12. voilà ton gage
Prêt.e.s pour le tournoi d'échecs ? :p
***********༄***********
— Bien. Maintenant, il est temps de parler de mon gage.
Je fixe Jungkook, incapable de détourner le regard. Il est accoudé à la table avec désinvolture, et tout son corps est détendu. Dans ses yeux brille une lueur qui semble à la fois me défier et m'inviter à jouer à ce jeu que nous avons commencé bien avant de toucher l'échiquier.
Autour de nous, le bruit ambiant du Chess Coffee s'efface peu à peu. Le brouhaha de la salle n'est plus qu'un bourdonnement lointain, comme si l'univers tout entier avait choisi ce moment pour se rétracter et nous laisser seuls dans cet espace.
Rien n'existe en dehors de cette table.
Rien n'existe en dehors de lui et moi.
Nous avons joué, et il a perdu. Les règles de notre partie étaient claires, et pourtant, il n'y a aucune frustration dans son attitude, aucun signe de déception dans son regard.
Il a perdu, mais il agit presque comme s'il avait gagné.
Jungkook est joueur. Pas seulement sur l'échiquier, mais dans tout ce qu'il fait. Peut-être désirait-il voir quel gage j'allais lui donner. Peut-être que ça aussi, c'est un jeu pour lui, un jeu dans lequel il tire les ficelles, et dans lequel je suis à sa merci.
Et là, maintenant, il attend. Patient, calme, et sûr de lui.
Le gage.
C'est à moi de définir les règles. Je pourrais lui demander n'importe quoi, mais au fond, je sais que cette supériorité n'est qu'une illusion.
J'ai le pouvoir seulement parce qu'il m'autorise à l'avoir.
Car même assis là, les bras négligemment appuyés sur la table, Jungkook reste le maître du jeu.
Son sourire léger, cette inclinaison presque imperceptible de la tête, tout dans sa posture me dit qu'il a déjà pris le contrôle de la situation, peu importe ma décision.
— Alors, c'est quoi, le gage ? demande-t-il enfin, brisant le silence avec cette voix légèrement rauque qui me fait toujours vaciller, même si je ne veux pas l'admettre.
Je le fais attendre. Non pas parce que je n'ai pas d'idée, mais parce que je veux savourer ce bref moment où les rôles semblent inversés. Pourtant, chaque seconde qui passe me rappelle à quel point il a le pouvoir de retourner la situation quand il le souhaite.
Je plisse les yeux et affiche une moue, feignant de réfléchir, bien qu'une idée prenne déjà place dans mon esprit. Je m'apprête à lui répondre enfin et à transformer ce moment en petite victoire personnelle, mais je n'en ai pas le temps ; une voix glaciale vient interrompre le fil de mes pensées.
— Taehyung, viens.
Je lève la tête, surpris. Yoongi se tient là, son visage aussi impassible qu'un masque de marbre. Ses bras sont croisés sur sa poitrine, et ses yeux me fixent avec une intensité qui me cloue sur place. Il n'a pas besoin de hausser le ton pour imposer sa présence.
— La partie est finie, Yoongi. J'articule maladroitement. Pas la peine de...
— Justement. Maintenant que c'est fini, t'as plus de raison de rester ici.
Son regard glisse brièvement vers Jungkook, puis revient à moi, comme pour souligner ce qu'il n'a pas besoin de dire à voix haute. Je sens une vague de frustration monter, mais je sais qu'insister ne fera qu'empirer la situation. Alors je soupire, résigné, et me lève.
— On poursuivra cette conversation plus tard, Taehyung, me lance Jungkook.
Mon estomac se contracte.
— D'accord...
Pourquoi faut-il qu'il me fasse cet effet-là dès qu'il prononce mon prénom ?
Alors que je suis Yoongi qui bougonne quelque chose d'incompréhensible, une voix forte s'élève au-dessus du chahut, ramenant le calme :
— Bonjour ! Merci à toutes et à tous d'être venus si nombreux ! Maintenant que vous vous êtes bien échauffés, il est temps de commencer le tournoi officiel.
