'est vrai, je ne connais de Noctem que ce qu'il veut bien me montrer. Mais je l'imagine derrière son écran, seul, à se débattre avec ses pensées, et ça me serre le cœur.

Je l'ai bien dit, que c'était stupide...

— Je veux juste qu'il comprenne qu'il n'est pas seul.

Parce que la solitude est le poison de l'âme quand on cherche à en guérir au travers des autres. Et plus on tente de l'apaiser, plus elle se dilate, comme si aucun contact humain ne pouvait vraiment en atténuer les effets.

C'est une quête désespérée. Et je souhaite, à mon échelle, montrer à Noctem qu'il peut s'en tirer. Qu'il peut s'en sortir. Qu'il va y arriver.

Hoseok soupire à son tour, et son regard se radoucit.

— Tu veux toujours aider les autres. Mais fais attention, ok ? Il y a des gens qui tiennent à toi. J'ai pas envie de te voir déprimer pour un type dont tu ne sais rien.

Je m'apprête à répondre, mais avant que la conversation avec Hoseok puisse continuer, j'entends soudain la porte d'entrée s'ouvrir, et ça me coupe dans mon élan. Je sursaute, me redressant instinctivement, et tourne mon regard vers l'entrée du salon.

La voix de Hayun résonne dans l'appartement.

— J'arrive dans une minute, je vais juste chercher un manteau ! Attends-moi là.

Elle apparaît et passe devant moi en m'adressant un signe rapide de la main, son sourire habituel aux lèvres, avant de s'engouffrer dans le couloir, puis dans sa chambre. Je m'apprête à reprendre ma conversation avec Hoseok quand une silhouette surgit dans l'embrasure de la cuisine ouverte. Mon souffle se coupe.

Parce que c'est Jungkook.

Il se dirige vers le frigo, le pas lent, visiblement sans avoir remarqué ma présence, et commence à fouiller pour y trouver quelque chose à manger. Je me renfrogne, et un mélange de surprise et d'agacement monte en moi.

Je ne savais pas que Hayun le fréquentait. Soudain, une foule de questions se bouscule dans ma tête. C'est à propos de lui, la dispute qui a éclaté l'autre jour entre Yoongi et elle ? 

Jungkook est toujours dos à moi et je suis incapable de réagir. C'est Hoseok qui brise le silence.

— Tae ? Qu'est-ce qui se passe ?

À l'instant où Hoseok reprend la parole au travers de mon téléphone, Jungkook se fige et se retourne, ses yeux se posant enfin sur moi. Il marque un temps qui me paraît durer une éternité, puis affiche un sourire en coin.

— Tiens, monsieur Orgueil et Préjugés. J'ignorais que tu vivais ici.

Je reste un moment immobile, et je me surprends à être agacé par la manière désinvolte qu'il a de m'aborder. Je garde le silence et il hausse un sourcil, attendant une réponse de ma part. Je finis par croiser les bras.

— Tu voles souvent dans les frigos des autres ?

Ma question semble le désarçonner quelques secondes seulement, mais son sourire s'élargit, signe que je ne le déstabilise pas le moins du monde. Il pousse la porte du réfrigérateur pour le refermer sans y avoir rien pris, et lentement, ses mains se posent sur le comptoir contre lequel il s'appuie avant de me fixer.

— Ça m'arrive, ouais. Et toi, tu manges souvent tout seul ?

Je serre la mâchoire, pas vraiment d'humeur à jouer à ce petit jeu avec lui.

Tout m'agace. Je soutiens son regard, et le silence entre nous s'étire comme une corde prête à se rompre. Je pourrais l'ignorer, laisser couler, mais quelque chose en moi refuse de céder cette fois. Il me provoque, et je sens que si je ne réponds pas, c'est comme si je lui donnais raison.

Comme si je le laissais gagner.

— Je préfère ça plutôt que de faire irruption chez les gens sans y être invité, je réplique, le ton plus sec que je ne l'avais prévu.