Ah, mais oui, le tournoi. Avec tout ce qui vient de se passer, je l'avais presque oublié.
Je m'arrête de marcher, et me retourne pour observer l'organisateur qui se tient au centre de la pièce. C'est un homme à l'allure joviale, vêtu d'un gilet à carreaux un peu vieillot.
— Ceux qui souhaitent participer, veuillez vous installer à une table sur laquelle il y a un échiquier. La personne qui se placera en face de vous sera votre premier concurrent. Nous allons vous attribuer des numéros, et les gagnants de chaque manche s'affronteront jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un. Ce dernier, d'ailleurs, repartira avec un petit panier surprise préparé par l'ensemble du personnel du Chess Coffee.
Un murmure d'excitation parcourt la salle alors que les participants commencent à se déplacer pour trouver une place.
— Le but du jeu n'est pas forcément d'aller chercher l'échec et mat. Pour gagner, il vous suffira de prendre le plus de pièces possible à votre adversaire. Chaque partie dure 10 minutes, pas une de plus. Bonne chance et que le meilleur gagne !
Je croise le regard de Jungkook, qui semble hésiter un instant avant de se lever et de choisir une table au fond de la salle.
— C'est ridicule, marmonne Yoongi à côté de moi.
Je me tourne vers lui, les yeux ronds.
— Qu'est-ce qui est ridicule ?
— Ce que je m'apprête à faire.
Je n'ai pas le temps de réagir que déjà, Yoongi s'élance en direction de la table à laquelle Jungkook est assis. Ils ne discutent pas, mais Yoongi prend place. Jungkook semble amusé.
Merde.
Ça risque de faire des étincelles. Il faut que je garde un œil sur ce qui se passe de leur côté. Je n'ai pas envie de devoir calmer Yoongi si Jungkook venait à le faire sortir de ses gonds. Ce qui est plus que probable...
Je m'installe à une table, et mon adversaire ne tarde pas à arriver. C'est une jeune femme qui a à peu près mon âge. Ses longs cheveux sont attachés en une queue de cheval parfaite. Elle dégage une assurance tranquille, mais son regard sérieux derrière ses lunettes me rappelle que ce tournoi, bien qu'amical, reste une compétition. Nous échangeons un sourire poli, et je me redresse sur ma chaise, prêt à jouer.
— Bien ! Vous êtes seize. C'est parfait.
Sur le tableau noir qui sert à écrire le menu du jour d'ordinaire, l'organisateur dessine des cases et des traits, avant de se retourner et d'attribuer les numéros aux participants.
— Numéro 6, annonce-t-il en me désignant.
Mon adversaire est numéro 5. L'excitation grimpe doucement.
— Je te laisse les blancs, j'annonce.
Elle accepte d'un signe de tête.
Alors que je réorganise mes pièces sur l'échiquier, mes yeux dérivent un instant vers le fond de la salle. Yoongi a l'air tendu, presque combatif. Il fixe les pièces d'un regard perçant. J'espère secrètement qu'il va gagner.
Parce que s'il perd, il risque de s'énerver.
Une fois tous les numéros inscrits au tableau, l'organisateur donne enfin le signal.
— Que la première manche commence !
Il fait tinter une cloche, et la tension monte subitement. C'est un exercice de rapidité, pas de stratégie pure. Je pense que je peux m'en sortir. Le cliquetis des pièces déplacées résonne déjà dans l'air. Mon regard revient sur ma propre table tandis que mon adversaire ajuste ses lunettes avec un petit sourire confiant, avant d'avancer son pion d'ouverture.
Je me redresse, ma concentration à son maximum. Chaque mouvement compte dans ce format rapide.
J'analyse ses premières actions, cherchant à comprendre son style de jeu.
Défensive, calculatrice.
Elle déploie ses pions en ligne, construisant une barrière qu'elle veut solide. Un choix prudent, mais qui manque d'agressivité.
Je décide d'attaquer rapidement. Mon cavalier bondit en avant, menaçant un de ses pions. Elle hésite une seconde de trop, son regard vacille vers moi, et je vois l'espace d'un instant qu'elle doute.
Une faiblesse à exploiter.
Mon fou vient en renfort, et en deux mouvements bien calculés, je prends l'un de ses pions.
Son coup suivant est plus audacieux. Elle avance sa dame, tentant de m'intimider en menaçant plusieurs de mes pièces. Je recule légèrement, feignant la prudence, avant de placer une contre-attaque éclatante avec ma tour. En un enchaînement précis, je capture sa dame.
Elle grimace, mais elle ne perd pas son calme. Je dois lui reconnaître une certaine ténacité. La partie se resserre, chaque pièce enlevée devient une victoire en soi. Mais malgré ma bonne volonté, c'est elle qui mène pour le moment.
L'horloge continue de tourner, et chaque seconde m'éloigne un peu plus de ma chance de remporter la manche.
Je ne dois pas miser sur les pièces que je capture.
Je dois terminer la partie.
Finalement, alors qu'il ne reste plus qu'une minute et que le temps joue contre moi, je tends un piège en laissant l'un de mes cavaliers vulnérable.
C'est ma dernière chance d'y arriver.
Mon dernier coup à jouer.
Comme prévu, elle saute sur l'occasion, oubliant son roi désormais coincé par mes autres pièces.
— Échec et mat, j'annonce doucement.
Elle relève la tête, visiblement choquée d'avoir été ainsi déconcentrée par mon subterfuge. La cloche retentit, signalant la fin de la première manche.
Bordel, j'ai eu chaud.
— Ceux qui ont gagné, levez la main et donnez-moi votre numéro.
Je lève la main et observe le tableau où l'organisateur commence à inscrire les résultats.
— Très bien ! finit-il par lancer après que tous les gagnants lui aient indiqué leurs numéros. Voici les nouveaux binômes. 2 contre 3. 6 contre 8. 9 contre 11. Et 14 contre 16. Veuillez prendre place.
Les murmures reviennent, mais déjà, mon attention se détourne. Mes yeux cherchent instinctivement Yoongi et Jungkook. Le tableau indique que c'est Jungkook qui a gagné. J'ai retenu qu'il était le numéro 9.
Yoongi se lève, l'air visiblement contrarié. Lorsqu'il revient vers moi, il a les poings serrés.
— Bonne chance pour cette manche, m'adresse-t-il en allant rejoindre Jin qui a également perdu.
Je sais qu'il s'en veut d'avoir été éliminé, parce qu'il espérait sûrement prendre sa revanche. Je n'ai pas oublié ce tournoi de février contre lequel il avait déjà perdu contre Jungkook.
Ça me rend triste de le savoir dans cet état.
Mais je n'ai pas le temps de m'attarder sur lui. Mon propre numéro est affiché à côté du numéro 8. Mon nouvel adversaire est un homme plus âgé, peut-être dans la quarantaine, et a le visage sévère. Il prend place en face de moi.
Ce tournoi commence à devenir plus intense que je ne l'avais imaginé. Autour de nous, l'ambiance du Chess Coffee est vibrante, ponctuée de rires discrets, et de discussions à voix basse. Pourtant, tout ce bruit se fait lointain lorsque l'organisateur annonce le début de la manche.
Mon adversaire prend les blancs et ouvre avec un gambit audacieux, sacrifiant un pion dès les premiers mouvements. C'est risqué, mais je comprends vite qu'il joue pour me désarçonner, forçant un rythme qui ne me permet pas de me reposer. Je serre les dents. Pas question de me laisser entraîner dans son jeu.
Je prends une profonde inspiration et me concentre.
De temps à autre, mes yeux dérivent malgré moi vers le fond de la salle. Jungkook est là, à sa table, affrontant son nouveau concurrent. Il est toujours aussi détendu, son sourire comme une armure. Il joue avec une nonchalance apparente, mais ses mouvements sont calculés, efficaces.
Il ne laisse rien au hasard, je le sais.