Il rit doucement, un rire sans chaleur, juste une sorte de réaction automatique. Ses yeux brillent d'un éclat moqueur alors qu'il s'éloigne de la cuisine pour s'approcher, comme si cette conversation était devenue un jeu auquel il avait hâte de participer.

— Hayun m'a invité, dit-il en haussant les épaules.

Il n'a pas tort, mais cette manière de s'imposer, de se comporter comme s'il était chez lui, m'irrite au-delà du raisonnable. Fouiller dans notre frigo, vraiment ?

— Et tu comptes rester là longtemps ? Ou tu vas finir par repartir chez toi ?

Il me toise, et son sourire disparaît immédiatement, remplacé par quelque chose de plus sérieux. 

De plus froid. 

Mais ça ne dure pas. Il fait quelques pas vers moi, son regard balayant la pièce comme s'il cherchait à évaluer la situation, ses poings s'enfonçant au fond des poches de son blouson en cuir.

— Ça dépend. Ma présence est si désagréable que ça ?

Je me pince les lèvres, sentant la tension monter. Il joue avec moi, et je ne sais pas pourquoi ça me met autant sur les nerfs. Peut-être parce qu'au fond, je n'aime pas être pris au dépourvu de cette manière. Je déteste ne pas savoir comment réagir. Et lui me met face à tout ce qui me déstabilise.

— T'es pas obligé de rester juste pour le plaisir de me casser les pieds, tu sais, je lance alors, essayant de garder un semblant de calme.

— Tu crois vraiment que je reste dans l'unique but de te casser les pieds ? 

Il secoue la tête avant de se pencher pour attraper une pomme sur la table basse, me jetant un coup d'oeil amusé.

Il mord dans le fruit, me fixant toujours avec une désinvolture qui me donne envie de réagir. C'est instinctif. ll faut que je me défende. Mais au lieu de lui répondre, je serre les dents et me contente de l'observer, espérant qu'il finisse par comprendre qu'il n'est pas le bienvenu ici. Que je n'ai pas envie de lui parler.

Au bout d'un moment, c'est Hoseok qui brise le silence depuis mon téléphone toujours posé contre la bougie.

— Euh... qu'est-ce qui se passe, là ?

Une lueur d'amusement s'allume dans les yeux de Jungkook, et il s'approche. Son parfum m'envahit lorsqu'il se penche vers moi. Je recule. Qu'est-ce qu'il...

— Ah, je vois, t'étais en plein dîner romantique ? Désolé de vous avoir interrompus.

Il fait un signe de main à Hoseok puis s'éloigne. Je ferme les poings, fort, mais décide d'ignorer sa remarque. Ça ne sert à rien de continuer dans cette direction. Si je rétorque, il va continuer d'essayer de me désorienter, et je n'ai pas envie de ça maintenant. Alors je me redresse et récupère mon téléphone. Hoseok, de l'autre côté de l'écran, me regarde avec un sourire crispé.

— Euh... Tae, tu veux que je te laisse ?

— Non. Ça va.

— Je vois bien que t'es pas  -

— J'ai dit que ça allait.

Je prends sur moi, mais c'est vraiment compliqué. Jungkook observe la situation avec un air satisfait qui me met hors de moi, comme s'il savourait chaque seconde de ce moment gênant.

Hoseok, lui, ne répond rien. Il a compris, je crois, que sa présence était le seul moyen pour moi de fuir ce qui est en train de se passer.

Toujours debout, je garde mon téléphone en main et le silence retombe. Il est lourd. Il me fait mal. Jungkook me dévisage avec cet air indéchiffrable collé au visage, et moi, je ne peux m'empêcher de l'affronter du regard en espérant que ça le dissuade, et qu'il s'en aille.

C'est mal le connaître.

Il ne bouge pas d'un millimètre.