Mon adversaire frappe soudain légèrement l'échiquier, attirant mon attention. Il a avancé sa dame, menaçant mon cavalier. C'est un choix intelligent, mais je perçois une faille dans sa stratégie. Mon cœur bat plus vite.
Le temps passe, et la tension monte. Chaque coup que je joue est une tentative de briser son rythme, et de reprendre le contrôle de la partie. Je le vois froncer les sourcils, son calme initial commençant à s'effriter. Finalement, il fait une erreur.
Une seule, mais suffisante.
— Échec et mat, je déclare, le souffle court.
Lui aussi relève la tête, fixant les pièces avec incrédulité, avant de me regarder. Il esquisse un sourire, peut-être d'admiration, peut-être simplement pour dissimuler sa déception.
La cloche retentit à nouveau, marquant la fin de la manche. Je me redresse, soulagé et étrangement fier.
— Numéro 6, une victoire, dit l'organisateur en inscrivant mon résultat au tableau après que j'ai levé la main.
Je jette un coup d'œil rapide vers Jungkook. Il a la main levée, lui aussi. Une fois son numéro inscrit au tableau, il discute brièvement avec son adversaire, avant de scanner la salle. Nos regards se croisent, et un sourire presque imperceptible s'étire sur ses lèvres.
Mon cœur manque un battement.
C'est comme s'il disait : Je t'attends.
Avant que je puisse m'attarder davantage sur lui, mon téléphone vibre au fond de ma poche. Je pense à Hoseok, qui doit être impatient d'avoir des nouvelles, ou à Yoongi, qui souhaite peut-être m'encourager de loin. Mais ce que je vois me fait cesser de respirer.
Soojae vous a fait une demande d'ami.
Quoi ?
Soojae ?
Mais...
— Très bien, voici les binômes pour le prochain tour ! 3 contre 6, et 9 contre 14, préparez-vous !
Mon esprit reste embrouillé, incapable de me détacher de ce que je viens de voir sur l'écran de mon téléphone.
Soojae...
Pourquoi maintenant ? Après tout ce temps ?
La notification pèse si lourd que je manque de faire tomber mon téléphone, mais je secoue la tête. Ce n'est ni le moment ni l'endroit pour y penser. Je range mon portable dans ma poche. J'aurais tout le temps pour ça plus tard. Je dois rester concentré.
Oui, Taehyung, c'est ça.
Reste concentré.
Tout de même. Soojae...?
La voix de l'organisateur résonne soudain :
— Veuillez prendre place !
Reste concentré.
Mais j'ai beau essayer, cette notification me déstabilise beaucoup trop.
Je relève la tête et vois mon prochain adversaire déjà installé. C'est un garçon assez jeune. Mais l'âge ne compte pas, aux échecs. Je sens mon téléphone brûler au fond de ma poche, mais je me fais violence et force un sourire.
— Bonne chance, me lance mon concurrent en hochant la tête.
— Merci, toi aussi.
Le signal est donné, et la partie commence.
Dès les premiers coups, je comprends que ce garçon n'est pas là pour plaisanter. Il avance méthodiquement, analysant chacun de mes mouvements avec une précision froide. Ses attaques sont subtiles, mais constantes, me forçant à défendre plutôt qu'à attaquer. Chaque pièce que je perds semble calculée de sa part, comme s'il avait prévu tout un scénario.
Bon sang, il est fort.
Et puis Soojae, putain. Ça ne veut pas sortir de ma tête...
Je serre les dents, refusant de me laisser intimider. Peu importe sa stratégie, peu importe cette notification sur Discord, je dois rester calme.
Calme.
Mais au fil des minutes, je sens la pression monter. Son style de jeu est oppressant, comme une vague qui menace de me submerger. Je prends une profonde inspiration, me rappelant que ce n'est pas une question d'échec et mat, mais de points. Il suffit de prendre plus de pièces que lui.
Cette pensée me donne un regain d'énergie.
Je commence à anticiper ses mouvements, à tendre de petits pièges ici et là. Chaque pion que je capture, chaque fou ou cavalier que je prends, me donne un sentiment de contrôle retrouvé.