— C'est bon, t'as fini ton petit numéro ? je lance, exaspéré.

— Je vois pas de quoi tu parles.

— Tu vois très bien de quoi je parle. Ça t'amuse tout ça, pas vrai ?

Il me regarde, et pendant un instant, j'ai l'impression de voir autre chose passer derrière son masque de provocation. Quelque chose de plus sombre. Quelque chose qui me torpille le ventre et me donne envie de retirer mes derniers mots. Ou de m'excuser d'être aussi agressif sans raison.

Mais il se contente de hausser les épaules, affichant un nouveau rictus.

— Peut-être bien ?

Avant que je ne puisse répliquer - parce que j'ai sévèrement envie de répliquer - la porte de la chambre de Hayun s'ouvre. Elle apparaît alors, un manteau à la main, ses cheveux mieux coiffés et un sourire lumineux étirant ses lèvres. Elle s'est parfumé et a pris le temps de se remaquiller. Je le vois au trait de liner parfaitement redessiné, et au rouge sur ses lèvres.

Elle s'approche de Jungkook, et en constant qu'il ne me lâche pas des yeux, elle prend la parole. 

– Oh pardon, j'ai pas fait les présentations. Jungkook, je te présente Taehyung, mon coloc. Taehyung, je te présente -

— On se connait déjà, la coupe Jungkook en mâchant toujours sa pomme avec une nonchalance déconcertante. Club d'échecs.

À cet instant, je sens une légère crispation dans mon ventre à l'évocation de ce club, un souvenir amer que je préfère oublier. Ça me rappelle aussi qu'il ne m'a toujours pas offert ma revanche. Il n'a jamais répondu. Ça aussi, ça m'irrite.

Hayun ouvre les yeux en grand avant de rire.

— Ah, mais oui, c'est vrai, vous y allez tous les deux ! J'avais même pas fait le rapprochement !

Tous les trois.

Yoongi aussi y va. Mais je suis quasiment certain qu'elle a fait exprès de ne pas le mentionner. Vu la façon dont ils se sont disputés l'autre fois, et son entêtement à prendre la défense de Jungkook, elle ne doit pas avoir envie de mettre le sujet sur le tapis.

D'un geste fluide, elle glisse rapidement son manteau sur ses épaules, avant de se tourner vers moi. Son sourire est à la fois léger et complice, comme si elle venait de dénouer une situation qui, de mon côté, semble encore pleine de nœuds.

— Bon, on doit y aller, je te dis à plus tard, Tae, ok ? m'annonce-t-elle, les yeux pétillants et la voix enjouée, sans vraiment attendre de confirmation de ma part.

Elle attrape le bras de Jungkook avec une familiarité qui me surprend un peu, l'entraînant à sa suite vers la sortie. Je reste là, sans bouger, incapable de réagir. Jungkook, lui, ne se laisse pas tirer sans jeter un dernier regard dans ma direction. Un regard qui me traverse, lourd de sous-entendus que je n'arrive pas à saisir.

Et qui me trouble bien plus que je ne suis prêt à l'admettre.

Lorsque la porte se referme derrière eux dans un claquement sec, le silence qui retombe dans l'appartement semble étrangement amplifié. Mon cœur tambourine dans ma poitrine d'une façon un peu bizarre.

— Tae ?

Je ne peux m'empêcher de repasser cet échange en boucle dans ma tête, me demandant ce que ce regard voulait dire. Ce que ses mots voulaient dire. Jungkook a cette manière d'occuper l'espace, même quand il n'est plus là, et de cultiver une confusion que je n'ai jamais ressentie auparavant. Il a, aussi, ce réflexe de répondre aux questions par des questions, semant un peu plus la zizanie dans ma tête.

Il fait chier.

— Taehyung ?

La voix de Hoseok à l'autre bout du téléphone me ramène brutalement à la réalité. J'avais complètement oublié qu'il était là. Je secoue la tête pour chasser l'image de Jungkook qui persiste encore, puis lui adresse un sourire qui sonne terriblement faux.

— Oui, pardon...

— Il s'est passé quoi là ? C'était qui ce gars ?

Je m'installe à nouveau sur le tapis.

— Personne. C'était personne.

— D'accord...

Il n'insiste pas, et je le remercie mentalement. Comment lui expliquer ce que je ressens ? Comment lui dire que ce n'est pas juste ce soir. Que c'est tout le temps. Que c'est Jungkook. Son regard, son attitude... comme s'il jouait un jeu dont j'ignore les règles.

Pourtant Yoongi m'avait dit d'imposer les miennes.

La situation m'échappe, je crois.

Jungkook aura toujours l'ascendant sur moi.

— Tu veux en parler ?

Hoseok semble sincèrement préoccupé. Je réfléchis un instant, mes doigts jouant nerveusement avec les manches de mon pull. Parler ? Oui, peut-être que ça m'aiderait à y voir plus clair. Mais en même temps, il y a quelque chose que je ne parviens pas à dire à voix haute. Alors je fais le choix de me taire.

— C'est pas important, Hobi. Ça va passer, t'inquiète.

Il y a un court silence à l'autre bout du fil, puis un léger soupir.

— Ok, Tae. Mais si tu veux en parler, je suis là.

— Je sais. Merci...

Après quelques banalités échangées et le repas terminé, nous raccrochons, et je me retrouve à nouveau seul dans le silence de l'appartement.

Je fixe le vide quelques minutes, puis secoue la tête et débarrasse rapidement ce qui reste de mon repas. Mais j'ai beau me forcer à me focaliser sur ma tâche, mes pensées restent embourbées. C'est comme si Jungkook avait planté une graine, et maintenant, je la sens germer.

Je le déteste de me faire ressentir ça.

D'un mouvement d'épaule, je tente de relâcher la tension qui refuse de me quitter. Et alors que je me dirige vers ma chambre, je me promets de ne plus laisser son ombre envahir mon esprit.

Mais cette promesse sonne creux.

Parce que, quoi que je fasse, je sens que cette histoire est bien loin d'être terminée.


***


Le début de semaine a filé sans que je ne voie le temps passer. Les heures ont glissé comme du sable entre mes doigts, emportées par le rythme mécanique des cours, les conversations légères avec Ara, et les déjeuners avec Yoongi au self. Dans ce brouhaha quotidien, une absence me hante. Un vide qui se creuse un peu plus à chaque minute. Noctem.

Pas un seul message de lui. Je l'ai attendu. Espéré. Et à chaque fois que j'ai discrètement jeté un œil à mon téléphone, rafraîchi l'écran, rien. Comme s'il s'était volatilisé, disparu à nouveau dans les ombres dont il semble si souvent émerger. 

J'ai essayé. Toute la journée j'ai essayé de me concentrer sur l'instant présent, mais l'inquiétude est restée là, sourde, en arrière-plan.

L'après-midi du mardi s'étire, jusqu'à ce que je remarque l'heure. L'aiguille de l'horloge de l'amphithéâtre semble me narguer. Merde. Je suis en retard pour le club de littérature. Le prof a à peine eu le temps de nous donner le travail à faire pour la fin de semaine que je me lève, sans perdre une seconde, attrapant mes bouquins en les fourrant à la hâte dans mon sac, les bords des pages se pliant sous la précipitation. La salle se vide lentement autour de moi, mais je n'ai pas le temps de suivre le rythme nonchalant des autres.

Je me précipite dans les couloirs bondés, esquivant des groupes d'étudiants bavards, mon cœur battant trop vite, non seulement à cause de ma course, mais à cause de tout ce qui s'agite en moi depuis quelques jours. 