Pourtant, il ne cède pas facilement. À plusieurs reprises, je dois sacrifier des pièces pour éviter qu'il ne prenne l'avantage. C'est un jeu dangereux, une danse sur le fil du rasoir, mais je parviens à tenir bon.
Le tic-tac de la pendule devient plus fort dans ma tête à mesure que les secondes défilent. Lorsque l'organisateur annonce qu'il ne reste plus qu'une minute, la tension est à son comble. Je me concentre sur l'essentiel : capturer autant de pièces que possible sans perdre les miennes inutilement.
Mon adversaire tente un dernier coup audacieux. Mais plutôt que de me défendre, j'attaque un de ses derniers cavaliers. Il hésite une fraction de seconde avant de jouer, et à ce moment-là, je sais que j'ai l'avantage.
La cloche retentit, marquant la fin du match. Je me redresse, le souffle court.
— Félicitations, articule-t-il avec un sourire sincère.
Je le remercie et lève la main pour signaler ma victoire, attendant que l'organisateur vienne compter nos pièces. Après un rapide calcul, il annonce :
— Victoire pour le numéro 6.
Un soulagement m'envahit, accompagné d'une fierté discrète. Ce n'était pas facile, mais je l'ai fait.
En levant les yeux, mon regard se pose instinctivement sur Jungkook. Son adversaire se lève, visiblement vaincu.
Et puis, comme s'il avait senti mon regard, il tourne la tête.
Nos yeux se percutent une fois encore, et un sourire effleure ses lèvres. Il lève lentement la main, signalant lui aussi sa victoire, avant de quitter sa chaise pour s'approcher.
— Très bien, annonce l'organisateur. Voici le binôme final ! 6 contre 9 !
C'est nous.
Le 6 et le 9. C'est nous...
Jungkook s'avance tranquillement vers ma table, s'appuyant nonchalamment contre le bord.
— Alors, c'est toi et moi pour cette manche ? demande-t-il avec un sourire en coin, quand bien même ce n'est pas vraiment une question.
Un frisson me traverse, mais je fais mine de rester impassible.
— On dirait bien.
Il s'assoit.
— Gage ?
Je le fixe sans comprendre.
— On rejoue pour un gage ?
Je sens mon ventre se tordre. Puis, finalement, je hoche la tête et accepte. Galvanisé par ma victoire contre lui tout à l'heure, et par celles que je viens d'enchaîner, je sens que je peux gagner. Je suis sûr que je le peux.
— Prends ton temps pour savourer ma précédente défaite. Parce que c'était la dernière. Je prends les noirs, m'annonce-t-il en récupérant les pièces de la bonne couleur.
Je ne rétorque rien et accepte de commencer.
La partie débute dans une atmosphère lourde de tension. J'avance un pion. Jungkook bouge le sien dans un calme absolu. Sa posture est détendue, mais son regard, lui, est acéré, fixé sur l'échiquier comme un prédateur évaluant chaque mouvement de sa proie.
Je prends une profonde inspiration. Pas question de me laisser intimider. Pas par lui, pas maintenant. Ce n'est qu'une compétition amicale, mais ce qui se joue entre Jungkook et moi semble bien plus sérieux. Je déplace un autre pion. Il ne réagit pas tout de suite, ses yeux scrutant l'échiquier avec une intensité qui me donne l'impression qu'il voit des dizaines de coups à l'avance.
Son cavalier entre en jeu, et déjà, je sens que son approche est différente. Chaque mouvement est précis. Il ne perd pas de temps, mais ne se précipite pas non plus. Je tente de construire une défense solide, calculant chaque possibilité, mais chaque fois que je pense avoir trouvé une ouverture, il la comble avant même que je n'aie pu m'y engouffrer.
La salle autour de nous semble s'effacer peu à peu. Les murmures, les mouvements, même le claquement de la pendule qui rythme notre partie deviennent secondaires. Tout ce qui compte, c'est cet échiquier, ces pièces, et ce duel silencieux entre lui et moi.
Je tente un échange risqué, sacrifiant un pion pour dégager une diagonale. Il hésite une fraction de seconde — ou peut-être que je me l'imagine —, puis il capture la pièce sans la moindre émotion.
Le jeu continue, et petit à petit, je réalise qu'il ne laisse rien passer. Chaque tentative d'attaque est anticipée, chaque piège que je tends est déjoué avec une facilité qui me déstabilise. Pourtant, je m'accroche, prenant quelques-unes de ses pièces dans un effort presque désespéré pour inverser la tendance.
Mais plus la partie avance, plus une vérité froide s'impose à moi : Jungkook contrôle chaque aspect de ce jeu. Il n'y a pas de hasard, pas d'improvisation.
Une pensée me frappe soudain, glaçant mon élan : la première partie, celle où j'ai gagné... Il m'a laissé faire. C'est une certitude, désormais. Je n'ai aucune chance contre lui.
Aucune.
Jungkook ne joue jamais pour perdre.
Alors pourquoi m'avoir laissé gagner tout à l'heure ?
Je serre les dents, refusant de laisser transparaître mon trouble, et pousse mon cavalier pour menacer une de ses tours, espérant forcer un échange. Mais au lieu de reculer, il avance sa dame avec une audace qui me coupe le souffle.
— Tu fais exprès de t'exposer ? je lui demande, par défi.
Il relève les yeux vers moi, ses prunelles sombres pétillantes de malice.
— Peut-être.
Cette simple réponse suffit à me faire perdre une précieuse seconde de réflexion. Il appuie sur ce moment de faiblesse pour enclencher une attaque que je n'avais pas vue venir. En deux coups, il me met en échec. Je parviens à m'en sortir, mais de justesse, sacrifiant un fou pour protéger mon roi.
Le chronomètre indique qu'il reste à peine trois minutes. Mon cœur bat à tout rompre, mes mains sont légèrement moites. Je ne peux pas perdre. Pas comme ça.
Je tente une dernière offensive, avançant mes pions dans une tentative désespérée de briser sa défense. Mais Jungkook est implacable. Chaque mouvement qu'il fait resserre son emprise sur l'échiquier, comme une toile d'araignée qui se referme inexorablement.
Il reste une minute. Mon roi est acculé, mes options limitées. Pourtant, je refuse d'abandonner. Je déplace ma dame, cherchant à le forcer à se découvrir.
— Bien essayé, articule-t-il doucement.
Et puis, le coup fatal.
Il avance son cavalier, plaçant mon roi en échec. Je scrute l'échiquier, mon esprit travaillant frénétiquement pour trouver une échappatoire. Mais il n'y en a aucune.
— Échec et mat, annonce-t-il enfin.
Le temps s'arrête. Je fixe les pièces, incrédule. Lentement, je relève les yeux vers lui. Il s'appuie contre le dossier de sa chaise, croisant les bras avec une nonchalance exaspérante.
— Cette fois, je n'ai rien laissé au hasard, ajoute-t-il, comme pour enfoncer le clou.
Je sens mes joues brûler, et un mélange de frustration et de honte m'envahit. Mais au-delà de ça, il y a autre chose. De l'admiration, peut-être. Une reconnaissance silencieuse de son talent indéniable.
Autour de nous, la salle éclate en murmures. Certains spectateurs s'approchent pour observer la configuration finale, échangeant des commentaires sur la perfection de son jeu.
— Bien joué, je lâche finalement.
Il incline la tête.
— Toi aussi.
***
Yoongi et moi avons enfilé nos manteaux. Tandis qu'il échange quelques dernières paroles avec Jin, j'en profite pour m'éclipser discrètement, le pas rapide et léger. Mon cœur bat étrangement fort, comme si j'étais sur le point de faire un truc interdit.
J'ai une dernière chose à faire.
Je le repère presque immédiatement. Jungkook est là, près d'une table vide, en train de poser son panier cadeau. Son perfecto est négligemment drapé sur son avant-bras, et ses cheveux, en bataille, retombent sur son front malgré ses tentatives évidentes pour les lisser en arrière. Il s'apprête à partir.