Le campus se dresse devant moi, et je le traverse, les arbres bordant l'allée étendant leurs ombres sous le ciel déclinant. Et alors que je passe devant le bâtiment où le club de littérature se tient, un détail me fait ralentir, comme un instinct qui capte quelque chose avant même que je ne le comprenne pleinement.

Là, sur le trottoir, juste devant le bâtiment... se trouve Jungkook.

Encore.

Le voir dimanche n'a pas suffit, il fallait que je tombe sur lui ce soir.

Il est assis sur sa moto, absorbé par son téléphone, l'air complètement détaché. Instantanément, mon corps se tend dans un mélange de frustration et de confusion. Pourquoi faut-il toujours que je tombe sur lui ces derniers temps ?

Je pourrais l'ignorer, passer mon chemin et me concentrer sur ce que j'ai à faire. Mais quelque chose me pousse à ralentir, à le regarder plus longuement, peut-être même à confronter cette étrange tension qui flotte toujours entre nous. Alors, au lieu de continuer ma course vers le club, mes pas me guident droit vers lui, comme attirés par une force invisible.

Il relève la tête à mon approche, et nos regards se croisent. 

— Salut, lance-t-il, d'un ton presque indifférent. 

Je m'arrête, les muscles douloureux de tant me crisper, sentant une chaleur désagréable monter en moi. La journée a été longue, trop longue. Noctem. Le silence. Et maintenant Jungkook avec son air impertinent, qui me fait perdre patience... 

Je ne sais même pas pourquoi, mais il y a quelque chose chez lui qui me met à bout. Quelque chose que je dois évacuer.

Maintenant.

Et là, sans trop savoir pourquoi, quelque chose éclate. 

Je disais que les silences sont un champ de mines où chaque mot peut tout faire exploser.

Son "salut" vient de faire tout péter. 

Tout ce que j'ai ruminé ces derniers jours, ces dernières heures, me revient en pleine figure. Il faut que je parle, que je vide mon sac, sinon ça va me ronger de l'intérieur.

— T'es fier de toi ? je lâche alors, la voix tremblante.

— Eh, tout doux. 

Son sourire s'élargit, surpris, amusé même.

— Je suis fier de pas mal de trucs me concernant, mais ça dépend de quoi tu parles.

Je serre les poings. 

— La façon dont tu t'adresses à moi. La façon dont... tu m'as dit que les livres c'était pour fuir la réalité, ton absence de réponse... tout ça. 

— Je savais pas que ça te perturbais autant. S'il n'y a que ça, c'est ok. Voilà. Tu l'auras ta revanche. Satisfait ?

Ses yeux me quittent et il les reporte sur son téléphone comme si je n'étais rien. Il fait une bulle avec son chewing-gum, et j'inspire profondément. 

Pourquoi faut-il qu'il soit si agaçant !

— Et les rumeurs, je rétorque, sentant ma mâchoire se crisper. Les gens disent des trucs sur toi, tu es au courant ? 

Jungkook redresse la tête vers moi puis hausse un sourcil, visiblement diverti.

— Ah ouais ? Y'a des rumeurs sur moi ? 

— Oui. Comme quoi tu ferais des trucs illégaux.

J'ai besoin qu'il me dise que c'est faux. 

— Des trucs illégaux, genre revente d'organes et tout ? Ouh. C'est peut-être vrai, qui sait ? ajoute-t-il en riant légèrement, le regard pétillant d'ironie.

Sa désinvolture, son ton moqueur... c'est la goutte d'eau. Il y a trop de choses qui me traversent l'esprit, trop de questions sans réponse, trop de frustration. Et cette arrogance, ce sourire en coin, me pousse à bout.

— Tu te crois malin ? je réplique en avançant d'un pas. Le club d'échecs, la soirée, le frigo... tu penses vraiment que tu peux manipuler tout le monde autour de toi comme des pions ? Que personne ne voit ce que tu fais ?