Mais je ne peux pas le laisser s'en aller sans lui parler.
— Ton gage, dis-je en arrivant à sa hauteur, ma voix plus ferme que je ne l'aurais cru.
Il se fige légèrement avant de tourner la tête vers moi. Ses yeux sombres me scrutent, et une étincelle indéchiffrable y danse. Il reste silencieux un moment, comme s'il pesait mes mots. Puis un sourire effleure ses lèvres.
— Je dois partir, répond-il simplement. Je n'étais venu que pour toi. Sors ton téléphone.
Je fronce les sourcils.
— Quoi ?
Voyant ma confusion, il se rapproche d'un pas, son regard toujours rivé sur moi, comme pour s'assurer que j'écoute bien.
— Sors ton téléphone, répète-t-il. C'est pour te donner mon numéro. Tu m'enverras un message pour me dire ce que tu veux comme gage, quand tu l'auras décidé.
— Oh. Oui...
Je m'exécute, sortant mon téléphone à la hâte. Il me dicte son numéro tout en mettant son blouson. Une fois que je l'ai enregistré, il me jette un dernier regard.
— À bientôt, murmure-t-il, avant de tourner les talons et de s'éloigner.
La clochette de la porte d'entrée retentit derrière lui, et il disparaît. Je reste là, immobile, le téléphone encore dans ma main, à fixer l'endroit où il se trouvait il y a à peine quelques secondes.
Mon esprit devrait être ailleurs — sur ma défaite contre lui, sur Soojae, ou même sur Yoongi. Mais tout ce que je ressens à cet instant, c'est ce vide étrange qu'il a laissé derrière lui.
— Tae, on y va ?
La voix de mon meilleur ami me ramène brusquement à la réalité. Il s'est approché et me regarde avec une pointe d'impatience, me désignant la porte d'un coup de menton.
— Hm ?
— On y va ?
— Oh, euh, oui... oui, allons-y
Je glisse mon téléphone dans ma poche et je secoue la tête, essayant de reprendre mes esprits. Mais alors que je franchis la porte, je ne peux m'empêcher de jeter un dernier regard vers la rue, espérant bêtement y apercevoir Jungkook.
Mais il est déjà loin.
***
J'hésite.
Je tourne même en rond en me demandant comment commencer ce foutu SMS. Je n'ai même pas pris le temps de retirer mon manteau ni vérifié la notification de Soojae. J'ai à peine entendu Yoongi se plaindre d'avoir perdu, tout le long du trajet.
Désormais dans ma chambre, j'hésite.
Longtemps.
Après quelques minutes, j'inspire profondément et ouvre mon téléphone, puis appuie sur l'icône de message.
Taehyung
Salut, Jungkook, c'était une belle partie, même si j'ai perdu...
Non. C'est nul.
Je recommence.
Taehyung
Salut, Jungkook.
C'est Taehyung.
Voilà ton gage : tu devras lire un livre que j'aurais choisi pour toi.
Je te l'apporterai au club d'échec.
Oui, ça suffira. Pas la peine d'entrer dans des détails superflus.
J'appuie sur « envoyer ».
La réponse arrive en moins de dix secondes.
Jungkook
Ok.
Je lâche un soupir de soulagement en retirant enfin mon manteau. Il n'a pas l'air contre. J'avais déjà imaginé qu'il me répondrait que lire, c'est pour les nuls, pour ceux qui ne savent pas affronter la réalité. Mais il a accepté.
Il a accepté si facilement...
Jungkook
À mon tour maintenant.
Voilà ton gage.
Oh bon sang. J'avais oublié.
Il me doit aussi un gage...
Je fixe l'écran, incapable de cligner des yeux en le voyant écrire. Et ce que je lis, une fois qu'il a envoyé son message, me fait l'effet d'une bombe.
Jungkook
La prochaine fois qu'on se verra...
Je cesse de respirer.
... embrasse-moi.
***********༄***********
dfgfdghdfhdfgdffgdfg (adieu)
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