Je ne sais même pas pourquoi je dis ça. Peut-être à cause de tout ce que j'ai entendu sur lui. Peut-être à cause des mots de Ara, et de Yoongi. De Namjoon aussi. Mon esprit fume et je n'arrive plus à comprendre ce que je dois faire. Quand il est là, je perds toute rationalité. 

Il se redresse légèrement, comme intéressé, mais sans perdre son calme.

— Manipuler ? 

Je hoche la tête, sourcils froncés. 

— Tu crois que je te manipule ? 

— J'en sais rien, tu n'as qu'à me le dire.

— Si ça peut te rassurer, j'ai autre chose à faire que de manipuler les gens, mais crois ce que tu veux, Taehyung. Ça m'importe peu.

Je souffle. Sa réponse, je n'y étais pas préparé. Mais je n'arrive pas à calmer ma colère, alors je continue sur ma lancée, malgré moi.

— Je ne suis pas un pion, je lâche, le cœur battant. Tu ne m'auras pas comme ça.

— T'avoir pour faire quoi ?

— J'en sais rien...

— Tu as ta réponse, alors.

— Non, je n'ai pas ma réponse. Parce que tu ne réponds jamais à rien.

C'est à ce moment, je crois, que c'est moi, qui l'agace. Il fronce les sourcils et soupire en rangeant son téléphone au fond de sa poche. J'ai envie de me faire tout petit, soudain.

— Je sais très bien que tu n'es pas un pion, Taehyung. Non, toi tu es plutôt le roi, caché dans sa tour d'ivoire avec ses bouquins, en espérant que quelqu'un le sauve de sa petite vie insipide. Tu es ce genre de mec qui pense savoir, mais qui ne sait rien. Qui veut aider tout le monde, mais qui ne s'aide pas lui-même. Qui se croit entouré alors qu'il est profondément seul. Tu fais le fier et le fort devant moi mais au fond, ça t'apporte quoi ? C'est plutôt à moi de te poser la question, parce que c'est toi, ce soir, qui est venu vers moi. Qu'est ce que tu attends ?

— Q... Qu'est-ce que je....

Je bégaye. Parce qu'il a visé si juste que j'ai la sensation que mes jambes vont me lâcher. Je renifle, le coeur au bord des yeux, et je ne sais pas pourquoi ses mots me brusquent autant, mais ils me transpercent de tous les côtés. Je retiens mes larmes, et tourne les talons. 

Comme ça. Sans avoir rétorqué. En le laissant gagner. 

Comment a-t-il fait pour me cerner aussi bien ?

Pourquoi ça fait aussi mal ? 

Mon sang ne fait qu'un tour, mes poings se serrent, mais je ne me retourne pas. Je continue de marcher, droit devant, m'efforçant d'ignorer l'amertume qui brûle sous ma peau. Je monte les marches, l'estomac noué, la respiration saccadée. 

Et avant d'entrer dans le bâtiment, je me retiens de hurler, lorsque je l'entends me lancer d'un ton acide :

— Echec et mat. 


***********༄***********


Deux moments Taekook un peu musclés mdr

Vous avez aimé ? Personnellement j'ai ADORÉ les écrire !

Vous auriez réagit comment, à la place de Taehyung face à Jungkook ?

Aussi, on en a appris un peu plus sur Soojae, et sur le fait que Hayun connaisse Jungkook.

Mais quel est la nature de leur lien, telle est la question hehe :p

Et puis... il y a Noctem. Des idées sur qui il pourrait être ? Vous êtes nombreux à penser qu'il s'agit de Jungkook, j'adore lire vos théories ! 

Par contre, faut qu'on parle. Plus de 10 000 vues en 1 mois et demi ??? Vous êtes incroyables les amis, merci   Vous n'imaginez pas comme je suis touché. Cette histoire est tellement importante pour moi, j'y mets tout mon coeur, alors vous voir si investis m'émeut beaucoup.

À samedi prochain pour le chapitre 7  ♥ En attendant, je vous souhaite une belle semaine.



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